L'histoire par les cartes : plus de deux siècles d'aménagements fluviaux sur le Rhin


La projection sur la chaîne Arte-Tv du documentaire-fiction Tulla, l’homme qui dompta le Rhin est l'occasion d'aborder la question de l'aménagement des grands fleuves et des problèmes écologiques qu'ils posent aujourd'hui. Ce documentaire revient sur le destin exceptionnel de l'ingénieur Johann Gottfried Tulla qui a consacré sa vie à un grand projet d’aménagement du Rhin. 

Tulla, l’homme qui dompta le Rhin (Arte-Tv)


« Son idée était  de donner un tracé rectiligne au Rhin supérieur, en supprimant ses méandres naturels afin de le rendre plus navigable, et de délimiter une frontière claire entre la France et le grand-duché de Bade. Le Rhin est sans doute le fleuve d’Europe qui a le plus été aménagé et façonné. Au XIXe siècle, en pleines guerres napoléoniennes, l’ingénieur hydraulicien Johann Gottfried Tulla (1770-1828) conçoit pour lui un projet décisif. Formé en Allemagne et à l'École polytechnique, il propose de donner un tracé rectiligne au Rhin supérieur, en supprimant ses méandres naturels afin de le rendre plus navigable, et de délimiter une frontière claire entre la France et le grand-duché de Bade. Si, pour certains, sa vision relève de la pure folie, elle donne lieu néanmoins à ce qui constitue alors le plus vaste projet de construction du continent. Mort avant l'achèvement du chantier, Tulla ne verra jamais les avancées apportées par les immenses travaux qu'il a initiés : intensification des échanges fluviaux européens, naissance de villes et de ports… Au-delà d’une biographie de ce grand bâtisseur, ce documentaire-fiction porte cependant un regard critique sur les aménagements colossaux accomplis alors, insistant notamment, grâce au recul apporté par le temps, sur les dégâts écologiques qu’ils ont causés. » 

En 1810, Tulla réalise une première cartographie « pour redresser le Rhin d'une manière innuisible aux deux rives ». Le plan est élaboré en français et en allemand. Il utilise le système métrique mis en place par la France. 

En 1812, il  dresse une Carte complète du Grand Duché de Bade. On y voit très bien les nombreuses boucles du Rhin que Tulla veut rectifier en un tracé rectiligne, notamment dans le secteur de Karlsruhe (sa ville natale). On est dans un contexte de foi inébranlable dans les voies du progrès.

Extrait de la "Carte complète du Grand Duché de Bade"  (source : Gallica)


Au printemps 1817, c'est le début du grand chantier de correction du Rhin supérieur. Il n'est plus question de laisser divaguer le fleuve. L'heure est au développement économique. Des zones forestières sont défrichées et le percement du passage de Knielingen peut commencer. Le chantier ne se déroule pas sans incident. Les habitants de Knielingen craignent pour leurs lieux de pêche et tentent de s’opposer aux travaux. L’armée doit intervenir pour mettre fin à leur résistance. On peut considérer qu'il s'agit de la première manifestation civique contre des travaux d’Etat. Les communautés riveraines sont astreintes à contribuer aux travaux. La terre excavée est déversée en bordure du nouveau cours du fleuve. Après trois ou quatre ans où le fleuve travaille lui-même à son approfondissement et à son élargissement, le Rhin commence à prendre place dans son cours définitif. Grâce à ce nouveau chenal, les habitants de six villages sont épargnés par la crue de 1824.

Le 23 mars 1821, Tulla adresse une Lettre au Lieutenant Georg Heinrich Krieg von Hochfelden au sujet de la rectification du cours du Rhin. Cette lettre expose ses prises de position programmatiques.

En 1822, il publie une Carte hydrographique du cours du Rhin entre Neuburg et Sondernheim, indiquant la rectification du Rhin débutée en 1817.

En 1827, Tulla rédige un Mémoire sur la rectification du cours du Rhin, depuis son débouché de la Suisse jusqu’à son entrée dans le grand-duché de Hesse-Darmstadt (Journal de la Société des Sciences, Agriculture et Arts de Strasbourg, p. 5–69)

Cartes comparant la situation en 1828 et en 1838 par rapport à aujourd'hui.

Cartes de rectification du Rhin (1828) à télécharger sur le site Chart Room


Les travaux du secteur entre Strasbourg et Bâle sont principalement réalisés pendant la période entre 1842 et 1876. Les aménagements consistent à contenir les eaux du Rhin dans un « lit mineur » avec des rives fixes distantes de 200 à 250 m. Cet élargissement du Rhin favorisera l'essor économique et industriel de l'Allemagne au cours des  XIXe et XXe siècles. 

Ce qui représente à l'époque une victoire de l'homme sur la nature sera remis en cause seulement à la fin du XXe siècle. En 1986, le Rhin est déclaré « mort » après le déversement de 20 tonnes de produits agrochimiques de l'usine Sandoz de Schweizerhalle, près de Bâle, qui a anéanti les poissons sur une distance de 400 km, provoquant colère et prise de conscience.

De nombreux écologistes souhaitent redonner aujourd'hui plus d'espace au Rhin, non seulement dans les bassins de rétention, mais dans les forêts alluviales. Cependant, les mesures de renaturation sur le Rhin sont pratiquement impossibles, explique le directeur du musée Baumgärtner. « Vous pouvez le faire sur des affluents comme la Murg et l'Alb, mais plus sur le Rhin. La construction a été réalisée jusqu'au rivage, il y a des barrages. Un changement aurait également des conséquences pour la navigation. » 


Accès aux sources 

Cartes anciennes du Rhin supérieur (archives de Karlsruhe)

Voir notamment les cartes d'archives donnant le détail des transformations sur chaque secteur du Rhin.

Le projet commun des bibliothèques du consortium EUCOR et des Archives générales du Land à Karlsruhe ont procédé à la numérisation de fonds cartographiques anciens concernant la région du cours moyen du Rhin, le fleuve étant le trait d’union qui relie tous les partenaires. Le point fort thématique retenue est la rectification du cours du Rhin, réalisée tout au long du XIXème siècle. L’ingénieur et Directeur des ponts et chaussées Johann Gottfried Tulla (1770–1828) en est la figure centrale. De 1800 à 1890, de nombreuses cartes et atlas ont paru, qui permettent de suivre pas à pas la genèse et l’histoire de cette rectification. La mise en ligne de ces ensembles cartographiques permet de prendre connaissance de la richesse du travail des cartographes de cette époque et de son évolution : orientation à l’ouest, à l’est puis au nord des cartes, interprétations différenciées des frontières entre les états, les appellations divergentes des noms de lieux en allemand et en français. Cet ensemble de cartes est enrichi par l’ajout de textes contemporains numérisés ainsi que par des documents d’archives manuscrits, qui permettent d’en savoir plus sur les phases successives de ces travaux.

Pour compléter

L’artificialisation du Rhin. La rectification. Comment le sauvageon fut corrigé

Carte à la une : reconstituer le Rhin disparu (Géoconfluences)
Comment les cartes anciennes peuvent-elles aider à gérer les hydrosystèmes fluviaux ? Les archives cartographiques fournissent de précieuses indications sur la trajectoire d'évolution de grands cours d’eau très anthropisés.

GeoRhena, système d'information géographique du Rhin supérieur

Aménagement du Rhin. Atlas des paysages d'Alsace

Les aménagements hydroélectriques du Rhin franco-allemand (EDF)

L'aménagement des trois plus grands fleuves européens : Rhin, Rhône et Danube. Problèmes et méfaits (Tricart & Bravard, 1991) 


Lien ajouté le 2 septembre 2021


Lien ajouté le 9 février 2024
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L'histoire par les cartes : entre faits et légendes, la cartographie du fleuve Amazone du XVIe au XVIIIe siècle (Gallica)


ExtendNY, une application qui permet d'étendre le plan orthogonal de New York à l'échelle de la planète


Et si la grille des rues et avenues de Manhattan s'étendait à toute la planète ? Telle est l'idée originale qui a présidé à la conception du mashup ExtendNY (pour « Extend New York  »).

Aperçu de l'interface de l'application en ligne ExtendNY 


ExtendNY est une carte interactive qui étend le plan orthogonal de New York à toute la planète. Se donner rendez-vous à l'angle de la 12 779e avenue et de la 64 910e rue est plus original que de donner la latitude et longitude de Paris. En même temps, cela revient un peu au même puisque le plan de Manhattan est conçu sur un modèle de grille comme les coordonnées géographiques : les avenues vont du nord au sud et les rues vont d'est en ouest. Avec un système aussi simple, comment ne pas vouloir le généraliser au monde entier !

Cette application développée par Harold Cooper s'inspire de la célèbre affiche View of the World from 9th Avenue, qui montre les Etats-Unis vus de New York (vision subjective). Sauf qu'il s'agit ici d'une carte et non d'un paysage. Comme la Terre est ronde, les rues tracent des lignes courbes à la surface du globe (ce serait en fait des lignes droites si on les parcourait à pied).


Si l'on va voir ce qui se passe du côté de l'Ouzbékistan, le plan orthogonal de New York ne fonctionne plus. On comprend que la grille adaptée à une surface plane est difficile à représenter sur un globe. La grille se divise alors en plusieurs cônes tout autour du point central de la projection.



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Étudier la répartition géographique des noms de famille en France et en Europe


Source : Where Does Your Name Come From ? (Maps Mania, 24 août 2021)

Le peintre impressionniste Claude Monet est né à Paris. Le fait qu'il soit né à Paris n'est pas si surprenant. Une carte montrant la répartition des noms en France avec le patronyme "Monet" révèle que Paris est le deuxième département (après le Nord) à compter le plus grand nombre de Monet. 


Quentin Nahelou a développé Geneamap, une application en ligne qui interroge la répartition des noms de familles à partir de la base Geneanet. Entrez votre nom dans Geneamap et il vous montrera sous forme de heatmap la répartition de votre nom de famille à travers la France. Cette application est  particulièrement utile pour les personnes intéressées par la généalogie, car elle permet de mettre en évidence les territoires où un nom de famille est le plus implanté, voir de remonter à sa région d'origine. 

Vous pouvez utiliser des applications interactives pour découvrir la répartition géographique et les origines de noms de famille dans d'autres pays d'Europe :

Vous pouvez également explorer la distribution mondiale des noms de famille en utilisant Forebears. Le site vous indiquera la signification de votre nom et sa répartition géographique avec le nombre d'occurrences par pays. « Smith » n'est pas seulement le nom de famille le plus courant dans de nombreux pays anglophones. C'est aussi le nom de famille professionnel le plus courant dans une grande partie de l'Europe (How the Smiths took over Europe). Smith signifie forgeron. Les noms de famille peuvent renvoyer à des noms de métier, mais aussi à des lieux géographiques, à des objets naturels, à des surnoms, etc...  

Pour compléter

Europe. Les noms de famille les plus courants par pays

Afrique. Les noms les plus courants par pays

États-Unis. Les noms les plus courants par états.

Monde. Les noms de famille les plus courants par continents et pays

Sources 

Fichier des noms de l'État civil en France (INSEE). Le fichier des noms contient des données sur les noms par décennie de naissance de 1891 à 2000. Ces données sont disponibles au niveau France et par département.
https://www.insee.fr/fr/statistiques/3536630


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Une carte des suffixes les plus fréquents par région des noms de villes françaises 

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Cartographie des noms qui servent à désigner les couleurs en Europe (Mapologies)


A qui appartient la mer du Nord ? Une cartographie des entreprises pétrolières et gazières au Royaume-Uni


Source : Who Owns the North Sea ? (Maps Mania, 21 août 2021)

« Construire un avenir démocratique et durable nous oblige à réinventer la propriété ». Le site common-wealth.co.uk vise à sensibiliser le public aux inégalités dans la répartition de la propriété au Royaume-Uni. Dans Who Owns England, ce think tank avait déjà proposé une cartographie destinée à  montrer les inégalités foncières en Angleterre (et aussi en Écosse et au Pays de Galles). Une autre question très importante, compte tenu notamment de la crise climatique, est « À qui appartient la mer ? » 

Who Owns the North Sea est une carte interactive et une base de données documentant les entreprises détentrices de licences pétrolières et gazières en mer du Nord. Les réserves de pétrole de la mer du Nord font du Royaume-Uni le deuxième plus grand producteur de pétrole et de gaz en Europe. Le gouvernement britannique vend des licences pour ces actifs de combustibles fossiles au secteur privé. Ces licences accordent aux entreprises les droits exclusifs d'extraire du pétrole et du gaz dans une zone définie. 

Une licence correspond à une zone géographique définie pour la prospection, l'exploration ou l'extraction de ressources pétrolières. Le système de licence de l'Oil and Gas Authority (OGA) couvre le pétrole et le gaz au sein de la Grande-Bretagne, sa mer territoriale et sur le plateau continental britannique. Le Petroleum Act de 1998 confère tous les droits sur les ressources pétrolières de la nation à la Couronne, mais l'OGA peut accorder des licences qui confèrent des droits exclusifs de « rechercher, forer et obtenir » du pétrole. Les licences se répartissent en plusieurs catégories. Les principales distinctions se font entre les licences onshore et offshore, et entre les licences d'exploration (qui couvrent uniquement l'exploration) et les licences de production (qui couvrent à la fois l'exploration et la production). L'OGA a le pouvoir discrétionnaire d'octroyer des licences pour aider à maximiser la reprise économique des ressources pétrolières et gazières du Royaume-Uni.


En cliquant sur la carte interactive, on peut afficher en détail tous les détenteurs de ces licences. Si on clique sur le nom d'une société mère dans le tableau, toutes les licences détenues par cette société en mer du Nord s'affichent sur la carte. Ces dernières années, les grandes sociétés pétrolières et gazières (telles Exxon Mobil, BP et Shell) ont cédé leurs participations dans la mer du Nord. Des sociétés financées par des capitaux privés et appartenant à l'État ont commencé à s'implanter et à contrôler de plus en plus de licences de combustibles fossiles dans la mer du Nord.

Alors qu'il s'agit d'envisager un avenir sans carbone, la capacité de contrôler et de réglementer les titulaires de permis en mer du Nord va constituer un enjeu important. Les grandes sociétés pétrolières et gazières ont des antécédents inquiétants en termes de protection de l'environnement et de lutte contre le changement climatique. Les nouvelles sociétés de capital-investissement et d'État pourraient s'avérer encore pires. De nombreux écologistes craignent que ces sociétés de capital-investissement et sociétés contrôlées par des pays non démocratiques ne s'avèrent encore plus difficiles à responsabiliser et à réglementer.

Page de présentation du projet :
Who owns the North Sea ? Mapping ownership of the UK’s oil and gas licenses  

Accès direct à la carte interactive :
Map of Equity Holders in North Sea Licenses

Les zones de licence gérées par l'Oil and Gas Authority (OGA) :
Licence boundaries covering both onshore and offshore UK taken directly from OGA's Petroleum E-business

Lien ajouté le 27 janvier 2022

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Quand la lutte contre les émissions de CO2 passe par la dénonciation des entreprises les plus concernées


Manga Map, une application qui transforme vos vues aériennes en images de type bande dessinée


Manga Map est une application 3D en ligne qui permet de faire des images type dessin animé à partir de vues ariennes réelles. Il suffit de saisir un nom de lieu à la surface du globe et aussitôt l'application affiche la vue en oblique du lieu choisi. 


L'effet est assez spectaculaire, particulièrement dans les zones en relief. 


Manga Map a été développé par Steve Attewell avec les outils de Mapbox Studio. L'effet d'ombrage confère à l'image un aspect très esthétique, proche du manga. Sur le plan technique, l'effet de cel-shading n'est pas lié à Mapbbox, mais à un filtre SVG mis dans le conteneur DIV de la carte et à une image d'arrière-plan qui crée un effet d'impression en demi-teinte (voir cette démo en vidéo avec le code).

Steve Attewell s'intéresse depuis de nombreuses années aux effets visuels appliqués aux cartes interactives. En voici quelques exemples : effet d'objectif caméra, effet d'anaglyphe stéréoscopique 3D, effet Stippler Art ou encore coupe topographique redessinée en fonction du terrain.

Pour accéder à Manga Map :
http://steveattewell.com/manga-map/


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Cartes : des plans sur la planète (émission Eurêka sur France Culture)


Source : Cartes : des plans sur la planète (émission Eurêka à écouter sur France Culture, 16 août 2021, 59 mn).

« Je lis les cartes comme je lis le livre »  disait Jean Giono. Les cartes géographiques sont bel et bien un livre ouvert sur le monde depuis les temps les plus anciens, une projection de l’humanité sur son environnement, partant d’une abstraction. Comment est-on parvenu à cartographier les mers et les océans ? Et que nous dit l'évolution de ces représentations sur notre façon d'habiter le monde ? "Cartes : des plans sur la planète", c’est l'itinéraire légendé qu'a cherché à suivre Antoine Beauchamp, à la frontière entre carte et territoire, avec pour invités : 

  • Geoffrey Phelippot, doctorant au Centre Alexandre Koyré et à l’EHESS et chercheur associé à la Bibliothèque Nationale de France au département Cartes et Plans

  • Jean-Marc Besse, directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique, directeur d’études à l’EHESS et président de la Commission du Comité français de la Cartographie, retraceront le chemin de cette invention. 

Une émission à écouter en direct sur France Culture. Nous en avons extrait et transcrit quelques échanges et citations intéressantes :

Maximilien Sorre (1954, à propos de l'importance des cartes ) :

« Le premier stade de toutes nos enquêtes, à nous géographes, est l'établissement d'une carte. Et l'on n'exagère guère en disant que tout effort d'analyse dépend de la richesse et de l'exactitude de la représentation cartographique. Nous sommes là en présence d'un mode d'expression fort ancien. Et nous restons encore étonnés de l'ingéniosité avec laquelle des navigateurs incultes ou des nomades ont su figurer les contours des terres et des mers, c'est-à-dire transmettre la connaissance des lieux et de leurs positions respectives [...] La cartographie est un langage dont les titres d'ancienneté sont, on le voit, respectables. C'est grâce à elle que les hommes ont exprimé d'abord leur conception de l'espace terrestre. » 

Jean-Marc Besse

« La carte est un langage qui permet à des sociétés d'exprimer leur conception de l'espace et du monde. C'est aussi l'expression, parfois extrêmement élaborée, de conceptions culturelles, de croyances sociales, évidemment bien entendu de concepts scientifiques. [...] L'autre chose que je retiens dans le propos de Maximilien Sorre, il ne réduit pas la création cartographique à l'univers européen et occidental et encore moins à l'univers moderne et contemporain. » 

Geoffrey Phelippot

« La carte n'est pas forcément sur une feuille de papier, elle peut prendre diverses formes. Ca pose justement la question : qu'est-ce qu'une carte ? Est-ce que c'est forcément une représentation plane sur un papier ? Ou au contraire, peut-elle prendre différentes formes sur des tablettes d'argile ou du papyrus ? » 

Jean-Marc Besse

« Si l'on prend l'exemple de la dalle ornée de Saint-Bélec dans le Finistère [...], on affaire là un graphisme d'une certaine manière, avec des motifs géométriques qui se répètent et qui forment un ensemble cohérent et qui représentent un territoire de 30km, avec les différents accidents du relief. On peut considérer qu'un des éléments caractéristiques de la carte, c'est ce détour, si je puis dire, par l'élaboration d'une représentation graphique, quel qu'en soit le support, un langage graphique qui n'est pas forcément un langage géométrique. Cela suppose un détour qui n'est pas forcément une représentation abstraite. Pour se rapporter à un espace où l'on vit ou même où l'on ne vit pas - cet espace peut être lointain, on a éprouvé le besoin de fabriquer une représentation. »  

Geoffrey Phelippot

« C'est d'abord le besoin de pouvoir s'orienter, se déplacer, imaginer cet espace où l'on peut aller ou ne pas aller [...] » 

Jean-Marc Besse

« Pourquoi a-t-on besoin de cartes alors que la plupart du temps on pourrait s'en passer ? Ce n'est pas simplement pour l'orientation, on peut très bien s'orienter sans cartes. Si on a besoin de cartes, c'est qu'on a besoin aussi d'autres choses. Qu'est-ce qu'elles apportent de plus pour l'orientation, la situation, pour la compréhension des espaces où l'on vit ? [...] La carte nous permet de voir ce que nous ne voyons pas, elle nous rend accessible une dimension d'invisibilité [...] La carte n'est pas seulement un objet graphique, c'est aussi un objet mental, dans lequel peuvent s'insérer énormément de croyances, de conceptions, d'imaginaires. La carte véhicule cela. On a inventé la cartographie, mais la cartographie a permis aussi d'inventer autre chose, c'est un point de départ. » 

Geoffrey Phelippot

« Les premières cartes étaient souvent des cadastres chez les Egyptiens, mais aussi déjà chez les Babyloniens [...] » 

Jean-Marc Besse

« Les premières cartes ne cherchaient pas à représenter le monde, mais plutôt le territoire proche où l'on pouvait se déplacer. Cela dit, il y a une cartographie scientifique qui s'est développée dans le monde grec qui avait aussi pour ambition de représenter scientifiquement et philosophiquement le monde connu [...] » 

« Une carte est à la fois un objet dans lequel il y a de la connaissance et un objet dans lequel on inscrit des imaginaires, des intentions et des conceptions. Dans les mappemondes, on peut voir la figuration du Paradis ; mais en même temps, on a énormément d'informations sur la localisation d'un certain nombre de pays, leur histoire… On ne peut pas opposer de manière totalement absolue, la dimension cognitive et la dimension religieuse. Ce sont des conceptions du monde [...] »  

« A partir de la Renaissance, la cartographie va à la fois relayer, accompagner et accueillir le travail des géographes. Dans ces cartes et ces atlas, les géographes vont d'une certaine manière mettre au point cette nouvelle image du monde. Effectivement l'imprimerie va jouer un rôle important en permettant la multiplication du nombre de cartes. On compte dans la 2e moitié du XVIe, mais on n'en est pas vraiment sûr, plus de 1000 plaques de cuivre représentant des cartes, avec des centres de production importants comme Rome, Venise, Cologne, etc. qui vont dessiner cette nouvelle image du monde qui va être globalement dans un langage de type ptoléméen [...] »    

 Geoffrey Phelippot

« Jusqu'au XIXe siècle, on a finalement une discipline [la cartographie] qui est très entremêlée à d'autres savoirs astronomiques, mathématiques, etc... Est-ce que cela devient une discipline scientifique ? Possiblement. »

 Jean-Marc Besse

« Au XIXe siècle, la lithographie permet la diffusion de la cartographie. Cela devient aussi une affaire d'Etat. Elle sert pour le contrôle des territoires, pour leur aménagement. [...] On ne peut pas négliger la puissance de la carte dans les entreprises impériales et coloniales. Dans le domaine du relevé, il y a aussi le développement de la photographie aérienne, surtout au XXe siècle. [...] La carte n'est plus simplement topographique. On se pose la question de savoir ce que contiennent les espaces ? Quel volume et quelle diversité des activités ? [...] La carte des productions économiques et industrielles, de leur localisation, cela a été un des grands développements propre au XIXe siècle, comme l'a montré Gilles Palski [...] ».

 « Il y a une grande différence entre la carte papier et la carte numérique, sur écran. La carte sur écran, qui est liée à un système d'information géographique, est-elle encore une carte ? [...] Ce que nous voyons à l'écran, c'est l'interrogation d'un système d'information, une représentation graphique d'informations qui sont sélectionnées et qui peuvent être variées. Quoique... en même temps on peut se demander si ce n'est pas cela la permanence de l'ontologie de la carte. La carte, au fond c'est cet outil graphique qui recueille une information et qui permet de la rendre lisible de manière ordonnée de façon à ce que les usagers, scientifiques ou non, puissent avoir une meilleure compréhension du monde ».


A lire ou écouter

Interview de Gilles A. Tiberghien et Jean-Marc Besse : « Les cartes représentent aussi ce qui n’existe pas, elles donnent accès à l’imaginaire de l’autre » (Libération)

La carte avant les cartographes : l'avènement du régime cartographique en France au XVIIIe siècle (France Culture)

Les Cassini, carte sur table (France Culture)

La carte, objet éminemment politique : la conquête du pouvoir par les talibans en Afghanistan

 

L'offensive des talibans a débuté en mai 2021, lorsque les troupes étrangères ont commencé à se retirer d'Afghanistan. Le 16 août, les talibans ont réussi à prendre le contrôle du palais présidentiel à Kaboul obligeant le président afghan Ashraf Ghani à quitter le pays. Les médias et les réseaux sociaux ont été nombreux à diffuser des cartes montrant l'avancée rapide des talibans en Afghanistan. Il convient de rappeler que cette (re)conquête avait commencé bien avant, avec le désengagement progressif des Etats-Unis depuis 2013.

Les cartes qui montrent l'emprise croissante des talibans reprennent souvent le découpage administratif de l'Afghanistan en provinces et districts. Mais sait-on d'où vient ce découpage éminemment politique ? Quelle influence a-t-il pu avoir sur la manière de représenter et d'analyser le mouvement des talibans ? Retour en cartes et en données sur un conflit politique majeur au Moyen-Orient.


1) Cartes et animations cartographiques montrant la progression rapide des talibans

Pour montrer l'avancée rapide des talibans, les médias et les réseaux sociaux ont diffusé des cartes permettant de comparer leurs positions successives d'avril à août 2021. Rétrospectivement celles-ci mettent en avant une "marche inexorable" vers Kaboul, alors que l'espace-temps de la violence en Afghanistan s'inscrit sur une période beaucoup plus longue (lire cette mise au point d'Hervé Théry et Daniel Dory). On retrouve ces cartes comparatives par provinces et districts sur de nombreux sites Internet, soit sous forme d'animations, soit sous forme de séries de cartes juxtaposées.

Animation cartographique proposée par BFM-TV à partir des données du FDD's Long War Journal
Made with Flourish

Série de cartes destinées à montrer l'emprise croissante des talibans en Afghanistan (source : Agence France Presse @afpfr)


Comparaison des districts contrôlés entre le 9 juillet et le 15 août 2021 (source : BBC News, voir aussi le Financial Times)
 



Comparaison sous forme de graphique des districts contestés ou contrôlés par le gouvernement ou par les talibans (source : New York Times, voir aussi Le Monde - Les Décodeurs)


De manière à prendre un peu de recul, certains médias et sites Internet (voir par exemple le Long War Journal ou The Economist) ont commencé à proposer des cartes sur un laps de temps plus long permettant de nuancer la rapidité des opérations des talibans et de montrer qu'il s'agissait davantage d'une guerre de reconquête territoriale entamée plusieurs années auparavant (cf retour à la situation de 2001 avant l'intervention américaine). L'occasion de rappeler aussi que le même phénomène d'expansion territoriale des talibans s'était déjà produit dans les années 1990 (voir cette série de cartes montrant l'ascension et la chute des talibans entre 1992 et 2001). Au delà du pas de temps choisi, cela pose la question du découpage en districts qui ne permet pas de comprendre les logiques géographiques, notamment les contraintes du relief, le rôle stratégique des villes, les poches de résistance (cf thread de F. Malaussena qui redonne une lecture géographique et géopolitique). Ce découpage administratif qui a toute une histoire est loin d'être neutre dans la vision du conflit. 

2) Origine et évolution du découpage de l'Afghanistan en districts

En 1973, Mohammed Ashraf, cartographe au service de Mohammad Zaher Shah (dernier roi d'Afghanistan), dresse une carte de 325 districts répartis en 28 provinces pour recenser la population afghane. Mais en 1973, le royaume d’Afghanistan est renversé par un coup d’Etat pour instaurer une république qui inaugure une longue période d’instabilité. Le recensement est abandonné et Ashraf doit se réfugier à Peshawar (au nord du Pakistan). De 1979 à 1989, le pays est envahi par les Soviétiques dans le cadre d’un conflit de guerre froide. La guerre fait 1,5 millions de morts et laisse le pays profondément divisé. .

Première carte de l'Afghanistan découpée en 325 districts par Mohammed Ashraf en 1973
(source : Afghanistan District Maps)


À partir des années 1980, les organisations d'aide internationale mettent en place des programmes d'aide humanitaire, notamment à partir du Pakistan. Celles-ci ont besoin de rapporter des informations précises à partir du terrain et les districts tracés par Ashraf font bien l'affaire. Dans les années 1990-2000, les services statistiques des grandes organisations internationales, les ONG ainsi que l'Etat afghan lui-même ont besoin d'informations géographiques de plus en plus précises. Au cours des décennies qui suivent, les provinces et les districts sont divisés (ou parfois à l'inverse fusionnés). Ce qui fait passer le nombre de districts de 325 en 1998 à 421 en 2018 !

Évolution des découpages administratifs dans les années 1990-2000
(source : Afghanistan District Maps)




Chaque division crée un « nouveau » district et laisse un district plus petit, généralement avec le même nom qu'avant. Le niveau hiérarchique n'est pas toujours repris d'un découpage à l'autre. Une complexité et une instabilité des découpages qui ne simplifient pas l'identification des districts. Pour y remédier, des organisations d'aide humanitaire comme l'OCHA ont été obligées de fixer un code-P d'identification unique.

Efforts pour stabiliser le découpage administratif à 407 districts en 2018
(source : Afghanistan District Maps)


L'histoire incroyable de ces districts afghans et de leurs subdivisions est très bien documentée sur le site Afghanistan District Maps qui donne toutes les explications et les références : 

On peut y trouver notamment des tables permettant de vérifier et comparer les découpages administratifs de l'Afghanistan. A noter : le nom d'un district ne correspond pas toujours au nom de la ville au centre de ce district. Certains centres de districts peuvent avoir été déplacés. Même inchangés, ces centres peuvent rester imprécis en raison des guerres incessantes et des difficultés de gouvernance de l'État afghan.



L'organisation de l'information tire parti et en même temps reste largement tributaire de ce découpage administratif en districts. Elle transforme les histoires en ensembles de données, les ensembles de données en cartes et les cartes en outils d'information... et parfois de propagande. 

Jusqu'à la fin 2018, la mission Resolute Support de l'OTAN (forces de la coalition) tentait d'évaluer chaque district selon une gradation en 5 classes, de la simple influence ou du contrôle du territoire par le gouvernement afghan (du vert clair au vert foncé) à l'influence ou au contrôle des talibans (du brun clair au brun foncé). Les quartiers "contestés" étaient laissés en blanc, faute de pouvoir clairement établir les zones d'influence entre les deux camps (voir la carte).





On relève par exemple des contestations autour du nombre de districts contrôlés entre 2014 et 2020, dans un contexte de fortes rivalités territoriales et faute d'informations fiables sur le terrain :

Le site FDD's Long War Journal qui a documenté avec précision (district par district) l'avancée des talibans et qui a souvent servi de sources d'information pour les médias (voir par exemple l'animation cartographique proposée par Le Monde - Les Décodeurs à partir de cette source), précise dans sa méthodologie qu'il a utilisé des articles de presse et des informations fournies à la fois par les agences gouvernementales et par les talibans. Les territoires colorés en gris sont ceux contrôlés par le gouvernement afghan. Les territoires colorés en rouge sont ceux contrôlés par les talibans, qui y gèrent l'administration, les forces de l'ordre, la justice etc... Les territoires colorés en rose sont ceux partiellement contrôlés par les talibans, qui y occupent la majorité du territoire même si le gouvernement y gère encore certains aspects de l'administration (voir l'animation).


3) Cartes et jeu de données à télécharger

Officiellement l'Afghanistan compte aujourd'hui 421 districts répartis sur 34 provinces (Wikipédia). Mais la plupart des données diffusées au niveau international s'en tiennent au découpage de 2005 qui compte 399 districts.


Pour constituer un jeu de données SIG sur l'Afghanistan





Le jeu de stratégie A Distant Plain semble d'une terrible actualité par rapport à ce qui s'est déroulé
en Afghanistan. Ce jeu de plateau a pour but de contrôler les provinces du pays dans un conflit asymétrique



Pour prolonger
  • L'article à lire pour comprendre qui sont les talibans, dont l'offensive éclair fait vaciller l'Afghanistan (France Info)
  • Chronologie des principaux événements en Afghanistan depuis l'occupation soviétique (infographie de l'AFP) et jusqu'au désengagement américain (voir cette autre infographie)
  • Afghanistan : deux décennies d'intervention américaine (infographie de l'AFP)
  • Sélection d'articles et de cartes de l'Afghanistan sur le site Visionscarto
  • Quelle lecture géopolitique de l'Afghanistan ? (Diploweb)
  • La guerre en Afghanistan (1973 - ?) - Pierrick Auger
  • Guerre en Afghanistan : retour sur vingt ans de présence américaine (Le Monde)
  • Quand les djihadistes étaient nos amis (Le Monde diplomatique)
  • Afghanistan, d’une défaite l’autre (Orient XXI)
  • Afghanistan, pays meurtri par la guerre - série documentaire en 4 épisodes (Arte). Voir aussi ce résumé
  • L'Afghanistan sous l'influence de trois aires géographiques (Daniel Ballan)
  • La longue histoire de l’Afghanistan (série en 4 épisodes du Cours de l'histoire sur France Culture pour mettre en perspective l'actualité)
  • L'Afghanistan : « tombeau des empires »  ? (Statista). Une théorie selon laquelle les puissances étrangères qui ont essayé de contrôler l'Afghanistan depuis le 19e siècle ont toutes échoué dans leur tentative (voir cette vidéo). Une idée que l'on retrouve dans plusieurs articles (New York Times, Le Monde, Revue des Conflits...) mais qui est critiquée par l'historien Jonathan Piron (il s'agirait d'une vision anhistorique, déterministe et orientaliste). Pour Alexander Hainy-Khaleeli, « dire que l’Afghanistan est le cimetière des empires absout les Occidentaux de toute responsabilité » (Le Temps, voir également ce thread)
  • Pourquoi l'Afghanistan est tombé si vite : géopolitique du cimetière des empires (François Malaussena)
  • Qui sont les Taliban de 2020 ? (Les clés du Moyen-Orient). Avec une carte qui témoigne de l'avancée progressive des talibans entre 1994 et 2020 sous forme de lignes de front.
  • Afghanistan : les géants de la tech confrontés à l'épineuse question des talibans (Les Numériques)
  • « On a sous-estimé la stratégie des talibans » Olivier Roy, spécialiste de l’Afghanistan (Ouest-France)
  • Afghanistan : le contrôle du marché de la drogue, l’autre victoire des talibans (The Conversation). Avec des cartes sur l'extension de la culture du pavot. Voir la carte de Romain Méjean inspirée de cet article.
  • 10 maps to understand Afghanistan (Al Jazeera). Voir aussi cette animation.
  • 20 Years of Defense, Erased by the Taliban in a Few Months (New York Times)
  • As the Taliban return, Afghanistan's past threatens its future (National Geographic)
  • Map Explainer : Key Facts About Afghanistan (Visual Capitalist)
  • Cartes de l'ascension et la chute des talibans entre 1992 et 2001 (MapPorn)
  • Carte détaillée de l'offensive taliban entre mai et août 2021 faisant l'objet de discussions sur le forum MapPorn
  • Carte animée montrant la rapidité avec laquelle le ciel aérien afghan a été déserté à partir du moment où les talibans ont pris Kaboul le 16 août 2021 (FlightRadar24). Voir aussi sur MapPorn.
  • Une carte de l'Afghanistan criblée de balles, peinte sur le mur d'une école abandonnée construite par le Canada dans le district de Zharay de la province de Kandahar en 2012 (New York Times)
  • A Distant Plain. Un jeu de plateau où il s'agit de contrôler les différentes provinces de l'Afghanistan (voir cette vidéo présentant les règles)

Lien ajouté le 22 août 2021

Lien ajouté le 26 mars 2022


Liens ajoutés le 15 août 2022


Lien ajouté le 14 avril 2023

Lien ajouté le 18 mai 2023
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L'histoire par les cartes : Cortès et la fin de l’empire aztèque (13 août 1521)


Le 13 août 2021, le Mexique a commémoré les 500 ans de la chute de Tenochtitlán, la capitale de l’empire aztèque qui a été prise par le conquistador espagnol Hernan Cortez et ses troupes le 13 août 1521. Retour en cartes et en images sur un événement qui continue à faire débat.


Tableau du XVIIe siècle représentant le siège de Tenochtitlán (source : Wikipedia, domaine public)

Le 22 mai 1521, les forces espagnoles et leurs alliés autochtones ont commencé à assiéger la puissante capitale aztèque de Tenochtitlán, où se trouve aujourd'hui la ville de Mexico. La bataille a duré près de trois mois, se terminant par la chute de l'empire aztèque et la consolidation du pouvoir de l'Espagne dans une grande partie de l'Amérique du Nord. Aujourd'hui, la ville de Mexico célèbre le 500e anniversaire de la conquête avec des événements qui mettent en évidence les manières complexes dont elle a façonné la société du pays. La commémoration historique s’est transformée en polémique après que le président Andrés Manuel Lopez Obrador a demandé à nouveau des excuses à l’Espagne pour les violences et les violations des droits de l’homme commises pendant la conquête et la colonisation espagnoles.

« Qu'est-ce que représente vraiment la Conquista ? Qu'est-ce qu'on nous en a dit ? Qui a gagné  et qui a perdu ? » se demande l'archéologue guatémaltèque Margarita Cossich. « C'est tellement plus complexe que de simplement parler des méchants contre des gentils, des Espagnols contre des groupes autochtones. »

L'empire aztèque et ses provinces tributaires en 1519 (MapPorn)


Comme presque tous les grands États mésoaméricains, l'empire aztèque s'appuyait largement sur des méthodes indirectes pour établir une influence politique sur ses États sujets. Ce type d'administration politique avait tendance à encourager la sécession et les rébellions : lors de la mort d'un roi de Tenochtitlán, c'était une tradition pour les provinces aztèques lointaines d'arrêter de payer les impôts, le nouveau roi devant reconquérir ces régions pour prouver son pouvoir. Cortés a pu conquérir Tenochtitlán en partie grâce à des alliances avec des peuples indigènes que les Aztèques avaient opprimés. Ces groupes ont fourni des milliers de soldats pour le combat, rejoignant les 900 Espagnols de la troupe de Cortès. 

A partir de 1519, Cortès prend l'ascendant sur l'empereur Moctezuma grâce notamment à La Malinche qui assure les traductions entre les émissaires et lui. Durant quasiment un an, les Aztèques hésitent sur la conduite à tenir. Obligé de fuir la capitale aztèque en 1520, Cortès revient quelques mois plus tard pour l’assiéger. Malgré une résistance menée par le nouvel empereur, Cuauhtémoc, la ville est détruite par les Espagnols. Le 13 août 1521, l’empereur est capturé et l’empire aztèque définitivement vaincu. Un facteur clé de la bataille fut la propagation de la variole dans la ville. Au moins la moitié des 300 000 habitants de la ville sont probablement morts avant l'entrée des Espagnols, laissant l'empereur aztèque Cuauhtémoc avec "peu de troupes ayant la force de se battre".

La défaite des Aztèques a ouvert la voie à la poursuite des conquêtes espagnoles. Les Espagnols semblaient tellement convaincus que ce modèle fonctionnait bien que Pedro de Alvarado était sur le point de lancer une expédition en Chine depuis le port d'Acapulco lorsqu'il s'est retrouvé impliqué dans une autre bataille dans l'ouest du Mexique où il est décédé en 1541. La domination espagnole du Mexique a véritablement contribué à créer un monde global, en reliant le monde transatlantique au monde transpacifique et à tous les continents habités. Elle a donné le coup d'envoi à ce que nous appelons aujourd'hui la mondialisation.

L’ouvrage L'Aigle et le Dragon de Serge Gruzinski montre à quel point il n’est pas aisé d’écrire une histoire symétrique des rencontres au XVIe siècle. La démesure alimente ainsi les débuts de la mondialisation : « l’émergence d’une sphère globale (…) les premiers balbutiements d’une synchronisation planétaire, l’avènement d’une conscience-monde et d’un imaginaire planétaire"..."Si “clash de civilisations” il y a eu, ce n’est donc que dans la perspective d’une histoire globale que cette formule peut avoir un sens. »

Le plan de Tenochtitlán - 1524
(source : Newberry’s American Indian and Indigenous Studies digital database)


Cette carte de Tenochtitlán accompagnait la deuxième lettre d'Hernán Cortes envoyée au roi d'Espagne Charles Quint. Cortes a écrit ses lettres en 1520, mais elles n'ont été publiées qu'en 1524 à Nuremberg (Allemagne). C'est la première image que les Européens ont vue de la ville de Mexico (Tenochtitlán) écrite sur la carte "Temixtitan", la capitale de l'empire aztèque au XVIe siècle. A gauche figure une représentation du golfe du Mexique, avec la Floride tout à gauche et le Yucatan représenté comme une île. Dans ces lettres, le conquistador espagnol Hernán Cortés mettait en avant ses exploits et décrivait les habitants et les merveilles de la nouvelle terre qu'il avait conquise. La date de la carte est très importante (octobre 1520. Au moment où elle est publiée en février 1524, la ville de Tenochtitlán était déjà en ruines à cause de la guerre de conquête. 

Au cœur de la ville se trouvait une zone sacrée entourée d’un mur. Dans l’enceinte se trouvaient plus de soixante-dix bâtiments et ceux-ci étaient entourés d’un mur décoré d’images de serpents, appelés "coatepantli". Les archéologues essaient toujours de déterminer exactement à quoi ressemblait cette zone sacrée et comment elle a évolué au fil du temps. La plus grande structure que les Espagnols ont appelé Templo Mayor (temple principal) était dédiée aux dieux Huitzilopochtli et Tlaloc. D’une hauteur de 27 mètres, elle se composait de deux pyramides à degrés s’élevant côte à côte sur une immense plate-forme. Elle dominait à la fois la Cité Sacrée et la ville entière. 

Sources

  • La chute de l'empire aztèque (Wikipédia)

  • L'empire aztèque et ses provinces tributaires en 1519 (MapPorn)

  • Aire maximum approximative des territoires tributaires de la Triple alliance (Wikipédia)

  • Le plan de Tenochtitlán - carte de Nuremberg de 1524 (Newberry’s American Indian and Indigenous Studies digital database). Téléchargeable également sur Wikipédia. Voir ce commentaire détaillé de la carte (en anglais).

  • Deuxième lettre narrative d'Hernán Cortés contenant le premier plan jamais publié de la cité aztèque de Tenochtitlán (Bibliothèque numérique mondiale). Traduction en français par Désiré Charnay en 1896 (Gallica)

  • L'Aigle et le Dragon. Démesure européenne et mondialisation au XVIe siècle. Par Serge Gruzinski (Non fiction)

  • Conversation avec un métis de la Nouvelle-Espagne : une autre vision de la conquête du Mexique par Serge Gruzinski (Sciences et Avenir)

  • La conquête du Mexique dans l'art. Cinq siècles pour montrer comment la chute de Tenochtitlán a marqué l'identité culturelle du pays (El Pais).

  • Mexique : la demande d'excuses du président à l'Espagne pour la colonisation fait polémique (RFI)

  • Tenochtitlán, de la cité précolombienne à Mexico, capitale de la Nouvelle-Espagne - séance pédagogique (Clionautes)

  • Mexico-Tenochtitlan, vie et mort de la capitale des Aztèques (Archeologue.com)

  • La Controverse de Valladolid (EHNE)