L'histoire par les cartes : les routes commerciales au Moyen Age (déjà une route de la soie ?)


Cette carte a été élaborée par Martin Jan Månsson à partir de différentes sources citées en légende. L'auteur est diplômé en aménagement du territoire à l'Institut de technologie de Blekinge en Suède. Ni cartographe ni historien, Månsson a voulu faire une carte détaillée pour faire ressortir les routes de la mondialisation dès le Moyen Age et aussi "par amour des cartes faites à la main" (cf le graphisme très réussi).

La carte montre le réseau des routes commerciales aux XIe et XIIe siècles, en particulier la "route de la soie" : un terme fourre-tout pour désigner les nombreuses routes maritimes et terrestres qui reliaient l'Asie à l'Europe et au Moyen-Orient. Réalisée a la manière d’une carte de chemin de fer, la carte de Månsson montre à quel point nous étions interconnectés dès le Moyen Âge, la globalisation commençant bien avant les "Grandes Découvertes".

La carte est consultable avec des explications (en anglais) sur le site Eazyzoom. Il est nécessaire de s'inscrire sur le site pour la télécharger (attention : le fichier fait près de 160 Mo !). La fonction appareil photo dans la barre menu à gauche permet de faire des captures d'écran sur des zones détaillées.

Cette carte fait l'objet de commentaires sur le site Map Porn (voir la présentation de ce forum de partage dans ce billet). Zoomer avec la molette pour agrandir la carte.





Pistes de lecture de la carte (d'après la présentation faite par son auteur)

Avant même l'époque moderne, le monde afro-eurasien était déjà bien connecté. Cette carte représente les principales artères commerciales du haut Moyen Age, juste après le déclin des Vikings et avant la montée des Mongols, de la Hanse et bien avant que les Portugais n’aient franchi le cap de Bonne Espérance. La carte décrit la topographie générale, avec les rivières, les montagnes et les routes dont le nom est indiqué. Tous ces éléments permettent de comprendre l'essor des villes dès le Moyen Age et jusqu’à l’époque moderne. Le haut Moyen Age est une époque prospère pour le développement du commerce dans plusieurs régions du monde. En Europe, de nombreuses villes allemandes et françaises ont organisé des foires commerciales annuelles, dont certaines sont encore actives aujourd'hui, notamment à Francfort. Les Européens ont développé leur demande en produits orientaux suite des croisades en Espagne et au Levant. Les cités italiennes et certaines villes du nord-est de l'Espagne ont fourni les croisés en Méditerranée, construisant d'énormes flottes et mettant en place des réseaux de commerce tout autour des rives de la Méditerranée. Les Italiens fréquentaient des ports comme Alexandrie, qui disposait de ports de commerce distincts pour les navires musulmans et chrétiens. Les royaumes musulmans de la péninsule ibérique méridionale jouissaient de bonnes relations commerciales avec l’Égypte et de la grande route de commerce maritime reliant Séville à Alexandrie. Point de passage entre ces deux villes, Palerme, sur l'île de Sicile, est devenue un lieu d'échanges entre commerçants musulmans et chrétiens. La communauté juive servait d'intermédiaire commun entre chrétiens et musulmans. 

Cette époque a vu l'essor des villes sahéliennes, juste au sud du désert saharien. Ces villes sont devenues les principaux exportateurs d’or au monde, ce qui a stimulé tous les marchés d’Afro-Eurasie. C'est à partir de ces villes que Mansa Musa (Keita I) partira plus tard pour son célèbre pèlerinage (hadj). L'or était transporté à travers le désert saharien, principalement vers le nord en direction de la côte nord-africaine.Un réseau commercial orienté à l’Est vers l’Égypte et le Soudan a commencé à se développer au cours de cette période. En se déplaçant plus à l'est, les Fatimides d'Égypte et les Abbassides d'Irak tentent respectivement de canaliser ce commerce lucratif via le Nil et l'Euphrate. Le Nil se révéla finalement la meilleure option puisque le golfe Persique commençait à devenir un lieu de piraterie notoire. 

En Russie, les nombreux fleuves navigables constituent les principaux circuits commerciaux même après la fin des incursions vikings dans la région. La région est un important fournisseur de fourrures pour l'Europe et pour les royaumes musulmans du sud. Ces routes commerciales en provenance de Russie forment toutes des points de départ de la célèbre et complexe Route de la Soie. La Route de la Soie ne constitue pas une, mais plusieurs routes qui traversent l'ensemble de l’Asie, de Constantinople à l’ouest, en passant par l’Asie centrale et l’Himalaya, et Liangzhou à l’est. À l'époque, la dynastie des Song était à son apogée et faisait partie de ces dynasties chinoises ouvertes au commerce extérieur et investissant dans le commerce et les infrastructures. Le commerce extérieur était principalement concentré dans les ports du sud où les Juifs et les musulmans avaient leurs propres communautés. 

En Indonésie, le royaume Srivijaya basé sur l’île de Sumatra était l’acteur maritime et commercial le plus influent, il était toutefois en concurrence avec les autres puissances commerciales basées sur l’île voisine de Java. La région a fourni des épices exotiques au monde musulman et européen. L'Inde, qui a toujours joué un rôle central dans le commerce afro-eurasien en tant que principal producteur de produits exotiques et d'épices, s'est également développée. Surtout dans le sud de l'Inde, le royaume de Chola commença à s'étendre de plus en plus jusqu'à atteindre Sumatra. C'était un royaume à la fois conquérant et commercial, établissant des usines et des réseaux commerciaux partout où il s'étendait. La dernière région, aussi importante que toutes les autres, est l’Afrique de l’Est. Cette région n'a pas encore connu l'apogée à son époque. Mais elle fournissait déjà de l'or, des esclaves et des animaux exotiques aux pays de l'océan Indien. Le réseau commercial le plus important partait des villes intérieures du Zimbabwe et s'étendait jusqu' à la ville côtière de Kilwa, à partir de laquelle la majeure partie de l'or africain était exporté.


Prolongements

Au moment où la Chine explore de "nouvelles routes de la soie", il peut être intéressant de comparer cette carte avec la carte d'aujourd'hui proposée par le site Diploweb :
http://www.diploweb.com/Carte-Chine-et-Eurasie-Quelles-ambitions-et-contraintes-pour-les-Routes-de-la-soie.html

Le Courrier International donne une version en haute résolution des nouvelles routes de la soie (voir aussi sa carte des nouvelles routes de la drogue) : http://www.courrierinternational.com/grand-format/cartographie-avec-les-nouvelles-routes-de-la-soie-la-chine-tisse-une-toile-mondiale

Wikipédia en donne une autres version qui permet d'avoir une lecture simplifiée  :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Nouvelle_route_de_la_soie
 
Emmanuel Veron. Anciennes et nouvelles « routes de la soie » : pour une déconstruction d’une appellation. Pour l'auteur, le terme « Routes de la Soie » devrait être uniquement et essentiellement employé pour une analyse géopolitique des relations entre l’Occident et la Chine à partir du XIXe siècle et jusqu’à l’époque contemporaine. "En faire usage pour les périodes précédentes n’est qu’anachronisme de la compréhension des échanges et ne servirait qu’à contribuer à la célébrité d’une étude."
http://www.fdbda.org/2021/02/anciennes-et-nouvelles-routes-de-la-soie-pour-une-deconstruction-dune-appellation/

Mercator Institute for China Studies (Merics) fournit une très belle carte interactive des nouvelles routes de la soie (à compléter par la story map du site Kontinentalist ou celle du Financial Times)
http://www.merics.org/en/bri-tracker/interactive-map

Les routes commerciales au Moyen Age sont essentiellement des routes maritimes. Il peut être intéressant de les comparer avec les routes maritimes établies par la colonisation européenne au cours des XVIe-XVIIIe siècles. 

Par comparaison, voici à quoi ressemblaient les flux de trafic maritime entre 1750 et 1850, tel qu'ils ont pu être reconstitués à partir des livres de bord des navires (source : CLIWOC). Il est possible d'accéder aux données par année et par navire. Si l'on croise cette carte avec celle du trafic actuel (Marine Traffic), il est possible de conduire des comparaisons intéressantes. Au milieu du XIXe siècle, le trafic se concentre essentiellement dans l'océan Atlantique et dans l'océan Indien. Avant l'ouverture du canal de Suez, la route de l'Orient passe par le sud-ouest de l'océan Indien. A partir du XXe siècle, on assiste à un basculement au profit du nord de l'océan Indien et les flux s'étendent jusqu'au Pacifique, particulièrement sur la façade orientale de l'Asie.

Le trafic maritime entre 1750 et 1850 (source : CLIWOC)


Des planisphères montrant les routes maritimes sillonnées par les flottes anglaises, espagnoles et hollandaises au cours du XVIIIe siècle sont téléchargeables sur le site Spatial Analysis

Le déplacement du centre de gravité économique du monde de l'Asie vers l'Europe a commencé à s'inverser à partir des années 1990-2000 avec la montée en puissance de la Chine et des pays de la façade Asie-Pacifique.
http://www.huffingtonpost.ca/2012/07/05/world-economic-center-of-gravity_n_1651730.html




 






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