La carte, objet éminemment politique : exemple à travers la crise au Vénézuéla


Depuis le 23 janvier 2019, le Vénézuéla vit avec deux Présidents : l'un élu, Nicolás Maduro, et l'autre autoproclamé par intérim, Juan Guaidó. Cette situation politique inédite qui divise le pays et le monde s'ajoute à une très sévère crise économique et sociale. Le site Foreign Policy qui se présente lui-même comme une source d'information fiable en ce qui concerne l'analyse des affaires internationales, a publié le 7 février 2019 une carte destinée à montrer les soutiens à Nicolás Maduro et à Juan Guaidó dans la crise politique au Vénézuéla.



La carte entend montrer les soutiens de plus en plus nombreux à Juan Guaidó (pays en bleu), alors que la Russie et la Chine, la Turquie, la Syrie, l'Iran, l'Afrique du Sud et les pays des Caraïbes dont Cuba (pays en rouge) continuent à soutenir Nicolás Maduro. La carte rappelle en partie l'opposition Est-Ouest de la Guerre froide, ne serait-ce que par le jeu des couleurs...

Cette carte a rapidement suscité des réactions politiques en particulier de la part des pays de la CARICOM, la Communauté caribéenne qui regroupe plusieurs États anglophones des Caraïbes, le Surinam (néerlandophone) et Haïti (francophone). Ces pays ont adressé un démenti publié sur le site Global Voice pour faire savoir qu'ils ne s'associaient nullement au soutien pour Nicolás Maduro. 

"Cela pourrait être flatteur géopolitiquement, mais cela ne reflète pas la réalité. Douze des quinze États de la CARICOM ont exprimé ensemble leur position sur le Vénézuéla. Il manque donc à ForeignPolicy neuf pays de la CARICOM, plus deux autres, Haïti et les Bahamas, qui ont exprimé leur soutien à Guaidó. La CARICOM a également pour position la non-intervention et la non-ingérence. Comme certains l’ont souligné, cela peut constituer un soutien tacite à Maduro, mais l’esprit de la déclaration de la CARICOM est essentiellement le même que celui du Mexique et de l’Uruguay, qui est de jouer un rôle de médiateur".

Cette carte a par ailleurs été reprise dans différents médias en France. A partir des mêmes données, le site France Info en a présenté une version différente en choisissant d'autres couleurs moins opposées (voir ici pour télécharger les données).


Pour l'instant les pays qui appellent au dialogue ou à des élections sont peu nombreux. Leur nombre est cependant en train d'augmenter. Alors que la plupart des pays d'Amérique latine semblaient soutenir Juan Guaidó, l'Uruguay et le Mexique ont affirmé le 30 janvier, dans un communiqué commun, avoir une "position neutre vis-à-vis du Venezuela". Montevideo a accueilli jeudi 7 février la première réunion d'un groupe de contact constitué par l'UE pour favoriser "l'émergence d'un processus politique et pacifique permettant aux Vénézuéliens de déterminer leur propre avenir, par la tenue d'élections libres, transparentes et crédibles".

L'AFP propose une version différente en regroupant tous les pays européens sous une même position aux côtés de l'ONU, à savoir les pays ou organisations qui appellent au dialogue ou à des élections (en vert). Mais sur cette carte, les positions de la CARICOM n'apparaissent pas.

La comparaison de ces cartes laisse donc la place à des interprétations multiples, sachant que les positions politiques des différents pays peuvent être ambiguës et évolutives. L'AFP a d'ailleurs publié plusieurs versions successives de sa carte. Voici par exemple la première carte publiée le 5 février 2019.



Le Huffington Post, dans sa carte interactive du 29 janvier 2019, ne donnait pas non plus une vision très claire de la situation. La carte réalisée avec Google Maps (sans légende) est encore plus difficile à interpréter.



Sur Wikipedia, une page collaborative archive toutes les cartes produites depuis le 23 janvier 2019. Disponibles en format haute résolution (format SVG), ces cartes permettent de suivre l'évolution des pays en fonction de leur soutien aux candidats Maduro ou Guaidó. La typologie distingue le soutien au président et le soutien à l'assemblée, elle permet de mettre en évidence les pays "neutres". Alors que la crise politique vénézuélienne continue de figer les lignes de clivage entre deux camps, la situation est nettement plus complexe en Amérique centrale (voir l'analyse dans cet article de Strange Maps). Très divisée sur la position politique à adopter face à la crise vénézuélienne, la communauté internationale est pourtant amenée à jouer un rôle important sur ce sujet.

La crise politique se double désormais d'une crise migratoire. L'ONU prévoit 5,3 millions de réfugiés et migrants à la fin de l'année 2019, au moment où le nombre de Vénézuéliens vivant hors du pays devrait atteindre son maximum. Lancé à Genève par l'ONU, le Plan régional d’aide pour les réfugiés et les migrants du Vénézuéla (RMRP)  est « une première dans les Amériques », ont indiqué dans un communiqué commun le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). L’exode des Vénézuéliens fuyant cette situation économique désastreuse est considéré par l'ONU comme le déplacement de personnes le plus massif de l’histoire récente de l’Amérique latine.

Le journal Le Monde (4 novembre 2018) consacre une série d'infographies sur les conséquences migratoires de la crise vénézuélienne en Amérique latine.



L'Agence France Presse (AFP) a également publié une série de cartes permettant d'appréhender les flux de migrants, leur importance et leur direction à l'échelle de l'Amérique latine et du monde. Du fait de sa communauté de langue et de culture, l'Espagne fait aussi partie des destinations.



 


La Colombie est la première destination des migrants vénézuéliens, suivie des Etats-Unis. Avec la fermeture de la frontière américaine aux migrants, ceux-ci pourraient se tourner massivement vers les autres pays d'Amérique latine. Le HCR met à jour régulièrement les chiffres concernant le nombre de migrants et réfugiés. Il publie également des cartes et des rapports à ce sujet. Depuis août 2018, l'Equateur, le Pérou, le Chili et l'Argentine exigent le passeport pour les migrants vénézuéliens entrant sur leur territoire.

L'enjeu est de savoir si la crise migratoire et la crise humanitaire qu'elle est en train d'engendrer sont un enjeu de déstabilisation pour le pouvoir en place. Les avis divergent en fonction des opinions politiques. Pour les partis et organisations qui soutiennent Nicolás Maduro et le régime bolivarien, le problème migratoire n'est qu'un prétexte pour envahir le pays (cf cet article : La migration vénézuélienne : enjeux politiques autour d’un drame humain). Pour d'autres, la diaspora qui pourrait atteindre 10% de la population du Vénézuéla est le résultat direct de la mauvaise gestion du pays par le président Maduro. Les migrants, victimes de cette situation, doivent donc recevoir une aide extérieure, les mesures économiques et sociales prises par le régime en place ne suffisant pas (cf cet article : How the diaspora is helping Venezuela's migration crisis).

Le Vénézuéla aura été le pays le plus violent au monde en 2018 selon un rapport de l’Observatoire vénézuélien de la violence publié le 30 décembre 2018. Malgré une baisse du taux d'homicides, ce taux reste le plus élevé au monde avec 81,4 homicides pour 100 000 habitants. Le Vénézuéla a ainsi dépassé le Honduras et le Salvador concernant les violences et homicides.

Carte des violences et homicides recensés au Vénézuéla, principalement dans les zones urbaines
Source : Observatoire vénézuélien de la violence


L'analyse peut être conduite à l'échelle plus large de l'Amérique latine où le taux de criminalité est globalement très élevé comme le montre cette carte (source : Numbeo).



Maduro et Trump (caricature politique du dessinateur Chappatte, 3 février 2019)

En complément, vous pouvez lire cet article critique du blog Néocarto : Méfiez-vous des cartes, pas des migrants !


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