Des cadres qui parlent : les cartouches sur les premières cartes modernes


Source
: Chet Van Duzer (2023). Frames that Speak. Cartouches on Early Modern Maps. Mapping the past, vol. 2 (ouvrage en accès libre)

Cet livre richement illustré est la première exploration systématique des cartouches cartographiques, ces cadres décorés qui entourent le titre, ou d'autres textes ou images, sur des cartes historiques. L'ouvrage aborde l'histoire de leur développement, les sources utilisées par les cartographes pour les créer et les messages politiques, économiques, historiques et philosophiques que véhiculent leurs symboles. Les cartouches constituent les parties les plus attrayantes des cartes. Le cartographe utilise ces espaces de décoration pour montrer leurs intérêts. Les cartouches sont donc essentiels à l'interprétation des cartes. Le livre traite en détail de trente-trois cartouches, qui vont de 1569 à 1821, et ont été choisis pour la richesse de leur imagerie. 

Chet Van Duzer est chercheur en résidence à la bibliothèque John Carter Brown et membre du conseil d'administration du projet Lazarus à l'Université de Rochester, qui fournit de l'imagerie multispectrale aux institutions culturelles du monde entier. Il a publié de nombreux ouvrages sur les cartes du Moyen Age et de la Renaissance. En 2018, il a publié un ouvrage chez Springer Henricus Martellus's World Map at Yale (c. 1491): Multispectral Imaging, Sources, and Influence. Il est l'auteur aussi d'un ouvrage sur la carte de Waldseemüller, Martin Waldseemüller's Carta marina of 1516 (disponible en accès libre)Il a récemment terminé une bourse de recherche David Rumsey à Stanford et à la bibliothèque John Carter Brown pour étudier la carte du monde manuscrite d'Urbano Monte de 1587. 

Plan de l'ouvrage avec les cartes de référence

  • Introduction
  • Chapitre 1. Remplir le vide avec un espoir de paix
    Gérard Mercator, Nova et aucta orbis terrae descriptio ad usum navigantium, 1569
  • Chapitre 2. Le regard du monstre marin
    Carte de la Sardaigne d' Ignazio Danti dans la Galleria delle carte geografiche, 1580–82
  • Chapitre 3. Une médecine exotique issue des tombeaux d'Égypte
    Daniel Cellarius, Asiae nova description, vers 1590
  • Chapitre 4. Nouvelles personnifications des continents.
    Jodocus Hondius, Nova et exacta totius orbis terrarum descriptio, 1608
  • Chapitre 5. Cosmographes dans l'océan Austral.
    Pieter van den Keere, Nova totius orbis mappa, vers 1611
  • Chapitre 6. L'ingratitude mord la gentillesse.
    Jodocus Hondius, Novissima ac exactissima totius orbis terrarum descriptio, 1611 / 1634
  • Chapitre 7. L'eurocentrisme à l'honneur.
    Arnold Floris van Langren, globe terrestre, 1630-1632
  • Chapitre 8. Les plaisirs vertigineux de la mise en abyme.
    Willem Hondius, Nova totius Brasiliae et locorum a Societate Indiae Occidentalis captorum descriptio, 1635
  • Chapitre 9. L'autoportrait du cartographe.
    Georg Vischer, Archiducatus Austriae inférioris, 1670 / 1697
  • Chapitre 10. Comploter pour le contrôle dans le Nouveau Monde.
    Claude Bernou, Carte de l'Amérique septentrionale et partie de la méridionale, vers 1682
  • Chapitre 11. Dévoiler le texte, interpréter l'allégorie.
    Vincenzo Coronelli, globe terrestre, 1688
  • Chapitre 12. Dissimulation et révélation de la source du Nil.
    Vincenzo Coronelli, L'Africa divisa nelle sue parti, 1689
  • Chapitre 13. Propagande dans un cartouche.
    Vincenzo Coronelli, Paralello geografico dell'antico col moderno archipelago, 1692
  • Chapitre 14. Si ça saigne, c'est porteur.
    David Funck, Infelicis regni Siciliae tabula, vers 1693
  • Chapitre 15. Célébrer un triomphe de l'ingénierie.
    Jean-Baptiste Nolin, Le canal royal de Languedoc, 1697
  • Chapitre 16. La bataille entre la lumière et les ténèbres.
    Heinrich Scherer, Repraesentatio totius Africae, 1703
  • Chapitre 17. Une carte dans la carte comme prophétie.
    Nicolas Sanson et Antoine de Winter, Geographiae Sacrae Tabula, 1705
  • Chapitre 18. "L'une des histoires les plus singulières de difficultés extrêmes".
    Pieter van der Aa, Scheeps togt van Iamaica gedaan na Panuco en Rio de las Palmas, 1706
  • Chapitre 19. Splendeur cramoisie.
    Nicolas Sanson, Théâtre de la Guerre en Flandre & Brabant, vers 1710
  • Chapitre 20. Généraux présentant des cartes à l'empereur.
    Johann Baptist Homann, Leopoldi Magni Filio Iosepho I . Augusto Romanorum & Hungariae Regi, vers 1705–11
  • Chapitre 21. Comment construire un cartouche géant.
    Nicolas de Fer, Carte de la mer du Sud et de la mer du Nord, 1713
  • Chapitre 22. La publicité fait son entrée.
    George Willdey, Carte de l'Amérique du Nord, 1715
  • Chapitre 23. L'effondrement de la bulle du Mississippi.
    Matthäus Seutter, Accurata delineatio Ludovicianae vel Gallice Louisiane, vers 1728
  • Chapitre 24. « Le lien de la race humaine pour l'utilité et le plaisir ».
    Matthäus Seutter, Postarum seu cursorum publicorum diverticula en mansiones per Germaniam, vers 1731
  • Chapitre 25. Tuez les cannibales et convertissez les autres.
    Jean-Baptiste Nolin, II , L'Amérique habillée sur les relations les plus récentes, 1740
  • Chapitre 26. Le cartographe et le shogun.
    Matthäus Seutter, Regni Japoniae nova mappa geographica, vers 1745
  • Chapitre 27. Le rouleau illusionniste du cartouche.
    Gilles et Didier Robert de Vaugondy, Carte de la terre des Hébreux ou Israélites, 1745
  • Chapitre 28. Une loi d'équilibre cartographique.
    Matthäus Seutter, Partie orientale de la Nouvelle France ou du Canada, vers 1756
  • Chapitre 29. Frontière impartiale, cartouche partisane.
    Juan de la Cruz Cano y Olmedilla, Mapa geográfico de America Meridional, 1775
  • Chapitre 30. Une illusion tactile qui légitime la carte.
    Henry Pelham, Un plan de Boston en Nouvelle-Angleterre avec ses environs, 1777
  • Chapitre 31. Lutte contre la cartographie coloniale.
    José Joaquim da Rocha, Mappa da Comarca do Sabará pertencente a Capitania de Minas Gerais, vers 1778
  • Chapitre 32. Les acteurs commencent à quitter la scène.
    Jean Janvier, Cartes de 1761, 1769 et 1774 ; Robert de Vaugondy, Carte de 1778 ; John Purdy, Carte de 1809
  • Chapitre 33. Une carte sur une carte sur une carte.
    John Randel, Jr., La ville de New York telle que présentée par les commissaires, 1821
  • Conclusion


Pour compléter

Chet Van Duzer a publié aussi un article sur les symboles coloniaux présents dans les cartouches. ll y étudie l'imagerie colonialiste de la fin du XVIIe au début du XIXe siècle afin de montrer le vocabulaire visuel de cette imagerie et de stimuler des études plus approfondies sur le sujet. Chet Van Duzer (2021). Colonialism in the Cartouche: Imagery and Power in Early Modern Maps. Figura, vol.9, 2. 

Les cartouches sont des caractéristiques importantes des cartes, comme en témoignent les superbes cartes conservées à la Bibliothèque royale de Belgique. La série Cartes et Plans de la Bibliothèque royale de Belgique (KBR) comporte plus de 100 000 cartes et plans, généralement de grand format ainsi que 600 atlas et une 30e de globes anciens. 

Extrait d'une carte de Frederick De Witt représentant les côtes de l'Afrique 1671 (source : Bibiothèque royale de Belgique)


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Exposition de Mathieu Pernot L’Atlas en mouvement


Source : Exposition de Mathieu Pernot L’Atlas en mouvement du 1er avril au 1er juillet 2023 à la Bibliothèque municipale de Lyon.


« Avec L’Atlas en mouvement, Mathieu Pernot propose une réflexion par l’image sur la manière de représenter les populations migrantes dans leurs déplacements. Ce projet d’envergure, réalisé sur plus de dix années, se compose de photographies ainsi que d’un ensemble de documents qui répertorie les savoirs partagés par toutes et tous. Planches botaniques, anatomiques, cartes et plans deviennent autant de matériaux avec lesquels interagissent les migrantes et les migrant-es rencontré-es par le photographe. Retournant le rôle du porteur des connaissances traditionnellement accordé au voyageur-explorateur occidental, Mathieu Pernot met ici en avant une transmission des savoirs véhiculée par des hommes et des femmes dont le départ n’a pas été choisi.

A travers une connaissance universelle, celle qui traverse les siècles et s’affranchit des frontières, ce sont les expériences singulières que vient souligner l’auteur. Et tandis que l’Histoire se déploie dans un continuum temporel, Mathieu Pernot marque les points d’arrêts qui jalonnent le parcours d’individus, ayant dû quitter leurs pays et leurs proches. Les photographies prises à Mossoul ou à Lesbos, dans le camp de Mória ou encore à Calais, des villes détruites et des zones transitoires toujours plus nombreuses, mettent aussi en lumière la précarité des conditions migratoires. Elles appellent à l’urgence d’agir et à repenser autrement la question des déplacé-es.

Mettant en perspective, deux formes de savoir, la bibliothèque municipale de Lyon propose un dialogue entre l’Atlas en mouvement et ses propres collections. En écho aux périples des personnes en exil, ces résonances s’autorisent également des pas de côtés, en allant puiser dans les récits de certaines traversées oniriques. Les ouvrages et estampes patrimoniales présentées jouent sur l’allégorie, déplient les motifs présents dans le corpus du photographe, montrent des similitudes formelles ou encore thématiques. L’exposition s’organise de manière à parcourir l’expérience forgée par les migrant-es lors de leurs déplacements, en passant d’une vision macroscopique qui nous est commune, celle du ciel ou de la nature, jusqu’à une approche plus intime avec des récits de vie et du corps éprouvé.

De ce dialogue fructueux entre deux ensembles en construction émergent, enfin, des parallèles entre des manières de construire les savoirs, des savoirs en mouvement, qui placent l’origine de ceux qui les portent, les transmettent et les reçoivent à un niveau égal ».

Thaïva Ouaki, Commissaire d’exposition

Ce projet d’envergure, réalisé sur plus de dix années, se compose de photographies ainsi que d’un ensemble de documents qui répertorie les savoirs partagés par toutes et tous. Une partie des ressources de l'exposition peuvent être découvertes en ligne sur le site de la Bibliothèque municipale de Lyon :

L'exposition s'était déroulée auparavant au MuCEM à Marseille : «  Photo : au MuCEM, Mathieu Pernot raconte l’universel de l’exil ». (Le Monde).

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Cartographier le parcours d'un migrant avec Google Maps

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Une data-story sur les flux de migrations en Afrique occidentale et centrale (DTM-IOM)



Webinaires "Carte blanche" sur les formes contemporaines de cartographies et géovisualisations (GDR Magis)

 

Dans le cadre de ses activités, l'AR9 propose une série de Webinaires mensuels sous la forme d'une "Carte blanche", un temps consacré à l'exploration et aux discussions sur les formes contemporaines de cartographies et de géovisualisations de données. L'objectif de ces temps d'échange est à la fois de permettre des présentations de travaux, de réalisations ou d'expérimentations cartographiques diversifiées et des échanges collectifs sur les leviers et les enjeux actuels de la représentation de données spatiales tant d'un point de vue conceptuel, opérationnel, méthodologique que technique.


Format

Durée : Á partir de 12h30, pour 30mn de présentation en mode visioconférence + 30 mn d'échanges et de discussions. Le webinaire est animé et modéré par l'un.e des porteurs de l'AR 9 (Anne-Christine Bronner, Boris Mericskay, Etienne Côme, Françoise Bahoken, Nicolas Lambert).

Webinaires à venir 

Webinaires passés
Intervenir dans le webinaire

Si vous êtes intéressé.e.s à venir présenter vos travaux ou expérimentations cartographiques vous êtes les bienvenus ! Que vous soyez dans le monde académique, dans le secteur privé ou passionné de cartographie et de géovisualisation contactez le collectif de l'AR9 : @ collectif de l'AR.

Informations nécessaires sur votre intervention :
  • un titre ;
  • une image ;
  • un résumé de 3-4 lignes ;
  • vos noms, prénoms @ et affiliations.
Ces informations sont à à envoyer par email, elles seront ensuite mises en ligne sur ce dépôt.

Projet de l'action de recherche AR9 du GDR Magis

L'objectif général de cette action de recherche du GDR MAGIS est de fédérer des réflexions et des travaux scientifiques d’origines disciplinaires variées menés autour de la (carto)graphie contemporaine au sens large et de la (géo)visualisation de données. Pour ce faire, elle propose d’une part, de mener une veille théorique, méthodologique et technique sur les modalités de la fabrique des cartes et, d’autre part, de fédérer et d’animer une communauté de chercheurs (essentiellement géographes, géomaticiens, cartographes, informaticiens...) lors d’ateliers et de séminaires thématiques et méthodologiques. Lire le projet.

Andrew Rhodes et ses projections originales invitant à décentrer le regard sur l'Indopacifique


Sur son site Thinking in Space ("Penser dans l'espace"), Andrew Rhodes propose des cartes originales à télécharger gratuitement et des réflexions sur les cartes, la géographie et la géopolitique. Le site tient son nom de l'article qu'il a publié en 2019 dans la Texas National Security Review : Thinking in Space : The Role of Geography in National Security Decision-making. Pour l'auteur, « pouvoir penser dans l'espace constitue un outil crucial, mais souvent sous-estimé par les décideurs. Afin d'améliorer sa capacité à penser dans l'espace, la communauté qui travaille sur les questions de sécurité nationale doit pouvoir évaluer objectivement l'efficacité avec laquelle elle utilise l'information géographique et saisir toutes les occasions d'affiner ses compétences dans ce domaine ».

Andrew Rhodes invite à regarder l'Asie et le Pacifique sous un angle différent et à discuter des enjeux géopolitiques et géostratégiques en Indopacifique. Selon lui, « invoquer la "tyrannie de la distance" est devenu un sujet de discussion habituel pour les responsables, soulignant les difficultés d'une réponse rapide et l'importance d'un déploiement avancé dans le Pacifique. Mais le contenu géographique est insuffisant pour prendre en charge ces éléments au-delà des anneaux de distance rudimentaires – qui sont souvent inexacts ». Reprenant les projections orthographiques de Richard Edes Harrison où il puise son inspiration, Andrew Rhodes invite à dépasser les visions imprimées par les projections traditionnelles. Sa carte murale de l'Asie orientale et du Pacifique vus de l'Eurasie est assez originale. Elle renverse le regard en privilégiant le point de vue de la Chine (cf ceintures de pays et d'îles voisines considérés sous son influence). La carte en haute résolution est téléchargeable en licence Creative Commons sur son site.

L'Asie orientale et le Pacifique vus depuis l'Eurasie
(source : A. Rhodes, Thinking in Space, licence Creative Commons, juin 2023)

Dans la même idée, Andrew Rhodes a élaboré la carte "Mahan's Yardstick" centrée à la fois sur l'île de Diego Garcia dans l'océan Indien et celle de Guam dans le Pacifique. L'idée est de reprendre la "distance standard" de 3500 milles nautiques établie en 1899 par Alfred Mahan estimée comme la zone d'intervention maximale pour conduire des opérations navales. Même si les moyens d'intervention militaires ont évolué depuis le XIXe siècle, la carte donne une perspective intéressante sur l'Indo-Pacifique (voir cet article) en soulignant les distances énormes à prendre en compte.

Carte reprenant la distance de 3 500 milles nautiques établie par Alfred Mahan pour appréhender l'immensité de la zone indo-pacifique (crédit : © A. Rhodes, Thinking in Space, 2021)
Andrew Rhodes est l'auteur de plusieurs articles de réflexion croisant géopolitique et cartographie. La série de cartes en noir et blanc "Comment la Chine voit l'Asie" est à découvrir. Il cherche aussi à reproduire des cartes anciennes, telle cette carte murale DOD des années 1960. Il est par ailleurs l'auteur d'un article sur James Monteith, cartographe et auteur de manuels de géographie au XIXe qu'il considère comme « le maître des marges » (article en accès libre ici). Au travers de la géographie et des cartes, la visée pédagogique n'est jamais loin : il s'agit de comprendre le monde dans la complexité et la pluralité des regards. Avant de publier ses cartes, Andrew Rhodes les soumet souvent sur son compte Twitter pour voir les réactions qu'elles suscitent et pouvoir intégrer des améliorations en fonction des commentaires. Voir par exemple la carte de l'alliance militaire AUKUS (Australie - Royaume-Uni - Etats-Unis) telle qu'imaginée initialement et le projet cartographique repris et peaufiné quelques mois plus tard.

Compte Twitter de Rhodes Cartography : @RhodesCartogra1

Liens pour télécharger directement les cartes achevées sur le site Thinking in Space

Sélection de cartes invitant à décentrer le regard sur la zone Indopacifique avec les commentaires :
Publications

Lien ajouté le 1er février 2024
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Limites planétaires. Des chercheurs expliquent pourquoi la Terre menace de devenir inhabitable


« Plus de 40 experts alertent, dans la revue Nature, sur le franchissement de 7 des 8 lignes rouges planétaires. Ces seuils fatidiques concernent principalement le climat, la biodiversité, l’eau douce, ainsi que les cycles de l’azote et du phosphore. Cette publication s’inscrit dans la longue lignée d’articles scientifiques dédiés aux « limites planétaires ». Théorisée en 2009, la notion englobe neuf paramètres écologiques indispensables à l’équilibre du « système Terre » et, par extension, se rapporte aux seuils limites de perturbation que ces derniers peuvent endurer sans mettre en danger, de manière irréversible, les fondamentaux naturels de la planète » (source : « Des chercheurs expliquent dans Nature pourquoi la Terre menace de devenir inhabitable », Libération).

Accès à l'article scientifique

Rockström, J., Gupta, J., Qin, D. et al. (2023). Safe and just Earth system boundaries. Nature  https://doi.org/10.1038/s41586-023-06083-8. Article publié sous licence Creative Commons Attribution 4.0 International.

Lieux où les « limites planétaires » (ESB) ont déjà été dépassées (source : Rockström & al., 2023)

Résumé

La stabilité et la résilience du système Terre et le bien-être humain sont inséparablement liés, mais leurs interdépendances sont généralement peu reconnues ; ils sont par conséquent souvent traités indépendamment. Nous utilisons ici la modélisation et l'évaluation de la littérature pour quantifier, à l'échelle globale et sous-globale, les limites sûres et justes du système Terre (Earth System Boundaries) concernant le climat, la biosphère, les cycles de l'eau et des nutriments ainsi que les aérosols. Nous proposons des limites planétaires pour maintenir la résilience et la stabilité du système terrestre (ESB sûres) et minimiser l'exposition à des dommages importants pour les humains du fait des changements du système terrestre (une condition nécessaire, mais non suffisante pour la justice). Nos résultats montrent que ce sont les considérations de justice plus que les considérations de sécurité qui contraignent les ESB intégrés pour le climat et la charge d'aérosols atmosphériques. Sept des huit limites planétaires quantifiées à l'échelle mondiale et au moins deux ESB sûres et justes à l'échelle régionale sont déjà dépassées sur plus de la moitié de la superficie terrestre mondiale. Nous proposons que notre évaluation fournisse une base quantitative pour la sauvegarde des biens communs mondiaux, pour tous aujourd'hui et à l'avenir.

Visualisations concentriques (a) et parallèles (b) des « limites planétaires » ou ESB (crédit : Rockström & al., 2023)


Disponibilité du code et des données

Le codes et les données utilisés pour produire les couches d'information et les figures sont disponibles dans l'article. Les chercheurs se sont appuyés sur plusieurs ensembles de données déjà publiés dans Nature, en ce qui concerne notamment les limites pour le climat, les limites pour l'azote (voir les fichiers modèles), le phosphore (voir les ventilations des scénarios), et un résumé des indicateurs de durabilité agricole, les excédents actuels pour l'azote (voir le référentiel) avec la limite critique de surplus d'azote soustraite, et la concentration sous-globale estimée de phosphate dans le ruissellement sur la base de sa charge estimée dans l'eau douce et des données locales de ruissellement.

L'intégrité fonctionnelle actuelle est calculée à partir de la carte d'occupation du sol WorldCover à résolution de 10 mètres de l'Agence spatiale européenne. La limite de sécurité et l'état actuel des eaux souterraines sont dérivés de l'expérience Gravity Recovery And Climate Experiment et du Global Land Data Assimilation System.

Pour compléter

La 6e limite planétaire est franchie : le cycle de l’eau douce (Bon pote)

Lien ajouté le 30 août 2023

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Une carte de l'INPN pour analyser et discuter la répartition de la biodiversité en France

Utiliser les données de l'UN Biodiversity Lab sur la biodiversité et le développement durable


L'histoire par les cartes : Biélorussie, histoire d'une nation (BnF-Gallica)


La BnF propose des rendez-vous réguliers qui interrogent les notions d’État et de démocratie sur tous les continents, en présence de spécialistes et d’acteurs de la politique. La séance du 12 juin 2023 consacrée à la Biélorussie questionne en particulier les enjeux et les conséquences de la guerre en Ukraine pour ce pays.

Carte de la République démocratique Blanche-Ruthénienne, 1919 (source : Gallica)

La couverture médiatique de la situation politique en Biélorussie est relativement faible alors qu’une vague de répression féroce s’abat sur les oppositions, sur la société civile mais aussi sur l’ensemble de la population à la suite du mouvement de contestation sans précédent de 2020 contre la réélection frauduleuse d’Alexandre Loukachenko pour un sixième mandat. Plus de 1 500 prisonniers politiques sont aujourd’hui détenus en Biélorussie dans des conditions particulièrement inhumaines parmi lesquels Ales Bialiatski, fondateur de l’ONG Viasna de défense des droits humains et co-lauréat du prix Nobel de la paix en 2022.

Depuis le 24 février 2022, la Russie utilise la Biélorussie comme base arrière dans son agression contre l’Ukraine. La Biélorussie représente donc un enjeu important de cette guerre. Le régime d’Alexandre Loukachenko, qui s’efforçait de préserver son pouvoir et son indépendance vis-à-vis du Kremlin, soutient désormais l’agression russe contre l’Ukraine. Le 25 mars 2023, Vladimir Poutine a même annoncé avoir conclu un accord avec Alexandre Loukachenko pour le déploiement d’armes nucléaires tactiques russes sur le territoire biélorusse.

Quel est l’impact de la nouvelle situation géopolitique sur le régime politique biélorusse et sur son positionnement régional ? Comment évolue la situation intérieure en Biélorussie ? Comment l’opposition biélorusse se structure-t-elle en exil ? Enfin, quelles pourraient être les perspectives d’intégration de la Biélorussie dans un nouvel ordre européen, dans le cas d’une résolution de la guerre de la Russie contre l’Ukraine ?

Table ronde organisée par la BnF et le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, en français et en anglais avec traduction simultanée en français.

Avec Ryhor Astapenia, chercheur et directeur de l’initiative sur le Bélarus à Chatham House, Tatsiana Khomich, représentante du Conseil de coordination des prisonniers politiques biélorusses, et Tatyana Shukan, docteure en science politique et membre du projet de recherche BIELEXIL – Les exilés bélarusses en Europe centrale et orientale. La table ronde est animée par Faustine Vincent, journaliste au service international du Monde chargée de l’espace post-soviétique.

A cette occasion, le site Gallica consacre un dossier thématique à la « Biélorussie, histoire d'une nation », qui retrace la genèse de ce pays à partir de cartes historiques. Pour comprendre la concurrence des mémoires du passé biélorusse, il convient de revenir sur l’histoire politique de ce pays d’Europe de l’Est, bordé par la Russie au nord-est et à l’est, la Lettonie au nord, la Lituanie au nord-ouest, la Pologne à l’ouest et l'Ukraine au sud. Ayant fait office de confins pendant des siècles, son territoire a été un espace de contact entre les peuples slaves occidentaux et orientaux, entre le monde catholique et le monde orthodoxe, longtemps disputé entre Varsovie et Moscou. Indépendante depuis 1991 seulement, la Biélorussie a été successivement intégrée à la Rus’ de Kiev (Xème-XIIème siècle), au Grand-Duché de Lituanie (1236-1795), à l’Union des Deux-Nations (ou République de Pologne-Lituanie) (1569-1795), à l’empire russe (1795-1917), et enfin à l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) au sein de laquelle elle a été l’une des républiques soviétiques (1922-1991).

Sources

Article consacré à la Biélorussie sur Wikipédia.

Goujon, Alexandra, Nationalisme et identité en Biélorussie, in Dov Lynch (ed.), Changing Belarus, Chaillot Paper, n° 85, November 2005, pp. 13-24.

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Mapping Diversity, une plate-forme pour représenter la diversité des noms de rues en Europe


Mapping Diversity est un projet journalistique à grande échelle pour découvrir la représentation de la diversité des noms de rues en Europe et pour susciter un débat sur ce qui manque dans nos espaces urbains. Le site analyse plus de 145 000 rues à travers 30 grandes villes européennes dans 17 pays. « Plus de 90% d'entre elles portent des noms d'hommes. Où sont passés tous les autres habitants de l'Europe ? Le manque de diversité dans la toponymie en dit long sur notre passé et contribue à façonner le présent et l'avenir de l'Europe ». Le site est très facile à prendre en main. Voici les principales étapes à suivre.

Étape 1 : le choix d'une ville

On choisit d'abord une ville parmi les 30 villes européennes proposées : Athènes, BarceloneBerlin, Bruxelles, Bucarest, Budapest, Chisinau, CracovieCopenhague, Debrecen, GdanskGênes, KatowiceKyiv, Lisbonne, LodzLyonMadrid, MilanParis, PalermePrague, Rome, SévilleStockholmTurin, VarsovieWroclawZagreb.

Carte interactive pour découvrir des noms de rues à Paris (crédit : Mapping Diversity)



Étape 2 : l'affichage des données statistiques

La plateforme calcule aussitôt le nombre de rues et de places. On dénombre par exemple plus de 7000 noms de rues et de squares à Paris dont 4135 (59%) sont dédiés à des personnes. Parmi eux, 3766 (91,1%) portent des noms d'hommes alors que seulement 356 (8,6%) portent des noms de femmes. Une barre horizontale donne au bas de l'écran les domaines dans lesquels ils ou elles sont investi.e.s (culture, politique, religion, militaire ou autres domaines...). 

Carte interactive pour découvrir des noms de rues à Paris (crédit : Mapping Diversity)


Étape 3 : l'utilisation de la carte interactive

En déplaçant la souris sur la carte interactive, on peut faire apparaître le nom de la rue et obtenir un lien sur Wikipedia pour en savoir plus sur le personnage. Précision importante qui peut être source de biais : toutes les rues ne portent pas des noms d'hommes ou de femmes. On y trouve des objets, des événements historiques, des lieux géographiques. « Rue de la gare » est par exemple le nom de rue le plus répandu en France (voir cette carte répertoriant les gares implantées "rue", "avenue" ou "place de la gare")

Carte interactive pour découvrir des noms de rues à Paris (crédit : Mapping Diversity)


Étape 4 : la comparaison avec d'autres villes

Il est possible de comparer les villes entre elles. Outre les capitales, le site propose la deuxième plus grande ville et quelques autres villes supérieures à 500 000 habitants. Vienne, Varsovie, Kyiv ou Copenhague font partie des villes ayant le moins de noms féminins (moins de 5%). Gênes, Lyon, Bucarest ou Madrid figurent parmi celles qui en ont le plus (plus de 20%), même si la part des noms de femmes y est là aussi minoritaire.

Carte des lieux de naissance des femmes ayant des rues à leur nom en Europe (crédit : Mapping Diversity)


Étape 5 : l'analyse des données à partir des noms ou professions

Un tableau récapitulatif affiche les noms de toutes les femmes ayant des noms de rues dans ces villes, avec possibilité de faire des recherches sur leur nom ou leur profession. Certains noms apparaissent dans plusieurs villes : ce sont principalement des figures religieuses ou des reines, mais aussi des noms de femmes scientifiques comme Marie Curie.

Les femmes ayant des noms de rues dans les 30 villes proposées (crédit : Mapping Diversity)



Les données utilisées proviennent principalement des données géographiques OpenStreetMap mises à disposition sur Geofabrik et des données de Wikidata pour les personnes. Un travail minutieux de contrôle de la qualité a été effectué à différentes étapes, à la fois automatiquement et manuellement, en s'appuyant souvent sur des informations fournies par des sources externes. De nombreux cas d'homonymies ont ainsi pu être résolus. Sur Wikidata, le champ « sexe ou genre »  n'est pas défini par un choix binaire (voir la liste des nombreuses options disponibles). Mapping Diversity s'est appuyé sur le prénom pour attribuer le genre aux personnes pour lesquelles il n'existait pas d'information sur Wikidata : ce champ doit être interprété comme « identité de genre attribuée à la naissance ». Pour une discussion des limites de cette approche, on peut se référer au travail sur le genre de Lincoln Mullen et à ce chapitre de l'ouvrage Data Feminism de Catherine D'Ignazio et Lauren Klein. Les limites des villes font référence aux limites des unités administratives locales (UAL) distribuées par Eurostat, à l'exception de Bruxelles et de Lisbonne où les communes et freguesias concernées ont été fusionnées. La méthodologie est expliquée en détail sur le site Medium.

Mapping Diversity est un projet collaboratif entre Sheldon.studio et OBC Transeuropa, au sein du réseau European Data Journalist Network (EDJNET). Le projet ne se contente pas de sensibiliser par le biais de données, mais tente de responsabiliser le public.

Mapping Diversity n'est pas le premier projet à traiter des données sur la représentation des genres dans les villes. Par exemple, en Italie, le groupe Toponomastica Femminile a recensé les rues portant des noms de femmes, parallèlement à des initiatives éducatives et militantes pour exiger plus de représentation des femmes dans le paysage urbain. À l'échelle mondiale, on trouve aussi d'autres projets comme par exemple EqualStreetNames, Streetnomics ou encore Las Calles de las Mujeres. Divers projets journalistiques ont par ailleurs examiné les noms de rues sous divers angles nationaux ou locaux. On peut citer, par exemple, Las calles de ellas sur l'Espagne, Straßenbilder sur l'Allemagne, Nevek és terek sur Budapest, Ruas do Género sur Porto, le projet du Figaro Ce que révèlent les rues de Paris ou encore le projet d'iRozhlas sur les villes tchèques.

Une des spécificités du projet Mapping Diversity est de s'inscrire dans le cadre des communs numériques. Bien que les données soient souvent publiques et officiellement accessibles, elles nécessitent généralement un ensemble de compétences diverses pour les transformer en quelque chose de pertinent pour un large public. L'ouverture des données est la première étape dans la conception des biens communs numériques et renvoie précisément à cet acte de traduction : des lignes et des colonnes d'un tableur aux éléments d'information significatifs qui sont pertinents dans la vie de tous les jours. Les biens communs numériques sont plus que des référentiels de connaissances : une fois que les données sont représentées et reliées, elles peuvent nourrir les débats et donner envie au public de contribuer et de s'engager sur le sujet. Les biens communs numériques fournissent des outils qui facilitent et permettent au public d'agir. Qu'il s'agisse de déboulonner des statues, de les peindre en rose, de renommer ou de contextualiser des rues - les biens communs numériques tels que la plateforme Mapping Diversity constituent des outils pour faciliter un débat éclairé. En mai 2023, des ateliers ont par exemple été organisés pour connecter les communautés locales aux données toponymiques de leur ville. 

Pour compléter 

Matteo Moretti & Alice Corona (2023). Who’s on the Map ? Using Data to Reimagine Street Name Diversity. Nightingale.

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Qui habite où ? Compter, localiser et observer les habitants réels en France


Source : Lévy, J., Coldefy, J., Piantoni, S., & François, J. (2023). Who Lives Whereb? Counting, Locating, and Observing France’s Real Inhabitants (Sciences Advanced, mai 2023).

Résumé

Il n'est pas facile de savoir combien de personnes il y a dans une localité, un quartier, une ville. On dispose d'une part des recensements, lorsqu'ils sont fiables, et d'autre part des enquêtes de mobilité. Le monde numérique offre de nouvelles sources, mais elles restent fragmentaires dans ce domaine. La principale faiblesse des recensements est qu'ils reposent sur une hypothèse implicite : que l’emplacement de la résidence principale d’un répondant est prédictif de l’emplacement permanent de cette personne. Tel n'est pas le cas. Les individus se déplacent, venant parfois de très loin, circulant entre de nombreux lieux au cours de la journée, et pouvant passer la nuit dans un autre lieu. Les enquêtes de mobilité contribuent à enrichir le tableau, mais elles présentent aussi plusieurs faiblesses. 

Pour la première fois, des données téléphoniques massives, fiables, collectées et vérifiées avec un haut niveau de précision spatiale et temporelle et couvrant l'ensemble du territoire français ont été utilisées pour répondre à ce questionnement. L'article soulève la question de la qualité et de la pertinence des données et propose un cadre qui se concentre sur l'habitant, et non seulement sur le résident ou le navetteur. Le traitement de ces données permet de mieux estimer les habitants résidant vraiment sur leur lieu de résidence et de proposer une nouvelle approche. Deux nouveaux indicateurs (habitant année et indice d'attractivité) ont été conçus pour rendre compte de la réalité des pratiques spatiales individuelles et pour appréhender les multiples modes d'habiter. Les cartes réalisées à partir de ces données sont produites et analysées dans l'article.

Cartogramme représentant la densité d'habitants à l'année en France (source : Lévy & al., 2023)


Les résultats présentés dans cet article ne constituent que la première phase d'un projet de recherche qui comprend au moins cinq phases. L’étude des mobilités, la construction d'une typologie des unités spatiales, la redéfinition des aires urbaines pertinentes et l'exploration des rythmes (journaliers, hebdomadaires, annuels) sont encore en cours. Une comparaison des situations avant et après la pandémie, grâce au traitement de deux ensembles de données distincts (données de téléphonie Orange 2019-20 et 2022-23), permettra l'analyse de cet événement. Les futurs traitements de données permettront de tirer parti des tableaux de contingence qui fournissent des informations limitées mais utiles concernant les profils de personnes. Tous ces « chantiers » sont fondés sur le même principe simple : on peut désormais connecter les gens et les lieux et explorer la richesse de ce que signifie être un habitant. Les premiers résultats suggèrent qu'il est temps de changer de paradigme. La qualité des données fournies par les opérateurs téléphoniques sera certainement encore améliorée pour atteindre le même niveau de fiabilité que les recensements. Les données disponibles permettent déjà un traitement approfondi, ce serait encore plus le cas si un dialogue entre opérateurs, offices statistiques et chercheurs devait avoir lieu.

Pour aller plus loin 
Données et analyses INSEE

Lien ajouté le 17 septembre 2023

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La carte, objet éminemment politique : Poutine exhibe une carte française du XVIIe siècle pour nier l'existence de l'Ukraine


Le Kremlin a publié le 23 mai 2023 une vidéo de propagande dans laquelle Poutine reçoit le président de la Cour constitutionnelle de Russie, Valery Zorkin. Ce dernier lui montre une carte datant du XVIIe siècle censée prouver que l’Ukraine n’existait pas à l'époque. Sauf que lorsqu'on zoome sur la carte, le nom d'« Ukraine ou pays des Cosaques » apparaît bien. Ce n'est pas la première fois qu'un chef d'État vient produire un narratif en instrumentalisant la carte. Au delà de la mise en scène, il s'agit pour le président de la Russie de justifier l'invasion de l'Ukraine. Ce billet vient identifier, analyser et décrypter cette carte française du XVIIe siècle que l'on peut consulter sur le site Gallica de la BNF.

Poutine et Zorkin devant une carte française du XVIIe siècle (crédit : kremlin.ru)

« Je voudrais profiter de cette occasion pour dire que nous avons trouvé une copie d'une carte du 17ème siècle à la Cour constitutionnelle. Elle a été réalisée par les Français sous le règne de Louis XIV et date du milieu ou du début de la seconde moitié du XVIIe siècle. Pourquoi l'ai-je apporté ? Monsieur le Président, il n'y a pas d'Ukraine sur cette carte... », explique Valery Zorkin.

« Ce n'est qu'après la Révolution d'Octobre que divers quasi-États sont apparus et que le gouvernement soviétique a créé l'Ukraine soviétique. C'est un fait bien connu. Avant cela, il n'y avait pas d'Ukraine dans l'histoire de l'humanité. », assure de son côté Vladimir Poutine. Pour le président de la Russie, l'Ukraine n’est qu’une création artificielle de Lénine. Après la révolution d'octobre, le gouvernement soviétique a créé l'Ukraine soviétique, avant cela il n'y avait pas d'Ukraine selon Poutine (voir la transcription complète de l'échange sur en.kremlin.ru).

Au premier abord, il peut paraître surprenant de ressortir une carte aussi ancienne. Le but est de justifier l'invasion actuelle de l'Ukraine en lui déniant toute existence antérieure. La preuve par la carte et par l'histoire, en quelque sorte. Largement commentée dans les médias et sur Internet, cette mise en scène politique a été tournée en dérision sur les réseaux sociaux.

Poutine suscite les moqueries en ne voyant pas marqué "Ukraine" sur une carte française du XVIIe siècle (BFM-TV)


Le journaliste Sébastien Gobert (@SebaGobert) s'est livré à un travail d'investigation pour identifier la carte en question. En observant plus en détail le document, on peut remarquer que la carte est signée du « Sieur Sanson, géographe ordinaire du Roy ». Ce qui peut renvoyer à Nicolas Sanson (1600-1667) ou à un de ses deux fils, Adrien (1639-1718) ou Guillaume (1633-1703), tous géographes et cartographes au service du Roi. Voir ce fil Twitter : 

Un recherche plus approfondie sur le site Gallica de la BNF permet de retrouver la source exacte. Il s'agit de la carte de Guillaume Sanson intitulée : « La Russie blanche ou Moscovie divisée suivant l'estendüe des royaumes, duchés, principautés, provinces et peuples qui sont présentement sous la domination du czar de la Russie, connû sous le nom de grand duc de Moscovie », éditée en 1690-1699 par Hubert Jaillot avec « privilège du Roy » et « présentée à Monseigneur Le Dauphin ».

« La Russie blanche ou Moscovie divisée suivant l'estendüe des royaumes, duchés, principautés... » (1690-99)
par Guillaume Sanson. Source : BNF-Gallica



Les cartes de la Moscovie par les Sanson père et fils sont nombreuses et ont fait l'objet de plusieurs éditions avec quelques modifications mineures. Elles évoquent « les royaumes, duchés, principautés, provinces et peuples présentement sous la domination du tsar de Russie », en référence au partage de ces territoires entre la Russie et la Pologne. Sur le site Gallica, on en trouve au moins cinq versions publiées entre 1674 et 1717, dont une très belle version en couleur de 1695 destinée au Duc de Bourgogne (dont seul le nom de l'éditeur H. Jaillot est reproduit). La version montrée à Poutine semble être celle de 1690-99, reconnaissable par ses motifs décoratifs légèrement différents au niveau du titre et de l'échelle :
Poutine ne sait pas forcément lire le français ou simplement n'a-t-il pas cherché à regarder vraiment la carte, qui semble servir ici plus de document prétexte que de source historique. Poutant si l'on remonte à la source, la mention de l'Ukraine apparaît distinctement. Quelle que soit la date d'édition, elle est mentionnée comme « Ukraine ou pays des Cosaques » (inscrite à l'époque dans les « Estats de la couronne de Pologne »). On trouve aussi la mention "Ocraina" au nord de la Crimée (alors intégrée dans la Moscovie). Le nom de la province "Ocraina" apparaît aussi dans le titre qui énumère la liste des duchés, provinces et peuples très nombreux et divers dans cette partie orientale de l'Europe. 




La carte du XVIIe siècle exhibée par Poutine prouve-t-elle que l’Ukraine n’existait pas ? (CheckNews, Libération).

Au XVIIe siècle, l'Ukraine ne forme pas encore un État avec des frontières établies. Elle est associée aux hetmans cosaques et forme une marche entre la Russie et la Pologne. Le Hetmanat cosaque est créé en 1648 par Bohdan Khmelnytsky, à la suite d'une révolte armée contre la République des Deux Nations. Durant sa brève existence (1648-1660), le hetmanat alterne entre suzeraineté russe et polonaise. En 1654, le hetmanat est admis au sein de l'Empire russe. En 1667, le traité d'Androussovo reconnaît à la Russie la suzeraineté de la partie de l'hetmanat située sur la rive gauche (orientale) du Dniepr, y compris Kiev. Les cosaques de l'Ukraine occidentale, eux, restent sous domination polonaise. L'Ukraine commence alors à constituer une nation (mais de fait divisée entre plusieurs possessions). C’est aussi à cette époque que la "Moscovie" change son nom en "Russie".

Pour Voltaire, « l'Ukraine a toujours aspiré à être libre, mais étant entourée de la Moscovie, des États du Grand-Seigneur et de la Pologne, il lui a fallu chercher un protecteur, et par conséquent un maître dans l'un de ces trois Etats. Elle se mit d'abord sous la protection de la Pologne, qui la traita trop en sujette ; elle se donna depuis au Moscovite, qui la gouverna en esclave autant qu'il le put » (extrait de l'Histoire de Charles XII, roi de Suède, 1731). Le texte de Voltaire montre que, déjà au XVIIe, l'Ukraine est ballotée entre l'Orient et l'Occident. Voltaire voit les Cosaques comme un peuple libre et farouche, un peu sauvage même (Quand Voltaire parlait des indomptables Ukrainiens). L'épisode de Mazepa, dont il fait un récit épique, symbolise la révolte de l'Ukraine contre le tsar de Russie. On peut cependant noter que, dans son Histoire de Charles XII, Voltaire écrit toujours "Ukraine" et "Moscovie", et non encore "Russie". Le terme d'Ukraine est lui-même associé davantage à un peuple qu'à un pays. Ce qui montre que l'idée d'Etat-nation est encore en développement à l'époque, rendant un peu vaine toute lecture récursive de l'histoire et de la carte à partir de nos catégories actuelles.


Pour compléter



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