Nommer et délimiter son territoire constitue un acte fondamental pour exercer sa souveraineté. Ce qui explique que les pays attachent en général une grande importance à l'utilisation de cartes pour affirmer leur souveraineté territoriale. Dans le cas de la Chine, cette préoccupation semble aller très loin si l'on en juge par la véritable « guerre des cartes » qu'elle mène depuis plusieurs années, d'abord en imposant sa propre carte officielle, ensuite en s'attachant à traquer les cartes qu'elles juge dangereuses pour sa sécurité nationale. Au delà de la volonté de développer ses propres outils cartographiques, cette guerre des cartes est d'abord et avant tout pour la Chine une guerre pour la représentation de l'espace.
I) Imposer sa vision du monde à travers une nouvelle carte officielle
La projection de Hao Xiaoguang (Institut de l’Académie chinoise des sciences sociales) a été adoptée en 2013 comme carte officielle de la République populaire de Chine afin de montrer ses ambitions à la fois sur terre et sur mer.
Carte officielle de la Chine avec sa nouvelle projection verticale adoptée en 2013 (source : Hao Xiaoguang)
La première carte du monde élaborée en 2002 (source : Hao Xiaoguang)
« La Chine défie la Russie en restaurant les noms chinois des villes à sa frontière ». Cette querelle est mise en avant par le journal ukrainien Kiyv Post pour montrer les limites dans l'entente entre les deux pays (cf entrevue Poutine - Xi Jinping en mars 2023). Elle révèle les prétentions de la Chine qui n'a jamais renoncé à siniser les noms sur les documents cartographiques officiels comme elle a pu le faire notamment au Tibet. S'agissant de la Sibérie, la tentation est d'autant plus grande qu'une partie de ce territoire lui appartenait au XIXe siècle.
La carte de 1851 de John Tallis montre une grande partie du territoire perdu par la dynastie Qing au profit de l'Empire russe
(source : © Wikipédia)

« En insistant pour donner des noms chinois aux villes de certains territoires russes, la Chine fait savoir à la Russie qu'elle n'a pas oublié les vastes territoires qu'elle considère comme historiquement chinois » (RFI international)
Territoire chinois occupé par la Russie depuis 1860. La superficie fait environ trois fois la taille de la France et comprend la ville de Vladivostok (source : © Wikimédia Commons)
Le Ministère chinois des ressources naturelles a publié de nouvelles réglementations, qui exigent l'ajout d'anciens noms chinois aux noms géographiques fixés par la Russie. Cela concerne 8 villes le long de la frontière russo-chinoise (RFI en Chine).
Cette « bataille de noms » sur les cartes s'inscrit dans un contexte plus large. Depuis plusieurs années, la Chine cherche à interdire les "cartes problématiques" qu'elle estime dangereuses pour sa sécurité nationale. Cela concerne notamment les cartes ne respectant pas le principe d'une seule Chine avec Taïwan inclus (Global Times). Au delà des cartes, le différend territorial entre Moscou et Pékin à propos de la Sibérie contribuerait à expliquer pourquoi la Chine ne dit pas clairement si la Russie doit retirer ses troupes du Donbass et de la Crimée.
(source : Wikimedia communs)
« La Chine se cartographie au centre du monde ». Révolutionnaire, cette vision de la planète, qui brise la représentation occidentale, a été adoptée par la défense nationale chinoise (Le Monde).
La projection de Hao Xiaoguang destinée à célébrer la puissance de la Chine présente simultanément les deux hémisphères Nord et Sud. Cette projection très géopolitique a connu différentes versions (SIPRI).
« Le monde vu de Chine : que nous disent les cartes ? » (France Culture).
On retrouve cette projection dans les manuels de géographie. Par exemple, dans un manuel français de géographie de 2020 qui cite l'Atlas des nouvelles routes du Courrier International qui a servi d'inspiration, sans mentionner la projection elle-même qui est celle de Hao Xiaoguang. Un bon exemple de naturalisation de cette projection dans la géographie scolaire (fil Twitter).
Un planisphère inspiré de celui du Chinois Hao Xiaoguang (2013) centré sur l'océan Indien, qui redonne une visibilité aux pôles mais coupe l'Amérique en deux (@Kartokobri).
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