Derrière chaque carte, une histoire : la carte des chemins royaux dans les Cévennes (1703)


A la fin du XVIIe siècle, De Basville, intendant de Louis XIV pour l'État du Languedoc, fait réaliser en Cévennes 22 chemins royaux « assez larges pour qu'on puisse mener du canon partout ». Cette carte des Cévennes « où se retirent les Fanatiques du Languedoc » (1703) constitue un symbole politique et religieux. Dans le contexte de la guerre des Camisards, ces chemins royaux étaient d'abord destinés à traquer les protestants comme le montre le médaillon de la carte.

« Les montagnes des Sevennes ou se retirent les fanatiques de Languedoc et les plaines des environs ou ils font leurs courses, avec les Grands chemins royaux faicts par lordre du Roy pour rendre des Montagnes praticables » - carte éditée par Nolin en 1703 (source : © Gallica-BNF)


Assez vite, la carte des chemins royaux est déclinée en plusieurs versions et va devenir un document médiatique pour l'époque. Une première carte, dont la réalisation semble remonter à fin 1697, distingue les grands chemins royaux de 20 pas (en jaune), des chemins de traverse de 10 pas (en rose). Élaborée « sous les soins de M. de Basville » et imprimée à Paris par l'éditeur Nolin en 1703, la carte a été « dessiné sur les lieux » comme il est indiqué. Il est vraisemblable qu'elle ait été en fait réalisée par Henri Gautier, ingénieur du Roi et inspecteur des travaux, par ailleurs auteur d'un Traité de la construction des chemins (1693). 

« Les montagnes des Sevennes où se retirent les Fanatiques de Languedoc... sous les soins de M. de Basville » - carte éditée par Nolin en 1703 (source : © Gallica-BNF)


Selon Philippe Joutard, deux versions de la carte ont vraisemblablement circulé de manière contemporaine. Celle évoquant "les Fanatiques" était destinée au camp des catholiques, celle parlant de "Malcontents" s'adressait davantage aux protestants d'Europe. Cette dernière a d'ailleurs fait l'objet d'une double version français et néerlandais de manière à pouvoir être diffusée aux Pays-Bas.

« Les Montagnes des Sevennes ou se retirent les Malcontents de Languedoc et les Plaines d'Environ ou ils font leurs Courses avec les Grands Chemins royaux » (source : © Det Kgl. Bibliotek)


Au delà des différences entre ces deux cartes, il est intéressant de voir comment la question du désenclavement par la route était, déjà au XVIIe siècle, intimement liée à des considérations politiques : il s'agit de « rendre ces montagnes praticables  » mais aussi de pouvoir pourchasser « les fanatiques ».

Il convient de ne pas (toujours) se fier à la date d'édition des cartes. L'éditeur Jean-Baptiste Nolin a publié différentes versions datées de 1703. Certaines semblent antérieures comme par exemple la carte ci-dessous . La mention "Suivant le copye" renvoie à une carte originelle (peut-être celle élaborée par Henri Gautier ?).

« Les montagnes des Sevenes dans le Languedoc et les plaines de Environs d'où les Mécontents font leurs courses - Levée par ordre du Roi de France » (source : © Gallica-BNF)



Jean-Baptiste Nolin (1657-1708), fils d’un graveur de la rue Saint-Jacques, devint géographe du duc d’Orléans puis géographe du roi. Les quatre collections de cartes de Nolin sont assez exceptionnelles (à découvrir sur Gallica). Trois d’entre elles se rapportent aux événements militaires des Pays Bas, d’Italie et d’Allemagne. La quatrième est une collection sur le monde, baptisée le Théâtre du monde dont fait partie le "Théâtre de la guerre dans les Sevennes avec les Montagnes et les Plaines des environs". Il est l'éditeur également d'une très belle carte du Canal royal de Languedoc. Jean-Baptiste Nolin s'était spécialisé comme éditeur de cartes à large diffusion. Ses cartes rapportant les événements militaires et autres faits de guerre lui apportèrent fortune et notoriété. Ce qui le conduisit, semble-t-il, à reproduire certaines cartes dont il n'était pas l'auteur comme en témoigne le procès pour plagiat qui l'opposa à Delisle.

En 1703, la même année où paraît la carte de Nolin, est éditée à Londres, puis à Berlin une « Description et état des Sevennes par rapport à ce qui s'y passe ajourd'hui » qui décrit bien les montagnes cévenoles comme lieux de refuge et de résistance pour les protestants :

« Les Sevennes sont un pays de montagne qui a environ 13 lieues de longueur et autant de largeur. Il y en a trois fort hautes du côté du septentrion, savoir Esperou, Lauzere et les Guals, d’où sortent quantité de petites rivières [...]. On n’y saurait y ranger une armée de mille hommes, n’étant pas possible d’y observer de la distance pour les bataillons si on y rangeait les bataillons à la queue l’un de l’autre [...]. Si ceux qui commandent dans les Sevennes entendent le métier de la guerre, ils attireront les troupes que le Roi y envoiera dans les lieux étroits où cent en pourront battre mille et mille dix mille, et bien qu’on y ait fait accommoder les chemins, tant ceux qui sont le long des rivières, que ceux par lesquels on monte jusqu’au sommet des montagnes, ou qu’un carrosse ou un chariot y puisse monter en tournoyant, les chemins sont pourtant si étroits qu’on n’y saurait mettre un bataillon en ordre de bataille. La cavalerie est absolument inutile en ces pays-là et ils y feraient plus de mal que de bien ».


Références

« La carte des chemins royaux des Cévennes » par Florence Arnaud (Découverte des Cévennes).

« Description et état des Sevennes par rapport à ce qui s'y passe ajourd'hui ». Ce texte anonyme de 1703 est reproduit in extenso dans la revue Le lien des chercheurs cévenols, n°160, janvier-mars 2010, p.14-16. 

Numa Broc, Les montagnes au siècle des Lumières : perception et représentation, Paris, Edition du CTHS, 1991.

François de Dainville, Cartes anciennes du Languedoc, XVIe-XVIIIe siècles, Société languedocienne de Géographie à Montpellier, 1961.  Les Chemins des Cévennes sont abordés dans le chapitre III : Cartes de Gouvernement, p. 77 à 81, avec la reproduction de la carte des "montagnes des Sevennes où se retirent les Fanatiques".

Localisation de la carte des chemins royaux sur une carte actuelle (Université d'Utrecht). L'occasion de découvrir que la carte est orientée vers l'ouest, ce qui pourrait correspondre à la vision des régiments de dragons venant de la vallée du Rhône.

Différentes versions de la carte des chemins royaux éditée par Jean-Baptiste Nolin (à consulter sur le site Gallica-BNF) :

La carte par Charles Allard en version bilingue (en français et en néerlandais) destinée aux protestants d'Europe :
http://www5.kb.dk/maps/kortsa/2012/jul/kortatlas/object60674/da/

« Le Théâtre de la Guerre dans les Sevennes le Languedoc et le Pays aux Environs » par Pierre Mortier. Cette carte, imprimée à Amsterdam en 1704, donne une vision encore plus large du théâtre de la guerre contre les protestants :
http://www5.kb.dk/maps/kortsa/2012/jul/kortatlas/object79260/da/

Le gouvernement général de Languedoc divisé en trois lieutenances générales par Jean-Baptiste Nolin (1697) :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b85927796

Numa Broc, Une affaire de plagiat cartographique sous Louis XIV : le procès Delisle-Nolin, Revue d'histoire des sciences, 1970, n°23-2,  p. 141-153.