Quand les couleurs révèlent le contenu et la matérialité des cartes. L'exemple de l’Asie orientale du milieu du XVIIe au début du XXe siècle


Source
: Lange, D., Hahn, O. (2023).  Colors on East Asian Maps. Their Use and Materiality in China, Japan and Korea between the Mid-17th and Early 20th CenturyBrill Research Perspectives in Map History, p.1-87. Disponible en accès libre.

« Les couleurs sur les cartes de l’Asie de l'Est. Leur utilisation et leur matérialité en Chine, au Japon et en Corée entre le milieu du XVIIe et le début du XXe siècle ».

Réumé

Pendant trois ans, des chercheurs ont étudié les couleurs sur les cartes d'Asie de l'Est, avec un accent mis sur les cartes réalisées entre le XVIIe et le XXe siècle. Le but était de saisir ces cartes dans leur matérialité (1) en explorant la signification et l'utilisation des couleurs et (2) en conduisant une analyse scientifique des couleurs utilisées dans le cadre d'une approche interdisciplinaire et d'une collaboration étroite entre sciences humaines et sciences naturelles. Le premier objectif a été atteint grâce à l'examen systématique et comparatif de la coloration de diverses cartes de la Chine, du Japon et de la Corée. A partir d'exemples limités mais représentatifs, l'étude donne un aperçu global des pratiques de coloration  et de la signification de couleurs sur les cartes d'Asie de l'Est. Pour atteindre le deuxième objectif, les chercheurs ont entrepris des études scientifiques matérielles sur des cartes coloriées à la main de deux collections situées à Hambourg et à Berlin, qu'ils ont comparées avec les résultats scientifiques similaires de recherches sur les colorants ainsi que diverses sources textuelles tels que des manuels décrivant la production de pigments pour la peinture. Bien que le nombre de cartes soit limité, cette approche assez large a permis d'aboutir à un premier état des lieux concernant les colorants utilisés pour colorer les cartes en Asie de l'Est.

Ce que l'on peut retenir en résumé, c'est que les cartes imprimées n'étaient pas souvent coloriées à la main en Asie de l'Est. Des cartes manuscrites ont été produites pour un large gamme d'usages et sur une longue période, parallèlement aux cartes imprimées. C'est probablement une des causes qui expliquent qu'il n'existait pas de coloristes professionnels de cartes en Asie de l'Est. La coloration des cartes manuscrites était réalisée, selon toute vraisemblance, par ceux qui les dessinaient. Une forte baisse de l'activité de coloration à la main s'observe dès le XVIIIe siècle au Japon, du fait de l'essor du marché des estampes imprimées. Des pratiques typiques de coloration ont pu être identifiées pour les cartes d'Asie de l'Est en ce qui concerne leurs styles et leurs palettes de couleurs. Dans les trois régions, les couleurs en combinaison avec des signes ont été utilisées pour coder les informations sur les cartes. Les légendes permettant d'expliquer le code couleurs sont rares. Du fait qu'il était d'usage depuis des siècles de colorier les cartes manuscrites à la main, la coloration et le codage par couleurs étaient probablement stabilisés et tenus pour acquis. 

Les investigations scientifiques matérielles ont montré que les couleurs utilisées dans les cartes étaient pour la plupart les mêmes que celles utilisées pour la peinture dans ces régions. L'analyse scientifique matérielle des colorants a été effectuée en utilisant exclusivement des méthodes non destructives, qui ont permis de préserver les matériaux en cours d'examen, mais ont limité aussi les conclusions. Il a été possible de distinguer les couleurs minérales et végétales et d'affiner leurs identifications, mais pas de tirer des conclusions quant aux régions d'origine des colorants. Il est probable que les couleurs minérales et végétales aient été obtenues principalement localement en Asie de l'Est, avec l'utilisation supplémentaire de colorants issu du commerce intercontinental. À partir de l'analyse des matériaux effectuée dans le cadre de ce projet, il a été constaté que de nouveaux colorants synthétiques venant d'Europe avaient été assez vite intégrés en Asie de l'Est dès le XIXe siècle. En ce qui concerne les systèmes de coloration des cartes, les chercheurs ont relevé des influences européennes, à travers principalement l'augmentation de la coloration fonctionnelle des masses terrestres à partir du XIXe siècle. 

Les couleurs ont contribué à la fabrique des cartes, elles en ont affecté la matérialité, le contenu et l'utilisation. Comprendre le processus de coloration des cartes est essentiel pour l'étude de leur nature matérielle et de leur production ainsi que du contexte social, géographique et politique dans lequel elles ont été réalisées. La carte donne un aperçu des sociétés, des paysages et des territoires. De plus amples recherches seraient nécessaires, en particulier des études comparatives sur des cartes d'autres régions de l'Asie (Asie du Sud, du Sud-Est et Asie centrale). Il conviendrait également de conduire des analyses des matériaux pour les couleurs imprimées afin de pouvoir faire des comparaisons entre les couleurs utilisées pour l'impression et celles utilisées pour des cartes dessinées à la main. Il n'est pas toujours facile d'acquérir une compréhension complète des relations entre cartes et couleurs, entre coloration d'impression et coloration à la main avec leurs techniques de coloration respectives.

Les auteurs

Diana Lange est professeure invitée d'études sur l'Asie centrale à l'Université Humboldt de Berlin. Spécialiste de l'Asie centrale et orientale, elle s'intéresse à l'histoire et à l'exploration des savoirs, aux cultures matérielles et visuelles, à la cartographie et aux interactions culturelles.

Oliver Hahn est professeur d'archéométrie à Hambourg. Ses domaines de recherche comprennent l'analyse de manuscrits, de dessins, de peintures, de colorants et d'encres ainsi que la préservation du patrimoine culturel.

Articles connexes

Quand la couleur rencontre la carte (catalogue d'exposition à télécharger)