Ancien atlas scolaire et vision nationale. L'exemple de l'Atlas de la République mexicaine (1899)


Cet "Atlas méthodique de l'enseignement de la géographie de la République mexicaine" par Antonio Garcia Cubas est consultable sur le site de cartes historiques de David Rumsey. Edité d'abord en noir et blanc lors de la première édition (1874), puis en couleur lors de l'édition de 1899, il constitue un ouvrage de référence pour enseigner la géographie du Mexique à la fin du XIXe siècle. On peut le voir comme un véritable programme politique pour célébrer la jeune nation mexicaine.  

« Atlas metodico para la ensenanza de la geografia de la Republica Mexicana » (source : David Rumsey)


L'atlas vise à donner une vision nationale unifiée de la jeune République fédérale avec ses "Estados Unidos" (à l'image des États-Unis d'Amérique) qui apparaissent en couleurs vives sur la carte générale du Mexique qui ouvre l'atlas. 

 
Cette unité nationale est cependant relative. A l'époque, la frontière sud-est du Mexique n'est pas encore bien stabilisée. La frontière a été établie par un traité en 1882 par lequel le Guatemala renonce définitivement au Chiapas. Mais le Mexique contrôle encore assez peu ce territoire à la fin du XIXe siècle.



La péninsule du Yucatan et la région du Chiapas restent encore aujourd'hui une zone de contentieux (cf zone de confins à la fois pour le Mexique). Jan de Vos, qui a participé aux pourparlers entre le gouvernement mexicain et l'Armée zapatiste de libération nationale dans les années 1990, aborde cette dimension dans son ouvrage Les frontières de la frontière sud :

Vos, Jan de, Las fronteras de la frontera sur : Resena de los proyectos de expansion que figuraron la frontera entre Mexico y Centroamérica, Universidad Juarez Autonoma de Tabasco-Centro de Investigaciones y Estudios Superiores en Antropologia Social, 1993. 

Voir également cet ouvrage collectif qui contient de nombreuses contributions sur le sujet : 
Philippe Bovin (dir.), Las Fronteras del Istmo. Fronteras y sociedades entre el sur de Mexico y America Central, Geografía, Sociología y Ciencias Políticas, Centro de estudios mexicanos y centroamericanos, 2005.  

L'atlas d'Antonio Garcia Cubas est entièrement en espagnol, qui est la langue nationale du Mexique. Il mentionne toutefois la présence de "certaines langues et dialectes anciens des nations qui habitaient autrefois cette partie riche et étendue des Amériques" (otomite, tarasque, mazahua, popoloco et maya).



Malgré l'emploi de l'espagnol, les cartes reprennent des toponymes indigènes. C'est le cas de la carte du Yucatan, où on observe par exemple la présence de la lettre Ↄ sur plusieurs noms de lieux. Cette lettre était utilisée pour transcrire le son "ts" en maya.


L'atlas reflète donc largement son époque et montre les différentes perspectives de l'enseignement de la géographie, entre finalités civiques et culturelles. Cette exaltation du sentiment national se retrouve dans beaucoup d'autres altas scolaires du XIXe et du début du XXe siècle. 

L'auteur de cet atlas, Antonio Garcia Cubas (1832-1912) était à la fois historien, géographe et cartographe. Il est l'auteur de nombreuses cartes et de différents manuels à l'usage des écoles publiques. Il a produit en 1863 une grande carte du Mexique. Il est l'auteur d'une carte générale des Etats Unis mexicains en 1889 (visible sur la Bibliothèque du Congrès). Il a écrit également une Étude géographique, statistique, descriptive et historique des États-Unis mexicains, traduite en français et destinée à l'Exposition de Paris de 1889 (à découvrir sur Gallica).

Pour compléter

Il peut être intéressant de comparer avec la carte française du Mexique établie quelques décennies plus tôt par A. H. Brue :

Nouvelle Carte du Mexique et d'une partie des Provinces Unies de l'Amérique Centrale (1839). Dédiée à l'Académie Royale des Sciences de l'Institut de France. Par A.H. Brue, Géographe du Roi, Membre de la Société de Géographie de Paris, membre-honoraire de celle de Londres. Revue et augmentée par Ch. Picquet (à découvrir sur David Rumsey).

Deux encarts y montrent les environs de Mexico et de Vera Cruz, ainsi que la péninsule du Yucatan. Le Texas faisait à l'époque encore partie du Mexique. Le Bolsón de Mapimí, assez désertique et servant de refuge pour des rebelles indiens, y est représenté comme un État spécifique par rapport à l'Etat de Durango dont il fait normalement partie. C'est une erreur cartographique répétée sur de nombreuses cartes qui remonte aux problèmes rencontrés par Humboldt pour cartographier la région. Le géographe explorateur considérait sans doute que ce territoire insoumis ne faisait pas partie de la Nouvelle-Espagne. A moins qu'il ait simplement manqué des moyens techniques pour dresser une cartographie plus précise de la région :

Chantal Cramaussel (2001). Humboldt et la cartographie du nord de la Nouvelle-Espagne. Cahiers de l'Amérique latine, 36 | 2001, p. 163-181. https://journals.openedition.org/cal/6589

Dans son ouvrage Mexique cartographique, Raymond B. Craib analyse le rôle puissant que l'exploration, l'arpentage et la cartographie ont joué dans la création de l'État mexicain moderne au XIXe et au début du XXe siècle :

Raymond B. Craib (2004). Cartographic Mexico. A History of State Fixations and Fugitive Landscapes. Latin America Otherwise https://www.dukeupress.edu/cartographic-mexico

La Carta Geografica General de la Republica Mexicana établie par le ministre de la guerre Pedro Garcia Conde (1845) constitue la première carte imprimée grand format produite à partir de sources mexicaines indigènes :
https://collections.leventhalmap.org/search/commonwealth:4m90fj03p

Comme le montre Raymond B. Craig, après la guerre américano-mexicaine, la nouvelle Carta General proposée par Garcia Cubas offrira "une image iconographique du nouvel État mexicain et remplira ce territoire des fantômes du passé, créant ainsi l'image d'un esprit national unifié" (pour plus de détails, voir le commentaire de la carte sur le site Rare Maps).

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