L'histoire par les cartes : la Géographie, une muse qui apparaît dans les cartes à partir de la Renaissance

 

Source : Hey, you, get off my cloud (Bodleian Map Room Blog, 9 avril 2021)

La bibliothèque Bodleian d'Oxford propose sur son blog des articles sur l'histoire des cartes avec des détails souvent étonnants. Ainsi ce cartouche issue d'une carte anglaise de 1762 qui représente la Géographie aux côtés d'autres muses de la mythologie grecque émergeant des nuages.

A Topographical Map of the County of Surrey, Mary-Ann Rocque, London, 1762 (source : Bodleian Map Room Blog)


Le cartouche est une partie décorative de la carte qui contient le titre, le nom du cartographe qui l'a réalisée ainsi que d'autres informations utiles au lecteur. A partir de la Renaissance, les cartouches cartographiques prennent l'allure de riches décorations agrémentées de nombreux symboles. Ici les motifs s'accompagnent d'une belle dédicace à Son Altesse Royale William Henry au service duquel travaillait la cartographe anglaise Mary-Ann Rocque.

Dans ce cartouche, le prince William Henry, duc de Gloucester et d'Édimbourg (cf n°1), petit-fils du roi George II et frère du roi George III, est entouré des neuf muses de la mythologie grecque ainsi que de la Géographie, une muse supplémentaire introduite à la Renaissance. Les Muses sont des symboles de la connaissance et des arts. En les dépeignant ensemble avec le Prince, on en déduit que le Prince, et par association les cartographes, méritent d'être inclus ensemble dans cette haute société. 

Parmi ces Muses, on reconnaît Clio (cf n°2) qui représente l'histoire représentée avec un livre, un rouleau ou une lyre, Melpomène (cf n°3), la muse de la tragédie tenant un poignard, Urania (cf n° 4) associée à l'astronomie généralement représentée avec un globe, une boussole ou une sphère armillaire et, de manière très symbolique, Géographie (cf n°5), représentée avec son télescope et ses outils d'arpentage. Les deux muses placées à gauche du prince William Henry attirent son attention sur la dédicace en son honneur. 

La Géographie est représentée avec un télescope et des outils d'arpentage (source : Bodleian Map Room Blog)



Dans ce décor assez chargé, il y a un détail qu'on ne voit pas de prime abord mais qui est intéressant : le nom de Mary-Ann Rocque (cf n°6) placée juste au dessus d'un nuage et qui mérite de figurer parmi tous ces illustres personnages. Mary-Ann Rocque (1725- ca 1770) est l'une des rares femmes cartographes au XVIIIe siècle.  A la mort de son mari John Rocque (lui-même cartographe), Mary-Ann Rocque reprend le titre de « Topographe de S.A.R. le duc de Gloucester » et  poursuit l'entreprise familiale en s'associant à Andrew Dury. En 1762, elle publie une enquête de son défunt mari sur le comté de Surrey, la première enquête à grande échelle du comté anglais de Surrey. 

Mary-Ann Rocque non seulement maintient les affaires de son mari, mais publie également de  nouvelles  cartes après sa mort. Son livret intitulé A Set of Plans and Forts of America (1765) comprend deux des premières cartes publiées de la ville d'Albany (état de New York) et célèbre également les victoires britanniques sur les Français en Amérique du Nord.


Pour prolonger

Eugée, muse de la géographie. Par Michel Sivignon, Cafés géographiques

Qui sont Clio et Eugéa ? Blog Clio et Eugéa

Eugéa, muse de la géographie. Par Eugène Cortambert (Extrait du Parallèle de la Géographie et de l’Histoire). Source : Gallica - BnF

« Il est regrettable que les anciens, dans leur ingénieuse mythologie, n'aient pas créé une Muse de la géographie, comme ils en ont créé une de l'histoire et une autre de l'astronomie, deux Muses qu'on a fait présider tour à tour à la géographie elle-même. Ah ! si l’on avait imaginé une Muse de la géographie, il me semble qu'on aurait pu l'accompagner d'attributs délicieux. On ne l'aurait pas ornée, comme Clio, de la couronne de lauriers et de la trompette, signes des victoires et de la bruyante renommée; on ne lui aurait pas donné, comme à Uranie, une couronne d'étoiles et des instruments de mathématiques, qui rappellent seulement les travaux savants et admirables, mais ardus, de l'étude du ciel. Je me la serais volontiers représentée comme une jeune déesse, d'une beauté douce, et un peu sévère cependant, la tête parée d'une guirlande élégamment formée de fleurs, de plumes délicates et de pierres variées, symboles des trois régnés de la nature; jetant un coup d'œil intelligent et profond sur l'espace ; peignant d'une main habile les paysages et les contrées qu'elle découvre au loin ; assise sur une hauteur lumineuse du voisinage de la mer, d'où elle peut contempler à la fois les deux principaux éléments qui font l'objet de ses descriptions; ayant autour d'elle plusieurs des fruits de ses nobles travaux) des cartes, des plans, des livres, un globe, des images des races humaines, quelques - uns des instruments qu'elle emploie pour ses exactes déterminations, enfin divers produits de l'agriculture, du commerce et de l'industrie. 
 
Je propose de donner à cette Muse le nom d'Eugéa, tiré de deux mots grecs signifiant bien, Terre ; c'est-à-dire qu'elle voit bien la Terre, qu'elle en comprend la description comme il faut la comprendre, qu'elle la peint avec intelligence et amour. Il se trouve que ce mot signifie aussi, en grec, féconde, fertile. C'est une concordance heureuse ; car quelle étude est plus féconde, plus riche, que celle de la géographie ? » 

Les figures allégoriques de l’Europe dans quelques pages titres d’atlas, frontispices et cartouches.

Europa Regina. Cartes d’Europe du XVIe siècle en forme de reine