La naissance des data visualisations et de l'imagination moderne : une exposition en ligne des bibliothèques de Stanford

Les bibliothèques de Stanford proposent une très belle exposition en ligne sur la naissance et l'essor des data visualisations du 18ème siècle à nos jours (certaines à partir de réalisations françaises).

Data Visualization and the Modern Imagination :
http://exhibits.stanford.edu/dataviz

 


L'exposition comprend de nombreux documents (cartes, schémas, graphiques...) qui ont inspiré les scientifiques et peuvent continuer à nous inspirer aujourd'hui, sans être forcément data scientist de profession. Parmi les classiques, on retrouve notamment les cartes géographiques et géologiques d'Alexander von Humboldt, les cartes de flux de Charles Joseph Minard et les diagrammes en forme de roses de Florence Nightingale. D'autres data visualisations moins connues sont tout autant intéressantes, notamment pour voir à quel point il s'agissait d'explorer tous les moyens possibles pour représenter, analyser mais aussi imaginer le monde (au sens de "mettre en image", mais également de "créer un imaginaire moderne").

« La visualisation de données trouve son origine dans le courant des Lumières et apparaît vers 1760. Elle se développe tout au long du XIXe siècle. En 1900, la science moderne, la technologie et les mouvements sociaux bénéficiaient déjà de ce nouvel art quantitatif. Parmi ses inventions, on trouve la chronologie, le graphique à barres et la carte thématique. Ensemble, ces innovations ont changé notre façon de comprendre le monde et notre place en son sein. La visualisation des données a contribué à l'émergence d'un nouvel imaginaire, en nous rendant capable de naviguer dans une réalité bien plus large que l'expérience vécue par une seule personne. »

« Il y a une magie dans les graphiques d'information*. Les cartes vous font flotter au-dessus de la Terre avec une vue à vol d'oiseau. Les chronologies organisent les événements sur la page pour qu'on puisse les voir d'un seul coup d'oeil. Les schémas révèlent les pièces à l'intérieur sans nécessiter de démontage ni d'incision. » [* Allusion à la préface poétique d'Henry D. Hubbard dans son ouvrage Graphic Presentation (1939), qui commence par « Il y a une magie dans les graphiques »].


L'exposition est organisée de manière très pédagogique avec des entrées thématiques et des explications permettant d'orienter le regard sur tel détail original ou telle méthode nouvelle de représentation des données. Les images sont de très grande qualité, ce qui permet des analyses détaillées. Les entrées sont les suivantes :

  • L'espace et le temps
    La frise chronologique, qui permet de lire de gauche à droite les événéments disposés sur un axe linéaire, n'a pas toujours été la seule manière de représenter le temps. Cette innovation a malgré tout favorisé des représentations plus analytiques de l'histoire. En géologie,  il s'agissait surtout de remettre en question les croyances sur l'âge de la Terre et l'origine des espèces et de favoriser un nouveau type de carte géologique où les couleurs représentent l'âge des roches.

  • La nature en profil
    Le naturaliste Alexander von Humboldt a inspiré un nouveau genre visuel qui va connaître une explosion au début des années 1800 : ce sont des vues géographiques qui juxtaposent des profils de vraies montagnes avec des paysages fantastiques. Le but était de pouvoir comparer visuellement les montagnes (en particulier leurs altitudes), leur végétation et leurs animaux, d'une manière que l'on ne pouvait pas dans la vie réelle. Le succès de ces montages visuels était double : ils permettaient de promouvoir un nouveau discours graphique à travers la science et de vulgariser la géographie auprès du grand public. Ils célèbraient à la fois la grandeur de la nature et la réalisation humaine, montrant notre capacité à explorer, mesurer et s'élever.

  • Vers un temps universel
    Le temps linéaire a été étendu de l'histoire à la politique, aux affaires et à l'éducation. Des séquences multiples permettent de mettre en évidence les grandes périodes (par exemple celle des empires millénaires) aussi bien que les micro-mouvements (à l'échelle du galop d'un cheval). Une conception universelle et plus précise du temps s'est emparée de la société industrielle du XIXe siècle avec la prolifération des horloges et des horaires de chemin de fer.

  • La cartographie française
    L'ingénieur civil français Charles Joseph Minard a élevé la cartographie des flux au niveau de l'art. Ses cartes et cartogrammes en couleurs assortis d'annotations ont donné vie à des ensembles de données complexes. Minard a été une source majeure d'inspiration pour la cartographie française et la cartographie thématique en général (cf en particulier les dix-huit Albums de Statistique Graphique publiés par le Ministère des Travaux Publics)

  • La société et l'économie
    Les statistiques se sont développées comme un art pour gérer les affaires de l'État. Les premiers graphiques statistiques abstraits servaient à étudier les territoires administratifs, la population et les pouvoirs financiers. Avec des données plus granulaires, ces vues macro ont été étendues à de nombreux aspects de la vie humaine. La visualisation des données a contribué à l'émergence des sciences sociales et de la santé publique fondées sur la recherche. Des atlas statistiques ont illustré et comparé de nombreuses dimensions de l'activité humaine à l'aide des données du recensement américain. Ces atlas perfectionnent certaines formes graphiques et en inventent d'autres. Dans le même temps, la mondialisation économique a mis les peuples du monde sous contrôle.

  • De l'esclavage à la ségrégation
    Les partisans de l'abolition de l'esclavage ont utilisé les données du recensement pour cartographier la population afro-américaine au début de la guerre civile américaine. Au cours des quatre décennies suivantes, les atlas statistiques officiels ont introduit des cartes abstraites permettant de mieux étudier les personnes émancipées. Ces graphiques d'information ont parfois été présentés par leurs auteurs comme des contrepoints plus objectifs par rapport aux représentations racistes omniprésentes. A partir de 1900, les réalisations graphiques de W. E. B. Du Bois ont permis de mettre en évidence les phénomènes de ségrégation.

Prolongements

Une histoire des data visualisations sous forme de chronologie interactive :
http://www.datavis.ca/milestones/

Le data journalisme, en quoi cela consiste ? (La Revue des médias - INA)
http://larevuedesmedias.ina.fr/le-journalisme-de-donnees-ou-comment-faire-parler-les-chiffres

Geodata scientist, un mathématicien épris de géographie (Le Journal du Net)
http://www.journaldunet.com/economie/services/1490551-figaro-tech-nouveau-metier-geo-data-scientist/

En 2019, dans le cadre de la Conférence internationale de cartographie (ICC), les bibliothèques de Stanford ont consacré une exposition virtuelle aux cartes de Tokyo et leurs changements sur plus d'un siècle (1832-1946) :
http://exhibits.stanford.edu/tokyomaps

Une autre exposition très riche des bibliothèques de Stanford concerne l'évolution des représentations de l'espace et des conventions cartographiques :
http://exhibits.stanford.edu/cartosym

A signaler également : une exploration des cartes et des atlas de la Renaissance :
http://exhibits.stanford.edu/renaissance-exploration

Une collection de cartes sur l'Afrique :
http://exhibits.stanford.edu/maps-of-africa

Un guide pour apprendre à lire les cartes anciennes :
http://exhibits.stanford.edu/nhdmaps/feature/analyzing-maps

Les conférenciers de la Barry Lawrence Ruderman Conference on Cartography 2019 : Gender, Sexuality, Cartography explorent comment le genre, la sexualité et la cartographie étaient entrelacés autrefois et encore aujourd'hui.
http://exhibits.stanford.edu/blrcc/feature/2019-gender-sexuality-cartography


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L'exposition Mapping out : quand les artistes s'emparent de l'imaginaire des cartes

Les cartes et data visualisations de Topi Tjukanov : entre art et cartographie

Bouger les lignes de la carte. Une exposition du Leventhal Map & Education Center de Boston

Une data visualisation pour étudier les vagues d'immigration aux Etats-Unis (1790-2016)

 


La carte, objet éminemment politique : la carte des départements "en alerte" Covid-19

 

Le 23 septembre 2020, le ministre de la Santé Olivier Véran a présenté une nouvelle carte des départements "en alerte" face à l'épidémie de Covid-19. Celle-ci montrait 69 départements en rouge, dont 14 en "alerte renforcée" et 2 en "alerte maximale" (Bouches-du-Rhône et Guadeloupe). Si les Français ont pris l’habitude des cartes colorées en fonction de la circulation du virus, cette nouvelle mouture rompt avec les précédentes qui comportait trois niveaux de circulation du virus (vert, orange, rouge). Rappelons qu'il s'agit de la sixième version depuis le printemps. "La France hisse le drapeau rouge" comme titre le journal Le Parisien. L'objectif du Gouvernement semble être de diffuser un message d'alerte en direction de la population, mais aussi des élus qui ont souvent appris l'information par la télévision.

 

La carte repose non plus sur le taux d'hospitalisation ou d'accès à des soins intensifs, mais sur le taux d'incidence par département. Il s'agit du nombre de cas détectés pour 100 000 habitants sur les 7 derniers jours. Estimé sur la base du nombre de tests RT-PCR positifs pour 100 000 habitants et par semaine, il est calculé sur la période J-3 à J-9 (ici du 14 au 21 septembre). Le taux d'incidence peut en réalité être très évolutif d'une semaine à l'autre. Il illustre la dynamique de l'épidémie et dépend beaucoup du périmètre de la population testée. C'est un indicateur qu'il faut absolument lier à d'autres (en particulier les tensions sur l’offre de soins) si l'on veut parvenir à une analyse du risque.

La légende de la carte ne donne pas non plus la valeur de l'indicateur : pour les départements en alerte, il s'agit d'un taux d'incidence supérieur à 150 cas pour 100 000 habitants et 50 cas pour 100 000 habitants pour les personnes âgées. De manière générale, le dégradé de couleurs du rose au rouge écarlate a tendance à accentuer la gravité du phénomène (même s'il convient évidemment d'être vigilant et de ne pas minimiser le risque). Le site de BFM-TV en donne une version un peu différente qui sort des nuances de rouge.

 Carte des départements en alerte au 23 septembre 2020 (source : Ⓒ BFM-TV)

 

Ce classement diffère de celui des "zones de circulation active du virus", qui est plus générique et dont la liste est définie par décret (source : Légifrance). Ce dernier confère aux préfets des pouvoirs renforcés pour prendre des mesures supplémentaires en fonction des "données épidémiologiques locales". Ils peuvent par exemple limiter la circulation, fermer les bars, les restaurants ou les centres commerciaux, interdire certains rassemblements, comme c'est déjà le cas à Bordeaux, Marseille, en Guadeloupe ou à Lyon.

 Carte de circulation active du virus au 22 septembre 2020 (source : France Info)


En plus des départements, les villes de Bordeaux, Lyon, Nice, Lille, Toulouse, Saint-Étienne, Rennes, Paris, Rouen, Grenoble et Montpellier sont en zone d'alerte renforcée. Voici la traduction qu'en donne le journal Le Parisien avec sur le même plan des départements et des métropoles (ces dernières étant représentées par de simples figurés ponctuels ne tenant pas compte de l'importance de leur population).

 Carte des départements et métropoles en alerte au 23 septembre 2020 (source : Ⓒ Le Parisien)



La carte diffusée par le Gouvernement, à dominante de rouge, a immédiatement suscité des commentaires sur les réseaux sociaux et dans les médias. Elle a notamment fait réagir les élus locaux dans les départements où les mesures étaient les plus drastiques : interdiction de grands événements, fermeture avancée des bars à 22h, interdiction des rassemblements de plus de 10 personnes, fermeture des salles des fêtes et polyvalentes. Benoît Payan, premier adjoint au maire de Marseille, a mis en avant le fait que "les actions menées par la ville avaient commencé à porter leurs fruits" et s'est déclaré très étonné de voir Marseille en zone "rouge écarlate". Chiffres à l’appui, le premier adjoint soutenu par la classe politique locale et les cafetiers et restaurateurs, a demandé un délai de 10 jours avant la mise en place de décisions qualifiées "d’incroyables".
 
 
 
 
Il peut s'avérer intéressant de comparer la situation de la France à l'échelle européenne à la même date (23 septembre 2020), bien que les pratiques de test nationales, très différentes d'un pays à l'autre, font qu'on ne mesure pas forcément la même chose (il s'agit ici des cas rapportés sur 14 jours). Les pays du Nord mais également l'Italie, qui avait constitué un gros foyer d'épidémie, semblent relativement épargnés.  
 
 
Taux de Covid-19 pour 100 000 habitants rapporté sur 14 jours à l'échelle des régions européennes
(source : European Centre for Disease Prevention and Control) :












 

Mileva Boulestreau, Valentin Caro, Estelle Dantan, Yasmin Fernandez, Shirley Gasse, Célia Gourzones, Fanny Lange, Vincent Louis, Aurèle Pawlotsky et Laurene Pezron, « Les mesures locales d’aggravation de l’état d’urgence sanitaire », La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 29 avril 2020. URL : http://journals.openedition.org/revdh/9189

 



« Next slide please : data visualisation expert on what's wrong with the UK government’s coronavirus charts » (The Conversation). Diapositive suivante s'il vous plaît : expertise sur ce qui ne va pas dans les graphiques du gouvernement britannique sur les coronavirus 

Dans les opération de communication du gouvernement britannique, il serait bénéfique d'avoir un moins grand nombre de diapositives, présentées plus lentement et avec une explication plus détaillée sur la manière dont les données ont été traitées. Peut-être que la plus grande trahison envers un public désireux de comprendre est l'expression "comme vous pouvez le voir". C'est répété plusieurs fois lors de ces séances d'information, souvent suivi de « prochaine diapositive, s'il vous plaît ». L'article prend l'exemple de deux cartes et un graphique qui contribuent à créer de la confusion et de l'incohérence, ce qui n'est pas de nature à donner confiance dans la capacité du gouvernement à gérer l'épidémie.

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Un jeu de données SIG sur les fleuves qui servent de frontières dans le monde

 

Sarah J. Popelka, Laurence C. Smith,  Rivers as political borders : a new subnational geospatial dataset, Water Policy (2020), 22 (3) p. 293–312 https://doi.org/10.2166/wp.2020.041

Les fleuves ont souvent été utilisés pour établir des frontières politiques. Les barrières naturelles créées par la présence de cours d'eau sont « dues à leur linéarité même, à leur impassibilité perçue et au fait qu'ils incisent et divisent physiquement les paysages ». Pourtant aucune étude mondiale n'avait jusque-là permis d'évaluer leur importance pour fixer des limites territoriales à des échelles infranationales. L'article de Poplka et Smith, paru en mai 2020 dans la revue Water Policy, présente un ensemble complet de données géospatiales sur les frontières politiques fixées par les grands fleuves.

  

Le jeu de données Global Subnational River-Borders (GSRB) incorpore trois jeux de données vectorielles :

  • Global Administrative Unit Layers (GAUL)
  • Global Rivers Widths from Landsat Plus Plus (GRWL + +) 
  • CIA World Databank II (WDBII)

Ce jeu de données permet de cartographier et quantifier l'utilisation des grands fleuves comme frontières politiques aux échelles locale, régionale et nationale. Au moins 58 588 km (23%) des frontières nationales au monde (en dehors de côtes), 199 922 km (17%) des frontières intérieures des États et provinces et 459 459 km (12%) des frontières locales sont fixées par de grands fleuves. Alors que les précédentes études mettaient l'accent sur les fleuves transfrontaliers séparant des pays, le GSRB montre l'importance des frontières fluviales à l'échelle infranationale, où de nombreux acteurs partagent la compétence de la gestion des ressources en eau. Ces acteurs ne doivent pas être laissés de côté dans l'élaboration de la politique de l'eau et la mise en place de systèmes de gestion de l'eau à l'échelle des bassins fluviaux. Le GSRB devrait fournir un outil utile pour les analyses géospatiales des parties prenantes à toutes les échelles administratives. 

 


Laurence C. Smith est par ailleurs l'auteur de l'ouvrage Rivers of Power : How a Natural Force Raised Kingdoms, Destroyed Civilizations, and Shapes Our World,  New York : Little, Brown Spark, 2020. 

Dans cet ouvrage, elle montre que les fleuves sont facteurs d'union et de division pour les peuples. « Nous, Américains, sommes tous bien conscients des tensions que ces frontières fluviales peuvent entraîner ; le Rio Grande marque près des deux tiers de notre frontière avec le Mexique et nous l’avons transformé en une bande de béton et d’acier ». Le partage des rivières peut conduire à des guerres de l’eau. Les conflits sur la construction de barrages en amont des rivières sont courants - même Nelson Mandela s'est senti obligé de lancer une attaque meurtrière contre le Lesotho à cause de la construction d'un barrage. Des conflits potentiels similaires sont en train de se développer en Éthiopie (le Nil bleu) et en Chine (le Mékong). Pour éviter les guerres, des centaines d’accords de partage des fleuves transfrontiers ont été négociés et l’ONU a élaboré une Convention sur les cours d’eau.

Accès aux données GSRB :
http://zenodo.org/record/3906567#.XvN-GGhKjIU

La carte fait l'objet de discussions sur Map Porn :
http://www.reddit.com/r/MapPorn/comments/iunfqc/when_rivers_are_borders/

Carte des grands bassins fluviaux dans le monde :
http://www.reddit.com/r/oldmaps/comments/d0ilnn/world_drainage_basins_1943_by_the_american/

Autres jeux de données sur les fleuves dans le monde :

Global Self-consistent, Hierarchical, High-resolution Geography Database (GSHHG) :
http://www.ngdc.noaa.gov/mgg/shorelines/

Global River Database : les fleuves et réseaux hydrographiques par continent, à télécharger au format shp :
http://gaia.geosci.unc.edu/rivers/

MERIT Hydro est un ensemble de données hydrographiques à l'échelle mondiale, disponible au format GeoTIFF :
http://hydro.iis.u-tokyo.ac.jp/~yamadai/MERIT_Hydro/

Global River Widths from Landsat (GRWL) : base de données vectorielles sur la largeur des rivières à partir d'une combinaison d'images Landsat à l'échelle mondiale.
http://zenodo.org/record/1297434#.XBm-Wc0yW1t

Mékong : le fleuve de la discorde en Asie
http://lescartesdumonde.wordpress.com/2018/10/08/mekong-le-fleuve-de-la-discorde-en-asie/

 

Lien ajouté le 22 octobre 2020


Lien ajouté le 24 mai 2021


Liens ajoutés le 20 août 2021




Lien ajouté le 28 novembre 2021


Lien ajouté le 8 décembre 2021
Lien ajouté le 14 mars 2022

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Une cartographie réglementaire incohérente menace silencieusement les rivières et les ruisseaux

Des usages de la projection Spilhaus et de notre vision du monde

 
La projection élaborée par l'océanographe Athelstan Spilhaus semble aujourd'hui connaître un regain d'intérêt. A l'origine, il s'agit pour son auteur de représenter la planète sous la forme d'un océan unique autour duquel il répartit les terres émergées (à la manière des rives autour d'un lac). Comme chacun sait, les usages des projections cartographiques en disent souvent davantage que l'intention initiale de leur auteur. La projection Spilhaus en fournit un bon exemple. Alors qu'on avait l'habitude d'étudier les tensions et rivalités depuis l'Arctique (une vision héritée de la Guerre froide), la projection Spilhaus permet d'étudier ces enjeux depuis l'Antarctique avec une vision depuis l'hémisphère sud. De là à penser qu'elle permet de renverser notre regard sur le monde ? La question mérite d'être posée car l'usage d'une nouvelle projection n'est jamais neutre.
 
La projection Spilhaus (site de Jason Davies)



1) Vers la représentation d'un océan global

Athelstan Frederick Spilhaus (1911-1998) est géophysicien et océanographe. D'origine sud-africaine, il migre aux Etats-Unis dans les années 1930 et s'illustre par diverses inventions, dont un thermomètre capable d'enregistrer la profondeur et la température en eau profonde. Ce qui permet d'enregistrer les changements causés par les navires en mouvement pendant la Deuxième Guerre mondiale (en particulier les sous-marins allemands). En 1942, il cherche à élaborer une carte des océans représentés sous la forme d'une masse d'eau unique. Pour ce faire, il combine deux projections (celle d'Ernst Hammer et celle d'August Heinrich Petermann). 
 
La projection Spilhaus repose sur une projection interrompue. Sa construction est assez complexe et a connu des variations. Il faut attendre les années 1980 pour en avoir une version stabilisée (cf son ouvrage Atlas of the World with Geophysical Boundaries publié en 1991). Les pôles sont placés en Amérique du Sud et en Chine, déformant particulièrement les continents. La projection est en fait découpée dans un carré (cliquer sur l'animation ci-dessous pour comprendre le découpage).


 
La carte océanique de Spilhaus est une projection centrée sur l'Antarctique. C'est un choix délibéré qui lui permet ensuite d'étirer les surfaces océaniques dans toutes les directions sans les déformer (il s'agit donc d'une projection conforme). La projection est déroutante de prime abord car les continents sont complètement écartelés. Seule l'Europe, l'Afrique et l'Asie du Sud-Est ont une forme à peu près cohérente, avec une taille malgré tout assez réduite. Les océans quant à eux sont regroupés en une seule étendue liquide. Une sorte d'immense mer intérieure (un peu plus de 70% de la surface de la Terre) apparaît ainsi sous nos yeux.
 
La Spilhaus, une projection déroutante qui étire les surfaces océaniques dans toutes les directions
 
 

 
Rappelons que l'Océan mondial génère plus de 60% des services écosystémiques qui nous permettent de vivre, à commencer par la production de la majeure partie de l'oxygène que nous respirons. Cette carte symbolise l'importance des espaces maritimes. Son usage était jusque-là plutôt dédié aux enjeux géo-environnementaux, notamment à l'étude des océans et de leurs dynamiques.
 
La circulation marine générale vue sur une projection Spilhaus (Ⓒ Michael P. Meredith)

Source :  The global importance of the Southern Ocean, and the key role of its freshwater cycle, Ocean Challenge, Vol. 23, No.2 (2019)
 
La Spilhaus a été baptisée l'« image environnementale la plus influente de tous les temps » du fait qu'elle permettait de représenter la Terre comme un écosystème unique et fragile. C'est ce qui explique son usage fréquent pour défendre des causes environnementales (voir par exemple l'article de  Libération « Y a-t-il vraiment 5 continents de plastique ? »). Il est symbolique que ce soit souvent la couleur verte qui soit choisie pour représenter l'Océan unique (voir notamment la version qu'en donnent Nicolas Lambert et Christine Zanin dans leur atlas Mad Maps).
 
Une carte utile pour les baleines et les dauphins... ou pour des marins faisant le tour du monde :
 
La projection Spilhaus avec les trajectoires des cyclones dans les différents océans (par Craig Williams) :
http://pbs.twimg.com/media/EIvtWxbVUAEpnYJ?format=jpg&name=4096x4096

Suivi au sol de débris de satellites :
 

 
2) Quelle vision des (en)jeux de puissance et du "merritoire" ?
 
La projection Spilhaus met en évidence la connexion des océans. Mais en réalité elle est peu adaptée pour étudier les échanges maritimes qui ne passent pas vraiment par l'Antarctique. L'atlas Espace mondial de Sciences Po a ainsi préféré opter pour les projections Waterman et Atlantis (à comparer). Si la projection Spilhaus a tendance à faire disparaître les grandes façades maritimes, elle permet cependant de faire ressortir des enjeux géostratégiques. Les rivalités entre puissances s'exercent de plus en plus à travers la domination des espaces maritimes. La projection Spilhaus permet de représenter la course au "merritoire" (cf luttes pour le contrôle, la gestion et l'exploitation des territoires maritimes).


Un seul océan mondial, neuf bases pour les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins
(source : Géoconfluences)

 

 

On avait l'habitude de représenter les tensions et rivalités depuis l'Arctique : une vision héritée de la Guerre froide, mais qui remonte en fait à plusieurs siècles (voir cette carte de 1752 de Philippe Buache représentant "le planisphère physique depuis le pôle septentrional"). Aujourd'hui, la projection Spilhaus permet d'étudier ces enjeux depuis l'Antarctique avec une vision depuis l'hémisphère sud. Ce n'est pas seulement un renversement du regard. C'est aussi un détournement car Athelstan Spilhaus avait conçu à l'époque sa projection pour défendre une vision environnementale, loin de toute considération ou de tout intérêt géostratégique (même si par ailleurs ses recherches ont pu aider à détecter les sous-marins).

 
3) Quels usages scolaires pour la projection Spilhaus ?
 
La projection Spilhaus commence à se diffuser dans les manuels scolaires pour montrer les enjeux autour des mers et des océans, notamment dans le cadre du nouveau programme de Géographie Terminale (Thème 1 : "Mers et ocans au coeur de la mondialisation" et "La France, puissance maritime"). Avec parfois là aussi une vision assez géostratégique : la présence française se trouve en partie justifiée par la protection de la biodiversité marine à l'échelle mondiale. Preuve s'il en est que les questions stratégiques et environnementales sont aujourd'hui intimement liées.


Les enjeux de la présence française dans les mers et océans
(source : Ⓒ
Hatier Géographie Terminale, 2020, p. 77)
 

 
Au jeu des sources, il semble quelque peu difficile de retrouver l'origine d'une carte et son choix de projection. Il semble toutefois que la carte du manuel scolaire soit directement inspirée de celle de l'AFP, elle-même élaborée à partir des données de l'Agence française de la biodiversité.


En France, de nouvelles réserves naturelles pour aller vers 30% d'aires protégées 
(source : La Croix, 6 juin 2019)


 

 
En France, de nouvelles réserves naturelles pour aller vers 30% d'aires marines protégées
 

Références 

Le monde selon A. Spilhaus (Le Cartographe)
 
Les océans au centre du monde. La carte et le « merritoire » avec la Spilhaus (Clara Dealberto, Libération)
 
Mad Maps, l'Atlas qui va changer votre vision du monde. "Des cartes pour perdre le nord. Et si on regardait le monde non pas vu des continents mais des océans" (Interview des deux auteurs pour le journal La République)
 
Athelstan Spilhaus, Atlas of the World with Geophysical Boundaries : Showing Oceans, Continent and Tectonic Plates in Their Entirety. Independence Square, Philadelphia : The American Philosophical Society, 1991 (à consulter sur Google Books)

Global ocean circulation on a spilhaus projection (MapPorn)

The Spilhaus World Ocean Map in a Square (une story map racontant l'histoire de l'élaboration de cette projection - ESRI)
 
Spilhaus more like thrillhaus (des vues très esthétiques de la projection - ESRI)

Focus on oceans : une storymap sur les océans assortie de très belles cartes thématiques (ESRI)

Map of the planet if you were a fish : le monde vu par les poissons (Reddit)

Spilhaus Maps : mode de construction de la projection (Jason Davies)
 
The Spilhaus Endless Ocean Map Projection (Geography Realm)
 
La Spilhaus en carte par points dessinée à la main (Aventures in Mapping)

The Ocean Floor : une carte du plancher océanique réalisée en 1985 par Earl C. Bateman (Collection David Rumsey)






Fin de la semaine Atlas historique de la Terre
@les_arenes @maglhistoire, avec la carte de l'océan, dernière double-page du livre. Nous avons choisi la surprenante projection Spielhaus, pour montrer l'unicité de l'océan. L'Atlas est en librairie depuis le 6 octobre !
pic.twitter.com/ml8NZGYmLL



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