La projection Equal Earth, un bon compromis ?


Vous vous souvenez certainement de la projection Gall-Peters (1974) qui devait progressivement remplacer la projection Mercator dans les manuels scolaires et aux murs de nos écoles.

Pour l'anecdote, c'est un peu la même histoire qui s'est déroulée dans les écoles publiques de Boston lorsque les enseignants ont essayé d'introduire en 2017 la projection Peters pour décoloniser le regard et permettre aux "élèves de couleur" de ne pas se sentir marginalisés. La réaction n'a pas été franchement enthousiaste tant les élèves étaient habitués à la vision traditionnelle des continents. Face à cette réaction, Tom Patterson et ses collègues Bojan Šavrič et Bernhard Jenny se sont mis à chercher des solutions pour proposer une nouvelle projection qui puisse conserver les surfaces et en même temps ne pas trop déformer les contours des continents.

Regardez bien cette projection Equal Earth, elle risque fort de vous réconcilier avec les projections cartographiques et de devenir non pas la projection idéale (cela n'existe pas), mais le bon compromis.

La nouvelle projection pseudo-cylindrique Equal Earth (2018)


La projection Equal Earth porte un nom aussi poétique que symbolique puisqu'il s'agit de représenter la Terre dans son ensemble avec toutes ses régions "à part égale" : tout un symbole à l'heure de l'espace-Monde et de la prise de conscience que nous habitons une Terre unique que nous devons protéger et partager. Pendant des siècles, les cartographes ont imaginé toutes sortes de méthodes pour projeter les masses continentales sur une surface plane - une tâche compliquée qui pose de nombreux défis et reste au demeurant impossible puisqu'on ne peut projeter une sphère sur un plan sans déformations. Le principal dilemme est de choisir entre des projections qui conservent les angles (les projections dites "conformes") et des projections qui conservent les surfaces (les projections dites "équivalentes"). La projection conforme de Mercator doit son succès au fait qu'elle était très appréciée des marins qui souhaitaient conserver les angles pour leur navigation. En revanche elle déformait énormément les surfaces en particulier dans les hautes latitudes, ce qui a longtemps donné une idée erronée des surfaces respectives des différentes régions du monde, et donc des rapports entre les peuples.

La projection conforme de Mercator (1569)


La projection Gall-Peters proposée en 1974 a tenté de répondre aux distorsions de la projection de Mercator en prenant en compte la taille réelle des continents. L'Afrique apparaît bien 14 à 15 fois plus grande que le Groenland. En utilisant cette projection, chaque nation pouvait retrouver des dimensions réelles et acceptables. Ce qui explique le succès de la projection Peters dans les ONG et les institutions éducatives et parmi les jeunes nations du "Tiers monde" qui aspiraient à être reconnues. Très étirée dans le sens méridien, cette projection a été critiquée pour son esthétique et pour l'aspect "dégoulinant" donné aux continents.

 La projection équivalente, mais très "étirée" de Gall-Peters (1974)


Equal Earth est une projection pseudo-cylindrique ressemblant à celle de Robinson qui évoque comme elle la rotondité de la Terre. Mais à la différence de cette dernière, elle préserve les surfaces.

 La projection cylindrique mais non équivalente de Robinson (1963)

 


Finalement la projection qui serait la plus proche de la projection Equal Earth, est la Mollweide. Celle-ci est également pseudo-cylindrique et équivalente. Une différence cependant : la projection Mollweide joint les méridiens sur un seul point aux pôles (elle est donc moins déformante aux pôles que la projection Equal Earth).

La projection pseudo cylindrique et équivalente de Mollweide (1805)



Si l'on utilise l'indicatrice de Tissot, on peut constater que les déformations de la projection Equal Earth sont réduites, y compris dans les hautes latitudes. Ce qui n'est pas le cas de la projection de Mercator (voir les comparaisons avec différents types de projections sur le site Gislounge).

Les faibles déformations de la projection Equal Earth d'après l'indicatrice de Tissot.
 


Autre différence importante : la projection Equal Earth ne porte pas le nom d'un cartographe en tant que tel, ce qui ne la rattache pas à un auteur particulier ni à une vision spécifique. Elle semble répondre à une représentation plus neutre et consensuelle débouchant sur un "monde en partage". L'avenir dira si cette projection répond à cette aspiration, les projections cartographiques n'ayant pas vocation à nous faire privilégier une seule vision du monde mais au contraire à nous permettre de multiplier les regards.

Même si elle est plus attractive sur le plan esthétique et plus équilibrée sur le plan cartographique, la projection Equal Earth ne doit pas être présentée comme la projection parfaite. Elle reste une projection "rectangulaire" assez classique avec orientation au nord et obligation de couper au moins un océan (en général l'océan Pacifique car c'est le plus grand). Elle n'est pas la plus adaptée pour représenter des flux transocéaniques (liaisons maritimes ou aériennes par exemple). Elle n'est pas la seule projection à témoigner des efforts constants des cartographes pour trouver un équilibre entre contours et surfaces (voir par exemple les projections icosaèdriques que nous avons abordées dans un autre billet). Elle ne remplacera jamais une projection azimutale pour mettre en évidence les régions polaires ou une projection conique pour étudier un espace à l'échelle continentale aux moyennes latitudes. Il est en tous les cas intéressant de remarquer qu'on est encore en mesure d'inventer de nouvelles projections, en particulier avec la puissance actuelle des ordinateurs.

La projection Equal Earth est disponible en accès libre. Toutes les explications ainsi que les ressources sont accessibles sur le site consacré à cette projection : equal-earth.com. Sa présentation d'un point de vue scientifique a fait l'objet d'un article publié dans l'International Journal of Geographical Information Science en août 2018.

La carte existe dans un format mural de grande qualité et en téléchargement libre. Elle fait l'objet d'une présentation très complète par Laurent Jégou sur le site Néocarto.

Sur la page Equal Earth Wall Map, vous la trouverez en très haute résolution au format JPEG (raster) ou au format vectoriel AI (Adobe Illustrator). En plus la projection est disponible en 3 versions au choix : la première centrée sur l'Europe et l'Afrique, la deuxième centrée sur les Amériques, la troisième sur le Pacifique. Les données proviennent principalement de l'importante base de données vectorielles Natural Earth.

La projection Equal Earth est disponible en javascript sous le format d3.js ainsi qu'au sein de l'application Flex Projector.

Pour l'instant elle ne semble pas avoir été géoréférencée pour une utilisation au sein d'un SIG. En revanche, il est possible de l'utiliser dans l'application Khartis proposée par Sciences Po.

Voir notre page de présentation des projections cartographiques

En contrepoint, vous pouvez lire ce fil Twitter de Jules Grandin qui essaie de réhabiliter la projection Mercator. Voir aussi cette animation sur le site Data is beautiful qui montre les déformations de la projection Mercator et en comparaison les étendues réelles des pays.


Lien ajouté le 11 mars 2021

Lien ajouté le 31 mai 2021


Liens ajoutés le 8 novembre 2021


Lien ajouté le 22 février 2022

 

Lien ajouté le 6 mai 2022

Lien ajouté le 4 mars 2023


Lien ajouté le 8 juillet 2023

Lien ajouté le 27 mars 2024


Articles connexes

Compare Map Projections. Un site pour comparer des projections cartographiques entre elles

Des astrophysiciens de Princeton inventent un planisphère recto-verso avec très peu de déformations

The Impossible Map (1947), un court métrage d'animation très pédagogique d'Evelyn Lambart pour montrer pourquoi les projections cartographiques sont trompeuses