La naissance des data visualisations et de l'imagination moderne : une exposition en ligne des bibliothèques de Stanford

Les bibliothèques de Stanford proposent une très belle exposition en ligne sur la naissance et l'essor des data visualisations du 18ème siècle à nos jours (certaines à partir de réalisations françaises).

Data Visualization and the Modern Imagination :
http://exhibits.stanford.edu/dataviz

 


L'exposition comprend de nombreux documents (cartes, schémas, graphiques...) qui ont inspiré les scientifiques et peuvent continuer à nous inspirer aujourd'hui, sans être forcément data scientist de profession. Parmi les classiques, on retrouve notamment les cartes géographiques et géologiques d'Alexander von Humboldt, les cartes de flux de Charles Joseph Minard et les diagrammes en forme de roses de Florence Nightingale. D'autres data visualisations moins connues sont tout autant intéressantes, notamment pour voir à quel point il s'agissait d'explorer tous les moyens possibles pour représenter, analyser mais aussi imaginer le monde (au sens de "mettre en image", mais également de "créer un imaginaire moderne").

« La visualisation de données trouve son origine dans le courant des Lumières et apparaît vers 1760. Elle se développe tout au long du XIXe siècle. En 1900, la science moderne, la technologie et les mouvements sociaux bénéficiaient déjà de ce nouvel art quantitatif. Parmi ses inventions, on trouve la chronologie, le graphique à barres et la carte thématique. Ensemble, ces innovations ont changé notre façon de comprendre le monde et notre place en son sein. La visualisation des données a contribué à l'émergence d'un nouvel imaginaire, en nous rendant capable de naviguer dans une réalité bien plus large que l'expérience vécue par une seule personne. »

« Il y a une magie dans les graphiques d'information*. Les cartes vous font flotter au-dessus de la Terre avec une vue à vol d'oiseau. Les chronologies organisent les événements sur la page pour qu'on puisse les voir d'un seul coup d'oeil. Les schémas révèlent les pièces à l'intérieur sans nécessiter de démontage ni d'incision. » [* Allusion à la préface poétique d'Henry D. Hubbard dans son ouvrage Graphic Presentation (1939), qui commence par « Il y a une magie dans les graphiques »].


L'exposition est organisée de manière très pédagogique avec des entrées thématiques et des explications permettant d'orienter le regard sur tel détail original ou telle méthode nouvelle de représentation des données. Les images sont de très grande qualité, ce qui permet des analyses détaillées. Les entrées sont les suivantes :

  • L'espace et le temps
    La frise chronologique, qui permet de lire de gauche à droite les événéments disposés sur un axe linéaire, n'a pas toujours été la seule manière de représenter le temps. Cette innovation a malgré tout favorisé des représentations plus analytiques de l'histoire. En géologie,  il s'agissait surtout de remettre en question les croyances sur l'âge de la Terre et l'origine des espèces et de favoriser un nouveau type de carte géologique où les couleurs représentent l'âge des roches.

  • La nature en profil
    Le naturaliste Alexander von Humboldt a inspiré un nouveau genre visuel qui va connaître une explosion au début des années 1800 : ce sont des vues géographiques qui juxtaposent des profils de vraies montagnes avec des paysages fantastiques. Le but était de pouvoir comparer visuellement les montagnes (en particulier leurs altitudes), leur végétation et leurs animaux, d'une manière que l'on ne pouvait pas dans la vie réelle. Le succès de ces montages visuels était double : ils permettaient de promouvoir un nouveau discours graphique à travers la science et de vulgariser la géographie auprès du grand public. Ils célèbraient à la fois la grandeur de la nature et la réalisation humaine, montrant notre capacité à explorer, mesurer et s'élever.

  • Vers un temps universel
    Le temps linéaire a été étendu de l'histoire à la politique, aux affaires et à l'éducation. Des séquences multiples permettent de mettre en évidence les grandes périodes (par exemple celle des empires millénaires) aussi bien que les micro-mouvements (à l'échelle du galop d'un cheval). Une conception universelle et plus précise du temps s'est emparée de la société industrielle du XIXe siècle avec la prolifération des horloges et des horaires de chemin de fer.

  • La cartographie française
    L'ingénieur civil français Charles Joseph Minard a élevé la cartographie des flux au niveau de l'art. Ses cartes et cartogrammes en couleurs assortis d'annotations ont donné vie à des ensembles de données complexes. Minard a été une source majeure d'inspiration pour la cartographie française et la cartographie thématique en général (cf en particulier les dix-huit Albums de Statistique Graphique publiés par le Ministère des Travaux Publics)

  • La société et l'économie
    Les statistiques se sont développées comme un art pour gérer les affaires de l'État. Les premiers graphiques statistiques abstraits servaient à étudier les territoires administratifs, la population et les pouvoirs financiers. Avec des données plus granulaires, ces vues macro ont été étendues à de nombreux aspects de la vie humaine. La visualisation des données a contribué à l'émergence des sciences sociales et de la santé publique fondées sur la recherche. Des atlas statistiques ont illustré et comparé de nombreuses dimensions de l'activité humaine à l'aide des données du recensement américain. Ces atlas perfectionnent certaines formes graphiques et en inventent d'autres. Dans le même temps, la mondialisation économique a mis les peuples du monde sous contrôle.

  • De l'esclavage à la ségrégation
    Les partisans de l'abolition de l'esclavage ont utilisé les données du recensement pour cartographier la population afro-américaine au début de la guerre civile américaine. Au cours des quatre décennies suivantes, les atlas statistiques officiels ont introduit des cartes abstraites permettant de mieux étudier les personnes émancipées. Ces graphiques d'information ont parfois été présentés par leurs auteurs comme des contrepoints plus objectifs par rapport aux représentations racistes omniprésentes. A partir de 1900, les réalisations graphiques de W. E. B. Du Bois ont permis de mettre en évidence les phénomènes de ségrégation.

Prolongements

Une histoire des data visualisations sous forme de chronologie interactive :
http://www.datavis.ca/milestones/

Le data journalisme, en quoi cela consiste ? (La Revue des médias - INA)
http://larevuedesmedias.ina.fr/le-journalisme-de-donnees-ou-comment-faire-parler-les-chiffres

Geodata scientist, un mathématicien épris de géographie (Le Journal du Net)
http://www.journaldunet.com/economie/services/1490551-figaro-tech-nouveau-metier-geo-data-scientist/

En 2019, dans le cadre de la Conférence internationale de cartographie (ICC), les bibliothèques de Stanford ont consacré une exposition virtuelle aux cartes de Tokyo et leurs changements sur plus d'un siècle (1832-1946) :
http://exhibits.stanford.edu/tokyomaps

Une autre exposition très riche des bibliothèques de Stanford concerne l'évolution des représentations de l'espace et des conventions cartographiques :
http://exhibits.stanford.edu/cartosym

A signaler également : une exploration des cartes et des atlas de la Renaissance :
http://exhibits.stanford.edu/renaissance-exploration

Une collection de cartes sur l'Afrique :
http://exhibits.stanford.edu/maps-of-africa

Un guide pour apprendre à lire les cartes anciennes :
http://exhibits.stanford.edu/nhdmaps/feature/analyzing-maps

Les conférenciers de la Barry Lawrence Ruderman Conference on Cartography 2019 : Gender, Sexuality, Cartography explorent comment le genre, la sexualité et la cartographie étaient entrelacés autrefois et encore aujourd'hui.
http://exhibits.stanford.edu/blrcc/feature/2019-gender-sexuality-cartography


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