Avant l'invention du globe virtuel, les stéréoscopes permettaient déjà une forme de voyage visuel


Une exposition virtuelle Les Alpes en 3D. Un voyage virtuel à travers la Suisse et le Mont-Blanc en 1900 présente la découverte stéréoscopique de photographies alpines du début du XXe siècle.



Présentation de l'exposition virtuelle 

Extrait de la présentation sur le site de l'Université de Lausanne :

Avant Internet, le cinéma et la télévision, visiter des contrées lointaines depuis son salon était déjà possible. Comment ? Grâce aux voyages stéréoscopiques. Des récits augmentés, composés de textes, de cartes et de photographies géolocalisées que l’on pouvait observer à l’aide d’un stéréoscope : cet appareil ressemblant à une boîte dotée de deux oculaires, très populaire dès la fin du XIXe siècle, permettait de visualiser des images en trois dimensions.

« Prenez deux photos d’un même objet, prises depuis des points de vue légèrement décalés. Regardez-les ensuite grâce à un stéréoscope de façon que chaque œil perçoive une seule des deux images : votre cerveau les fusionnera et vous les verrez apparaître en 3D », explique Daniela Vaj, collaboratrice scientifique au Centre interdisciplinaire de recherche sur la montagne (CIRM).

Cette historienne et spécialiste en information documentaire, coauteure de la base de données Viatimages, a réalisé « Les Alpes en 3D, voyage virtuel à travers la Suisse et le massif du Mont-Blanc », une exposition virtuelle à voir depuis le 30 juin sur le site voyagestereoscopique.ch. Le parcours est visible sur ordinateur, mais une version pour tablettes et smartphones sera bientôt disponible.

Google Map avant l’heure

Dernier fruit du projet Viaticalpes, cette exposition en ligne illustrée par 280 images et disponible en quatre langues retrace l’histoire de la stéréoscopie et des voyages stéréoscopiques. Elle présente en particulier le livre Switzerland through the stereoscope : a journey over and around the Alps, dirigé par la pédagogue américaine Mabel Sarah Emery. Un guide consacré aux Alpes publié en 1901 par l’éditeur new-yorkais Underwood & Underwood, dans une collection spécialisée dans ce type de périples imaginaires, et qui rassemble une centaine de titres. Le succès de cet ouvrage, qui a connu plusieurs éditions et même deux traductions en français et en allemand, « est une preuve du grand intérêt suscité par les Alpes à la fin du XIXe siècle », précise la scientifique. « En effet, il a été l’un des premiers guides publiés dans cette collection parmi ceux consacrés à des destinations telles que l’Égypte, l’Italie, l’Inde, la Chine ou la Russie », poursuit-elle.

Commercialisés sous la forme de petits coffrets par Underwood & Underwood, ces récits multisupport étaient fondés sur l’Underwood travel system, ce concept de cartes interconnectées aux images géolocalisées et aux textes inventé par la maison d’édition elle-même. « Cet éditeur américain a conçu une nouveauté extraordinaire pour l’époque dont je n’ai trouvé d’équivalent nulle part ailleurs. Une sorte de Google Map avant l’heure, mais plus sophistiqué », relève Daniela Vaj. Et d’ajouter : « Avec l’effet de relief obtenu via le stéréoscope, la géolocalisation des images favorisait véritablement le sentiment d’immersion. »

Des itinéraires version 2.0

Conçue avec Christian Kaiser, maître d’enseignement et de recherche en cartographie et géovisualisation à la Faculté des géosciences et de l’environnement, et grâce à l’aide du développeur Manuel Bröchin, l’exposition virtuelle « Les Alpes en 3D, voyage virtuel à travers la Suisse et le massif du Mont-Blanc en 1900 » offre à l’internaute une expérience particulière : la possibilité d’explorer par soi-même en 3D, grâce à des cartes interactives, les photographies géolocalisées du guide Switzerland through the stereoscope ; a journey over and around the Alps. Mais à condition de se munir de lunettes anaglyphes, c’est-à-dire équipées d’un filtre rouge pour un œil et d’un filtre cyan pour l’autre.

L’anaglyphe étant une seconde technique de stéréoscopie, qui remonte elle aussi à la deuxième moitié du XIXe siècle, « nous voulions offrir une expérience immersive proche de celle envisagée par l’ouvrage original, poursuit la chercheuse. C’est pourquoi nous avons transformé les 100 photographies de cet ouvrage, digitalisées à l’origine par la Bibliothèque nationale suisse dans le cadre du projet Viaticalpes, en anaglyphes. Un format qui permet la visualisation du relief à l’aide de lunettes adaptées, que l’on peut se procurer très facilement. »

Pour les personnes qui le souhaitent, les cartes et les images sont également proposées en visualisation normale (2D). L’exposition est visible sur ordinateur. Une version pour tablettes et smartphones sera bientôt disponible.

La base de données Viatimages met à disposition de tout public une sélection de 3500 illustrations extraites d’une centaine de livres, géolocalisées et associées aux extraits de texte les décrivant.


Quand les stéréoscopes permettaient déjà au XIXe siècle une sorte de voyage virtuel 

Le daguerréotype stéréoscopique inventé par Antoine Claudet (1851) permettait dès le XIXe siècle de voyager virtuellement depuis son fauteuil. Le procédé de vue stéréoscopique fut repris et diffusé au début du XXe par l'éditeur Underwood & Underwood. L'invention permettait une forme de voyage virtuel visuel. 


L'âge d'or de la stéréoscopie s'étendit jusqu'en 1939, date à laquelle l’américain William B. Gruber inventa une nouvelle visionneuse stéréoscopique, le View-Master qui connut une grande diffusion. À partir des années 1990 apparaissent les premiers casques de réalité virtuelle. Les progrès rapides dans ce domaine permettent de commercialiser des modèles de casques très économiques. "Google Education" a lancé en 2017 Expeditions, une nouvelle application éducative immersive basée sur des visites en 3D de différents lieux du monde, utilisée dans de nombreuses écoles. Bien que Google ait cessé de mettre à jour cette application en juin 2021, d'autres entreprises ont relevé le défi en raison des nombreuses demandes.

Il est très intéressant de noter que cette "pédagogie visuelle" s'est développée dès le début XXe siècle (soit bien avant l'invention des globes virtuels) à partir de l'usage des stéréoscopes dans l'idée d'amener le monde dans la classe. A découvrir sur le site voyagestereoscopique.ch/.

"Ce n'est guère faire trop d'éloges que de dire qu'un bon ensemble de vues stéréoscopiques équivaut en intérêt à un bon carnet de voyage [...]. Les stéréoscopes, en effet, anticipent les déplacements" (Schwartz, 1996).


Références

Exposition virtuelle Les Alpes en 3D, voyage virtuel à travers la Suisse et le massif du Mont-Blanc en 1900. « Ne commettez pas l'erreur de ne pas vous servir de la carte » (accès aux 6 itinéraires)

Mabel Sarah Emery, Switzerland through the stereoscope ; a journey over and around the Alps, 1901.

Anne Rouhette, Mabel Sarah Emery, La Suisse par le Stéréoscope (1901). La Suisse mise en scène.  Viatica, 6 | 2019.

Manual of instruction from Underwood & Underwood, New York, London, Underwood & Underwood, 1900.

Philip Emerson, William Charles Moore, Geography through the stereoscope, 1907 (version enseignant).

Philip Emerson, William Charles Moore, Geography through the stereoscope, 1907 (version élève).

The world visualized for the classroom ; 1000 travel studies through the stereoscope and in lantern slides, classified and cross referenced for 25 different school subjects; teachers' manual, New York, Underwood & Underwood, 1915.

Joan M Schwartz. The Geography Lesson : Photographs and the Construction of Imaginative Geographies, Journal of Historical Geography 22(1):16-45.

Noël-Marie Paymal Lerebours, Excursions daguerriennes : vues et monuments les plus remarquables du globe (1840-1843), Lerebours (Paris).

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