Signalé par Maps Mania (The Noisy Children Map, 20 février 2021)
Le site de cartographie contributive Dorozoku n'est pas sans faire du bruit et susciter des controverses. Le site invite à signaler la pollution sonore par un code couleur (vert-jaune-orange) de manière à identifier les rues les plus bruyantes au Japon. Certains habitants ont commencé à utiliser ce site de partage d'informations pour se plaindre d'enfants bruyants qui jouaient dans la rue ou d'adultes qui parlaient fort. Au delà de la polémique, on peut partir de cet exemple pour ouvrir un débat sur les enjeux de ce type de carte contributive.
Page d'accueil du site de cartographie recensant les rues bruyantes au Japon (Dorozoku)
Ouvert en 2016, le site compte 5 973 rues bruyantes au 1er février 2021. La carte recense également les rues « mal utilisées » où l'on fait par exemple des barbecues ou on joue au football. Le créateur du site estime que « le problème est en partie les nuisances des voisins. Je veux oeuvrer pour éliminer ce problème au fil du temps. » Il se défend de vouloir encourager les conflits de quartier et dit s'employer à supprimer tous les messages "problématiques" (les dénonciations personnelles, les messages calomnieux ou incitant à la violence représentent environ 10% des commentaires déposés sur le site).
Des milliers d'utilisateurs ont tenu à identifier les rues qu'ils
jugeaient trop bruyantes et où les enfants causaient des dommages
matériels. Certains se sont félicités que le site Dorozoku Map permette d'indiquer les zones calmes, notamment pour identifier les quartiers où se loger ou acheter une maison. D'autres ont été consternés de voir leur rue répertoriée sur la carte alors qu'ils avaient des voisins modèles. Les récriminations vont de pleurs de bébé à des enfants jouant dans la rue oo encore à la proximité d'un centre de soins pour enfants. D'aucuns y voient un encouragement à l'intolérance envers les enfants dans un pays à la population vieillissante.
Des études montrent que les « bruits irritants » peuvent être déterminés par la solitude de l’individu, par un sentiment d'étouffement en ville et d’autres facteurs psychologiques. Serait-ce qu'au Japon on soit plus sensible au respect du calme dans les espaces et les transports publics ? En période de crise pandémique, le confinement à la maison pourrait aiguiser cette sensibilité aux bruits extérieurs. La fermeture des écoles a eu aussi pour effet de reporter les bruits dans les quartiers d'habitation habituellement plus calmes pendant la journée, lorsque que les parents sont au travail et les enfants à l'école.
Selon Norihisa Hashimoto, professeur émérite d'ingénierie de l'environnement acoustique à l'Institut de technologie Hachinohe dans le nord-est du Japon, le stress causé par le virus pourrait transformer des personnes plutôt faciles à vivre en "vieux ronchons" lorsqu'il s'agit de protéger leur paix et leur tranquillité. "Ceux qui publient des commentaires sur le site Web devraient être plus tolérants et réfléchir si le comportement des autres peut vraiment être considéré comme une nuisance", a déclaré Hashimoto au quotidien Asahi Shimum, tout en conseillant aux parents ou tuteurs de vérifier si leurs enfants ne faisaient pas trop de bruit lorsqu'ils jouaient dehors.
Le débat sur ce qui constitue une nuisance sonore a attiré l'attention en 2014 lorsque les autorités de Tokyo ont déclaré que le bruit causé par des enfants ne pouvait plus être considéré comme une forme de pollution sonore. Cette décision visait à supprimer les obstacles juridiques à la construction de nouvelles garderies pour des dizaines de milliers d'enfants qui étaient alors sur listes d'attente, à permettre à leurs parents de travailler et, à long terme, à encourager les couples à avoir des familles plus nombreuses et à lutter contre le faible taux de natalité au Japon (voir ce graphique montrant la baisse de la natalité et la celui-ci concernant la pyramide des âges). Cette décision faisait précisément suite à une série de plaintes concernant des enfants bruyants et de tentatives pour empêcher la construction de garderies et de crèches.
En 2012, des résidents du quartier de Nerima à Tokyo avaient en effet intenté une action dommage-intérêt pour demander à une garderie de maîtriser ses enfants bruyants. Les plaignants s'étaient appuyés sur un règlement s'appliquant à la périphérie de Tokyo qui interdisait les bruits supérieurs à 45 décibels - à peine plus fort que ceux d'une bibliothèque moyenne - y compris ceux générés par des enfants bruyants. Le règlement a ensuite été modifié pour exempter les jeunes enfants et encourager les résidents à éviter les poursuites judiciaires et à parler calmement de leurs différends.
Sources
Mapping site showing areas of ‘annoying’ kids draws criticism (The Asashi Shimum)
Japanese website maps neighbourhoods that have noisy children (The Guardian)
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