Au moment où les États-Unis approchent le seuil d'un demi-million de décès dus à la Covid-19 (février 2021), les data journalistes se sont vus confier la tâche de réfléchir à la meilleure façon de visualiser le terrible impact de cette pandémie. Mais n'y a-t-il pas des limites dans la visualisation de données lorsqu'on représente des faits tragiques ? Telle est la question posée par Francis Gagnon dans un article intitulé 500 000 dots is too many (Voila.com)
Le débat fait suite à la une du New York Times publiée le 21 février 2021, qui présente une data visualisation concernant les décès liés au COVID-19, accompagnée du commentaire suivant : « Cela a commencé par un point. Ensuite, il y en a eu près d'un demi-million ».
Data visualisation du New York Times concernant les décès liés au COVID-19 (21 février 2021)
Pour Francis Gagnon, des
tragédies comme les décès dus au COVID-19 ont un impact au niveau
individuel. Ces décès représentent des personnes à part entière. Or sur ce
graphique, celles-ci sont réduites à des points. « Lorsque trois personnes sont assassinées, elles se voient attribuer un profil (nom, âge, race, activité ou autre). Lorsque 500 000 personnes meurent, elles reçoivent chacune un point. Transformer une personne en un point, ce que fait par nature la visualisation de données, ne permet pas de transmettre la dimension tragique de ces morts. »
Le New York Times justifie ainsi ses choix graphiques : « contrairement à d'autres approches, ce graphique représente l'ensemble des décès. Je pense que cette technique est bonne et qu'elle nous submerge - c'est le but », a déclaré M. Gamio.
Francis Gagnon pense que « cela ne nous accable pas. Bien au contraire : ça le met à notre portée. Un visuel, lu en quelques secondes, cela empêche toute compassion. La tragédie est désormais gérable émotionnellement. Si on fait un zoom arrière, chaque individu est de plus en plus petit pour tenir dans le cadre. Chacun devient un simple point. Si les États-Unis atteignaient 600000 morts, la tragédie prendrait de l'ampleur, mais la visualisation resterait la même, chaque individu occuperait simplement une plus petite portion d'espace. La visualisation des données est utile pour afficher des agrégats ou pour révéler des tendances invisibles. Mais cela ne reflète pas des existences individuelles. Elle perd de son pouvoir avec l'accumulation de tragédies personnelles. Autre problème avec cette visualisation particulière : il n'y a pas de point focal, il n'y a pas de position pour le lecteur. Nous ne savons pas si ces personnes nous ressemblent, si elles sont proches ou loin de nous ».
Une réponse courante au problème de la visualisation à l'échelle de centaines de milliers de personnes est de se tourner vers des comparaisons familières. Dans son article 500 000 dead, a number almost too large to grasp, le Washington Post explique qu'il faudrait l'équivalent de 9804 bus pour transporter 500000 personnes. Il montre ce que cela représente en distance une caravane de 9804 bus (soit l'équivalent de la distance entre Philadelphie et New York). Ce n'est pas la première fois que le Washington Post recoure à des ordres de grandeur géographique pour faire saisir l'ampleur des décès de Covid-19. En septembre 2020, le journal avait créé une carte interactive qui permettait aux Américains de visualiser ce que représentent 200 000 morts si on les ramène à l'échelle de leur quartier (What if all covid‑19 deaths in the United States had happened in your neighborhood ?)
Carte interactive pour visualiser où vivaient ces 500 000 victimes de la Covid-19 (source : NBCNews)
NBCNews a adopté une approche différente en proposant une carte interactive pour visualiser où vivaient ces 500 000 victimes de la Covid-19. La carte contient un demi-million de points rouges, chaque point représentant un décès dû au coronavirus. Une chronologie permet de suivre la propagation de Covid-19. En entrant une adresse ou un code postal, on peut afficher le nombre de décès à l'endroit choisi. Les points ne révèlent pas les adresses réelles des victimes. L'emplacement des points est randomisé dans chaque secteur d'îlot de recensement. Cela reste malgré tout une carte impersonnelle par densité de points.
Le taux de mortalité dû à Covid-19 est en train de baisser aux États-Unis. Avec de plus en plus de personnes vaccinées, la fin de cette crise est peut-être en vue. De telles data visualisations montrent cependant que ce n'est pas encore fini et qu'il faut impérativement rester vigilant contre les dangers de la Covid-19. Comment sensibiliser sans déshumaniser ?
Lien ajouté le 3 mars 2021
Dans l'idée de ne pas représenter les personnes comme des points, la carte interactive Beach Crowd de William Davis montre une foule de personnes sur une plage de Miami non pas comme de petits points minuscules, mais comme des individus à échelle humaine.
Pour simuler sa scène de plage bondée, l'auteur a utilisé la police Wee People de Propublica, qui est une police de caractères qui utilise des silhouettes en forme de personnes, "pour faciliter la création de graphiques Web mettant en avant des gens au lieu de points". Toutes les cartes ne peuvent pas utiliser des silhouettes humaines au lieu de points. Cela se traduirait par des cartes thématiques moins lisibles. Ce qui ne veut pas dire que les silhouettes Wee People ne peuvent pas être utilisées pour certaines cartes.
Liens ajoutés le 18 avril 2021
La représentation des décès liés au COVID en points comme sur cette couverture du @nytimes https://t.co/5pl630I99A vient interroger la représentation cartographique.
— Boris Mericskay (@BorisMericskay) April 16, 2021
> 1 décès à l’hôpital, 1 points (données agrégées par département de @SantePubliqueFr) pic.twitter.com/MFiTENfwUF
Comment chacun des 100 000 morts du Covid est devenu un point en « une » du « Monde » https://t.co/p7l3KEaPFF
— Le Monde (@lemondefr) April 15, 2021
New post: "What we learned from a year of #COVID19 maps". Which maps went wrong, and which were done well? Read more on our blog: https://t.co/WIllvtBUnx #cartography #coronavirus #pandemic pic.twitter.com/8VS4aBV6R9
— Stamen Design (@stamen) April 13, 2021
Petit billet sur la prolifération des #dataviz sur le COVID, l'importance de la visualisation et la littératie graphique dans @FR_Conversation (merci @coulmont @joelgombin @Jul_Dum @blandinelc @L_Mignot pour les sources) https://t.co/MGTHZ9yZrC
— Émilien Schultz (@EmilienSchultz) August 4, 2021
Voir également "Les dataviz du Covid-19" (vidéo du meetup organisé par l'équipe Dataviz de Toulouse en septembre 2020) :
Map shows excess deaths per 100k People since the start of COVID. Source: https://t.co/LD9aN1EF7n pic.twitter.com/KqsVUJNBUX
— Simon Kuestenmacher (@simongerman600) August 6, 2021
Lien ajouté le 26 novembre 2021
« Notre travail ce n’est pas de simplifier, c’est plutôt de hiérarchiser. » Comment faire passer le bon message avec la datavisualisation ?
— Spintank (@spintank) November 25, 2021
Retrouvez notre entretien éclairé et éclairant avec @JulesGrandin et @claradealberto 👇 https://t.co/8xkMg2OqfX
Les dataviz macabres ne datent pas d'aujourd'hui comme en témoigne cette infographie pour une expo internationale sur l'hygiène à Dresde (1911)https://t.co/9GjosGTel9 https://t.co/CJv1oZmwFR
— Sylvain Genevois (@mirbole01) January 21, 2022
Lien ajouté le 15 mai 2022
“How America lost one million people”(New York Times) Une cartographie en N&B à la fois spectaculaire et angoissante des victimes liées à l'épidémie de Covid19 aux Etats-Unis ⬇️https://t.co/NL0WLUGAxF pic.twitter.com/m9O9UrPZcf
— Sylvain Genevois (@mirbole01) May 15, 2022
Lien ajouté le 3 mars 2023
« Les morts sur lesquels Poutine cherche à garder le silence ». Une datavisualisation impressionnante du journal Spiegel, à partir des données collectées par Mediazona-BBC 🔽🔽https://t.co/qOAurzEYSq
— Sylvain Genevois (@mirbole01) March 3, 2023
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