La carte, objet éminemment politique. Les manifestations « No Kings » aux États-Unis et dans le monde


Des millions d'Américains ont manifesté le samedi 18 octobre 2025. Rassemblées autour du mot d’ordre « No Kings » (Pas de rois), environ 7 millions de personnes, selon les organisateurs, ont défilé pour dénoncer le pouvoir autoritaire du président Donald Trump. Plus de 2 700 rassemblements se sont tenus dans les grandes villes américaines ainsi que dans des petites villes du centre des États-Unis, et des bourgades d’Etats républicains. Le mouvement de contestation s'est également étendu à quelques grandes villes en Europe. 

L'appel à l'action a été lancé à partir d'une carte publiée sur le site No Kings, largement diffusée sur Internet et dans les journaux. De la carte-slogan à l'action politique, voyons comment cette carte a circulé dans les médias et sur les réseaux sociaux et comment elle peut être interprétée en lien avec d'autres symboles.

I) Au départ, une simple carte d'appel à l'action

La carte publiée sur le site No Kings est assez classique. Elle s'inscrit dans le répertoire d'actions utilisé aujourd'hui pour sensibiliser l'opinion publique et encourager à l'action. Il s'agit de répertorier les lieux prévus de manifestation. Elle a vocation au départ à informer pour trouver le lieu de rassemblement le plus proche de chez soi. Plus de 2500 rassemblements, réunions ou événements sont annoncés le 14 octobre dans 1700 villes. Même si cette « protest map » relève seulement d'un appel, elle a vocation à mobiliser un maximum de manifestants contre la politique autoritaire de Trump, y compris en Europe. L'accumulation de gros points sur la carte accrédite l'idée d'un mouvement d'ampleur.

La carte d'appel à l'action sur le site No Kings - 2500 lieux de manifestation prévus le 14 octobre 2025



La mobilisation « No Kings » du 18 octobre s'inscrit dans une certaine continuité puisqu'il s'agit d'une deuxième journée de manifestation. Les premiers rassemblements No Kings ont eu lieu le 14 juin en réponse à un défilé militaire que Trump avait prévu pour le 250e anniversaire de l'armée américaine et son 79e anniversaire. Il convient de noter que, par rapport à la première carte qui rassemblait 2000 points de rassemblement, cette nouvelle carte en compte 500 de plus. Il s'agit de montrer que le mouvement de contestation prend de l'ampleur. Cette nouvelle vague de manifestations survient dans un contexte de frustration croissante et d'opposition généralisée à la répression militaire du président Trump contre les villes dirigées par les démocrates à travers l'Amérique. Autre point de différence : lors de la manifestation du 14 octobre, le choix d'organiser des événements No Kings dans toutes les villes sauf Washington D.C. était un choix délibéré visant à maintenir l'accent sur le contraste et à ne pas donner à l'administration Trump l'occasion d'attiser le conflit puis de le mettre en avant. Lors de la manifestation du 18 octobre, toutes les villes sont concernées y compris Washington D.C., même si cela n'est pas là qu'elles ont le plus d'ampleur.

La carte interactive « No Kings » n'est pas particulièrement intéressante en soi, si ce n'est comme visualisation de l'ampleur géographique du sentiment anti-Trump aux États-Unis. Il s'agit en apparence d'une simple carte interactive indiquant les lieux des manifestations contre l'autoritarisme croissant de l'administration Trump. Pourtant si on l'observe de plus près, on s'aperçoit qu'elle donne lieu à quelques variations. Ainsi en Europe notamment pour Londres, Madrid, Porto ou Stockohlm, le slogan "No Kings" a été remplacé par "No Tyrants" ou "No Dictators", de manière à élargir la contestation à toute forme de pouvoir autoritaire voire dictatorial. Le trumpisme ne concerne pas que les États-Unis. La montée de l'autoritarisme et la restriction des libertés concernent beaucoup d'autres pays dans le monde. Ce qui ferait de l'Amérique un symbole d'un mouvement de contestation beaucoup plus large à l'échelle mondiale.

La carte d'appel à l'action sur le site No Kings pour la partie Europe - "No Tyrants, No Dictators"


II) Le message et sa diffusion sur les réseaux sociaux

A l'heure d'Internet et des réseaux sociaux, la carte entend faire passer un message. Elle n'est pas seulement destinée à informer sur les lieux de rassemblement les plus proches. Elle a vocation à être reprise et diffusée sur les réseaux sociaux. On la retrouve aux côtés d'autres images ou slogans destinés à renforcer le message. 

La carte des rassemblements accompagnée du slogan "No Thrones, No Crowns, No Kings"
(« Pas de trônes. Pas de couronnes. Pas de rois »)



La diffusion de la carte est le fait d'activistes, mais aussi de simples manifestants ou sympathisants du mouvement. Cette diffusion est variable en fonction des réseaux sociaux et mériterait une étude plus poussée. On remarque par exemple une diffusion bien moindre sur le réseau Twitter contrôlé par Elon Musk, proche du président républicain.

Ces rassemblements, nés à Portland avant de s’étendre au pays entier, marquent le retour d’une opposition organisée. "Les démocrates montrent enfin de la colonne vertébrale", souligne Ezra Levin, cofondateur du mouvement Indivisible. Plus de 200 organisations se sont engagées comme partenaires des manifestations du 18 octobre ; aucune n'a abandonné par crainte d'une réaction négative de Trump. L'Union américaine pour les libertés civiles (American Civil Liberties Union), association de défense des droits civiques, est partenaire, tout comme le groupe de défense Public Citizen. Des syndicats, dont la Fédération américaine des enseignants (American Federation of Teachers) et le SEIU, font partie de la coalition. Le nouveau mouvement de protestation 50501, né auparavant d'un appel à manifester dans les 50 États sur une seule journée, est également partenaire. Parmi les autres partenaires figurent la Human Rights Campaign, MoveOn, United We Dream, la League of Conservation Voters et Common Defense.

III) Le traitement de l'information par les médias

Les médias ont également relayé la carte publiée par le site No Kings. Mais à la différence des réseaux sociaux, la carte n'est pas reprise telle quelle. Afin d'éviter de servir de relais de propagande et par souci également d'assurer un traitement de l'information, les médias proposent en général des versions différentes à partir des données fournies par le site officiel No Kings. Cela peut aller de la simple carte par points afin de conserver une certaine neutralité ou lisibilité de l'information jusqu'à un traitement plus poussé mettant en lumière les hauts-lieux de la contestation. Ce faisant, le but initial des organisateurs de voir largement circuler le message via les medias est en partie atteint. 

Le journal The Guardian diffuse une carte par points uniformes en ajoutant quelques noms faisant ressortir les zones concentrant le plus de rassemblements. Le message se veut assez neutre, nonobstant le titre qui ne prend pas la précaution de mentionner qu'il s'agit seulement des lieux prévus de rassemblement. 

« Les manifestations No Kings aux États-Unis » (source : The Guardian)


La chaîne d'information CNN s'en tient à une carte également assez minimaliste indiquant le nombre de manifestations prévues par comté, ce qui a tendance à uniformiser l'information à l'échelle du territoire. Les cercles sont proportionnels au nombre d'événements de 1 à 30. La taille des cercles est beaucoup plus petite que sur la carte du site officiel No Kings. Et de préciser sous la carte : « L'ampleur et la portée de chaque événement prévu sont inconnues et le site web du groupe indique qu'il s'engage à mener une action non violente ». De fait, CNN semble avoir conscience du risque de répression et de la peur éventuelle que peut inspirer ce type de carte (d'où aussi la volonté de neutraliser le message et de lisser l'information).

« Des manifestants se rassemblent contre l'administration Trump lors d'événements No Kings  à travers le pays » (source : CNN)


A partir des mêmes données, Axios propose une carte rapportant le nombre d'événements par ville (voir la carte déjà réalisée pour la manifestation du 14 juin). On y voit ressortir les grandes métropoles du Nord-Est et de la côte ouest des États-Unis qui ont voté contre Trump, mais aussi des villes de rang plus modeste.

« Rassemblements, réunions et événements de mise en visibilité No Kings prévus le 8 octobre 2025 » (source : Axios)


On retrouve parmi les lieux de rassemblement les places symboliques de défense des droits civiques, notamment Grant Park à Chicago, ville surveillée par la Garde nationale et où la mobilisation a été particulièrement forte. « Même dans les villes où les troupes sont déployées, des millions de personnes devraient manifester contre le président dans le cadre d'une 2e manifestation... Nous ne nous laisserons pas intimider » (The Guardian).

IV) De la carte-slogan à son interprétation par rapport à d'autres symboles

Les Républicains ont décrié les manifestations No Kings en tant que « rassemblement de haine contre l'Amérique ». Les manifestants ont répliqué avec des panneaux « We love America » comme symbole de liberté et de démocratie ou « l'Amérique appartient à son peuple et non aux rois ». Face à l'administration Trump qui souhaite réprimer les manifestations, le mouvement No Kings entend montrer qu'il s'agit de la « plus grande manifestation pacifique de l'histoire américaine ».


Par son pouvoir performatif, la carte est à interpréter conjointement avec d'autres symboles brandis pendant les manifestations. On retrouve dans les dessins et caricatures de nombreuses références à la Révolution de 1776, événement fondateur de la démocratie américaine.

« Trump et Johnson ignorent clairement l'histoire américaine. No Kings par Rob Rogers - Tinyview (©)


Lors des manifestations à travers les États-Unis, certains manifestants portent du jaune – un symbole d’unité et une référence à d’autres mouvements de résistance non violente, selon les organisateurs. « Tout au long de l'histoire, les personnes qui se sont rassemblées pour protester contre les régimes autoritaires ont utilisé une couleur facilement reconnaissable parmi des milliers de personnes », peut-on lire sur un tract publié sur le site web No Kings. « Le jaune est un rappel éclatant et sans équivoque que des millions d'entre nous sommes unis par la conviction que l'Amérique appartient à son peuple, et non aux rois ». Le site du mouvement évoque également Hong Kong, où les manifestants portaient des parapluies jaunes, déclarant que les rubans jaunes sont des symboles d'espoir, de responsabilité et de réforme. Le mouvement des rubans jaunes des Ukrainiens est un signe de résistance à l'agression russe. On pourrait aussi faire allusion au mouvement des Gilets jaunes, bien que la symbolique soit quelque peu différente.

L'idée de porter des costumes d'animaux gonflables farfelus pour les « No Kings » a fait son chemin après que Seth Todd, un membre de la communauté mexicaine d'Amérique, a été aspergé de gaz lacrymogène par un agent fédéral alors qu'il portait un costume de grenouille gonflable lors d'une manifestation devant un centre de l'ICE à Portland, dans l'Oregon. Banderoles géantes, fanfares et pancartes ont envahi les rues. Une immense bannière reprenant le préambule de la Constitution américaine a circulé pour être signée, symbole d’un sursaut civique et d’une réaffirmation démocratique face à la concentration du pouvoir (voir les images des manifestations populaires relayées par The Guardian).

Seth Abramson avait déjà réuni plus de 250 photographies lors de la 1ère manifestation « No Kings » du 14 juin 2025. Son but était de rassembler le plus grand nombre possible de photos de foules lors des manifestations qui ont eu lieu aux États-Unis, mais aussi dans le monde. Ces photos sont accessibles à travers une interface cartographique qui permet de les consulter par lieux. 

Bannière humaine réalisée à Ocean Beach (San Francisco), Californie (source : Seth Abramson)



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