Quand l'Administration Trump fait disparaître des données sur les sites gouvernementaux


L'Administration Trump a fait retirer des données sur le réchauffement climatique et différents sujets jugés sensibles (diversité, équité, inclusion) sur les sites gouvernementaux des Etats-Unis. En réaction, des chercheurs, des militants ou de simples citoyens s'organisent pour dénoncer cette censure et garantir un accès à ces données.

1) De nombreux sites gouvernementaux censurés par l'Administration Trump

Un des premiers sites concernés par ces mesures de « mise  à jour »  (censure) de données semble être celui du CDC (Center for Disease Control and Prevention), très impliqué dans la diffusion de données publiques au moment de la crise Covid et critiqué par les anti-vax. La suppression de ces directives crée une lacune majeure dans les informations scientifiques et met des patients en danger en ce qui concerne la prévention des infections et l’utilisation appropriée des antibiotiques, argue la Society for Healthcare Epidemiology of America. Dans une déclaration commune, les responsables de l'Infectious Diseases Society of America et de l'HIV Medicine Association ont déclaré que la suppression des ressources liées au VIH et aux LGBTQ du site Web du CDC « est profondément préoccupante et crée une lacune dangereuse dans les informations et les données scientifiques permettant de surveiller et de répondre aux épidémies de maladies » (Cidrap). La disparition des données inquiète particulièrement la Dre Rasmussen, qui est virologue. Par exemple, les données sur la propagation de la grippe aviaire aux États-Unis sont particulièrement importantes en ce moment pour le monde entier (Radio-Canada).


Cela concerne aussi certaines pages du ministère américain de l'Éducation (DEI), notamment celles consacrées au genre et aux discriminations raciales (Yahoo News). L'administration Trump a lancé un ultimatum : cesser d'utiliser les « préférences raciales » comme facteurs d'admission, sinon les écoles qui le font risquent de perdre de l'argent. Trump a même évoqué une possible suppression du ministère de l'Éducation (The Guardian). L'Université d'Hawaï a d'ores et déjà supprimé sa rubrique « diversité » dans le but de préserver un financement fédéral. Ces mesures sont liées à un décret de Trump, selon lequel il n'existe que deux genres (hommes et femmes) et qui impose aux agences de « supprimer toutes les déclarations, réglementations, communications ou autres messages » sur « l'idéologie du genre »

La page « Erreur 404 » s'affiche sur de plus en plus de sites officiels des États-Unis. On retrouve des pages vidées de leur contenu sur les sites du département d’Etat, de la défense, des transports ou de l’agriculture. Les données se sont pour ainsi dire évaporées. Sur le site de l’Agence de protection de l’environnement (EPA), la partie sur le changement climatique n’est plus accessible sur la page d’accueil, ni dans les onglets sur les « sujets environnementaux ».


Il arrive même que des sites complets soient désactivés. Le site web de l'Agence américaine pour le développement international (USAID) a été mis hors ligne, alors que le gel de l'aide étrangère par Trump s'intensifie, suscitant des craintes que l'USAID perde son indépendance et soit absorbée par le département d'État (Le Monde). Par ailleurs, Trump a ordonné au ministère américain de l’Agriculture (USDA) de supprimer les sites Web faisant référence à la crise climatique (The Guardian).

L'Administration Trump a également licencié Colleen Shogan, l'Archiviste des États-Unis. Avant de devenir « Archivist of the United States », Colleen Shogan était vice présidente de la White House Historical Association (ArchiMag). Son « tort » ? Avoir accompli son devoir en exigeant que l’administration Trump transmette l’ensemble des documents et traces numériques de son premier mandat, y compris les messages échangés sur WhatsApp. Cette démarche, conforme aux principes fondamentaux de la démocratie américaine, avait notamment permis de révéler le scandale des documents classifiés retrouvés dans la résidence personnelle du Président à Mar-a-Lago (Le Soir).

La National Science Foundation (NSF), qui finance des recherches dans le monde entier, fait face à des licenciements potentiellement massifs et à des coupes budgétaires. L'agence du FBI n'est pas non plus épargnée par les licenciements. Emporté par sa vague de purge, le Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE) dirigé par Elon Musk a été jusqu'à licencier 300 personnes de la National Nuclear Security Administration, sans se rendre compte qu'une partie d'entre elles avaient en charge la gestion du stock d'armes nucléaires des États-Unis (CNN).

« Nous entrons dans un âge d’or de l’ignorance », prévient le professeur à l’université Stanford (Californie), tandis que la climatologue Valérie Masson-Delmotte, ex-coprésidente du groupe 1 du GIEC, y voit de l’« obscurantisme ». « Pour cette administration, les faits scientifiques sont dangereux, il faut les faire taire », observe-t-elle. Et de peser ses mots : « C’est l’héritage des Lumières qui est menacé. C’est sans précédent dans un pays démocratique, en dehors de périodes fascistes » (Le Monde). « Imaginez un immense autodafé numérique, où ce ne sont plus des livres qu’on brûle, mais des sites web, des pages Internet, des index, des bases de données » (Radio France).

Dans un livre publié en 2007, La Stratégie du choc (Actes Sud), l’essayiste et militante canadienne Naomi Klein montre que cette méthode, consistant à « intervenir immédiatement pour imposer des changements rapides et irréversibles à la société éprouvée par le désastre », a été théorisée depuis longtemps aux États-Unis. Les économistes néolibéraux préconisaient des thérapies de choc. Les cadres des services de renseignement et les militaires appliquaient des méthodes de torture par électrochocs afin de rendre les suspects amnésiques et parfaitement manipulables. Les libertés étaient rognées au nom de la lutte contre le terrorisme. « Les partisans de la stratégie du choc, affirme Naomi Klein, croient fermement que seule une fracture radicale – une inondation, une guerre, un attentat terroriste – peut produire le genre de vastes pages blanches dont ils rêvent. C’est pendant les moments de grande malléabilité – ceux où nous sommes psychologiquement sans amarres et physiquement déplacés – que ces artistes du réel retroussent leurs manches et entreprennent de refaire le monde » (Philosophie Magazine).

Les récentes déclarations outrancières de Donald Trump concernant Gaza, le Canada ou le Mexique font partie d’une stratégie de communication bien ficelée. Théorisée par l’ancien président américain Richard Nixon, la « madman theory » (théorie du fou, en français) joue sur l’imprévisibilité et la folie de son utilisateur pour s’assurer un avantage dans les rapports de force (Ouest-France).

2) La riposte pour continuer à assurer un accès à ces données

La bibliothèque de la faculté de droit de Harvard collecte des documents gouvernementaux et les met à la disposition de ses usagers depuis des siècles, et poursuit ce travail. Le Harvard Law School Library Innovation Lab a créé un coffre-fort de données permettant de télécharger, de signer comme authentiques et de mettre à disposition des copies des données gouvernementales publiques les plus utiles aux chercheurs, aux universitaires, à la société civile et au grand public dans tous les domaines. Ils ont commencé à collecter des parties importantes des ensembles de données suivis par Data.gov, les référentiels fédéraux Github et PubMed. Une source coopérative a été mise en place pour archiver les données de Data.gov. La collecte des données avait commencé avant le début du 2e mandat de Trump. Elle atteint 311 000 jeux de données récoltés entre 2024 et 2025. Les archives Internet disposent également d'un utilitaire la Wayback Machine, qui permet de parcourir et de capturer immédiatement les pages Web afin qu'elles soient intégrées sur Internet Archive (une mémoire du web qui est elle-même menacée)


Les scientifiques réagissent en proposant des sites miroirs. C'est le cas par exemple pour les données environnementales de l'EPA qui dispose d'un groupe appelé « Environmental Justice Screening and Mapping ». L'application EJScreen est très utile pour mettre en évidence les zones de recensement défavorisées et marginalisés à partir de différents indicateurs socio-environnementaux. Ce visualiseur n'étant plus accessible, une version 2 a été déposée sur GitHub. Elle peut être directement consultée à partir d'un site miroir.

EJScreen. Environmental Justice Screening and Mapping Tool (Version 2.3)



« Des décennies de recherche ont montré que les communautés défavorisées se situent à l’intersection de niveaux élevés d’exposition aux risques et de pauvreté. Les outils géospatiaux de justice environnementale (JE), tels que l’outil de dépistage de la justice climatique et économique (CEJST) développé par le Conseil de la Maison-Blanche sur la qualité de l’environnement, sont conçus pour intégrer différents types de données sanitaires, sociales, environnementales et économiques afin d’identifier les communautés défavorisées et d’aider aux décisions politiques et d’investissement qui s’attaquent aux problèmes omniprésents, persistants et largement non résolus associés aux disparités environnementales aux États-Unis » (Constructing Valid Geospatial Tools for Environmental Justice, 2024).

On peut également retrouver des ensembles de données et des outils archivés sur le climat et la justice environnementale sur le site web des Public Environmental Data Partners. D’autres groupes archivent les données du portail américain Data.gov et les rendent accessibles ailleurs. Certains chercheurs mettent également en ligne des jeux de données dans des dépôts publics consultables comme OSF, géré par le Center for Open Science. « Si vous craignez que certaines données encore disponibles ne disparaissent, consultez cette checklist des bibliothèques du MIT. Elle indique les étapes à suivre pour contribuer à la sauvegarde des données fédérales. Ce qui n’est pas clair, c’est de savoir jusqu’où l’administration Trump ira pour supprimer, bloquer ou dissimuler les données et la science du climat, et surtout dans quelle mesure elle y parviendra. Le juge d’un tribunal fédéral a d’ores et déjà estimé que la suppression par les Centers for Disease Control and Prevention de ressources de santé publique sur lesquelles s’appuient les médecins était préjudiciable et arbitraire. Ces ressources ont été remises en ligne grâce à cette décision » (The Conversation).

Les informations sur Internet semblent être là pour toujours, mais elles ne sont permanentes que dans la mesure où certaines personnes choisissent de les rendre permanentes. Lorsque les ressources internet sont modifiées ou mises hors ligne, la méfiance s’installe à l’égard du gouvernement et de la science.  (The Conversation). Le maintien de l'accès aux données officielles constitue un enjeu majeur. Il n'est pas d'étude scientifique possible sans disposer de jeux de données complets. Ces suppressions de pages, parfois remises en ligne après avoir été expurgées de certains éléments, inquiètent de nombreux scientifiques. Passé le choc de la sidération, il s'organisent progressivement pour organiser la riposte. 

Sources

« Les sites Web fédéraux américains suppriment les données sur les vaccins et les références LGBT » (BBC).

« Trump instaure son ministère de la vérité…». Le limogeage de Colleen Shogan, directrice des Archives nationales américaines, par Donald Trump ne relève pas d’un simple caprice. Il s’inscrit dans une dérive plus profonde, où le contrôle de l’histoire devient un outil de pouvoir, faisant écho au monde dystopique de «1984» de George Orwell (Le Soir).

« États-Unis. L’USAID pourrait passer de 10 000 à 290 employés ». Selon le New York Times, le gouvernement de Donald Trump veut réduire les effectifs de l’Agence des États-Unis pour le développement international à moins de 300 personnes, contre plus de 10 000 actuellement (Courrier international).

« Mon patron pleurait. La NSF fait face à des licenciements potentiellement massifs et à des coupes budgétaires ». Trump pourrait proposer de réduire le budget de l'agence de deux tiers (Science.org)

« Pourquoi les sociétés de prévision météorologique privées ne peuvent pas remplacer le service météorologique national ». La NOAA et le NWS fournissent des données météorologiques publiques que les entreprises privées ne peuvent pas recréer (American Scientific)

« États-Unis : des preuves de l'assaut du Capitole ont disparu d'un site officiel du gouvernement  » (BFM-TV).

« Comment l’administration Trump censure les femmes et les minorités à l’université » (Mediapart).

« DOGE a un accès en mode Dieu  aux données gouvernementales ». La commission spéciale du président dispose désormais d’une capacité sans précédent de consulter et de manipuler les informations de nombreuses agences fédérales (The Atlantic).

« Connaissez-vous la "théorie du fou", utilisée par Trump pour instaurer un rapport de force ? » (Ouest-France).

« Contre la purge sans précédent des sites ordonnée par Trump, les archivistes du numérique à l’offensive ». Des décrets signés par le nouveau président des Etats-Unis ont entraîné la disparition de milliers de pages, liées notamment au changement climatique ou aux politiques d’égalité. Plusieurs initiatives coordonnées cherchent à les préserver (Le Monde). 

« Sauver les données scientifiques de la purge numérique de l’administration Trump ». Peu après l’assermentation de Donald Trump, des milliers de pages web du gouvernement fédéral américain ont disparu. Heureusement, des chercheurs canadiens et américains avaient déjà archivé numériquement une bonne partie de ces sites (Radio-Canada).

« Alors que l'administration Trump supprime les données en ligne, les scientifiques et les bibliothécaires numériques se précipitent pour les sauvegarder » (Salon.com).

« Comment retrouver les informations climatiques effacées par l’administration Trump » (The Conversation).

« La bibliothèque de droit de Harvard agit pour préserver les données gouvernementales dans un contexte de purges massives  ». Les universitaires et chercheurs de domaines tels que la santé publique, les études climatiques et la sociologie se sont retrouvés dans une situation difficile. Le New York Times a rapporté avoir découvert que plus de 8 000 pages Web gouvernementales avaient été supprimées à la suite de la transition présidentielle. L'Innovation Lab a réussi jusqu'à présent réussi à préserver 311 000 ensembles de données copiés entre 2024 et 2025, soit 16 téraoctets de données (Reuters).

« La résistance universitaire au trumpisme. Entretien avec Joan W. Scott » (Mouvements). L’historienne Joan W. Scott est professeure émérite à l’Institute for Advanced Study de Princeton, New Jersey. Mondialement célèbre pour avoir introduit l’idée d’une perspective de genre en histoire, autrice de travaux importants sur les usages politiques de la laïcité en France, elle est également une spécialiste reconnue de la question des libertés académiques. Quelques jours après la deuxième élection de Donald Trump en novembre 2024, Joan Scott a publié un article dans le Chronicle of Higher Education, une revue très lue par les universitaires aux Etats-Unis, intitulé “We will have to resist”, "Nous allons devoir résister".

« Résister à Trump avec un manuel de sabotage des années 1940, un étonnant retour  ». L’ouvrage gratuit qui caracole en tête des téléchargements actuellement est le “Simple Sabotage Field Manual”, écrit en 1944 par l'ancêtre de la CIA. Un succès qui n’étonne pas les historiens des services de renseignements à l'heure où une certaine résistance s'organise face aux premières actions de Donald Trump et d'Elon Musk. (France 24).

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