Les monts de Kong en Afrique : une légende cartographique qui a duré près d'un siècle !


Au début du XIXe siècle, un géographe anglais James Rennell fait figurer une chaîne de montagnes, baptisée monts de Kong, sur une carte de l’Afrique. Ce massif était représenté traversant de part en part le continent, un peu au-dessus de l’Équateur. Pourtant imaginaires, ces montagnes vont ensuite figurer dans tous les atlas pendant près d’un siècle !

Carte de John Cary de 1805 faisant apparaître les Mountains of Kong par 10° nord (source : Wikipédia)



 
« A l'ouest et au sud du Soudan, parallèlement à la côte de l'Atlantique et du golfe de Guinée, s'élève un massif de montagnes couvertes de forêts, taillées en gradins, coupées de gorges sauvages et pittoresques et s'abaissant en amphithéâtre vers les côtes sablonneuses de la Sénégambie et de la Guinée septentrionale : c'est la chaîne des monts de Kong qui se prolonge peut-être dans l'Afrique intérieure par les hautes montagnes que quelques voyageurs y ont entrevues, à peu de distance au nord de l'équateur. »
Géographie physique de la France et des cinq parties du monde par M. H. Pigeonneau, 3e édition corrigée, 1877, source : Gallica - BnF)  
 
« Au centre, les anciens géographes indiquaient les montagnes de la Lune que des voyageurs modernes ont cru retrouver un peu plus au sud de l'équateur, dans les monts Kénia et Kilima n'Djaro qui atteignent près de 6 000 mètres et qui, sous l'équateur, sont couverts de neiges éternelles. Dans la même direction, plus au sud, les monts Lupata, plus loin, les montagnes des Dragons ou Drakenberge, et les monts Nieuweveld. A l'Ouest, non loin du golfe de Guinée, s'élèvent les montagnes de Kong et les monts Camérouns qui ont jusqu'à 4 200 mètres d'altitude. » 
Géographie générale de l'Afrique, de l'Asie, de l'Océanie et de l'Amérique, classe de cinquième, par Eugène Cortambert, 1886, source : Gallica - BnF). 
 
Les Monts de Kong sont bien visibles sur la carte physique de l'Afrique de Paul Vidal de Lablache de 1885 (source : Gallica)

On en trouve également mention dans des œuvres littéraires, comme dans Robur le Conquérant de Jules Verne : 
« À l’horizon se profilaient confusément les monts Kong du royaume de Dahomey » (chapitre 12).

En 1933, le cinéaste Merian C. Cooper se souvint de la légende au moment de baptiser son gorille géant King Kong dans son film homonyme, bien que l'action soit censée se dérouler en Indonésie.


Pour en savoir plus :

  • Les monts de Kong, ce massif africain imaginaire cartographié pendant près d’un siècle. Ouest-France - 09/04/2021.

  • Monts de Kong : la chaîne de montagnes fictive : reportage vidéo sur Retronews - BnF

  • Pour compléter l'article, vous pouvez lire le thread de @JulesGrandin consacré à la genèse et au destin incroyable de cette légende cartographique :

Le moteur Gallica de la BnF trouve 281 mentions des légendaires "monts de Kong" depuis 1796 (date de leur invention par l'explorateur écossais Mungo-Park). 

On ignore si le royaume de Kong était connu des cartographes européens avant l'expédition de Mungo-Park. Pour Rennell,  les noms de « Gonge » chez Guillaume Delisle (1722), et « Conche » chez Jean Baptiste d'Anville (1727 ; 1750) étaient simplement des variantes de Kong. Il est probable que « Gonge »  se réfère au peuple gonja parlant le kwa dans le nord du Ghana actuel qui avait organisé un important État commerçant au XVIIe siècle. Sur la carte de d'Anville, « l'État de Conche » est mentionné comme étant le « Royaume des Sousos ». 

Georges Niamkey Kodjo identifie un royaume de Kong remontant à l'expansion des Mandés entre le XIe et le XIVe siècle, la ville de Kong constituant un débouché naturel des richesses du Sahara et de celles de l'interfluve Bandama-Comoé et une plaque tournante des échanges ouest-africains. Source : Le royaume de Kong (Côte d'ivoire), des origines à la fin du XIXè siècle.

Dans le cadre de sa mission de reconnaissance du cours du Niger en 1887-1889, Louis-Gustave Binger atteignit la ville de Kong, mais point de montagne à l'horizon. Comme le souligne le géographe De Martonne, la carte de Binger éditée en 1889 et mise à jour en 1893 constitue "une véritable révolution cartographique par la suppression des monts de Kong, religieusement reproduits depuis Mungo-Park". La légende cartographique a tout de même duré près d'un siècle voire davantage, si on prend en compte les atlas et manuels scolaires moins souvent mis à jour à l'époque.


Carte du Haut-Niger au golfe de Guinée, par le pays de Kong et le Mossi / levée et dressée de 1887 à 1889, par L.-G. Binger (source : Gallica - BnF)


Le journal L'Echo annamite (1924) se moque de cette légende coloniale à propos du "Manuel du parfait explorateur" publié par Robert Randau dans le Crapouillot  : « ses rêves enfantins le conduisent à ces mirifiques monts de Kong qui figurent sur nos atlas sous l'espèce d'une grosse chenille courbée en arc gracieux, et qui ne jouxtent pas, quoique aient soutenu quelques cacographes, le mont Vénus » (source : Gallica - BnF)

L'image de la "grosse chenille" des Monts de Kong, traversant l'Afrique de part en part, se retrouve très nettement sur nombre de cartes du XIXe comme par exemple sur cette carte de 1820 :

Carte d'Afrique divisée en ses principaux états avec les découvertes (1820) par Eustache Hérisson (source : Gallica - BnF)



« Bientôt, démontrant l'inexistence des fameux monts de Kong, le capitaine Binger, en anéantissant le préjugé qui laissait aux colonies de la Côte d'Ivoire et du Dahomey la modeste importance d'escales, sans relations possibles avec l'ancien pays, prouvait qu'il y avait « autant de portes du Soudan » que nous avions de territoires sur la Côte ouest des bouches du Sénégal à celles du Niger. L'obligation d'unir positivement au Soudan les colonies côtières s'imposa plus nettement » (Les Colonies françaises, Exposition franco-britannique. Londres, 1908. source : Gallica - BnF).

« En démontrant l'inanité de l'hypothèse des monts de Kong, le capitaine Binger fit tomber le préjugé qui laissait aux colonies de la Côte d'Ivoire et du Dahomey la maigre importance d'escales sans relations lointaines avec l'arrière-pays » (L'épopée coloniale de la France, G. Guenin, 1932, source : Gallica - BnF).

La première année de géographie par Pierre Foncin, 1ère édition 1875 (source : Gallica). 
Les monts de Kong ont disparu sur son manuel de Cours supérieur de 1907.



Un exercice extrait du manuel Physical and Political Geography de James Monteith (1866)
où il s'agit de localiser les monts de Kong en Afrique 




« Les monts de Kong, que l'on croyait naguère encore dressés en crête élevée entre le Niger supérieur et les côtes du Poivre et de l'Ivoire, ne forment en réalité qu'un plateau peu accidenté, d'assez faible hauteur » (Cours complet de géographie : à l'usage de l'enseignement secondaire garçons et filles, des écoles normales primaires et de l'enseignement primaire supérieur, 4e édition,  F. Schrader et L. Gallouédec, 1906, source : Gallica - BnF).

« C'est ainsi que le pic Maouri, auquel on attribuait 1800 mètres, n'en a que 600. Fort spirituellement, M. Marc espère que ce dernier survivant des monts de Kong disparaîtra des cartes » (L'Afrique française : bulletin mensuel du Comité de l'Afrique française et du Comité du Maroc, 1909, source : Gallica - BnF).

« De même que la "question des sources du Nil", la "question du Niger", la "question du Congo", la "question des monts de Kong" se sont successivement ou simultanément posées devant les géographes, de même il existait vers 1845 une "question du lac intérieur de l'Afrique australe". Oswell et Livingstone résolurent de tenter ensemble de l'élucider » (Le Journal des sçavans. Académie des inscriptions et belles-lettres, 1903. (source : Gallica - BnF).

Pour Bassett et Porter (The Journal of African History, 1991) qui ont étudié les contextes sociaux dans lesquels les montagnes de Kong ont été représentées puis ont disparu de la carte, cela traduit l'extraordinaire autorité ainsi que le pouvoir des cartes capables de perpétuer une image spatiale erronée de l'Afrique de l'Ouest jusqu'à la célèbre expédition de Binger à la fin des années 1880. 


Pour compléter 

Terray Emmanuel, Grandeur et décadence des montagnes de Kong. In: Cahiers d'études africaines, vol. 26, n°101-102, 1986. p. 241-249. Disponible sur Persée.

Thomas J. Bassett, Philip W. Porter, « From the Best Authorities : The Mountains of Kong in the Cartography of West Africa », The Journal of African History, Vol. 32, No. 3, 1991, pp. 367-413. Résumé sur Jstor.

Encore aujourd'hui on peut trouver des #fakemaps, comme par exemple cette carte montrant des mers anciennes en Afrique (voir ce thread de Guillaume Vial).

David Bédouret, « Les représentations de l'Afrique noire dans les manuels scolaires de géographie. Enjeux citoyens, identitaires et sociaux ». Irahsse.


Lien ajouté le 14 décembre 2021

Lien ajouté le 14 janvier 2022

Lien ajouté le 12 juin 2023


Lien ajouté le 17 janvier 2024

Articles connexes

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L'histoire par les cartes : James Monteith, cartographe et éducateur (1831-1890)