La carte, objet éminemment politique. Les terres agricoles des États-Unis sont-elles aux mains des capitaux chinois et étrangers ?


Le 8 juillet 2025, la secrétaire d'État à l'Agriculture Brooke Rawlings a tenu une conférence de presse devant le siège du ministère de l'Agriculture, mettant l'accent sur la protection de la sécurité foncière américaine. Elle a annoncé la mise en place d'un « Plan d’action national pour la sécurité agricole ». Il s’agit d’une série de mesures prises pour protéger l’approvisionnement alimentaire des États-Unis, directement reliée ici à la question de la défense nationale. Selon ce plan, le gouvernement fédéral devra collaborer avec les États afin d'empêcher les capitaux chinois et étrangers d'acquérir de nouvelles terres aux États-Unis et de renforcer la surveillance des terres agricoles appartenant déjà à des étrangers. La prise de position et la carte qui l'accompagne s'inscrivent dans le cadre de l'affirmation d'un véritable nationalisme économique face à la Chine et au reste du monde :

« L’agriculture américaine ne se résume pas à nourrir nos familles, mais vise également à protéger notre pays contre les adversaires étrangers qui achètent nos terres agricoles, volent nos recherches et créent de dangereuses vulnérabilités dans le système qui assure nos moyens de subsistance... Interdisons (au PCC) d'acheter des terres agricoles américaines. » (Brooke Rawlings, secrétaire d'État à l'Agriculture)

Comtés des États-Unis avec des terres agricoles détenues par des Chinois (source : USDA)

La carte publiée par le ministère américain de l'Agriculture montre en jaune les zones les terres déjà acquises par des entreprises chinoises et en rouge les bases militaires situées à proximité. Les entreprises chinoises possèdent 265 000 acres de terres, dont une grande partie serait située à proximité d'installations militaires sensibles. En réalité, la carte est trompeuse car elle indique non pas les terres agricoles appartenant à des Chinois mais les comtés où des Chinois possèdent des terres (ce qui n'est pas tout-à-fait la même chose en termes de superficie réelle). De fait, la Chine possède moins de 1% des terres agricoles détenues par des étrangers.

D'après le New York Post, la Chine possèderait des terres agricoles à proximité de 19 bases militaires américaines à travers le pays, ce qui ferait craindre des actes d'espionnage et de sabotage de la part d'agents communistes. Les bases adjacentes aux terres appartenant à la Chine comprennent certaines des installations les plus importantes sur le plan stratégique, notamment Fort Liberty à Fayetteville en Caroline du Nord, Fort Cavazos à Killeen au Texas, la base du Corps des Marines de Camp Pendleton à San Diego en Californie ou encore la base aérienne de MacDill à Tampa en Floride. « La proximité de sites stratégiques est préoccupante », a déclaré au Washington Post le général de brigade Robert S. Spalding spécialiste des relations sino-américaines. « Ces lieux peuvent servir à installer des centres de collecte de renseignements et leurs propriétaires peuvent exercer une influence considérable sur la politique locale, comme nous l'avons constaté par le passé... Il est alarmant de constater l'absence de lois empêchant les Chinois d'acquérir des biens immobiliers aux États-Unis. » Selon les sources du Washington Post, les propriétaires terriens chinois pourraient utiliser l'agriculture comme couverture pour repérer les bases, installer des technologies de suivi, effectuer des reconnaissances et tenter de faire voler des drones au-dessus des installations.

La propriété étrangère des terres agricoles américaines est recensée en vertu de l'Agricultural Foreign Investment Disclosure Act (AFIDA), qui oblige depuis 1978 les entités étrangères à déclarer leurs propriétés foncières au Département de l'Agriculture des États-Unis (USDA). Si les agriculteurs américains restent les principaux propriétaires, la propriété étrangère des terres agricoles n’a cessé d’augmenter soulevant des questions complexes concernant l’utilisation des terres, la sécurité nationale et la production alimentaire. Le site Landvalues note à cet égard trois éléments importants :

1. Les énergies renouvelables et le bois sont le moteur des acquisitions foncières
La principale motivation derrière les acquisitions foncières étrangères réside dans les énergies renouvelables. Entre 2018 et 2023, 76 % de la croissance des terres agricoles détenues par des étrangers était liée à des projets éoliens ou solaires. Parallèlement, les terres forestières détenues par des étrangers aux États-Unis gagnent en popularité en raison de leur valeur sur les marchés du carbone et pour la diversification des portefeuilles. Ces actifs jouent un rôle stratégique dans les tendances d'investissement liées au climat et sur les marchés fonciers ruraux.

2. La Chine n'est pas le seul pays à investir dans les terres agricoles américaines
Si les gros titres se concentrent souvent sur les terres agricoles appartenant à des Chinois, la Chine possède moins de 1 % des terres agricoles détenues par des étrangers aux États-Unis. Les principaux investisseurs étrangers sont en réalité originaires du Canada, des Pays-Bas, d'Italie et d'autres pays d'Europe occidentale.

3. La propriété foncière agricole étrangère répond à une stratégie d'investissement étranger
Les investisseurs étrangers considèrent généralement les terres agricoles américaines comme un actif stratégique à long terme. Bien que certains acheteurs paient jusqu'à 13,7 % de plus que les acheteurs nationaux, leur part totale reste trop faible pour pouvoir influencer la valeur des terres à l'échelle nationale. Néanmoins, les préoccupations liées à la sécurité nationale et à la propriété foncière étrangère ont alimenté le débat et conduisent à un examen plus approfondi des exigences de déclaration de l'AFIDA.

Dans le cadre de son Plan d’action national pour la sécurité agricole, le ministère de l'Agriculture des États-Unis (USDA) a publié une carte des acquisitions de terres agricoles par des étrangers. La carte montre la répartition des acquisitions foncières par des entités étrangères dans les 50 États, "ce que de nombreux élus considèrent en soi comme une menace pour la sécurité nationale". La carte indique quels pays possèdent des terres aux États-Unis et précise le comté où elles se situent. La carte réalisée à l'échelle des comtés ne permet cependant pas de conduire une analyse à l'échelle des parcelles agricoles. Le ministère de l'Agriculture des États-Unis (USDA) indique qu'il travaillera à l'amélioration continue des données afin de les rendre plus précises et en temps réel au cours des prochains mois.

Les acquisitions de terres agricoles par des étrangers aux États-Unis (source : USDA)


D'après le rapport de l'AFIDA du Département de l'Agriculture des États-Unis, 45,85 millions d'acres de terres agricoles étaient détenues par des investisseurs étrangers en 2023, soit 3,61 % de la superficie totale des terres agricoles privées aux États-Unis. Cela représente une augmentation de 1,58 million d'acres (3,6 %) par rapport à 2022 et de 5 millions d'acres (12,2 %) par rapport à 2021. Les investisseurs canadiens possèdent la plus grande part des terres agricoles américaines détenues par des étrangers, avec 33,5 % (15,35 millions d'acres) du total et 1,21 % de l'ensemble des terres agricoles américaines. Viennent ensuite les investisseurs néerlandais, italiens, britanniques et allemands, qui détiennent respectivement 0,41 % (5,2 millions d'acres), 0,22 % (2,7 millions d'acres), 0,11 % (2,6 millions d'acres) et 0,20 % (2,5 millions d'acres) des terres agricoles américaines.

Des entreprises et des investisseurs chinois possèdent plus de 277 000 acres de terres agricoles réparties dans 30 États. D'autres pays adversaires des États-Unis ont également acquis des terres agricoles et forestières américaines. Le Venezuela possède plus de 90 000 acres de terres dans 17 États, l'Iran en a acheté plus de 3 000 dans 10 États et le Pakistan possède 2 100 acres dans trois États. Sous l'administration Biden, une nouvelle réglementation a déja été mise en place afin d'obliger les ressortissants ou entreprises étrangères à obtenir l'autorisation du gouvernement américain avant de pouvoir acheter des terrains situés à proximité de huit bases militaires américaines. Il semble que sous l'administration Trump, le protectionnisme se soit largement renforcé. 

Pour Jason Lewris, le problème est beaucoup plus large et touche les investissements étrangers qui disposent d'un réseau sophistiqué de prospecteurs fonciers aux États-Unis, chargés d'acquérir des terrains avant leur prise de contrôle. L'auteur, qui étudie depuis cinq ans comment les gouvernements russe, chinois et iranien acquièrent des terres et des logements résidentiels aux Etats-Unis, a créé Parcl Labs, dont la mission est de rendre les données immobilières en temps réel, transparentes et accessibles.  Le site propose un jeu de simulation "Propriétés étrangères et menaces de drones". Le joueur choisit une plateforme de drones pour simuler des frappes tactiques contre des installations militaires sensibles situées à moins de 15 mn. Dans ce scénario de simulation de guerre, 36 % des 743 institutions militaires et de recherche américaines les plus sensibles se trouveraient à une distance de frappe de 15 minutes si elles sont lancées depuis des lieux ayant des liens potentiels avec des entités gouvernementales chinoises, russes ou iraniennes. "Cette simulation de jeu de guerre est basée sur des données et des renseignements matériels accessibles au public. Les résultats sont fournis à des fins éducatives, de recherche et de planification stratégique uniquement". Ce type de jeu de simulation entend favoriser une prise de conscience. Il contribue en même temps à alimenter la peur de la menace étrangère.

Propriétés étrangères et menaces de drones (source : Parcl Labs, une simulation de jeu de guerre)


Sources utilisées
  • Plan d’action national pour la sécurité agricole (USDA). Le plan fait de la sécurité alimentaire une question de sécurité nationale. Il fixe sept priorités : 1) sécuriser et protéger les terres agricoles américaines 2) renforcer la résilience de la chaîne d'approvisionnement agricole 3) Protéger le filet de sécurité alimentaire américain contre la fraude, les abus et les ingérences étrangères 4) renforcer la sécurité de la recherche 5) évaluer les programmes de l'USDA afin de garantir le respect des priorités américaines 6) préserver la santé des végétaux et des animaux 7) protéger les infrastructures critiques.
  • Les États-Unis interdisent les achats de terres agricoles par des entreprises chinoises, invoquant des raisons de sécurité nationale (The Washington Post).
  • Une nouvelle carte révèle la superficie des terres appartenant à des entités étrangères dans chaque comté (Nothernag).
  • Point saillant de la carte : la cartographie des terres agricoles appartenant à des étrangers (Landvalues).
  • Empreintes étrangères : Tendances en matière de propriété foncière agricole aux États-Unis (Fédération américaine des bureaux agricoles).
  • Rapport de l'AFIDA sur les propriétés étrangères de terres agricoles américaines au 31 décembre 2023 (USDA). Le rapport permet d'analyser les données d'acquisitions agricoles par comtés et par pays investisseurs étrangers.
  • Rapport : la Chine possède des terres agricoles à proximité de 19 bases militaires (Newsmax).
  • Démocrates et Républicains s'allient pour limiter les achats de terres agricoles américaines par les Chinois (NBCNews).
  • Simulation de jeu de guerre : propriétés étrangères et menaces de drones (Parcl Labs).

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