La suppression de la Racial Dot Map et la question sensible de la cartographie des données ethniques aux Etats-Unis


La Racial Dot Map, élaborée à partir des résultats du recensement de la population aux Etats-Unis en 2010, avait suscité beaucoup de commentaires du fait non seulement des fractures ethniques qu'elle donnait à voir, mais aussi en raison de son caractère assez novateur (une data visualisation de plus de 300 millions de points avec une couleur pour chaque individu en fonction de son origine ethnique). 

L'accès au site a été supprimé en janvier 2022 car cette cartographie n'était plus à jour et ne reflétait plus la manière de catégoriser l'appartenance ethnique aux Etats-Unis. Parmi les motifs mis en avant sur la page d'accueil, il y a le fait que le recensement de population de 2020 permet de disposer de données plus récentes et que cela aurait demandé des moyens importants pour refondre complètement le site. Mais les raisons plus profondes qui semblent avoir motivé cette décision semblent tenir à des évolutions dans la manière de considérer les statistiques ethniques aux Etats-Unis.

Panneau d'information affiché sur la page d'accueil de l'ancien site de la Racial Dot Map

Lors du dernier recensement de la population des Etats-Unis en 2020, 10% de la population s'est identifiée comme multiraciale contre 3% lors du recensement de 2010. La catégorie "Some Other Race" est devenue la deuxième catégorie de population la plus importante dépassant la population s'identifiant aux Noirs ou Afro-Américains. Comme mentionné sur le panneau d'affichage apposé sur la page d'accueil de l'ancienne Racial Dot Map, "la croissance dynamique de ces populations et la complexité à représenter cette diversité par des points de couleur ont rendu le modèle utilisé inadéquat". La question est bel et bien de savoir si l'on peut réduire l'appartenance ethnique à une couleur : quid des populations métissées par exemple ou des personnes ne souhaitant pas être rattachée à une identité ethnique en particulier ?

Malgré ces problèmes, on trouve encore des versions récentes de Racial Dot Map s'appuyant sur les résultats du dernier recensement : Race and Ethnicity in the US by Dot Density (Census 2020). Sur cette carte, les données ont été agrégées de manière à préserver une certaine confidentialité (1 point = 12 personnes). 


En 2021, la chaîne américaine CNN en a donné une autre version moins précise (1 point = 150 personnes), néanmoins pratique (cf accès direct par grandes villes).

Race and ethnicity across the nation (CNN, 2021)



Le Washington Post a cherché plutôt à représenter les évolutions sous la forme d'une carte par "pics" de population. La croissance rapide de certains groupes raciaux et ethniques signifie que la nation se diversifie plus rapidement que prévu.

America’s demographics are changing. How has your county shifted ? (The Washington Post, 2021)



Ben Schmidt (@benmschmidt) qui s'intéresse à "la visualisation de données pour aider les gens à réfléchir au passé des Etats-Unis", propose All of US, une application qui permet de superposer la Racial Dot Map de 2010 et celle de 2020 ainsi que les zones de redlining des années 1930.




Kyle Walker a mis à jour son projet Mapping Immigrant America, une carte interactive à densité de points de la population américaine née à l'étranger, avec les dernières données de l'American Community Survey (ACS) 2018-2022.

Mapping Immigrant America par Kyle Walker (1 point = environ 200 personnes)



La Racial Dot Map a été à l'origine de l'un des premiers billets publiés sur le blog Cartographie(s) numérique(s) en 2017. Au delà des aspects méthodologiques et éthiques qui peuvent être discutés, cette géovisualisation constituait dans les années 2010 une prouesse sur le plan technique et un modèle assez réussi de carte par densité de points (dotmap) s'appuyant sur les big data. Le site n'est plus accessible sur Internet alors qu'elle constitue aujourd'hui quasiment un document historique. C'est cette lacune que Ben Schmidt a voulu combler en permettant à nouveau d'y accéder, en donnant en outre la possibilité de la comparer avec celle de 2020.

D'autres Racial Dot Map ont depuis lors vu le jour en dehors des Etats-Unis. Celles-ci concernent des pays où la question ethnique peut également constituer un sujet sensible. Il s'agit notamment de :
  • la Mapa Racial do Brasil : elle repose sur le même principe mais prend en compte d'autres catégories (notamment les indigènes et les métis) dans un pays à fort métissage ethnique et culturel. 

  • la Dot Map of South Africa elle montre la répartition par groupes raciaux en Afrique du Sud. On peut confronter ces données à la langue parlée par chaque citoyen et aux revenus des ménages (d'après les données de recensement de 2011).

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