Cartes et données sur les élections présidentielles en Turquie (mai 2023)

 

Des élections présidentielles se sont tenues en Turquie en mai 2023, parallèlement aux élections législatives, pour élire un président pour un mandat de cinq ans. Sur une population de 84 millions, on estime qu'environ 64 millions d'électeurs ont le droit de vote, 60,9 millions en Turquie et 3,2 millions à l'étranger.

Les élections présidentielles qui ont eu lieu en mai 2023 présentaient un enjeu politique important pour le pays. Il s’agissait de savoir « si la Turquie poursuit la tendance autoritaire dont nous avons été témoins ces dernières années ou si la Turquie revient à l’État de droit » (Diploweb). Le président Erdoğan, qui se présentait pour un troisième mandat, faisait face à une contestation de plus en plus vive, sur fond de difficultés économiques et de remise en cause des libertés démocratiques. Kemal Kiliçdaroglu, principal candidat de l'opposition, a beaucoup misé sur les réseaux sociaux pour se faire connaître et, surtout, montrer la rupture avec le président sortant. 

Le 1er tour des élections présidentielles, qui a eu lieu le 14 mai 2023, a enregistré un taux de participation de plus de 88%. Le président sortant Recep Tayyip Erdoğan est arrivé sous la barre des 50% avec un score de 49,5%, suivi par Kemal Kiliçdaroglu avec 44,9% et Sinan Ogan avec 5,2%. La Turquie se dirige pour la première fois de son histoire vers un second tour de la présidentielle.

Les cartes et données sur les élections présidentielles et législatives de 2023 sont disponibles sur le site de l’agence Anadolu, qui est l'agence de presse officielle du gouvernement turc.

Candidat arrivé en tête par province au 1er tour des élections présidentielles du 14 mai 2023
(source : Wikipedia, version interactive consultable sur Anadolu)


Dans les régions touchées par le séisme de février 2023, on observe un affaiblissement du vote AKP. La base électorale du pouvoir s'effrite, mais dans une moindre mesure que prévue. Erdoğan reste solidement implanté dans une grande partie de l'Anatolie. Comme l'explique Clément Plaisant (@C_Plaisant), « c'est l'une des forces d'Erdoğan, de disposer d'un parti qui demeure une organisation efficace, et qui dispose de puissants médias. L'AKP qui, de par son fonctionnement clientéliste, dispose de réseaux qui facilitent son ancrage social... Les électeurs d'Erdoğan, confortés par des discours polarisants mais aussi par le récit des médias d’État, sont convaincus de leur affiliation partisane et idéologique. Une affiliation qui est d'ailleurs souvent centrée sur des préférences identitaires ». 

S'il n'y a pas eu de bouleversement électoral à l'échelle du pays, presque toutes les régions ont moins voté pour Erdoğan que lors de la dernière élection présidentielle de 2018 (pour une analyse détaillée, voir ce thread de Clément Plaisant). 

Candidat arrivé en tête par province à l'élection présidentielle de 2018 (source : Wikipedia)
Carte interactive consultable sur Daily Sabah 


La montée des forces d'opposition et le morcellement politique du pays étaient déjà perceptibles lors des élections municipales turques de 2019, lors desquelles l'AKP avait déjà perdu Ankara et Istanbul :

 Candidat arrivé en tête par province aux élections municipales turques de 2019 (source : Wikipedia)

La géographie du vote continue à montrer un pays divisé en deux entre :

  • la Turquie anatolienne rurale (sauf Ankara)
  • la Turquie du littoral touristique et des villes à l'ouest et au sud ainsi que la minorité kurde à l'est

Référendum en Turquie : la géographie du vote montre un pays divisé (source : Le Monde, 2017)


Le président Erdoğan a reculé dans presque toutes les régions du pays par rapport à la dernière élection présidentielle de 2018. A l'aide d'une cartographie originale par flèches proportionnelles, le New York Times montre les régions où Erdoğan a perdu le plus de voix :

« Pourquoi Erdoğan se dirige vers un second tour » (New York Times)


Même si  comparaison ne vaut pas raison, la géographie du vote reproduit en partie les inégalités économiques au sein de la Turquie. Les principaux pôles urbains (Ankara, Istanbul, Izmir) gagnés au CHP kémaliste s'opposent à la Turquie rurale, le « pays réel » qui fournit la base électorale indéfectible d'Erdoğan.

Revenu moyen des ménages par province en 2021 (source : Turkstat)



Le vote des Turcs de l'étranger (3,2 millions d'inscrits) témoigne d'un net clivage. On observe un vote majoritaire pour Erdoğan au Maghreb et au Moyen-Orient ainsi que dans une grande partie de l'Europe de l'ouest, alors que partout ailleurs c'est le candidat de l'opposition qui arrive en tête. Environ 64 % de la diaspora turque en Allemagne mais aussi en France a voté pour le président sortant conservateur Erdoğan. La diaspora turque continue en majorité à soutenir le président sortant.


Candidat arrivé en tête par pays au 1er tour des élections présidentielles de mai 2023
(source : agence Anadolu, version interactive en ligne)


Les 64 millions d'électeurs turcs étaient également appelés à choisir les 600 députés qui vont siéger au Parlement à Ankara. Le parti de l'AKP, qui remporte 267 sièges au Parlement sur 600, conserve la majorité avec son allié d’extrême-droite le MHP (les deux partis formant l'Alliance du peuple), tandis que l'Aliance de la Nation (CHP) qui forme la principale force d'opposition sera, elle, représentée par 169 députés. Quelle que soit l'issue du 2e tour, l'AKP bénéficie déjà avec le MHP d'une majorité au Parlement.


Composition en sièges du nouveau Parlement en mai 2023 (source : © Agence France Presse)


Lors du second tour des présidentielles le 28 mai 2023, le président sortant a été réélu avec 52,16 % des voix contre 47,84 % pour son opposant Kiliçdaroglu. Erdoğan est à nouveau maître de la Turquie pour cinq ans. Il a gagné contre le candidat unique des partis d’opposition, avec en prime la majorité absolue au parlement. Et cela malgré 20 ans de pouvoir, une forte inflation et les défaillances des secours lors du tremblement de terre. Le président sortant a été au pouvoir pendant 20 ans, dont 9 en tant que président et 11 en tant que Premier ministre, de 2003 à 2014. Il a été maire d'Istanbul de 1994 à 1998. Il s'agit de son troisième mandat présidentiel consécutif. La répartition des résultats par provinces est quasiment la même si l'on compare entre le 1er et le 2e tour :

Candidat arrivé en tête par province au 2e tour des élections présidentielles du 28 mai 2023 (source : Anadolu)




Comme lors du premier tour, les électeurs turcs à l'étranger ont voté en majorité Erdogan, notamment en France et surtout en Allemagne où ils constituent la plus importante diaspora (voir les commentaires de la carte sur MapPorn).

Pour qui ont voté les électeurs turcs à l'étranger au 2e tour des présidentielles ? (source : MapPorn)



« Turquie : ceux qui votent Erdoğan » (Le dessous des cartes - L'essentiel | ARTE).

« Victoire d’Erdogan en Turquie : quelles conséquences sur la scène internationale ? » (IRIS)

La victoire d'Erdoğan est un coup dur pour les partisans de l'opposition qui s'étaient ralliés aux promesses de campagne de Kiliçdaroglu, qui reposaient sur la restauration de la démocratie du pays, la protection des libertés civiles et la libération de certains prisonniers politiques les plus en vus du pays, parmi lesquels Selahattin Demirtas, le leader kurde emprisonné. En rivalité directe avec Erdoğan au premier tour des élections, Kiliçdaroglu a été conduit à adopter des thèmes nationalistes plus agressifs, notamment une rhétorique anti-immigrés ciblant des millions de réfugiés de Syrie et d'ailleurs qui se sont installés en Turquie. Bien que l'alliance d'Erdoğan ait remporté la majorité des sièges au parlement, son propre parti dépend de partenaires de coalition plus extrêmes qui s'opposent aux droits des femmes ou à une plus grande reconnaissance de la minorité kurde de Turquie et pourraient exiger des politiques qui reflètent leurs préoccupations. Erdoğan pourait ainsi être amené à durcir encore sa rhétorique.

Pour compléter

« Les quatre premières leçons des élections en Turquie » (L'Orient-LeJour)

« Turquie. Pourquoi les élections du 14 mai 2023 sont-elles cruciales ? » (Diploweb)

« Erdoğan, la tentation de l'empire » (Radio France)

« Élections en Turquie : "Erdogan est parti pour être réélu", analyse un spécialiste » (France-Info)

« Turquie : les cartes d'Erdoğan » (Le dessous des cartes, Arte)

« Géopolitique schématique de la Turquie » (Le Monde diplomatique)

Lien ajouté le 1er avril 2024

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