Cartes et données pour alimenter le débat sur les attaques de requins dans le monde


Après avoir connu une recrudescence dans les années 2015-2020, le nombre d’attaques de requins sur des humains a tendance à diminuer dans le monde en 2022. Il connaît cependant des « pics inquiétants » dans certaines régions, selon le fichier international des attaques de requins (ISAF) tenu par le Museum d'histoire naturelle de l'Université de Floride. En 2022, celui-ci a recensé 57 accidents, la plupart étant survenus aux États-Unis et en Australie. Cinq de ces attaques ont été mortelles, contre neuf en 2021 et dix l’année précédente (rapport annuel de l'ISAF). Depuis 2013, on dénombre en moyenne 74 attaques par an. Les chercheurs ne prennent en compte que les attaques dites « non provoquées », c’est-à-dire ne pouvant être attribuées à des stimulations humaines, comme la présence de lignes de pêche jetées à proximité directe de l’accident ou de poissons utilisés comme appâts par les chasseurs sous-marins. 

Les mesures prises localement par les autorités pour prévenir les blessures et les décès contribuent à cette baisse récente du nombre d'accidents. Dans les zones très à risque, la baignade est souvent interdite (ou formellement déconseillée) à certaines heures et sur certaines plages. La capture et l’élimination de requins ont aussi été mises en œuvre, à La Réunion par exemple (Wikipedia). Mais leur efficacité n’est pas démontrée. Le sujet des risques avec les requins est une problématique majeure pour la sécurité humaine et la gestion des écosystèmes marins, particulièrement dans les outre-mer où des évènements tragiques ont lieu de plus en plus fréquemment ces dernières années. Selon l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), l'objectif est de « prévenir plutôt qu'abatttre ». 

I) « Attaque de requin »  : de quoi parle-t-on ?

Une attaque de requin est un accident au cours duquel un contact physique agressif a été formellement établi entre un requin et un être humain (Wikipedia). Ce fait peut entraîner la détérioration de l'équipement, des blessures voire la mort de la victime. Les attaques de requins envers l'homme sont assez rares. Les raisons conduisant à une attaque ne sont pas toujours bien connues, en raison du manque de statistiques. Les données collectées à l'échelle mondiale permettent cependant d'avoir des informations de plus en plus fiables.

Sur les 470 espèces de requins dans le monde, 30 espèces ont été recensées comme pouvant attaquer l'homme. La grande majorité des attaques n'est représentée que par 4 espèces : le grand requin blanc, le requin tigre, le requin bouledogue, le requin océanique (voir le détail de ces espèces dangereuses sur Sharkattackfile.net). Une partie de ces attaques sont dirigées envers les embarcations elles-mêmes et non leurs occupants. En ce qui concerne les attaques sur les humains, les statistiques révèlent qu'elles se produisent en priorité sur des surfeurs, sur des nageurs et sur des plongeurs. Les attaques en bord de côte, lorsqu'une personne rentre ou sort de l'eau, sont plus rares. 

Une attaque de requin n'est pas toujours fatale. En moyenne et dans le monde, environ 10% des attaques non provoquées sont mortelles. On distingue deux catégories d'attaques : celles dites « provoquées », où certains comportements humains favorisent l'attaque, et les autres « non provoquées », dont la raison n'est pas imputable directement à un acte de la victime. La différence est fondamentale car bon nombre d'accidents avec les requins pourraient être empêchés par une meilleure connaissance du comportement de ces animaux et en évitant certaines pratiques à risque parmi lesquelles les harceler ou tenter de les pêcher, pêcher en apnée des poissons en leur présence, tenter de les nourrir pour les attirer.

II) Les bases de données disponibles

Il est difficile d'établir des statistiques fiables, dans la mesure où tous les cas ne sont pas répertoriés. L'étude précise et systématique des attaques de requins est une discipline relativement récente, qui a quelques décennies au plus. Même si les scientifiques possèdent de très anciens témoignages d'attaques de requins, il est évident que les statistiques récentes sont plus fiables que celles des siècles précédents. L'évolution des chiffres d'attaque année après année n'a guère de signification. D'une part parce que le nombre d'attaques rapporté à la population vivant à proximité des côtes est infime et d'autre part parce qu'un très grand nombre de facteurs vont influer sur la présence ou non de requins dans une zone géographique donnée. Les statistiques du XXe siècle témoignent d'une forte augmentation du nombre d'attaques, mais c'est peut-être uniquement dû au fait que les attaques sont davantage recensées. Il convient par ailleurs de prendre en compte la hausse de la fréquentation touristique balnéaire (voir ce graphique qui rapporte les attaques à la hausse de fréquentation des plages aux Etats-Unis).

International Shark Attack File (ISAF)

L'International Shark Attack File (ISAF) est une compilation de toutes les attaques de requins connues effectuée par le Florida Museum of Natural History et l'American Elasmobranch Society, une organisation professionnelle composée de chercheurs internationaux étudiant les requins et les raies. Les origines de l'ISAF remontent aux nombreuses attaques de requins documentées contre les militaires de la marine américaine pendant la Seconde Guerre mondiale. Le Shark Research Panel a lancé ce recensement dans le but de documenter de manière exhaustive les attaques sur une base historique mondiale depuis les années 1580.

La base de données de l'ISAF distingue les morsures provoquées des morsures non provoquées par l'homme, les attaques de bateau, les attaques ayant lieu dans les aquariums, les cas douteux, ceux enfin où aucune affectation n'a pu être faite (voir la typologie).

Évolution du nombre d'attaques de requins « non provoquées » depuis 1960 (source : ISAF)


Global Shark Attack File (GSAF)

La mission du Global Shark Attack File est de fournir des données actuelles et historiques sur les interactions entre requins et humains pour ceux qui recherchent des informations précises et significatives et des références vérifiables. « Les humains ne sont pas au menu des requins. Les requins mordent les humains par curiosité ou pour se défendre  ». L'objectif du Global Shark Attack File (GSAF) est de démontrer et de souligner, par le biais d'analyses médico-légales, l'importance des interactions requin/humain par rapport à la myriade de dangers auxquels nous sommes confrontés dans notre vie quotidienne. Avec une meilleure compréhension de ces interactions, nous pouvons minimiser le risque d'être blessé par un requin et nous concentrer sur la conservation de toutes les espèces de requins dans le monde. Pour les chercheurs qui ont besoin de plus de données et pour les médias, le Global Shark Attack File fournit les coordonnées directes des enquêteurs.

La base de données du GSAF (fichier à télécharger au format xls) est mise à jour à chaque nouvel incident. Les entrées de la feuille de calcul sont codées par couleur :

  • Incidents non provoqués par l'homme = brun
  • Incidents provoqués par l'homme = orange
  • Incidents impliquant des embarcations = vert
  • Catastrophes ayant eu lieu dans l'air / dans la mer = jaune
  • Incidents douteux = bleu

Australian Shark-Incident Database (ASID)

L'Australian Shark-Incident Database (anciennement connue sous le nom de Australian Shark Attack File) est considérée comme la principale source de données sur les morsures de requins en Australie. Fondée dans les années 1980, elle est basée sur les recherches initiales de David Baldridge, dont l'analyse de la base de données en 1974 a abouti au premier ouvrage concernant les interactions requin/humain. L'Australian Shark-Incident Database, anciennement connue sous le nom d'Australian Shark Attack File (ASAF), quantifie les schémas temporels et spatiaux des interactions requin-humain en Australie. Elle répertorie plus de 6000 attaques de requins remontant jusqu'en 1791, ce qui en fait la base de données la plus complète disponible en son genre. La base de données australienne sur les incidents liés aux requins est à télécharger sur Zenodo.

Pourquoi les chiffres peuvent-ils différer d'une base à l'autre ?

Bien que les organismes scientifiques collaborent de plus en plus pour effectuer leurs enquêtes et leurs recherches, les classifications peuvent différer. Par exemple, l'ASID ne compte pas les morsures de requins qui se produisent hors de l'eau (accidents de pêche), contrairement à l'ISAF. Si elle ne compte pas non plus les incidents où les victimes n'ont pas été blessées, elle répertorie en revanche ceux où l'équipement porté ou tenu a été endommagé. L'ASID inclut tous les incidents de chasse sous-marine, tandis que l'ISAF considère uniquement ceux provoqués par les poissons blessés qui peuvent attirer les requins. 

III) La cartographie des attaques de requins dans le monde

On trouve de nombreux exemples de cartes recensant les attaques de requins dans le monde, élaborées en général à partir des bases de données présentées ci-dessus. L'ISAF propose par exemple une carte des attaques depuis 1580. Celle-ci n'est pas sans poser des problèmes de lecture et d'interprétation : la même donnée est représentée deux fois (en figurés ponctuels et en aplats) ; la taille des cercles proportionnels n'est pas indiquée en légende ; les données anciennes peuvent être soumises à caution ; les données sont agrégées par pays alors qu'il s'agit d'accidents ne concernant en général que les régions côtières.

Nombre d'attaques de requins confirmées depuis 1580 (source : ISAF)


L'ISAF propose par ailleurs une carte interactive qui permet de documenter les attaques par espèces de requins et par types d'accidents (mortels ou non) depuis 1900 :

Carte interactive des attaques de requins « non provoquées » par l'homme depuis 1900 (source : ISAF)


Les États-Unis, et plus particulièrement la Floride, sont l'un des lieux où statistiquement il y a le plus d'attaques de requins. Ce fait est à mettre sur le compte du nombre important de baigneurs et de la proximité des squales, qui augmente d'autant la probabilité d'une rencontre, et donc le risque d'une attaque. Il y a également le fait que cette région, ainsi que quelques autres, font l'objet d'une surveillance et d'un suivi particulièrement minutieux, contrairement à d'autres où les attaques ne sont pas répertoriées. L'Australie est également très touchée du fait de la proportion importante de  population vivant en bordure des côtes, de la présence simultanée de trois espèces de requins les plus dangereuses, de la pratique régulière des activités nautiques et de pêche. Elle a récemment mis en place des protocoles de sécurité rigoureux sur les plages. Les côtes de l'Afrique du Sud, de La Réunion, de la Nouvelle-Zélande, de la Thaïlande et du Brésil sont également concernées, mais aussi celles de la Méditerranée et de la mer Rouge, bien que dans une moindre mesure.

En contrepoint, voici une carte destinée à faire prendre conscience que le nombre de requins victimes de l'homme est beaucoup plus important que l'inverse. La carte a été conçue par Branden Rishel (Cartographers without borders). Elle a beaucoup circulé sur Internet et sur les réseaux sociaux. Dans la même veine, on trouve une infographie impressionnante de Joe Chernov et Robin Richards. Au delà de la dimension sensibilisation, ce type de représentation est susceptible de ramener le problème à l'opposition homme/requin alors qu'il s'agit de repenser les interactions entre les deux.

« Requins versus humains : qui tue vraiment qui ? » (source : Cartographers without borders, 2014)



« Tout est question de point de vue : le monde vu par les requins (squalophobes s'abstenir) » par Nicolas Lambert (extrait de l'Atlas Mad Maps).

D'une manière générale, le nombre de requins dans les océans du monde a diminué, ce qui a peut-être contribué à la baisse relative du nombre d'attaques. L'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a constaté qu'environ 37 % des espèces de requins et de raies étaient menacées d'extinction en 2021, contre 33 % en 2014. Le changement climatique, la perte d'habitat et la surpêche sont considérés comme étant à l'origine du déclin de la population de requins. Mais la perception locale du risque requin ne correspond pas aux statistiques mondiales. Les médias contribuent souvent à promouvoir la peur et les idées fausses sur les requins.

Le site Ocearch Shark Tracker permet de suivre la trace GPS de différentes espèces de requins. On peut ainsi comparer leurs traces de navigation. Le requin, un grand blanc nommé "Breton", a été équipé en 2020 d'un traceur GPS par les chercheurs. On peut le suivre sur le site d'Ocearch. Il dessine quasiment son autoportrait à travers les traces GPS enregistrées sur plusieurs mois. C'est un peu le fruit du hasard du fait que les traces sont intermittentes.

IV) Analyse des attaques de requins à La Réunion

Les attaques de requins ont été particulièrement nombreuses à La Réunion, malgré une baisse récente (voir les chiffres). L'approche statistique ne suffit pas à rendre compte de tous les enjeux sociaux, économiques, politiques, environnementaux de ce que l'on a pu appeler la "crise requin" qui a profondément impacté l'île de La Réunion. Celle-ci engage à la fois des pratiques et des représentations ; elle met aux prises différents acteurs qui n'ont pas la même vision et sont partagés sur les solutions à apporter. Encore aujourd'hui, la préfecture interdit la baignade, le surf et le bodyboard dans une bande de 300 mètres du littoral (sauf dans le lagon et les endroits aménagés). Cet arrêté, mis en place en 2013 en pleine crise requin, est prolongé chaque année.



Préparation et mise en oeuvre d’un débat argumenté en Education Morale et Civique (possibilité d'adapter en géographie et en SVT)

  1. Identifier les acteurs impliqués dans la « crise requin » à partir du documentaire de Réunion la 1ère ("Attaques de requins à la Réunion : l'enquête")
  2. Pour l’acteur que vous avez choisi, indiquer les actions qu’il conduit, ses représentations et ses interrelations avec les autres acteurs. Classer les arguments avancés en vue de préparer un débat argumenté (jeu de rôle)
  3. Chercher les règles du débat argumenté et ce qui le distingue du débat d’opinion. 
  4. A quels thèmes de l’Education Morale et Civique (EMC) on peut rattacher ce débat ? (voir liens Internet sur le site education.gouv.fr)
  5. Compléter par des recherches sur Internet. Préciser le degré d’implication (directe ou indirecte) de votre acteur dans la crise ainsi que les échelles géographiques auxquels se situent ses interventions (voir la matrice CAPE proposée sur la fiche « débat en jeu de rôle »). Préciser s’il s’agit d’un acteur public/privé, individuel/collectif, fort/faible, intérieur/extérieur par rapport à la crise…
  6. Rédiger une synthèse permettant de classer et hiéarchiser les arguments en vue du débat. L’objectif n’est pas de savoir qui a raison, mais quelles sont les représentations de l’autre. Le but est de confronter les points de vue pour trouver des pistes de solutions communes (objectif : identification des plages de consensus et de dissensus entre acteurs dans une approche systémique).

Question posée pour lancer le débat argumenté

Comment trouver des solutions face à la « crise requin » / au « risque requin » à La Réunion ? (deux clés de lecture à différencier mais qui peuvent se croiser, l'une concernant plutôt les conflits d’acteurs, l'autre plutôt orientée vers la gestion/protection face au risque).

Pour introduire le débat :

L’île de la Réunion a connu 16 attaques de requins entre 2011 et 2015 dont 6 mortelles. On constate une surreprésentation dans la zone ouest de la Réunion où se concentrent les activités balnéaires et où a été implantée l'aire de protection marine. Les principales victimes sont les surfeurs mais la crise concerne tous les usagers de la mer, y compris les plongeurs et les pêcheurs. Des études scientifiques ont été conduites, des mesures ont été prises par les autorités administratives. Les points de vue divergent sur les solutions à apporter à cette crise. Les autorités locales souhaitent donner la parole aux différentes catégories d’acteurs (surfeurs, pêcheurs, scientifiques, politiques, écologistes...) pour connaître leur position et les solutions qu’ils proposent. 

Préparation et mise en oeuvre du débat

Chaque groupe d’acteurs dispose de 30 mn pour rassembler ses arguments avant le débat. Le débat s’organise de la manière suivante :

  • Tour de table où chaque groupe expose en 5 mn sa position générale par rapport au problème ;
  • Débat contradictoire (45 mn) permettant de confronter les arguments ;
  • Proposition de solutions (10 mn par groupe) de manière à répondre à la question posée. Si besoin, laisser à nouveau un temps de concertation pour que chaque groupe puisse revoir un peu ses arguments à la lumière de ceux des autres.

L’animateur du débat présente le sujet, veille à la distribution et au respect du temps de parole, recentre le débat si besoin.

Les débatteurs donnent leur point de vue, organisent leurs arguments, précisent leurs points d’accord ou de désaccord par rapport aux autres acteurs. Compétences attendues : savoir écouter l’autre, savoir défendre un point de vue contradictoire, savoir convaincre. Prise de note à chaque étape des échanges pour garder une mémoire du débat. Synthèse des arguments dans le tableau ci-dessous qui devra être complété et rendu à l’issue de la séance.

Tableau de synthèse permettant de croiser les points de vue et de discuter les solutions

Acteurs

 

Position générale

Points d’accord ou de désaccord avec les autres acteurs

Solutions proposées

Surfeurs

 

 

 

 

Pêcheurs

 

 

 

 

Scientifiques

 

 

 

 

Politiques

 

 

 

 

Ecologistes

 

 

 

 

Autre(s)

acteur(s) ?

 

 

 

 



La crise requin, un conflit de représentations avant tout ? Les acteurs en présence dans la crise requin
(source : Emmanuelle Surmont, Géoconfluences, 2014)



Liens à consulter sur Internet

Attaques de requins à la Réunion : débat en post diffusion (Réunion La 1ère

Attaques de requins à la Réunion (Wikipédia)

Organiser un jeu de rôle en classe sur la "crise requin" à la Réunion  (Géoconfluences, 5 septembre 2016) 

Emmanuelle Surmont, Peur sur les plages. Du "risque requin" à la "crise requin" à La Réunion (Géoconfluences, 30 avril 2015)

Attaque de requins à la Réunion : rejeu de la « crise requin » ? (Géoconfluences, 31 août 2016)

Les débats en jeu de rôle en géographie (Réseau d'éducation à l'environnement)

A la Réunion, la "crise requin" sème la discorde (Histgeobox)

Le requin, l'île et les surfeurs (France Ô, 20 avril 2014)

L'île aux requins - Carnet de voyage d'Envoyé spécial (7 août 2014)

La Réunion : une île à requins - Présentation de Jean François Nativel (3 avril 2015)

La BD qui prend la défense des requins de La Réunion (Mister mondialisation)

Crise requin : la fréquentation touristique de La Réunion diminue au fil des attaques (Réunion La 1ère, février 2014)

Comment la « crise requin » à La Réunion s’est transformée en une crise identitaire (Slate, août 2014)

Les réserves marines en cause dans la crise requin ? (Les Nouvelles Calédoniennes, Mars 2023)

La Réunion : trois ans sans attaque de requin, mais « le risque est toujours là » (Libération, février 2023).

Les requins disparaissent des récifs coralliens (France Culture). Lien vers l'étude scientifique.


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