La carte, objet éminemment politique. L'Argentine et sa carte officielle bi-continentale

 

1) Des usages politiques des cartes officielles

Pour chaque pays, la délimitation officielle des frontières constitue une affaire sérieuse et relève de dimensions tout à la fois juridiques et politiques. L'Argentine est un cas intéressant dans la mesure où elle se revendique comme un État bi-continental. Sa carte officielle fait apparaître un territoire qui s'étend de l'Amérique du Sud jusqu'au Pôle sud sur le continent antarctique. Bien que l'Antarctique ne puisse en principe appartenir à aucun Etat, l'Argentine joue sur le fait qu'elle possède une très grande ZEE qu'elle a encore agrandie en 2016 avec la reconnaissance de son extension à partir du plateau continental.

Carte officielle bi-continentale de l'Argentine (source : © Instituto Geographico Nacional)



Depuis 2010, avec la promulgation de la loi 26 651, l'utilisation de cette carte bicontinentale est rendue obligatoire « à tous les niveaux du système éducatif ainsi que son affichage public dans toutes les agences nationales et provinciales ». Voici comment la mesure est justifiée sur le site de l'Instituto Geographico Nacional (qui dépend directement du Ministère argentin de la Défense) :

« L'initiative est née parce que les cartes d'usage courant minimisaient l'extension de notre pays, attaquant notre identité et nos droits légitimes sur les territoires antarctiques. Le projet de loi approuvé montre l'Antarctique argentin jusqu'à la Grande île de la Terre de Feu, avec ses limites réelles. Nous formons ainsi les générations futures en leur montrant l'immensité et la richesse du territoire que nous possédons ».

Si on compare cette carte officielle avec d'autres cartes que l'on trouve habituellement sur l'Argentine, la principale différence est que toutes les parties des continents américain et antarctique sont représentées sur la même carte, en continuité, avec la même projection et à la même échelle. Sur d'autres cartes, la partie principale est en général la partie américaine et l'Antarctique apparaît dans un encadré à part ou n'apparaît pas du tout. Les deux parties peuvent alors avoir des projections ou des échelles différentes. 

Il faut dire que le Chili revendique aussi une part de l'Antarctique, même si la plupart des pays au monde ne reconnaissent pas non plus ces revendications. Les territoires revendiqués en Antarctique par l'Argentine, le Royaume-Uni et le Chili se chevauchent et sont sources de tensions diplomatiques, voire d'escarmouches. La guerre des Malouines (îles Falklands) qui s'est déroulée en 1982 s'est inscrite dans ce contexte de rivalités politiques et militaires dans l'Atlantique sud.

Carte tricontinentale du Chili avec ses revendications territoriales en Antarctique (source : Wikipedia)



Comme le montrent Jorge Negrete Sepulveda et Sébastien Velut dans leur article Chili, Argentine : si près, si loin, « bien que le traité de 1952 ait mis sous le boisseau les revendications territoriales sur le continent antarctique, les deux pays conservent une attitude déterminée, jusque dans leurs délimitations territoriales : la province chilienne de l’Antarctique est une entité administrative de plein droit qui inclut également l’île de Navarino, au sud du canal de Beagle ; symétriquement, le nom complet de la province argentine de Terre de Feu est "province de Terre de Feu, îles de l’Atlantique sud et Antarctique". Chacun entretient la fiction d’un espace national se prolongeant jusqu’au pôle Sud ». 

Au Chili, on dit par plaisanterie qu'il n'y a pas « plus dangereux qu'un Argentin dessinant une carte ». Le pays qui a connu des rivalités frontalières avec l'Argentine ne va cependant pas jusqu'à imposer une carte officielle. En Argentine en revanche, « une carte qui conteste la version officielle est considérée comme illégale car elle peut être "préjudiciable à la souveraineté nationale et en violation flagrante de la loi n° 22 963". Voir l'exemple de cet d'atlas déclaré non conforme par l'IGN argentin du fait qu'il donnait une représentation du pays sans la partie du continent antarctique.

Pour certaines communautés engagées dans la cartographie critique, ces cartes jouent le rôle d'artefact politique. Elles participent de l'affirmation d'un pouvoir politique et territorial et contribuent à diffuser la vision d'un pavage politique, y compris dans les océans. 

Pour Marc Fourches, « la carte, en cherchant à définir les confins territoriaux de la nation, se met donc au service de l’imaginaire du nationalisme [...]. En septembre 2018, un timbre a été émis en Argentine pour célébrer le plateau continental argentin. Ce timbre reprend la carte qui avait été incluse dans le dossier soumis par l’Argentine en 2009. Elle intègre également la revendication sur une partie de l’Antarctique, en conformité avec les principes qui ont présidé à la confection de la carte dite bicontinentale, rendue obligatoire dans le système éducatif depuis 2010. Instrument privilégié de déploiement du nationalisme territorial, la carte, avec les limites qu'elle représente et les distances qu'elle indique, façonne les représentations. Cette nouvelle carte bicontinentale apporte un changement considérable dans la perception que le lecteur peut avoir de la place de l’archipel. Il se situe pratiquement au milieu de la carte. La centralité physique des îles Malouines reflète la centralité de la question dans le nationalisme territorial argentin » (source : Les îles Malouines entre le Royaume-Uni et l’Argentine : construction et déconstruction d’une frontière, 2020).


2) Cartes et données à télécharger

Fonds de cartes scolaires 

Cartes scolaires dont l'usage est prôné par le Ministère argentin de l'Education :
Fonds de cartes SIG 

Les couches SIG sur le Chili sont disponibles en téléchargement sur le site de la Biblioteca del Congreso Nacional del Chile. Les couches cartographiques se limitent à la représentation classique du Chili (sans l'Antarctique).

Les couches SIG sur l'Argentine sont disponibles sur le site de l'Instituto Geographico Nacional

Le jeu de données, directement téléchargeable dans Arcgis ou Qgis, fait apparaître la carte officielle de l'Argentine dans l'idée de contribuer à sa diffusion au sein du pays et à l'échelle internationale. La partie en bleu correspond à la ZEE et à son extension à partir du plateau continental ; elle permet de faire apparaître un territoire continu jusqu'au pôle Sud (à comparer à la précédente carte officielle qui n'intégrait pas l'extension du plateau continental). 


Depuis 2007, l'IGN argentin a adopté la projection POSGAR 07 (Positions géodésiques argentines 2007) « dans le but de tendre vers un géoréférencement univoque sur l'ensemble de la République argentine ». Cette projection nationale est présentée très habilement comme « conforme aux recommandations internationales en vigueur et aux objectifs proposés par la Résolution de l'Assemblée Générale des Nations Unies Référentiel Géodésique Global pour le Développement Durable (A/RES/69/266) du 26 février 2015, établissant un cadre de référence géocentrique unique pour l'ensemble du territoire national qui permet de réaliser des activités telles que la cartographie ; l'exécution des travaux de génie civil ; la détermination des cadastres ; la prospection d'hydrocarbures; la navigation terrestre, maritime et aérienne ; l'utilisation des ressources naturelles et l'étude des phénomènes naturels associés au changement climatique et d'autres domaines d'intérêt pour les sciences de la Terre. POSGAR 07 constitue la matérialisation sur le territoire national du référentiel géodésique international IGS05 et de sa densification régionale SIRGAS, adoptant l'ellipsoïde de référence WGS84 ». En d'autres termes, il s'agit d'une projection proprement nationale, mais facilement transformable en coordonnées standards au niveau international, ce qui permet de ménager les susceptibilités de part et d'autre. 

En complément, voici une très belle carte de l'Argentine représentée comme au centre du monde avec une projection zénithale équidistante centrée sur Buenos Aires :

Carte de l'Argentine en projection zénithale par le Service d'hydrographie navale de l'Argentine, 1975
(source : r/argentina)



3) Accès aux cartes par des visualisateurs en ligne

Le site de l'Instituto Geographico Nacional propose plusieurs outils de visualisation en ligne (webmapping) permettant de consulter directement les cartes : 
En complément : 

Lien ajouté le 9 septembre 2022


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