Cartographie radicale. Explorations. Par Nepthys Zwer et Philippe Rekacewicz. La Découverte, 2021.
https://www.editionsladecouverte.fr/cartographie_radicale-9782373680539
L'ouvrage montre qu'il existe une place légitime pour la cartographie alternative. A travers des exemples bien choisis, les deux auteurs cherchent à explorer les voies possibles de cette "cartographie critique, radicale ou expérimentale", en marge du pouvoir et destinée à (re)donner du sens critique et du pouvoir d'agir aux simples citoyen.nes.
Présentation de l'ouvrage
Il est des cartes qui disent non. Des cartes radicales, qui dévoilent et dénoncent, qui protestent. Pour comprendre ces cartes rebelles, leur fonctionnement, leurs forces, leurs possibilités, ce livre entreprend un voyage d’exploration au cœur de la création cartographique. Que se passe-t-il exactement quand nous élaborons une carte, qu’elle soit radicale, expérimentale (on parle aussi de cartographie critique ou de contre-cartographie) ou conventionnelle ? Quelles intentions président à sa fabrication et à sa mise en oeuvre ?
La première fonction des cartes est de nous aider à nous repérer dans l’espace et à nous déplacer d’un point à un autre. Elles permettent aux bateaux de naviguer et aux avions de voler. Avec des cartes, on fait la guerre, puis éventuellement la paix. Elles sont aussi de formidables machines à rêves, qui façonnent notre image du monde, en fixent la mémoire et finissent par fabriquer notre réalité. Qu’est-ce qui motive cet acte très particulier de mise en forme symbolique du monde, de Strabon à l’anarchiste Élisée Reclus, de la bénédictine Hildegard von Bingen à l’explorateur Alexander von Humboldt, des portulans à la carte d’état-major ? Quelle part de fantaisie créatrice, quelle part de fantasme faustien d’une possible maîtrise de notre environnement, quelle part de sincérité scientifique sont-elles à l’oeuvre ?
Entre l’émergence de la cartographie thématique audacieuse de l’ingénieur Charles-Joseph Minard, ou celle des designers d’information Otto et Marie Neurath, et l’approche sémiologique conceptuelle de Jacques Bertin, se situe un point de rupture avec les conventions de la représentation cartographique. Un point libérateur qui a ouvert le champ de l’expérimentation et rendu possible la démocratisation des cartes. Autour des années 1900, le sociologue W.E.B. du Bois et son équipe inventaient de nouvelles façons graphiques de représenter des données statistiques sur la situation des personnes noires aux États-Unis. Quelque soixante ans plus tard, c’était pour dénoncer le même racisme culturel et économique qu’un petit institut de géographie de Détroit, animé par William Bunge et Gwendolyn Warren, donnait ses contours à ce qui deviendra la géographie radicale : une géographie engagée.
Alors, le rapport à l’objet carte change. S’opère une prise de conscience quant à son usage et à ses possibilités. La cartographie radicale va spatialiser les données économiques et sociales, produire des cartes délibérément politiques qui montrent et dénoncent les situations d’inégalités de vie et de droits, les compromissions politico-économiques, les accaparements de terres, la destruction des milieux par l’agro-industrie, la pollution de la planète et tout ce qui hypothèque, d’une façon ou d’une autre, le bonheur et l’avenir de l’humanité. Les cartes, qui jouent traditionnellement le jeu du pouvoir, se font outils de la contestation et instruments d’émancipation politique et sociale quand la société civile se les approprie. Politique, art et science entrent alors en dialogue permanent pour proposer une image non convenue et libre du monde.
Cartographie radicale ou cartographie alternative ?
La réflexion conduite dans cet ouvrage se veut une approche plutôt qu'une définition de cette cartographie critique, radicale ou expérimentale. Cette nouvelle façon de concevoir les cartes constitue, même si elle la bouscule un peu, un prolongement de la cartographie conventionnelle. Cette dernière revendique un statut de science exacte, s'appuyant sur des données réputées fiables, et croit produire des images neutres et fidèles de la réalité. Au mieux, ces cartes s'approchent le plus près de la réalité du terrain, en le représentant le plus fidèlement possible, ce qui les rend absolument nécessaires : il faut pouvoir se déplacer, se repérer d'un point à un autre, il faut que les avions puissent voler, que les bateaux puissent naviguer. La cartographie alternative se veut plus modeste, car elle questionne en permanence les données et les informations dont elle se nourrit, et surtout assume - et revendique même - sa nature subjective : les images cartographiques ne sont que des visions, des interprétations du réel.
C'est bien en imaginant ces nouvelles approches, en se hasardant à inventer de nouvelles formes, en bravant les contraintes techniques et surtout en osant défier, voire pervertir les conventions, que la cartographie fait émerger une réflexion alternative riche. Non seulement elle produit un savoir nouveau sur le monde, mais elle instaure aussi un autre rapport à la connaissance. Car, le savoir "politique" des simples citoyennes et citoyens subissant diverses formes d'aliénations sociale, économique et politique, devient un outil d'émancipation sociale quand il prend la forme d'une carte. Même si elle semble de prime abord moins engagée, la carte sensible qu'une personne produit sur sa propre vie ou ses propres émotions, actionne les mêmes ressorts de la prise de conscience et d'une confiance en soi.
Table des matières
Prologue
1. Quel monde !
Dess(e)ins
Le spectacle du monde
Trois concepts
Distorsions
2. La face du monde
Un monde systémique
Circulations
Cartographier la complexité
3. La carte comme volonté
Le geste cartographique
La plume et le pouvoir
Transformer l’espace
Les cartes « si »
4. Sous la carte
La liberté des cartographes
Science, com’ ou propagande ?
5. La fabrique du monde
La réalité par les cartes
Où sont les femmes ?
6. L’autre regard
Pourquoi faire autrement ?
Contre-cartographier
Une affaire de polis
7. Géométries. Le laboratoire
Une science des formes
Élaborations
8. De l’art
Le musée aime les cartes radicales
L’objet du débat
L’art de la carte
Épilogue
Annexes
Pour en savoir plus
Quelques informations sur le contenu du livre "Cartographie radicale. Explorations" aimablement portées par France culture et Olivia Gesbert
— Visions carto (@visionscarto) November 18, 2021
L'historienne Nepthys Zwer et le géographe Philippe Rekacewicz parlent de leur ouvrage.https://t.co/77HQx9O7bo pic.twitter.com/b5uZzjKjRa
Visionscarto revient sur l'histoire de Fitzgerald où Gwendolin Warren et William Bunge ont mené leurs expéditions cartographiques radicales. Par Nepthys Zwerhttps://t.co/PKdkqWuAAZ
— Visions carto (@visionscarto) September 27, 2021
On en parle dans « Cartographie radicale : explorations » La Découvertehttps://t.co/vFnkcZoxrD pic.twitter.com/9Bn1A9APa1
Nepthys Zwer, co-autrice de l'ouvrage "Cartographie radicale", appelait à ce que nous nous attribuons cette faculté de contribuer à la construction de la réalité via la cartographie sur @publicsenat🗺️@guillaumeerner
— Éditions La Découverte (@Ed_LaDecouverte) April 5, 2022
À (re)voir ici⤵️https://t.co/2s5WRTJjYB pic.twitter.com/tQeMmlrnkU
Contre-cartographie de l'ODD 5 (égalité des sexes) pour lutter contre la violence à l'égard des femmes dans les favelas de Maré à Rio de Janeiro
— Sylvain Genevois (@mirbole01) May 18, 2024
Carte montrant les connaissances des résidentes du territoire en matière de violence, de sécurité et de pouvoirhttps://t.co/x0grhbX3OO pic.twitter.com/KfpQrMWd3P
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