La carte, objet éminemment politique : La Pachamana en base de données


« La Pachamana en base de données. Géographie politique de l’information environnementale contemporaine ». Par Pierre Gautreau. Éditions de l’IHEAL, 2021.
http://books.openedition.org/iheal/9362


L'ouvrage de Pierre Gautreau qui vient de sortir en open access aux éditions IEHAL ouvre des pistes de réflexion sur la géographie politique de l'information environnementale et sur la cartographie numérique dans ses rapports avec le pouvoir. En exergue, l'auteur prend l'exemple du projet Mapbiomas conduit par Tasso Azevedo visant à cartographier les biomes au Brésil. Le projet collaboratif repris par Google Earth Engine dès 2017 change assez vite de nature et témoigne des ambivalences de la cartographie numérique entre pouvoir et information.

Au delà du terrain d'étude qui n'est pas neutre - l'Amérique du sud et le Brésil étant marqués par de fortes tensions politiques, l'auteur aborde la question générale de l'information géographique (environnementale) et de ses usages à des fins politiques. Le chapitre 7 part notamment des travaux critiques de Pickles (1995), Harley (2002), Crampton & Krygier (2006). Pierre Gautreau remet en question l'idée que les cartographies « participatives », « autochtones », « radicales », « de résistance », « du quotidien », correspondant à une subversion de fait de la cartographie officielle, seraient intrinsèquement liées à sa contestationPour lui, cette proposition procède d’une confusion entre critique des dominations et critique de la cartographie. Ces cartographies « autres », observées de près et dans leurs matérialités, innovent peu par rapport aux modes conventionnels de construction des cartes.

L'auteur regroupe les reproches adressés à la cartographie critique autour de six critiques : la focalisation sur le produit fini, le goût pour l’étude des cartes qui marchent, le goût pour les grands récits cartographiques, un objet de recherche déconnecté d’enjeux spécifiques, leur isolement disciplinaire dans un "delta intérieur", enfin et surtout le fait que "trop de cartographes critiques pèchent par manque de parcimonie dans leurs démarches, en postulant trop rapidement des effets sociaux et politiques de la carte". Cette critique de la cartographie critique ne manquera pas de susciter débats et commentaires parmi les géographes, les cartographes et au delà...

Résumé 

Qu’on le déplore ou non, notre rapport au monde biophysique est désormais fermement médiatisé par la mesure et les données numériques. Véritable Janus, cette information dite « environnementale » nous contraint autant qu’elle nous libère et fait l’objet de controverses brûlantes. Vecteur de démocratisation là où elle permet aux populations de connaître les risques qui les concernent et de participer aux décisions environnementales, elle s’avère dangereuse lorsqu’elle renforce des situations de domination sociale, ou appauvrissante quand elle réduit notre compréhension du monde vivant à quelques variables chiffrées. Incapable de représenter la complexité de ce vivant et du rapport que tissent avec lui les humains, elle connecte autant qu’elle marginalise les êtres et les choses. Les enquêtes sud-américaines de cet ouvrage explorent ce que le numérique change aux façons contemporaines d’appréhender les problèmes environnementaux, à travers des récits qui racontent plusieurs tentatives de « mise en bases de données » de la nature au XXIe siècle. De la Pachamama andine au symbole global amazonien, des luttes populaires pour le droit à l’information aux velléités de régulation à distance de l’agrobusiness, des controverses sur la standardisation de nos rapports au vivant aux quêtes de souveraineté informationnelle, c’est à un bilan politique nuancé et complexe que le lecteur est convié.

Disponible en open access, l'ouvrage peut être lu par chapitre ou dans son intégralité.
http://books.openedition.org/iheal/9362

Table des matières (voir détail sur le site de l'éditeur)

Première partie. La vie des données environnementales sous l’Anthropocène : quatre contes sud-américains

  • Chapitre I – Pourquoi la Bolivie n’a-t-elle pas pu mettre la Pachamama dans une base de données ?
  • Chapitre II – Un géant informationnel parmi les émergents : portrait en pixels du Brésil
  • Chapitre III – Le printemps du droit à l’information environnementale
  • Chapitre IV – L’agrobusiness dans les filets de l’information environnementale : vingt ans de cache-cache

Deuxième partie. Information environnementale et pouvoir : un bilan des (mé)connaissances

  • Chapitre V – L’information environnementale, une brève histoire (1970-2020)
  • Chapitre VI – Quelques jalons sur les rapports entre information environnementale et pouvoir
  • Chapitre VII – Une géographie politique de l’information environnementale a-t-elle de quoi nous apprendre ?

Troisième partie. La dimension politique de l’information environnementale en quatre débats inachevés

  • Chapitre VIII – Pour une interprétation plus réaliste du partage : l’open data environnemental pour quoi faire ?
  • Chapitre IX – La souveraineté informationnelle environnementale a-t-elle encore un sens aujourd’hui ?
  • Chapitre X – La nature modelée par l’information ?
  • Chapitre XI – La justice informationnelle, chantier ouvert