Interview de Philippe Rekacewicz sur la cartographie et le métier de cartographe


Invité par Cédric Ridel, professeur d'histoire-géographie, le cartographe Philippe Rekacewicz est venu faire une conférences et conduire un  atelier cartographique en janvier 2019 au lycée international Marguerite Duras d’Ho Chi Minh Ville. A l’occasion de sa venue au lycée, il a bien voulu répondre aux questions de deux élèves de Terminale, Abin et Van concernant la cartographie et le métier de cartographe. 


Voici quelques verbatims extraites de son interview :

« La carte a toujours été pour moi un objet de fascination pendant très longtemps… » (1’53)

« Dans les cours de géographie à l’université où il y a de la cartographie, j’ai tout de suite compris la puissance formidable de la carte comme outil du géographe, comme outil pour exprimer sa vision géographique. On peut écrire des textes, on peut écrire des poèmes, on peut faire de la poésie, de la littérature, écrire des narrations, mais vraiment dessiner la carte, cette rencontre entre la science, la géographie, l’explication des territoires, ça ouvrait des possibilités infinies et j’ai tout de suite compris qu’il y avait là un domaine extrêmement riche à explorer… » (4’40)

« Mon premier outil en tant que cartographe, c’est ma tête, mon cerveau. C’est étonnant de dire cela comme ça. La cartographie, il faut la considérer comme une discipline où on raconte des histoires. Pour dessiner et créer une carte, il faut avoir des intentions… Est-ce qu’une carte peut montrer les injustices, par exemple la géographie des pays discriminés et celle des pays non discriminés ? Après on va rechercher des données… » (5’40)

« Ensuite comme deuxième outil pour exprimer ses idées, on a des crayons et des feuilles de papier.  De la carte mentale à la carte papier, on va dessiner les formes, la symbolique, on va dessiner en fait nos idées. » (8’07)

« Le troisième outil, c’est celui qui va vous permettre de réaliser votre rêve cartographique, c’est l’ordinateur, les logiciels, éventuellement vous pouvez dessiner avec de l’aquarelle, avec du pastel gras, avec de la gouache… » (8’20)

« Vous avez des cartographes qui sont aussi des artistes qui font des cartes en 3D, qui font des installations, qui font même des cartes dans les champs en coupant l’herbe, ou avec de la glace, du cuir, du fer ou du métal, qui font même des pièces de théâtre cartographique. » (8’40)

« Pour réaliser une carte, il me faut entre un jour... et trois ans. Si on veut être un observateur ou une observatrice du monde actuel, il faut le temps d’observer comment le monde se transforme… Il faut plusieurs années pour faire la carte de transformation d’un paysage urbain par exemple ou pour voir les transformations d’un terminal d’aéroport. » (9’30)

« Je ne parle pas du plagiat lorsqu’on recopie la carte d’un manuel en changeant les couleurs… C’est en moyenne deux ou trois jours pleins de travail pour réaliser une carte complète. La cartographie est une discipline qui est assez chère finalement, c’est une discipline qui est très lente avec des étapes qui ne se font pas très rapidement. » (11’50)

« Il est impossible de produire une “cartographie innocente”. La carte, c’est résolument une vision, une interprétation du monde. Il est impossible que ce soit autrement. Le choix d’une couleur est subjectif… Un simple trait rouge peut exprimer le danger, l’interdit ou la peur par exemple. Un trait bleu peut exprimer quelque chose de plus positif, de plus serein, un accord de coopération par exemple. » (12’10)

« Tout est une question de choix. Il n’y a pas de manière neutre de représenter le monde, en particulier dans les endroits où il y a des désaccords entre les pays, et il y en a des milliers. Comme on vit dans des pays délimités par des frontières, où les pays sont souverains sur leurs territoires, les désaccords sont nombreux. » (13’30)

« Il est impossible de faire de la cartographie sans prendre parti, ce qui fait de la cartographie une discipline éminemment géopolitique. » (18’28)


Philippe Rekacewicz

Collaborateur du Monde Diplomatique et de sa rubrique cartographie jusqu'en 2014, Philippe Rekacewicz s'intéresse aux rapports entre cartographie, art, science et politique. Il mène aussi divers projets liés au mouvement de la « cartographie radicale ». Outre sa participation régulière au Festival international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges, il coanime le site Visionscarto.net avec Philippe Rivière.