Jouer avec les stéréotypes en géographie, est-ce les renforcer ou aider à comprendre le monde ? Exemple avec les dessins de John Atkinson


Le point de départ de cette réflexion nous est fourni par un billet que nous avons publié en avril 2019 et qui concernait la carte du monde selon Polandball. L'utilisation conjointe de la cartographie et de la bande dessinée satirique nous invitait à interroger le rôle des stéréotypes dans l'enseignement de la géographie. Comme toute forme de représentation, la carte a tendance à simplifier, à réduire les visions du monde et à véhiculer des préjugés. A fortiori lorsqu'on utilise des cartes ou des images produites par des dessinateurs qui aiment manier l'humour et la caricature. 

Très récemment nous avons fait la découverte des dessins de John Atkinson sur le site Wrong Hands.

John Atkinson, qui vit Ottawa, est dessinateur et caricaturiste. Ses dessins qui parlent des médias sociaux, de l'histoire, de la culture populaire, du monde en général, rencontrent un certain succès aujourd'hui (plus de 5 millions de visiteurs sur son site). L'auteur aime jouer avec les mots aussi bien qu'avec les images. Son blog "Wrongs hands" est un jeu de mots : quand quelque chose « tombe entre de mauvaises mains », on ne sait jamais comment cela peut être perçu ou interprété (allusion à notre manière de voir différemment le monde). En plus, alors qu'il est gaucher, l'auteur dessine tous ses dessins directement sur ordinateur avec la main droite.

Un certain nombre de ses caricatures peuvent être utilisées comme point de départ pour interroger nos stéréotypes en géographie :

Carte du monde xénophobe (source : ©John Atkinson, Wrong Hands)


Ce dessin permet d'aborder la question des découpages du monde, leur caractère arbitraire dans un monde de plus en globalisé. Sans compter l'allusion en légende aux "étrangers" qui montre que notre vision du Monde est directement liée à notre vision de l'Autre. Avec la mention surprenante des pingouins sur le continent antarctique qui nous ramène à notre rang d'espèce animale vivant parmi d'autres sur la même planète, tout est dit en une ligne (la dernière) dans la légende. On peut la comparer avec cette carte de Decolonial Atlas qui ramène l'homme à sa condition d'hominidé parmi d'autres primates.

L'un de ses dessins qui nous a particulièrement intéressé est celui qui représente le schéma simplifié d'une ville :

Carte simplifiée d'une cité (source : ©John Atkinson, Wrong Hands)


Au premier abord, ce dessin est une représentation caricaturale des espaces urbains, opposant le centre (à population riche) à sa périphérie (à population pauvre), avec tout autour une ceinture agricole ("les tracteurs") et plus loin la nature sauvage ("les ours"). Une carte de ville totalement imaginaire qui semble n'avoir guère d'intérêt en géographie. On peut y voir malgré tout une vue simplifiée de la ville américaine fortement ségrégée (opposition entre la "city" gentrifiée et les quartiers péri-centraux "ghettoïsés"). Mais au delà de ce schéma quelque peu fantaisiste, on peut mobiliser des modèles d'organisation urbaine tel le modèle en auréoles concentriques de Burgess (1925), élaboré à partir de la ville de Chicago.

La présence d'ours peut laisser supposer qu'il s'agit d'une ville du Grand Nord américain entourée d'un monde animal sauvage (l'auteur, rappelons-le, vit au Canada). Certains ont proposé d'y voir leurs propres villes dans l'Iowa entourées de parcelles agricoles et perdues dans l'immensité des Grandes plaines américaines. La carte fait manifestement référence à un modèle d'organisation des espaces urbains tel qu'on peut le rencontrer dans les villes nord-américaines (cf influence du contexte géographique et culturel sur nos représentations de l'espace). La ville-centre (en bleu) ne renvoie à aucune indication en légende : simple oubli ou détail intéressant ? On peut supposer qu'il s'agit du lac Ontario ou encore de la rivière des Outaouais, qui a donné son nom à la ville d'Ottawa où vit l'auteur. La présence de l'eau est vue comme un élément structurant des grandes villes, souvent traversées par des fleuves ou situées en front de mer.

Il peut être intéressant de confronter ce dessin à celui qui représente les périphéries (suburbs), là encore très marqué par le modèle prégnant de la ville américaine (devenu le modèle dominant dans le monde) :

Les dessins les plus populaires de John Atkinson concernent les médias sociaux et la technologie (il faut dire qu'il les utilise beaucoup, étant lui-même un blogueur actif). On peut les utiliser comme point de départ pour faire également de l'éducation aux médias.