La carte de protection des océans proposée par Greenpeace pour 2030 : utopie ou réalisme ?


Au moment où les États membres des Nations unies sont réunis à New York pour élaborer un traité mondial sur la haute mer (25 mars - 5 avril 2019), Greenpeace publie une étude en collaboration avec une équipe de biologistes marins. Ce rapport invite à protéger plus d’un tiers des océans d’ici à 2030 – un objectif qui, d’après la communauté scientifique internationale, est indispensable pour préserver la vie marine et contribuer à atténuer les impacts des changements climatiques.

L'ONG de défense de l'environnement Greenpeace n'en est pas à sa première alerte concernant le risque d'épuisement des ressources océaniques. Elle plaide depuis plusieurs années pour une protection accrue des océans menacés par la surpêche, la pollution, l'exploitation du sous-sol marin, le réchauffement climatique. Son objectif est d'atteindre 30% de la surface océanique protégée pour 2030 (objectif dit "30X30").

La carte interactive Ocean Blueprint de Greenpeace permet de localiser les zones océaniques qui pourraient être protégées : http://www.greenpeaceoceanblueprint.org/



L'utilisateur a le choix entre trois propositions :
- la première concerne 5% des océans : c'est la part actuelle des périmètres sauvegardés et autres aires marines protégées (AMP)
- la deuxième montre l'étendue océanique concernée si l'on portait la protection à 30%
- la troisième concerne  un plan de protection à grande échelle qui s'étendrait à 50% de la surface mondiale des océans (une proposition qui exigerait une prise de conscience et semble en l'état actuel plutôt utopique).

L'objectif est d'augmenter la résilience des écosystèmes océaniques face aux menaces du changement climatique et de l'acidification des eaux marines. Ces menaces pour la santé des océans mettent en danger non seulement la vie marine, mais également la capacité de l'océan à capter et à stocker le carbone. Une partie des scientifiques réclament qu'au moins 30% des océans de la planète soient protégés en tant que sanctuaires océaniques.

La carte donne par ailleurs des informations sur les principales menaces qui pèsent sur les océans : 
- la pêche à l'échelle industrielle,
- l'exploitation minière en haute mer, 
- la pollution par les plastiques 
- les impacts climatiques.

La création de réserves marines est fondamentale pour protéger les habitats et les espèces, reconstituer la biodiversité des océans, aider les écosystèmes marins à se régénérer et ainsi préserver les biens et services qu’ils fournissent. En mettant en place un instrument juridiquement contraignant au niveau international, cela permettrait de protéger la vie marine et ses habitats. Il convient de noter que ces périmètres de protection ne concernent pas les Zones économiques exclusives (ZEE) qui restent sous l'autorité des Etats, mais s'appliquent seulement aux espaces en haute mer dont la gestion n'a pas été prévue par la conférence de Montego Bay (1982).

La carte de Greenpeace s'inscrit dans une volonté de sensibilisation de l'opinion publique et de pression auprès des pouvoirs politiques au moment de ratifier un traité mondial sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine (résolution 72/249 de l’Assemblée générale de l'ONU). Cette carte participe des happening dont l'ONG est coutumière pour lancer des alertes à l'échelle internationale.

Dans un contexte d'opposition entre partisans de l'exploitation et partisans de la sanctuarisation des océans, la carte permet de s'interroger sur le difficile équilibre entre gestion et protection. La tension est forte entre la défense des intérêts économiques et la reconnaissance d'un droit de la mer au niveau international qui puisse préserver les richesses océaniques dans l'intérêt d'une gestion durable de la haute-mer.

On trouve un écho de ces débats à propos des Aires marines protégées dans un ouvrage paru en 2014 : The Controversy over Marine Protected Areas: Science meets Policy par  Nick Poluni, Tim Gray et Selina Marguerite Stead. Dans cet ouvrage, les auteurs critiquent le concept d’aires marines protégées en tant qu’outil de gestion des ressources marines. Ils estiment que la promotion de la notion d'AMP a brouillé les frontières entre science et politique. 

Pour Greenpeace au contraire, Ocean Blueprint 2030 doit constituer une feuille de route pour pouvoir atteindre les objectifs fixés d'ici une décennie. A noter que l'ONG a revu à la baisse sa proposition qui était au départ de 40% de la surface des océans en aires marines protégées. Pour nombre d'états et d'organisations dont les activités reposent sur la pêche en haute mer, cette revendication peut sembler néanmoins irréaliste. En même temps, réglementer l'accès aux richesses océaniques hors des ZEE est devenu une nécessité tant la course aux ressources et les rivalités pour dominer la haute mer sont devenues importantes.

Le magazine Carto propose une carte qui résume en grande partie ces enjeux : Contrôler les mers et les océans ? novembre-décembre 2018. Pour accéder à la carte : http://www.areion24.news/2019/03/13/la-haute-mer-et-ses-enjeux-exploiter-tout-en-preservant/

DOPA Explorer est un système d’information en ligne du Centre commun de recherche sur les zones protégées dans le monde, qui aide la Commission européenne et les autres utilisateurs à évaluer l’état et la pression des zones protégées à différentes échelles.
http://dopa-explorer.jrc.ec.europa.eu/

Références

Feuille de route pour la protection des océans. Comment protéger 30% des océans d'ici 2030 ? Rapport Greenpeace, mars 2019.

Océans. La haute mer à l’épreuve de la diplomatie, L'Humanité, 5 avril 2019

La haute mer et ses enjeux : exploiter tout en préservant, Carto n°51, Contrôler les mers et les océans ? novembre-décembre 2018.http://www.areion24.news/2019/03/13/la-haute-mer-et-ses-enjeux-exploiter-tout-en-preservant/

Dans le domaine de la pêche, les ressources océaniques sont-elles sans limites ? Une gestion durable des ressources océaniques est-elle envisageable ? Selon Greenpeace, il faut arrêter de manger du rougail morue !

Le guide " Oukile poisson ? " rappelle que 80% des poissons sont soit surexploités, soit au bord de la surexploitation : "Si nous continuons à ce rythme, les océans pourraient être vides de poissons dès 2048" : http://www.oukilepoisson.com

Roadmap to Recovery : A global network of marine reserves (Greenpeace)

La cartographie des espaces maritimes au prisme de la géographie scolaire. Actes du Grand Séminaire de l'océan Indien 2016. En ligne sur HAL.

Géopolitique du sable. Entre rareté, conséquences environnementales et enjeux diplomatique. Site Diploweb.
http://www.diploweb.com/Geopolitique-du-sable-Entre-rarete-consequences-environnementales-et-enjeux-diplomatiques.html

La carte des déchets nucléaires en France établie par Greenpeace :
http://www.greenpeace.fr/carte-dechets-nucleaires/


Lien ajouté le 18 novembre 2019

Lien ajouté le 22 mai 2023
Lien ajouté le 22 novembre 2023

Rapport Greenpeace septembre 2023 : 30×30 : Du Traité Mondial sur les Océans à la Protection en Mer
Ce rapport détaille les menaces cumulatives auxquelles nos océans sont confrontés et comprend une nouvelle analyse mondiale de l'activité de pêche en haute mer. Il détaille comment le réchauffement des océans, l'acidification, la pollution et la menace émergente de l'exploitation minière en haute mer exercent une pression toujours plus forte sur les écosystèmes océaniques, soulignant clairement l'urgence d'une action politique pour protéger 30 % des océans de la planète d'ici 2030.

Accompagnant le rapport, cette carte interactive permet de suivre les pays qui ont signé et ratifié le Traité. Dans le même temps, cela contribuera à maintenir la pression sur ceux qui ne l’ont pas fait. Il dresse également un tableau clair de ce à quoi pourrait ressembler une protection des océans à 30 ou 50 % et identifie la première série de zones prioritaires à protéger dans le cadre du Traité.

Articles connexes


Progression de la cartographie haute résolution des fonds marins (programme Seabed 2030 et GEBCO)