Les cartes que l'on trouve sur Internet avec le titre « Nobody lives here » sont de plus en plus nombreuses, mais assez peu explicites quant à leur mode de construction. Souvent de couleur verte (cf cet article), elles cherchent à donner une autre vision des territoires et de leur peuplement.
1) « Nobody lives here » : des cartes assez vertes qui cherchent à donner une vision différente du territoire
En général, les géographes étudient les territoires où se concentrent les hommes (les « pleins ») avec des dégradés de couleurs en fonction de la densité de population. Mais les cartes peuvent servir aussi à représenter les zones non peuplées (les « vides") souvent représentées en blanc ou comme ici en vert.
Il faut s'entendre sur ce que l'on entend par « vides » : ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'habitants que ces zones sont assimilables à des « déserts » sur le plan humain. Elles peuvent être parcourues et fréquentées par des migrants, des touristes, des travailleurs journaliers ou des employés. Elles peuvent être occupées et aménagées, et correspondre à des parcelles de cultures, des routes, des entrepôts, etc. « Vide » ne veut pas dire vierge de toute trace humaine, mais seulement sans résident d'après les résultats des recensements. Quelle(s) vision(s) peut-on dégager de ces cartes où les blancs ne correspondent pas aux vides mais aux pleins ?
Personne ne vit ici (source : Brilliants maps, @matamix)
La carte de @matamix date de 2013. Elle met en évidence les zones "vides" en France métropolitaine (31,7% du territoire français est inhabité, 47% pour les Etats-Unis). Ces zones correspondent pour la plupart à des zones rurales ou/et montagneuses (le vert ayant ici une double signification). C'est donc la ruralité qui est mise en évidence tandis que les zones denses et urbanisées sont laissées en blanc (ce que l'on ne perçoit pas immédiatement du fait qu'on est habitué à l'inverse). Le titre de la carte est ambigu dans la mesure où ces territoires peuvent correspondre à des "territoires de vie" avec des activités humaines... même si on n'y trouve aucune "tête de lit" ! La source correspond aux données carroyées de population de l'INSEE. Il faudrait pouvoir zoomer pour visualiser l'importance de ces vides à une échelle plus fine. Ce que permet de faire par exemple cette carte des Etats-Unis construite à l'échelle des ilots de recensement 2010 :
Nobody Lives Here : Mapping Emptiness in the U.S. and Beyond :
http://bigthink.com/strange-maps/nobody-lives-here-mapping-emptiness-in-the-us-and-beyond/
2) Des modes de construction à interroger
Le mode de construction de ces cartes n'est pas toujours indiqué. En général, il s'agit d'une grille de population d'1 x 1 km², parfois moins (cas des données carroyées de l'INSEE). L'idée est de s'affranchir des mailles administratives et de donner à voir la distribution de la population sur l'ensemble du territoire. A noter : ce ne sont pas des cartes de densités. Le but est de laisser en creux la concentration de la population dans les villes et de se concentrer sur la part des territoires "libres" ou du moins disponibles pour d'autres activités. La carte d'Europe ci-dessous montre de vastes étendues "vertes" au Nord et à l'Est du continent, mais aussi en Espagne, Italie et en France : des forêts aussi bien que des parcelles agricoles ou des friches ?
Nobody lives here (source : MapPorn)
En Finlande, environ 85 % de la population vit en milieu urbain ; 25% des Finlandais habitent la métropole d'Helsinki qui ne représente que 1% du territoire du pays.
Il faut savoir cependant s'affranchir de l'idée que tous les vides correspondraient à des zones délaissées. Les Pays-Bas, par exemple, ont mis en place une politique d'anti-étalement et de concentration urbaine depuis les années 50. De fait, la campagne ("platteland", "flatland") est très ouverte aux activités d'habitants venant des zones urbaines et suburbaines. Il convient aussi d'interroger le critère "zéro habitant" car il ne permet pas de représenter les zones peu peuplées (cf espaces de très faibles densités assez répandus à l'échelle européenne).
Aux Etats-Unis, on est davantage habitué à l'image de grandes étendues sauvages surtout en allant vers l'ouest. Mais on trouve aussi des contrastes de population à l'est, comme cette tâche verte couvrant une grande partie du New Jersey – l'un des États les plus densément peuplés des Etats-Unis.
Exemples de cartes sur le modèle « Nobody lives here » :
Le site
Vividmaps en propose également une sélection. Ces exemples ne doivent pas vous empêcher de construire vos propres cartes. Voir les rubriques
Données et
Fonds de cartes pour accéder aux ressources.
3) Des cartes à analyser et comparer avec d'autres
Assez surprenantes au départ, ces cartes méritent d'être analysées et comparer avec d'autres. Par exemple la carte d'Europe des surfaces boisées, sachant que les forêts ont tendance à progresser à l'échelle françaises et européenne :
Watch : how Europe is greener now than 100 years ago (carte animée du Washington Post) : https://www.washingtonpost.com/news/worldviews/wp/2014/12/04/watch-how-europe-is-greener-now-than-100-years-ago/
Carte de répartition des forêts en Europe (MapPorn)
http://www.reddit.com/r/MapPorn/comments/cbxt6r/forest_map_of_europe_without_georgia_but_with/
Concernant les "blancs de la carte", il y a des pistes de réflexion à creuser du côté de la notion de dépaysement, de marge ou d'abandon. Les territoires "dé-paysés" commencent souvent par le renversement des cartes comme on peut les trouver notamment chez Philippe Vasset ou Sylvain Tesson.
Lien ajouté le 13 novembre 2021
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Articles connexesLe Blanc des cartes. Quand le vide s'éclaire (Atlas Autrement)