Deux fait d'actualité récents sont venus relancer la question géopolitique des routes maritimes du Grand Nord : d'une part la proposition du président des Etats-Unis Donald
Donald Trump d'acheter le Groenland au Danemark et d'autre part l'annonce de la société
CMA-CGM, 3e compagnie maritime au monde, de ne jamais naviguer en Arctique.
Ces deux événements d'actualité peuvent fournir une très bonne accroche pour aborder plusieurs thèmes (la mondialisation, les transports maritimes, les frontières, les tensions et conflits) qui figurent dans les programmes de géographie en collège-lycée et en lycée professionnel. Voici une liste de ressources qui permettent de préparer des cours et de trouver des documents, notamment des cartes pour étudier à la fois les acteurs et les enjeux.
1) Sur les enjeux géoéconomiques et les transports maritimes
Deux fils Twitter proposés par Mikaa Mered (
@FranceArctique), spécialiste des enjeux géopolitiques de l'Arctique et membre de l'ILERI, permettent une première mise au point, documents à l'appui.
Le
premier thread concerne la question des routes maritimes et notamment du Passage du Nord-Est (PNE) qui, pour l'instant, est loin de constituer une route maritime fiable et sécurisée. Pour l'auteur, la décision de la CMA-CGM relève plutôt du "greenwashing" et s'inscrit dans la logique de continuer à passer par la Méditerranée où elle a beaucoup investi ces dernières années.
Le
deuxième thread traite plus spécifiquement de la place du Groenland sur cette route stratégique et l'intérêt des Etats-Unis à défendre leurs intérêts dans cette région (voir l'émission de
France Culture, "Le shopping territorial des Etats-Unis, une vieille habitude")
En réalité il n'existe pas un, mais au moins trois passages, le passage du Nord-Est (par la Russie) et celui du Nord-Ouest (par le Canada) étant les deux principaux.
Cet intérêt accru pour la Passage du Nord-Est (PNE) fait suite à un événement qui a largement été relayé par les médias. En 2018, un
gros porte-conteneur de 200 mètres de long et 35 mètres de large de la société MAERSK a emprunté pour la première fois le PNE pour relier Vladivostock à Saint-Pétersbourg (voir cette
carte montrant le raccourci par rapport à la route classique). Si l'enjeu est de taille pour ce géant danois du transport maritime, cela reste pour l'instant un test et ne concerne pas d'autres porte-conteneurs de cette taille. De fait la route par l'océan Arctique est plus courte, mais plus coûteuse.
Comme le montre Pauline Pic (
Naviguer en Arctique,
Géoconfluences) "la navigation arctique se heurte à de nombreuses difficultés liées tant
aux conditions météorologiques qu'à la volonté du Canada et de la Russie
de contrôler les passages. De plus, selon les liaisons, ces routes ne
sont pas toujours les plus courtes du fait du déplacement du centre de
gravité de l'activité portuaire mondiale vers le sud. Malacca, Suez et
Panama sont loin d'être détrônés".
Pour traiter de l'importance relative du trafic maritime dans cette région, il peut être intéressant d'utiliser le site
Marine Traffic,
qui fournit en temps réel des
informations sur l'emplacement et le déplacement des navires dans le
monde (voir présentation du site dans ce
billet). On voit sur la carte que la route par l'Arctique reste peu fréquentée et qu'il s'agit de navires de pêche et de cargos plus que de porte-conteneurs qui nécessitent des conditions de navigabilité et de sécurité plus importantes. Dans un article de 2011, Frédéric Lasserre relève un manque d'enthousiasme pour le transit arctique et un intérêt limité des compagnies maritimes.
L'enjeu n'est pas seulement marchand. Le réchauffement climatique facilite l’accès aux ressources naturelles. Le sous-sol est riche en minerais divers et en terres rares. La course au pétrole, gaz, diamants, nickel, or, fer, uranium est engagé depuis longtemps, bien que les conditions d'extraction et d'exploitation de ces sources d'énergie et matières premières ne soient pas faciles. Le Groenland constitue un enjeu pour une partie de ces ressources. Lire l'article : "
Les ressources convoitées du Groenland" (
Le Monde) assorti d'une carte très complète :
L'Arctique, un espace riche en hydrocarbures : une carte de synthèse à télécharger sur le site
HG Sempai ainsi que des ressources rassemblées dans un
pearltrees.
2) Sur les enjeux géoenvironnementaux
Comme de nombreux espaces "vierges" (cf l'Amazonie), l'Arctique est souvent perçu comme un espace de conquête et de front pionnier que l'homme viendrait perturber en bouleversant les grands équilibres naturels. Si la défense de l'environnement constitue une question importante, on remarque que les enjeux géoenvironnementaux sont souvent instrumentés. Lire par exemple cet article "Les dessous géopolitiques de la protection de l'ours polaire" (site
Géoconfluences).
Sur les différents risques de pollution (dont le risque nucléaire), voir la carte de l'Arctique nucléaire Philippe Rekacewicz (
Le Monde diplomatique, 2000)
Norilsk, avec ses mines et son complexe métallurgique, figure parmi les 10 villes les plus polluées au monde. Voir cette présentation de l'
Environmental Justice Atlas.
3) Sur les enjeux géostratégiques et les systèmes d'acteurs
L'océan Arctique est souvent présenté comme le théâtre d'une nouvelle Guerre froide. Lire par exemple "
L'Arctique, champ de bataille entre Chine, Russie et États-Unis" (
Slate, 2017).
S'il s'agit effectivement d'un espace d'affrontement sur le plan géopolitique et géostratégique,
il convient de prendre en compte les aspects géoéconomiques et géoenvironnementaux qui sont souvent mêlés à eux (voir cette
story map de
L'Echo qui résume assez bien les rivalités sur les différents plans).
Ce cours de l'Institut Européen des Relations Internationales fait le point sur les principaux enjeux géostratégiques : "
Nouveaux conflits : géostratégie arctique" (
IERI, 2013).
RFI a réuni également des archives sonores sur le thème : "L'Arctique, un continent hautement stratégique".
Libération note un dégel et de nouvelles tensions qui rendent ces routes de l'Arctique incertaine.
Un des motifs de tensions réside dans le découpage des frontières qui fait l'objet de rivalités et de revendications territoriales : lire "
Océan Arctique : des frontières maritimes à l'épreuve d'une nouvelle donne climatique" (site
Géoconfluences).
Frontières maritimes dans l’Arctique : le droit de la mer est-il un cadre applicable ? par Frédéric Lasserre (
Ceriscope).
Comme le montre Mikaa Mered, il s'agit fondamentalement pour les grandes puissances d'être présentes, de pouvoir surveiller et se projeter militairement dans cette région qui représente un très fort intérêt stratégique.
Les acteurs, nouveaux ou anciens, sont nombreux à s'intéresser à la région Arctique. Parmi ces acteurs figurent non seulement les entreprises, mais également les Etats (y compris la Chine qui est pourtant assez éloignée géographiquement). Voir l'article : "Chine, Japon, Corée : quelles ambitions pour l’Arctique ?
Notes de l'ISEMAR, 2016 (avec une
carte à télécharger sur le site).
Le grand défi de l'Arctique vu par la France : feuille de route de 2015 à télécharger sur le site
France Diplomatie.
A l'occasion de la réunion informelle des Ministres de la Défense de l'UE à Helsinki en août 2019, le ministère des armées publie pour la première fois un dossier analytique sur les enjeux du Grand Nord : La France et les nouveaux enjeux stratégiques en Arctique. Ce dossier constitue une bonne synthèse des enjeux pour la France et contient
un schéma qui permet de voir la complexité des acteurs.
La région est à la recherche d'une nouvelle gouvernance avec la création en 1996 d'un Conseil de l'Arctique, qui regroupe les 8 pays riverains du cercle polaire et dans lequel la Chine a obtenu un rôle d'observateur permanent en 2013. Les rivalités ne sont pas seulement entre pays, mais à l'intérieur de structures fédératives. Malgré tout, la région Arctique est en train d'expérimenter une nouvelle forme de collaboration circumpolaire.
Philippe Rekacewicz a élaboré une carte qui synthétise les principaux enjeux géopolitiques de l'Arctique (
Monde diplomatique, 2011) :
Le site d'analyse géopolitique
Diploweb fournit des ressources sur cette question :
- une synthèse de Laurence Artaud : "Quelles forces en présence dans l’Arctique ? Ruée vers les matières premières : un nouvel affrontement international ?".
L’auteure présente d’abord les enjeux militaires et politiques au XXe
siècle, puis les antagonismes des pays riverains, enfin les nouveaux
paradigmes du XXIe s liés au changement climatique : le passage du
Nord-Est, la souveraineté économique et l’accès aux ressources
naturelles.
http://www.diploweb.com/Quelles-forces-en-presence-dans-l-Arctique.html
- une vidéo de la conférence : "L’Arctique est-il - vraiment - stratégique ?" avec Fabien HERBERT, Jérémie ROCQUES, Joséphine BOUCHER, Laurent MAYET, Michel FOUCHER, Thomas MERLE, (19 octobre 2018). Si la superpuissance arctique, c’est la Russie, ne serait-ce qu’en termes de superficie, de ressources naturelles, d’activités et de présence historique, l’évolution de l’Arctique et de ses perspectives stratégiques dans les années qui viennent sont difficiles à prédire tant elles dépendent d’éléments politiques imprévisibles et de paramètres écologiques.
Les cartes que l'on peut trouver dans les manuels scolaires questionnent également sur la vision de l'Arctique qui est véhiculée dans l'enseignement de la géographie. Voici une petite analyse que nous faisions en 2016 sur le thème de l'Arctique :
Extrait de Genevois, S. "
La cartographie des espaces maritimes au prisme de la géographie scolaire", Actes du Grand Séminaire de l'océan Indien, 2016 (
en ligne sur HAL) :
"Dans le programme de Seconde, l’Arctique est présenté comme une « nouvelle frontière » à conquérir, au double sens de front pionnier pour l’exploitation de nouvelles ressources et d’espace-frontière aux délimitations incertaines faisant l’objet de nombreux litiges. L’océan Arctique est aussi cité en référence dans les cartes de manuels de Terminale comme archétype de zone conflictuelle (cf le « partage de l’Arctique »). Il semble intéressant d’analyser les choix faits par les différents manuels, certains s’inscrivant dans une approche géohistorique (double verrouillage de l’Arctique par la glace et par la Guerre froide), d’autres insistant davantage sur les évolutions futures de cet espace-enjeu avec l’ouverture de nouveaux passages au Nord-Ouest et au Nord-Est.
L’océan Arctique semble être devenu un objet géographique à part entière malgré les difficultés à en tracer des limites précises. Certaines cartes de manuels continuent d’indiquer l’isotherme 10°C en juillet comme critère classique de délimitation de la zone polaire, en y ajoutant la limite maximale de fonte de la banquise (limite elle-même changeante selon les années et qui reste incertaine à prévoir pour les décennies à venir). Emerge ainsi progressivement un espace délimité, découpé, approprié avec le découpage de la ZEE, avec le tracé de nouveaux périmètres de souveraineté (territoires adhérant au Conseil de l’Arctique) ou la création de nouveaux espaces de gouvernance (Programme scientifique d’évaluation et de surveillance de l’Arctique…).
Les enjeux semblent souvent à une échelle qui dépasse la zone considérée, l’Arctique étant in fine ramené à un objet de préoccupation environnementale (cf « un patrimoine menacé ») symbolisé par l’ours polaire à la dérive sur son morceau de banquise. La cartographie utilisée peine à représenter ces enjeux multi-échelles. L’exploitation future des ressources ainsi que la mise en circulation de cet espace relèvent également de potentialités incertaines comme en témoignent les titres de certaines cartes : « Comment préserver durablement l’Arctique ? » ou encore « L’eldorado arctique : entre réalités et espoirs »."
Lien ajouté le 26 septembre 2019
Lien ajouté le 25 octobre 2019
Liens ajoutés le 15 novembre 2019
L’Arctique à l’épreuve de la mondialisation et du réchauffement climatique (
Les Cafés Géo, le 25 octobre 2019). L’Arctique est aujourd’hui au cœur des programmes de géographie. Ce compte-rendu
fait une bonne synthèse pour des enseignants qui souhaitent mettre à jour leurs
connaissances sur le sujet et enrichir les études de cas qu’ils
pourront mener, en complément des scénarios proposés par l’académie de Créteil sur
« L’Arctique, une nouvelle frontière pour la Russie » ou celui de l’académie de Nice sur un
espace à protéger ou à aménager.
L'enjeu de l'Arctique n'est pas nouveau. Déjà dans les années 1930, avec le développement de l'aviation, il devient une nouvelle route et une nouvelle frontière à conquérir.
Liens ajoutés le 11 décembre 2019
Une histoire de l'Arctique et des expéditions polaires à travers la philatélie :
http://arctic.ru/infographics/20180205/710677.html
Liens ajoutés le 17 décembre 2019
La région circumpolaire nord, une carte en haute résolution issue de l'Atlas du Canada (2008) :
http://www.reddit.com/r/MapPorn/comments/e40c35/north_circumpolar_region/
Une carte de l'Arctique pendant la 2e Guerre mondiale par Richard Edes Harrison (1942) :
http://www.davidrumsey.com/luna/servlet/s/p0x280
Liens ajoutés le 15 janvier 2020
Liens ajoutés le 27 février 2020