Le Ministère de l'Éducation Nationale a publié en open data les données concernant l'Indice de position sociale (IPS) des écoles et des collèges. Cette publication sous la contrainte fait suite à une décision du tribunal administratif de Paris du 13 juillet 2022 obtenue par le journaliste Alexandre Léchenet de La Gazette des communes. Même si beaucoup de données en matière d'éducation sont loin d'être accessibles, cela traduit un progrès notable dans le mouvement d'ouverture des données publiques. Pour la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), la publication de ces IPS est une bonne nouvelle. « Il va y avoir plus de transparence. Avoir les chiffres permettra de montrer certaines inégalités entre certaines zones, notamment rurales et citadines. Cela va sans doute ouvrir le débat à travers toute la France et lever le voile sur le mode de calcul de cet indice qu’on ne connaît pas très bien aujourd’hui ».
L'IPS constitue un indicateur quelque peu sensible dans la mesure où il reflète la position sociale de chaque établissement scolaire. C'est l'un des motifs invoqués par le ministère qui considère dans sa réponse au tribunal de Paris que « communiquer les indices [...] conduirait inévitablement à la publication de classements, hiérarchisant les établissements scolaires selon leur composition sociale ». Le tribunal a décidé malgré tout que le Ministère de l'Éducation Nationale devait fournir, à des fins de transparence, lesdites données « dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement ». Dans le tableau de données mis en ligne le 6 octobre 2022 sur le site Data.education.gouv.fr, le ministère n'a ajouté qu'un seul critère au-delà de l'IPS, celui des établissements publics et privés sous contrat (attirant de fait le regard sur un type spécifique d'inégalités public / privé). Bien que l'on ne dispose pas des écarts-types ni des évolutions au sein de chaque établissement, ces données permettent de conduire des analyses socio-territoriales à l'échelle de la France métropolitaine et des Départements et Régions d'Outre-Mer.
I) L'indice de position sociale : un indicateur sensible qui met en évidence les inégalités scolaires
1) Mode de calcul de l'IPS
L'indice de position sociale des élèves (IPS) est selon les termes du ministère « un outil de mesure quantitatif de la situation sociale des élèves face aux apprentissages dans les établissements scolaires français. Plus l'indice est élevé, plus l'élève évolue dans un contexte familial favorable aux apprentissages. Cet indice est construit à partir des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) des représentants légaux des élèves ». L'indice a été créé en 2016 par la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) du Ministère de l'Education Nationale (voir cet article d'Éducation & formations de 2016 sur les origines et la construction de cet indice).
L’indice de position sociale (IPS) permet d'appréhender le statut social des élèves à partir des professions et catégories sociales (PCS) de leurs parents, mais aussi d’autres attributs socio-économiques et culturels susceptibles de déterminer la réussite scolaire tels que les diplômes des parents, les conditions matérielles du foyer, la composition familiale, le capital culturel, le niveau d’ambition et d’implication des parents et les pratiques culturelles de la famille et de l’élève. Il s'agit de prendre « la mesure des effets de contexte qui sont au coeur de la problématique actuelle de la sociologie de l'éducation » (voir la composition détaillée de l'indicateur sur Wikidata). L'indice va de 38 à 179
Les jeux de données sur les écoles et les collèges de France métropolitaine et DROM (publics et privés sous contrat) ont été construits à partir des données de la rentrée 2021. Il s'agit de moyennes qui ne reflètent pas les écarts à l'intérieur même de chaque établissement. Le calcul des IPS des écoles est effectué à partir des
élèves de CM2, dont on connaît les PCS lorsqu’ils sont en 6ème. Il correspond
plus exactement à la moyenne de l’IPS des anciens élèves de l’école sur les
cinq dernières années. En outre, les IPS sont fournis uniquement pour les
écoles ayant eu plus de 5 élèves de CM2 sur les cinq dernières années. De ce
fait les écoles maternelles sont exclues du champ puisqu’elles n’ont pas
d’élèves de CM2.
2) Types d'utilisations et limites de cet indicateur
L'IPS est utilisé pour décrire les populations scolaires dans les écoles, collèges et lycées (milieu social plus ou moins favorable et degré de mixité sociale), mais aussi pour classer les établissements scolaires et leur attribuer des moyens en conséquence. L'IPS est utilisé par exemple pour affecter les élèves dans le cadre d'Affelnet, notamment à Paris où a été mis en place un système de bonus IPS de 600 et 1 200 points. « Ce bonus peut faire basculer le dossier d’un élève dans le lycée de ses rêves ou, au contraire, lui fermer les portes d’un établissement ». Pour Alexandre Léchenet, il est « normal que l’on ait accès à ces éléments, surtout s’ils sont utilisés pour prendre toutes ces décisions » (interview pour Le Monde, 15 juillet 2022).
Avant d’être utilisé depuis 2021 pour calculer les points de chaque élève parisien pour l’affectation au collège via la procédure Affelnet, l’IPS était déjà employé pour déterminer l’attribution de moyens aux établissements (écoles, collèges et lycées) dont les familles sont les plus défavorisées, pour analyser les résultats scolaires ou encore mesurer la mixité sociale. Ce qui tend à faire de l'IPS un indicateur central, appelé potentiellement à se substituer aux critères utilisés habituellement pour déterminer les REP et REP+. Pour la FCPE, « la prise en compte de ce nouvel indicateur est à mettre en perspective avec les menaces qui pèsent sur l’avenir de l’éducation prioritaire ».
En principe, cet indicateur n'est pas destiné à comparer des établissements entre eux ; il vise plutôt à fournir des outils d'analyse pour favoriser la mixité sociale. De fait, il est souvent utilisé pour souligner les fractures sociales (et si possible essayer de les réduire). Son mode de calcul peut être discuté dans la mesure où il accorde une place importante aux PCS des parents. Rapporté ici à une moyenne par établissement, il ne permet pas de conduire des analyses concernant la diversité sociologique des élèves au sein de chaque établissement pris individuellement. Pour évaluer la mixité sociale des élèves, il faudrait disposer de la dispersion (ou écart-type) de l'indice de position sociale (IPS) par établissement, ce que réclame l'association No Ghetto engagée dans la lutte pour plus de mixité sociale à l'école. Cet indice a par ailleurs vocation à être croisé avec d'autres données qui ne se limitent pas au seul critère de la réussite des élèves.
3) Mise à disposition des données géolocalisées
Le jeu de données sur la France métropolitaine et les DROM est disponible sur le site Data.gouv.fr qui archive sur une page les différents types de réutilisations. La géolocalisation des données a été conduite à partir d'une jointure sur le code UAI des établissements scolaires (fichier à télécharger au format csv).
Jérémy Garniaux (@jeremy@mapstodon.space), que nous remercions vivement, a mis à disposition une carte des données IPS des établissements scolaires (écoles + collèges).
Carttographie de l'Indice de position sociale des établissements scolaires (source : Jérémy Garniaux)
II) Représentations graphiques et cartographiques des données
1) Mise en graphiques des données IPS
L'outil de représentation graphique fourni sur Data.education.gouv.fr permet quelques comparaisons entre académies, mais cela reste un peu limité en termes de data visualisation.
Denis Vannier (@denisvannier) a mis en ligne une série de graphiques permettant de comparer les indices de position sociale des collèges en fonction des académies et du clivage public/privé . Chaque point correspond à un établissement, placé le long de la ligne suivant la valeur de son IPS en 2021. Plus l'IPS est élevé, plus nombreux sont les élèves qui vivent dans un contexte familial qui "favorise les apprentissages" selon l'Education Nationale. Il est basé pour l'essentiel sur la profession déclarée des parents. Plus la courbe grisée est épaisse, plus il y a d'établissements partageant un IPS similaire.
Indice de position sociale moyen des collèges selon le statut par académie (source : Denis Vannier)
L'indice de position sociale moyen en France est de 103 en 2021 avec des écarts selon les académies. Le clivage public / privé est important aussi bien dans les écoles que dans les collèges. Alors que la moyenne nationale des IPS dans les écoles est de 102,7, celle des 4242 écoles privées sous contrat est de 112 ; 71% d'entre elles ont un indice égal ou supérieur à la moyenne nationale. La moyenne des IPS des 27 548 écoles publiques est de 101,2 ; 47% d'entre elles ont un indice égal ou supérieur à la moyenne nationale. Alors que la moyenne nationale des IPS du niveau collège est de 103,3, celle des 1 662 collèges privés sous contrat est de 114,2 points ; 72% d'entre eux ont un indice supérieur ou égal à la moyenne nationale. La moyenne des IPS des 5 305 collèges publics est de 99,9 points ; 41% d'entre eux ont un indice supérieur ou égal à la moyenne nationale.
2) Mise en cartes des données IPS
Alexis Bernard (@politedata), que nous remercions pour son autorisation à reproduire son travail, a établi une première cartographie à partir des données IPS des établissements scolaires (écoles et collèges réunis). L'auteur a également mis en cartes et en graphiques les données de mixité sociale pour les collèges publics de la métropole de Lyon. On peut observer que le statut REP / REP+ des écoles et collèges n'est pas toujours accordé selon la sociologie des effectifs.
Indice de position sociale des établissements scolaires par Alexis Bernard
Jérémy Garniaux (@jeremy@mapstodon.space) que nous remercions également, a géolocalisé les quelque 32000 établissements scolaires du fichier et établi une cartographie permettant de zoomer à une échelle très fine. La spatialisation de cet "indice de position sociale" raconte une certaine géographie sociale du pays. La carte fait ressortir les écoles privées sous contrat qui sont entourées d'un halo blanc. L'ouest, de la Bretagne à la Vendée, en concentre le plus - mais les IPS y restent généralement bas.
III) Croisement avec d'autres sources de données
Alexis Bernard (@politedata) a cherché à établir la performance des établissements publics et privés au Brevet des collèges selon leur indice de position sociale. Les graphiques en nuages de points croisent le taux de réussite au Diplôme national du brevet (DNB) par mention, ainsi que le taux d'absence aux épreuves parmi les candidats inscrits, selon l'indice de position sociale moyen des établissements.
Performance croisée des établissements publics et privés au brevet des collèges selon leur indice de position sociale.
Comparaison entre la métropole et l'outre-mer (source : Alexis Bernard)
Le choix de la maille territoriale peut avoir une incidence sur la manière de représenter l'IPS et d'analyser les écarts comme le montre Fabrice Murat dans cet article : "Les inégalités territoriales en matière d’éducation : les écarts entre communes en termes de milieu social et de réussite au diplôme national du brevet" (Éducation & formations, Depp, 2021)
Avoir un IPS inférieur à 90 ne garantit pas à l’établissement ou à l’école les moyens supplémentaires destinés aux écoles et collèges en Réseaux d’éducation prioritaire (données sur l'éducation prioritaire à télécharger sur le site Data.education.gouv.fr). Par ailleurs, plus de la moitié des collèges en zone rurale se trouve en précarité sociale et d'éloignement important.
Répartition des collèges classés selon le secteur géodémographique (source : La Gazette des communes).
En 2020, la Depp a conduit une étude dans le but de croiser l'origine sociale et géographique des élèves. L'étude a permis de distinguer 6 groupes de collèges en fonction de leur profil socio-territorial :
Sylvain Maugis, Six types de collèges différenciés par la population accueillie et la situation géographique (Depp, Notes d'information, janvier 2020).
Le paysage des collèges de France, constitué de quelque 7 000 établissements publics et privés sous contrat, présente un aspect divers. Certains scolarisent des élèves socialement et scolairement favorisés dès leur entrée dans l’établissement ; d’autres accueillent un public moins favorisé. Certains se caractérisent par une forte homogénéité sociale ; d’autres se distinguent par une certaine mixité. Certains, implantés en territoire rural, scolarisent un petit nombre d’élèves ; dans d’autres, le nombre d’élèves dépasse le millier. À partir de variables décrivant l’effectif, l’origine sociale et le niveau scolaire des élèves accueillis ainsi que la situation géographique de chaque établissement, six groupes de collèges distincts ont ainsi été mis en évidence. Ces six groupes se répartissent de manière hétérogène sur le territoire :
- Groupe 1 : les collèges très favorisés et de taille importante,
- Groupe 2 : les collèges plutôt favorisés,
- Groupe 3 : les collèges plutôt mixtes socialement,
- Groupe 4 : les collèges plutôt éloignés et de petite taille,
- Groupe 5 : les collèges plutôt défavorisés,
- Groupe 6 : les collèges très défavorisés.
Six types de collèges différenciés par la population accueillie et la situation géographique (source :
Depp, 2020)
Les données concernant l'IPS peuvent être recoupées avec les données concernant la typologie des communes rurales et urbaines (fichier à télécharger au format xls). « À l’entrée en sixième, l'indice de position sociale est le plus élevé, en moyenne, pour les élèves résidant dans les communes périphériques peu denses, qu’elles soient rurales ou urbaines. Il est le plus faible pour les élèves résidant dans les petites villes, alors que les communes rurales éloignées occupent une position intermédiaire. La différenciation des territoires selon le contexte socio-économique reflète avant tout la proximité des grandes villes. Ces dernières sont plus dynamiques en termes de créations d’emploi, et concentrent les fonctions d’encadrement et à forte valeur ajoutée. Les familles de milieux sociaux favorisés y sont surreprésentées. Dans l’urbain très dense, la proportion d’élèves de sixième dont au moins un parent est diplômé du supérieur atteint 41% contre 26% pour les élèves résidant dans une commune rurale éloignée peu dense. En revanche, il existe une forte hétérogénéité des situations au sein de chaque type de commune. Cette hétérogénéité est maximale pour les enfants résidant dans les communes urbaines très denses, où un quart des enfants ont des parents dont l’indice de position sociale est inférieur à 66 et un autre quart correspond à un indice supérieur à 145. Les territoires urbains sont traversés d’inégalités économiques fortes, entre villes et au sein des villes, où coexistent quartiers aisés et quartiers en difficultés. À l’inverse, c’est dans le rural éloigné très peu dense que l’hétérogénéité est la plus faible » (source : Une typologie des communes pour décrire le système éducatif, Note d’information - N°19.35 - octobre 2019).
De manière plus générale, les données IPS peuvent être recroisées avec les données INSEE sur le niveau de vie.
Références
- Construction d’un indice de position sociale des élèves, Éducation & formations, Depp, n°90, 2016.
- Six types de collèges différenciés par la population accueillie et la situation géographique, Depp, Note d'information (janvier 2020).
- La réussite des élèves : contextes familiaux, sociaux et territoriaux, Éducation & formations, Depp, n° 100, 2020.
- Les inégalités territoriales en matière d’éducation : les écarts entre communes en termes de milieu social et de réussite au diplôme national du brevet. Éducation & formations, Depp, "Les territoires de l’éducation : des approches nouvelles, des enjeux renouvelés", 2021.
- Construction d’un indice d’éloignement des collèges : une nouvelle approche de la ruralité pour les établissements scolaires. Éducation & formations, Depp, 2021.
- Évolution de la mixité sociale des collèges, Depp, Notes d'information (juillet 2022).
- « La mixité sociale, une urgence pour l'École » (Le Café pédagogique, 2020).
- « Les expérimentations de mixité sociale à l’école se heurtent aux résistances des familles et à la concurrence du privé ». Entretien avec Aziz Jellab (Observatoire des inégalités, novembre 2022).
- « L’indice de position sociale des collèges et des classes de CM2, une donnée communicable » (La Gazette des communes, juillet 2022).
- « Ségrégation scolaire : ce que révèle l’indice de position sociale (IPS) » (La Gazette des communes, octobre 2022).
- « Affelnet : l’Éducation nationale condamnée à publier l’IPS des collèges » (Le Figaro étudiants, 2022)
- « Indice de position sociale : cet indicateur qui met en lumière les inégalités à l'École » (BFM-TV, 2022).
- « La très inégale répartition sociale des élèves dans l’enseignement privé et le public » (Libération, 2022).
- « Education nationale | Entre public et privé, une fracture sociale de plus en plus visible » (Le Monde, 2022).
- La réforme d’Affelnet-Seconde GT à Paris : premiers éléments de bilan et d’analyse (Comité de suivi d'Affelnet).
- IPS : de fortes inégalités sociales entre les collèges de la métropole de Lyon (Rue89Lyon).
- « Les nouveaux territoires de l'éducation (Rapport d'information n° 43 du Sénat, 2019). Le rapport invite à "revoir les indices pour une prise en compte effective des spécificités des territoires" et propose d'utiliser "un indice d'éloignement géographique pour une allocation plus juste des moyens" (p 17-18).
Lien ajouté le 5 novembre 2022
Les lignes commencent à bouger en matière de publication en
open data des données sur l'éducation. L'
académie de Versailles a mis en ligne les données d'IPS moyen mais aussi les écarts types au sein de chaque établissement (accès aux données 2020 et 2021).
Une petite étude à partir des données publiées montre que les collèges classés REP et REP+ sont parmi ceux qui ont le moins de mixité sociale si l'on prend en compte les écarts-types de l'IPS. Autre fait remarquable : les établissements ayant un IPS très bas ne sont pas tous classés en zone d'éducation prioritaire (cf données mises en ligne par l'académie de Versailles permettant des analyses plus fines que le fichier national).
Lien ajouté le 15 novembre 2022« Le collège d’à côté ». L'article d'Hugo Botton et Youssef Souidi publié le 15 novembre 2022 dans
La Vie des Idées se focalisent sur les collèges géographiquement proches (moins de 15mn à pied), mais socialement éloignés. Ils montrent que la lutte contre la ségrégation scolaire se heurte moins à un problème de faisabilité que de volonté. Une sectorisation scolaire qui consisterait à affecter les élèves venant de quartiers proches, mais au profil social différent à un même collège favoriserait la mixité sociale dans le secteur de recrutement de ce collège.