Carte imaginaire du royaume de Poyais : quand la carte fait le territoire


Le royaume de Poyais, entre le Nicaragua et le Honduras, n’a jamais existé. Et pourtant, on en garde une carte datée de 1830 qui le décrit en détail. Celle-ci porte le nom de « carte de la Neustrie », du nom de la Compagnie de la Nouvelle Neustrie chargée de trouver des investisseurs et des colons pour son projet de colonisation de l'Amérique centrale. La carte est consultable en haute résolution sur le site Gallica. Retour sur l'une des plus grandes escroqueries cartographiques du XIXe siècle.

Carte de la Neustrie par Desmadryl jeune, 1830 (source : Gallica)

Le Poyais est un État fictif d'Amérique centrale imaginé par le mercenaire écossais Gregor MacGregor. L'aventurier Gregor MacGregor vécut en Amérique de 1812 à 1821. Il y participa aux guerres d'indépendance hispano-américaines en combattant notamment pour le Venezuela et la Nouvelle-Grenade. À son retour au Royaume-Uni en 1821, il affirma que le Roi de la Mosquitia George Frédéric Augustus Ier l'avait nommé cacique du Poyais, un territoire bordant le golfe du Honduras présenté comme une colonie développée avec une communauté de colons britanniques. Environ 250 colons vont se rendre vers le pays fictif. Ils ne trouveront que de la jungle, plus de la moitié d'entre eux trouvera la mort. Connu pour avoir mis en place de nombreuses escroqueries dans sa vie, MacGregor crée de toutes pièces le territoire du Poyais, sur lequel il prétend régner comme cacique, afin d'y attirer des investisseurs et colons français et britanniques. La supercherie, considérée comme l'une des fraudes les plus audacieuses de l'Histoire, dure seize ans de 1821 à 1837 (Wikipedia).

Dans son article, Atlas Obscura fait état des nombreux éléments utilisés par l’escroc pour crédibiliser son histoire. La carte a joué un rôle central : Gregor MacGregor a représenté un territoire imaginaire de manière extrêmement détaillée. Le document inclut des villes fictives comme St. Joseph, Lempira, et même une ville nommée MacGregor, en son honneur. Des précautions qui ont donné l’impression de villes et de routes clairement définies. L’ancien mercenaire savait que les cartes étaient perçues comme des documents légitimes qui faisaient foi. En proposant une cartographie détaillée, il renforçait l’idée que Poyais était un endroit réel, qu’il n’y avait plus qu’à le trouver. Cette représentation géographique lui a permis de manipuler la perception de ses victimes (Géo).

Il faut dire que la carte donne beaucoup de détails qui paraissent vraissemblables, tels des "etablissemens anglais abandonnés en 1786", une "hotellerie des voyageurs" ainsi que de nombreux noms de rivières, criques, baies, lacs, montagnes et autres éléments topographiques. Comportant une échelle exprimée en plusieurs unités et sourcée à partir de différentes autres cartes, elle est recommandée "chez tous les marchands de cartes et tous les principaux libraires de l'Europe". La carte présente ainsi tous les signes extérieurs d'une carte authentique. On y relève des détails faisant penser à la découverte d'un eldorado, ainsi "la Neustria ou Grande Rivière du Cap, appelée aussi Rivière ou Fleuve d'Or" (sic). On en trouve une édition légèrement différente où l'imprimeur Desmadryl jeune est indiqué comme géographe et avec une seule échelle en lieue française assortie d'un commentaire assez savoureux "Pour la position géographique, voyez une bonne carte des Antilles ou du Golfe du Mexique en Amérique centrale". La carte est déposée "chez Picquet, géographe du Roi", ce qui lui donne un caractère encore plus officiel (Europeana). Bien que datée également de 1830, cette 2e édition semble plus tardive, indiquant des mines d'or et le début du tracé d'un "Canal des deux Mers".

Pour l'un des établissements prévus dénommé Refugium, on dispose aussi d'un plan remarquable projetant l'implantation humaine et l'exploitation future de cette colonie ("Description de la Moskitie où se fonde la Neustrie"). Le plan géométrique indique avec précision l'organisation spatiale de la colonie avec ses plantations, ses avenues rectilignes, ses places disposées régulièrement. Les noms des places valent en soi tout un programme : place des Fondateurs, place de l'Indépendance, place de l'Agriculture, place de l'Éducation, avec en plein centre du plan la place Bolivar pour rappeler que MacGregor a combattu à ses côtésLes plantations portent des noms tout aussi idylliques : plantation Elizée, plantation Edorado, plantation Les Délices, plantation Sans souci, ou plus réaliste plantation Descorvées. On y retrouve le nom de négociants ayant investi dans la colonie tels Jacques Laffitte ou Joseph Merilhou.

Neustrie. Plan du refugium (source : Wikipedia, disponible aussi sur Gallica)

La Compagnie de la Nouvelle-Neustrie était une petite société coloniale parisienne dirigée par Jean-François Lehuby, négociant, mandataire-général et administrateur de ladite société. Celui-ci a fait l'objet d'un procès en 1826 le condamnant, avec trois de ses associés, à 13 mois de détention pour escroquerie. MacGregor a, quant à lui, été jugé innocent. Ce dernier finira par abandonner son projet de colonie en Moskitie et décédera en 1845 à Caracas où « il repose au Panthéon national du Venezuela, bien que – ironie du sort – aucune plaque n’y atteste de sa présence » (Clavel, 2018).

Restée à l'état de territoire imaginaire, la Nouvelle Neustrie était censée être implantée dans une région assez hostile. La région correspond géographiquement à la Côte des Mosquitos, une région située sur le littoral est du Nicaragua et nord-est du Honduras. Elle comptait au XVIIe siècle parmi les repaires de corsaires, pirates et flibustiers, huguenots ou puritains. Sa partie hondurienne est une région de forêt humide, fortement sous-développée, avec peu de routes. Divers indiens Mosquitos y habitent, tels les Pechs et les Tawahkas. La région de la Côte des Mosquitos fut, à partir de 1661, le siège d'un royaume indigène, connu parfois sous le nom de royaume de Mosquitie. Celui-ci se plaça dès 1668 sous le protectorat de l'Angleterre, puis la Grande-Bretagne, qui ne s'exerça toutefois que de manière relativement informelle et intermittente jusqu'au milieu du XIXe siècle. La région passe ensuite sous le contrôle de la Nouvelle-Espagne. En 1821, la région est intégrée au Mexique. En 1823, à la chute de l'Empire mexicain, la région prend son indépendance avec comme capitale Bluefields, bien que le dernier roi miskito fut couronné à Belize.

La Côte des Mosquitos (1848). Par Great Britain. Foreign Office, domaine public (source : Wikimedia)


En 2015, l'artiste australien Cameron Hayes s’amuse à esquisser une carte fictive et uchronique de Poyais, représentant le monde au sein duquel le faussaire d’art Elmyr de Hory aurait parfaitement pu s’épanouir en 1969. « Sans fondement historique d’aucune sorte, cette réappropriation dudit territoire de MacGregor ne sert qu’à incarner allégoriquement les excès de l’avarice humaine et de la duperie financière » (Clavel, 2022).

Références

« Le pays imaginaire de Poyais : l'histoire de la plus grande arnaque géographique du XIXe siècle » (Géo)

 « This Map Shows a Fictional Country Created by a Con Man » (Atlas Obscura)

Clavel, Damian (2018). Fraude financière, dette souveraine et impérialisme d’affaires Une micro-histoire de l’échec de Poyais 1820-1824. Thèse présentée à l’Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement  pour l’obtention du grade de  Docteur en histoire internationale, sous la direction de Philippe Burrin, Genève (Institut de hautes études internationales et du développement)

Clavel, Damian  (2022). Créer un pays, le royaume de Poyais. Gregor MacGregor, emprunts d’État et fraude financière 1820-1824, éditions Alphil (livre en pdf gratuit). Ce livre propose une déconstruction et une réécriture de l’histoire de Poyais. En retraçant minutieusement la genèse, le développement, et la chute du projet de Poyais à l’aune des multiples traces laissées par MacGregor, l’idée d’émettre un emprunt d'État sur le marché des capitaux londonien dans les années 1820 apparaît moins comme une fraude financière monumentale que comme une tentative ratée de financer l’établissement d’une colonie privée et de soutenir la création d’un nouveau pays en Amérique centrale.

Hayes, Cameron (2015).  Elmyr de Hory, Fernand Legros and Real Lessard in the Republic of Poyais in 1969, huile sur toile de lin (NSW Art Gallery).

Catalina Toro-Pérez. La Mosquitia, protectorat anglais dans les colonies indépendantes. Lieu stratégique et forme de contrôle de la nature et des corps (Atlas Caraïbe). L'histoire coloniale et républicaine divise l'Amérique Centrale en deux parties, un Nord et un Sud, la première moitié étant dominée par l'Espagne et la seconde par les Anglais. Même après l'indépendance des Provinces Unies d'Amérique Centrale avec à la tête des Espagnols, les Anglais continueront d'exercer leur contrôle sur la Mosquitia jusqu'en 1860 et sur le territoire d'origine Maya actuellement contesté par le Guatemala (actuel Belize). Le contrôle "indirect" mis en place par la Grande-Bretagne dans les colonies d'Asie et d'Afrique sera également exercé sur la côte Caraïbe du Nicaragua et du Honduras et une zone intérieure faite d'écosystèmes de forêts humides, de savanes, de marécages et d'eaux navigables. Cette zone n'a pas été peuplée par des habitants hispanophones, pendant la colonisation espagnole et a conservé une influence anglophone. 

Articles connexes









La mondialisation appréhendée à travers un indice de connectivité mondiale


Source : Steven A. Altman & Caroline R. Bastian, DHL Global Connectedness Report 2024 : An In-Depth Analysis of the State of Globalization.

Récemment, une attention particulière a été portée à la question de savoir si la mondialisation progressait ou reculait à l’échelle mondiale. La plupart des entreprises et des pays interagissent avec quelques autres et non avec le monde entier. C’est pourquoi il est important de pouvoir mesurer la mondialisation en ce qui concerne chaque pays et ses principaux partenaires dans les échanges internationaux.

L’indice de connectivité mondiale DHL classe les pays en fonction de leurs échanges internationaux, de leurs capitaux, de leurs informations et de leurs flux de personnes. Il évalue ces flux selon deux dimensions : la profondeur (taille des flux internationaux par rapport à l’activité nationale) et l’ampleur (répartition des flux entre les pays d’origine et pays de destination). La connectivité mondiale reste à un niveau record, malgré les tensions et les incertitudes géopolitiques.

Flux globaux par région en 2022 (source : DHL Global Connectedness Report 2024)

L'étude conduite par la Stern School of Business de l’université de New York et la société de transport DHL fait ressortir 10 points clés concernant la mondialisation qui n'a jamais été aussi forte en dépit des tensions et incertitudes :

  1. La connectivité mondiale a atteint un niveau record en 2022. Elle est restée proche de ce niveau en 2023. La résilience et la croissance des flux internationaux d’échanges commerciaux, de capitaux, d’informations et de personnes face aux crises récentes vont à l'encontre de l’idée selon laquelle la mondialisation auarait fait marche arrière. 

  2. Singapour est le pays le plus connecté au monde, suivi des Pays-Bas et de l’Irlande. Singapour a les flux internationaux les plus importants par rapport à l’activité nationale, tandis que les flux du Royaume-Uni sont les plus répartis dans le monde.

  3. Les liens entre les États-Unis et la Chine continuent de diminuer. Les parts des flux des deux pays impliquant l’autre ont diminué d’environ un quart depuis 2016. Le recul des échanges directs entre les États-Unis et la Chine s’est accéléré en 2023. Mais les États-Unis et la Chine sont toujours connectés par des flux plus importants que presque toutes les autres pays.

  4. La Russie et l’Europe se sont découplées, rompant des liens autrefois considérés comme essentiels pour les deux partenaires. Les échanges commerciaux de la Russie se sont éloignés des pays alignés sur l’Occident et les investissements étrangers en Russie se sont effondrés. Parmi les principales économies du G20, la Russie a connu en 2022 la plus forte baisse annuelle de connectivité mondiale jamais enregistrée.

  5. Les flux mondiaux ne montrent aucune division générale de l’économie mondiale entre les blocs géopolitiques rivaux. La part des échanges entre les blocs alignés sur les États-Unis et ceux alignés sur la Chine a augmenté pendant la pandémie de Covid-19, puis a diminué après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. Si l’on exclut la Russie, elle est désormais revenue à peu près à son niveau d’avant la pandémie.

  6. La mondialisation des entreprises continue de progresser. Les entreprises réalisent une plus grande partie de leurs ventes à l’étranger et la valeur de leurs projets d’expansion internationale annoncés est à son plus haut niveau par rapport au PIB mondial depuis plus d’une décennie. La part transfrontalière des fusions et acquisitions reste stable, tout comme la part de la production mondiale que les entreprises produisent en dehors de leur pays d’origine.

  7. La mondialisation n’a pas cédé la place à la régionalisation. La plupart des flux internationaux se déroulent sur des distances assez longues, avec une part en baisse au sein des principales régions géographiques. Si l’on se concentre spécifiquement sur le commerce, seule l’Amérique du Nord affiche une tendance claire à la délocalisation.

  8. La mondialisation des flux d’informations a augmenté plus que tous les autres aspects de la mondialisation au cours des deux dernières décennies, mais les dernières données montrent que cette tendance stagne.

  9. Les tensions entre les États-Unis et la Chine ont pesé sur la collaboration internationale en matière de recherche, et de nombreux pays ont imposé des restrictions sur les flux internationaux de données.

  10. Le niveau absolu de mondialisation du monde reste limité : les flux nationaux dépassent toujours de loin les flux internationaux. La profondeur actuelle de la connectivité mondiale n’est que de 25 % sur une échelle allant de 0 % (aucun flux ne traverse les frontières nationales) à 100 % (les frontières et la distance n’ont plus aucune importance).
Données et graphiques consultables à travers un tableau de bord interactif

Rapport et annexes à télécharger en pdf


Outre les données récentes, l'intérêt de cette étude est de fournir des cartes par anamorphoses montrant chaque pays avec ses 10 principaux partenaires commerciaux. Avec le retour de Trump et de sa politique douanière, l'orientation de ces flux pourrait être en partie modifiée dans les années qui viennent. Le modèle de Bloomberg Economics sur les droits de douane proposés par Trump prévoit que les autres pays compenseront la majeure partie de leurs pertes commerciales avec les États-Unis en échangeant davantage entre eux. Cela laisse entrevoir la possibilité que la mondialisation continue à s'intensifier, mais sans les États-Unis en son centre (What's left of Globalization without the US ? Bloomberg)

Comparaison Etats-Unis et Chine (source : DHL Global Connectedness Report 2024)




Comparaison France et Royaume-Uni (source : DHL Global Connectedness Report 2024)



Pour compléter

« La mondialisation n’a jamais été aussi forte qu’en 2024 » (Le Grand Continent)

« Mondialisation : vers un capitalisme anti-libéral » (France Culture)

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Cartographie des pays ayant les États-Unis ou la Chine comme principal partenaire commercial (2001-2023)

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Mesurer le rayonnement des grandes puissances à travers leurs réseaux diplomatiques

Cartographie collaborative des dispositifs d'indésirabilité


Source : Milan Bonté (17 janvier 2025). « Une cartographie collaborative du mobilier urbain hostile ». Du béton et des plumes. Carnet de recherche sur le genre, les territoires et les minoritéshttps://doi.org/10.58079/133tc

A l’université de Lille, les étudiant-es de M2 Urbanisme et Aménagement disposent, début janvier, d’une semaine de formation en outils (SIG, croquis, dessin d’architecture, etc.) dans la perspective de leur très prochaine entrée dans le monde professionnel. Milan Bonté était chargé du module intitulé “Outils numériques au service des approches participatives“, dans lequel il avait pour mission d’initier un petit groupe d’étudiant-es aux outils cartographiques numériques qui peuvent être mobilisés lors de démarches de participation citoyenne. Il a saisi l’occasion d’inscrire ce module dans un vaste projet de recherche portant sur la “fabrique urbaine de l’indésirabilité” dans les espaces publics, financé par la défenseure des droits et coordonné par Muriel Froment-Meurice et Claire Hancock.

Durant l’ensemble de la semaine, le petit groupe s’est affairé à la création d’une application qui permette au grand public de cartographier, dans la France entière, les dispositifs qui contraignent les usages de l’espace public et produisent de facto des usages et usagers indésirables. On connait, à ce propos, le mobilier anti-SDF, qui vise à empêcher les siestes par des bancs à accoudoirs centraux ou des ornements rendant impossible toute tentative de se réfugier sous un porche pour une nuit.

Une cartographie collaborative du mobilier urbain hostile (source : Du béton et des plumes)


Vous pouvez consulter la carte et contribuer directement ici :
https://dispositifs-indesirabilite.gogocarto.fr/map#/carte/@47.44,1.14,5z?cat=all

L’application finale comprend une page d’accueil, sur laquelle le projet est expliqué, une carte qui recense l’ensemble des contributions et un formulaire, qui permet à n’importe qui de proposer l’ajout d’un dispositif. Ainsi, si vous avez connaissance d’un élément de mobilier urbain hostile, vous pouvez le prendre en photo et l’ajouter à la carte en cliquant sur “Ajouter un élément”.

Cartographie collaborative des dispositifs d'indésirabilité
https://dispositifs-indesirabilite.gogocarto.fr/

L’espace public, lieu de sociabilité et de diversité, reflète également les tensions sociales et les inégalités structurelles. Sa gestion et son aménagement peuvent générer des effets différenciés sur les individus, certains rencontrant des obstacles à s’y sentir légitimes ou à l'aise, modelant ainsi les usages de l’espace public. Ces ressentis sont façonnés par une combinaison de facteurs, qu’ils soient liés aux caractéristiques physiques des lieux, aux dispositifs de sécurité, ou aux dynamiques sociales et normatives qui s’y déploient.

En mars 2023, la Défenseure des droits a lancé un appel à recherche sur la gestion de l’espace public et les stratégies d’éviction des populations dites "indésirables". Cet appel vise à étudier les mécanismes formels et informels – qu’ils relèvent des infrastructures, des politiques urbaines ou des interactions sociales – qui participent à l’exclusion de certains usagers des espaces publics.

Dans le cadre du projet de recherche "La fabrique urbaine de l’indésirabilité", le site propose une démarche participative pour recueillir les dynamiques d’exclusion dans l’espace public. Le grand public est invité à contribuer à une cartographie participative recensant les dispositifs que chacun perçoit comme excluants, manquants ou ayant disparus et pouvant évincer certains individus.

Pour en savoir plus

Milan Bonté, Associé – jeune docteur auprès de l’UMR Géographie-cités, explique dans cet article comment, dans le cadre d’un cours de géomatique de niveau avancé,  il a développé avec ses élèves une base de données collective portant sur le thème du mal logement dans la Métropole Européenne de Lille (MEL). https://geographie-cites.cnrs.fr/explorer-le-mal-logement-dans-la-metropole-europeenne-de-lille/

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Cartographie électorale et big data. Pourquoi les clivages politiques urbains-ruraux ne sont pas généralisables


Source : Noah Dasanaike (2025). Why Urban-Rural Political Cleavages Do Not (document de travail)

Les clivages entre zones urbaines et zones rurales sont considérés comme une division politique déterminante, principalement en Occident et aux Etats-Unis. Mais cette polarisation est-elle valable à l’échelle mondiale ? Noah Dasanaike étudie cette question en utilisant un ensemble de données originales de résultats électoraux granulaires et géocodés provenant de 106 pays (au niveau des bureaux de vote dans 70 pays). Dans cet ensemble de données qu'il appelle Small-Area Global Elections (SAGE), il teste des résultats standardisés correspondant à des limites spatiales artificielles ou réelles dans chaque démocratie et aux élections démocratiques précédentes de plusieurs autocraties actuelles. 

Les résultats des élections sont collectés et compilés sur une période de 3 ans. Il fusionne ces 10 milliards de votes avec 2,3 milliards d'empreintes de bâtiments pour mesurer l'urbanité, une approche qui permet de mieux appréhender la façon dont les gens perçoivent les zones urbaines et rurales. Il valide cela par rapport à la densité de population. Les résultats révèlent des variations considérables entre les pays. Dans de nombreux pays, les différences entre les zones urbaines et rurales sont faibles, voire inversées idéologiquement (zones rurales de gauche, zones urbaines de droite), et cela ne s'explique pas uniquement par le développement économique ou l'activité industrielle. Pour expliquer en partie ces résultats, l'auteur élabore une théorie dans laquelle les clivages urbains-ruraux proviennent du regroupement spatial d’attributs distincts des électeurs qui permettent aux partis de recourir à des votes géographiquement ciblés. D’abord à l’échelle mondiale, puis dans un test à grande échelle du comportement électoral à travers l’Europe, Dasanaike constate que la dispersion géographique des conditions économiques structurelles, à savoir l’agrarisme, l’industrialisation et l’agglomération des connaissances, explique en partie la disposition idéologique des villes vis-à-vis des campagnes.

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Bureaux de vote et adresses de leurs électeurs en France (Répertoire électoral unique - INSEE)

L'Insee propose un nouveau gradient de la ruralité (La France et ses territoires, édition 2021)

Cartographie des bassins urbains et ruraux à l'échelle mondiale (URCA - FAO)

Étude sur la diversité des ruralités (ANCT - Observatoire des territoires)

Quand les cartes révèlent les frontières fantômes


Cartographie critique de l'intelligence artificielle générative (collectif Estampa)

 

Le collectif Estampa propose une cartographie de l'intelligence artificielle générative. La carte met bien en évidence le parcours long et complexe des données lorsqu'on interroge une IA générative, avec tout ce que cela représente en termes de coût financier et de coût environnemental. Traduite en différentes langues (dont le français), la carte est téléchargeable en haute définition sur le site du projet Generative AI Mapping.

Cartographie de l'IA générative (source : Generative AI Mapping)


L’ensemble des relations présentées ici forme une mosaïque difficile à appréhender car elle implique la mise en relation d’objets et de connaissances de types et d’échelles différents. Les discours sur l’IA sont souvent mythiques et accompagnés d’une série de métaphores et d’images récurrentes : des agents algorithmiques déconnectés de l’action humaine, une technologie non négociable imposée par le futur, l’universalité des données ou la capacité de produire des modèles exempts de préjugés ou de visions du monde. L’ensemble des discours qui entourent ces technologies, qu’ils soient spécialisés ou plus populaires, finissent par les façonner d’une manière ou d’une autre. 

La carte, très détaillée, décrit les étapes sucessives de regroupement, filtrage, hébergement et distribution des données, avec à chaque étape les coûts induits que cela représente. Elle montre que l'IA repose dans ses fondements sur un modèle extraviviste de données (il faut beaucoup de données d'entraînement au départ), qu'elle nécessite de gros investissements de la part de start-ups capables de construire de gigantesques datacenters pour héberger les serveurs et fournir la puissance de calcul. Outre le coût financier, le côut environnemental est faramineux. Il faut des matériaux conducteurs (principalement de l'or), mais aussi du lithium pour les batteries, de l'eau pour refroidir les ordinateurs, ce qui se traduit par une forte pression sur les ressources. 

Le projet Generative AI Mapping est motivé par la volonté d'offrir une carte conceptuelle qui couvre une grande partie des acteurs et des ressources impliqués dans cet objet complexe et multiforme qu'est l'IA générative. À partir d’une longue série de cartographies critiques vouées à montrer la fonction des cartes comme productrices de vérités hégémoniques, cette visualisation vise à cartographier le phénomène en tenant compte des tensions, des controverses et des écosystèmes qui le rendent possible. Les outils d’IA générative sont utilisés pour automatiser des tâches telles que l’écriture ou la génération d’images. On peut dire d'une certaine façon que les outils d’IA générative désassemblent le langage (visuel, textuel) pour le réassembler sur la base d’un calcul de probabilité. Cette capacité de généralisation est due au traitement d'ensembles de données beaucoup plus grands et hétérogènes qui lui permettent de répondre à tous types d'instructions. En conséquence, l’ampleur du changement dans l’IA générative est si grande qu’elle nécessite l’impulsion de nouvelles économies et une dépendance accélérée à l’égard de différents écosystèmes. En ce sens, Generative AI Mapping se veut un projet de contre-cartographie visant à dénoncer le "colonialisme numérique", qui aboutit à la domination des pays en avance en matière d'IA par rapport aux autres pays et territoires de fait dominés.

Estampa est un collectif de programmeurs, cinéastes et chercheurs travaillant dans les domaines de l’audiovisuel et des environnements numériques. Leur pratique se base sur une approche critique et archéologique des technologies audiovisuelles, sur la recherche des outils et des idéologies de l’intelligence artificielle et sur les ressources de l’animation expérimentale. Ce travail a été soutenu par les subventions pour la recherche et l'innovation dans les arts visuels de la Generalitat de Catalunya - Oficina de Suport a la Iniciativa Cultural (OSIC).

Pour aller plus loin

Crawford, K. (2021). Atlas of AI: power, politics, and the planetary costs of artificial intelligence. New Haven, Yale University Press. 

« Que se passe-t-il lorsque l’intelligence artificielle sature la vie politique et épuise la planète ? Comment l’IA façonne-t-elle notre compréhension de nous-mêmes et de nos sociétés ? Dans ce livre, Kate Crawford révèle comment ce réseau planétaire alimente une évolution vers une gouvernance antidémocratique et une augmentation des inégalités. S’appuyant sur plus d’une décennie de recherche, de sciences et de technologies primées, Crawford révèle comment l’IA est une technologie d’extraction : de l’énergie et des minéraux nécessaires à la construction et à l’entretien de son infrastructure, aux travailleurs exploités derrière les services « automatisés », aux données que l’IA collecte auprès de nous. Plutôt que de se concentrer sur le code et les algorithmes, Crawford nous offre une perspective politique et matérielle sur ce qu’il faut pour créer une intelligence artificielle et sur les points sur lesquels elle se trompe. Si les systèmes techniques présentent un vernis d’objectivité, ils sont toujours des systèmes de pouvoir. Il s’agit d’un compte rendu urgent de ce qui est en jeu lorsque les entreprises technologiques utilisent l’intelligence artificielle pour remodeler le monde. »

Espinoza, M. I., Aronczyk, M. (2021). Big data for climate action or climate action for big data? Big Data & Society, 8(1). 

Sous la bannière « Data for Good », les entreprises des secteurs de la technologie, de la finance et de la vente au détail fournissent leurs propres ensembles de données aux agences de développement, aux ONG et aux organisations intergouvernementales pour les aider à résoudre toute une série de problèmes sociaux. l'ouvrage se concentre sur les activités et les implications de la campagne Data for Climate Action, un ensemble de collaborations public-privé qui exploitent les données des utilisateurs pour concevoir des réponses innovantes à la crise climatique mondiale. En s'appuyant sur des entretiens approfondis, des observations de première main lors d’événements « Data for Good », des rapports d’organisations intergouvernementales et internationales et sur la publicité médiatique, les auteurs évaluent la logique qui sous-tend les initiatives Data for Climate Action, en examinant les implications de l’application d’ensembles de données et d’expertises commerciales aux problèmes environnementaux. Malgré l’adoption croissante des paradigmes Data for Climate Action dans les efforts des gouvernements et du secteur public pour lutter contre le changement climatique, l'ouvrage montre que Data for Climate Action peut être considéré comme une stratégie visant à légitimer les pratiques d’extraction de données à but lucratif des entreprises plutôt que comme un moyen d’atteindre les objectifs mondiaux de durabilité environnementale.

«  Référentiel de compétences IA pour les apprenants et pour les enseignants » (UNESCO)

L’intelligence artificielle (IA) offre des potentialités pour relever nombre de défis majeurs dans l’éducation, innover dans les pratiques d’enseignement et d’apprentissage et accélérer les progrès de l’ODD 4. Cependant, les évolutions technologiques rapides engendrent inévitablement de multiples risques et défis, car leur rythme a jusqu’à présent dépassé celui des débats politiques et des cadres réglementaires. L’UNESCO s’engage à aider les États membres à exploiter les potentialités des technologies d’IA pour réaliser l’Agenda Éducation 2030, tout en veillant à ce que son application dans le domaine éducatif réponde aux principes fondamentaux d’inclusion et d’équité. Étant donné l’opacité de la « boîte noire » qui sous-tend les méthodes utilisées par les systèmes d’IA, les enseignants doivent comprendre à la fois comment l’IA est entraînée et comment elle fonctionne. Ils doivent également être en mesure d’examiner d’un oeil critique l’exactitude des contenus générés par l’IA et de concevoir des méthodes pédagogiques appropriées pour guider l’utilisation du contenu synthétisé par l’IA dans l’enseignement et l’apprentissage.

« L'intelligence artificielle, une arme géopolitique » (France Culture)

Duel États-Unis-Chine, à coup de milliards de dollars et de modèles de langage toujours plus révolutionnaires. Sommet à Paris coprésidé par l'Inde et annonces d'ambitions démesurées dans le monde entier. L'IA est devenue une arme géopolitique majeure. Voici les clés historiques de ce développement crucial dans une série audio de la rédaction de France Culture, en 6 volets.

« Les sacrifiés de l'IA » (France 2).

Magiques, autonomes, toutes puissantes : les intelligences artificielles nourrissent les rêves comme les cauchemars. Tandis que les géants de la tech promettent l'avènement d'une nouvelle humanité, la réalité de leur production reste totalement occultée. Pendant que les data centers bétonnent les paysages et assèchent les rivières, des millions de travailleurs à travers le monde préparent les milliards de données qui alimenteront les algorithmes voraces des Big Tech, au prix de leur santé mentale et émotionnelle. Seraient-ils les dommages collatéraux dommages collatéraux de l'idéologie du "long-termisme" qui couve dans la Silicon Valley depuis quelques années ?

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Une vidéo sur l'évolution du réseau Internet (1997-2021) à partir des données du projet Opte

Une cartographie mondiale des points de connexion Wi-Fi réalisée dans le cadre du projet WiGLE


Utiliser les applications cartographiques uMap et Framacarte


1) uMap et Framacarte, deux applications open source de cartographie en ligne

uMap est un outil open source qui permet de créer des cartes personnalisées à partir de fonds OpenStreetMap (données en libre accès). Il est possible d'importer des données géographiques en masse au format geojson, gpx, kml, osm. La gestion des calques offre des possibilités de superposition des données. L'application ne propose pas d'animation cartographique. En revanche, elle permet de rassembler un grand nombre de ressources et de les consulter à travers une seule interface cartographique. Le code source ouvert d'uMap est disponible sur GitHub. L'outil, assez simple d'usage, est très utilisé dans le domaine de l'enseignement et de la formation. Il est également mobilisé par des associations ou des mouvements pour développer des sites de cartographie participative. Pour une prise en main par étape, voir le tutoriel Maîtriser uMap en 12 leçons.

Dérivé du logiciel libre uMap, Framacarte, permet de dessiner, marquer, colorier, annoter les fonds de carte d’OpenStreetMap. L'application fait partie de la série d'outils libres proposés par Framasoft. Framacarte permet d'exporter le code et d'insérer la carte sur son site web (voir ce tutoriel).

Les applications en ligne uMap et Framacarte ne remplacent pas les outils de traitement cartograhique, tels Khartis ou Magrit. Leur vocation n'est pas de manipuler de la donnée statistique, mais plutôt d'assembler des ressources géolocalisées et de permettre une navigation entre ces ressources (cartes, images, textes...). Lorsqu'elles sont scénarisées, ces ressources géolalisées peuvent donner lieu à une narration et déboucher sur des story maps. Il s'agit d'outils de géovisualisation plus que de traitement cartographique. Vous pouvez vous reporter à la rubrique Globes virtuels et applicatifs pour accéder à d'autres outils de géovisualisation. Framasoft a fait également une page pour présenter la cartographie libre à vélo.

Carte participative des bassines contestées en France (source : uMap)


2) Présenter ses ressources pédagogiques avec uMap 

Jean-Christophe Fichet, professeur agrégé dans l’Académie de Normandie et formateur, montre comment utiliser uMap pour présenter géographiquement une large palette de ressources pédagogiques (films, textes…). 

Cartes à l’appui depuis son site Cartolycée, son témoignage ouvre des perspectives aux enseignants pour s’approprier les sujets, aux élèves pour plonger dans des documents variés, et à tous ceux qui veulent faire vivre des documents sur des cartes.

Lire son interview sur le blog d'uMap.


Exemples d'applications pédagogiques :

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Utiliser Khartis dans le cadre de la géographie scolaire

Utiliser Magrit dans le cadre de la géographie scolaire


Différences par sexe selon les pays dans l'utilisation des réseaux sociaux à partir des données Facebook


Source : Cross-Gender Social Ties Around the World. Par Michael Bailey, Drew Johnston, Theresa Kuchler, Ayush Kumar, Johannes Stroebel (2025).

Résumé

Les économistes, sociologues et autres spécialistes des sciences sociales s’intéressent depuis longtemps aux déterminants et aux effets des liens sociaux entre les sexes (par exemple, McPherson, Smith-Lovin et Cook, 2001 ; Currarini, Jackson et Pin, 2009). Cependant, en raison d’un manque de données représentatives et à grande échelle, les travaux empiriques ont généralement étudié les liens sociaux dans un seul contexte ou une seule zone géographique, empêchant une analyse systématique des variations spatiales ou autres, entre les sexes. Ici, est présenté et analyse un nouvel ensemble de données mondiales sur les "liens d’amitié" (followers) entre les sexes au niveau infranational pour près de 200 pays et territoires. Les mesures sont basées sur plus de 1,38 trillion de liens sociaux observés entre plus de 1,8 milliard d’utilisateurs sur Facebook, un service mondial de réseautage social en ligne. Les données agrégées sont disponibles en téléchargement sur le site HDX. Le but est de faciliter de nouvelles recherches visant à comprendre la dynamique qui façonne la formation des liens sociaux entre les sexes, ainsi que les effets de ces liens.

Cartes du ratio d'amitié entre les sexes parmi les 200 "meilleurs amis" (source : Bailey, Johnston & al, 2025)

Les auteurs ont mesuré les différences entre les sexes en utilisant le Cross-Gender Friending Ratio (CGFR), le rapport entre la part d'amies dans les réseaux d'hommes et la part d'amies dans les réseaux de femmes en fonction des lieux. Les hommes ont presque toujours une proportion plus faible d’amies féminines que les femmes, mais avec des degrés variés selon les pays. Dans tous les pays, le CGFR est un indicateur très prédictif des différences entre les sexes en termes de participation au marché du travail. Au sein des pays, on observe également une forte corrélation avec les attitudes liées au genre dans l'enquête World Values Survey, notamment les croyances sur l'aptitude des femmes à faire de la politique. Au delà des biais d'interprétation inhérents à ce type d'information, l'intérêt est de pouvoir les confronter avec d'autres jeux de données.

Accès aux données sur le site data.humdata.org

Accès à l'article sur le site de Drew Johnston

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Quelle est la puissance des cartes ? (Arte)


Quelle est la puissance des cartes ? (Arte, 42- La réponse à presque tout, 15 septembre 2024) 

« Combien de fois par jour dégainez-vous votre téléphone portable pour trouver votre chemin ? Et que voyez-vous à première vue sur l'écran ? A première vue, les cartes géographiques semblent neutres. A grande échelle, elle représentent les continents. A plus petite, notre environnement proche. Elles donnent à voir le monde tel qu'il est... enfin en principe. Les cartes racontent toujours une histoire. Elles sont de puissants narratifs. Et si les cartes n'étaient pas si neutres que cela ? Si elles avaient même le pouvoir de façonner notre vision du monde ? »

« Quelle est la puissance des cartes ? » (source : documentaire de la chaîne Arte

Les cartes reflètent souvent un point de vue et sont un élément constitutif de l'identité des pays. L'émission propose de réfléchir à la puissance des cartes en interrogeant le choix de la projection, le choix du cadrage, mais aussi le tracé des frontières qui peut être artificiel (surtout lorsque les frontières sont tracées avant même de s'emparer du territoire). Sont abordés également les "silences cartographiques" par exemple dans Google Maps qui nous indique où nous garer ou faire du shopping, mais pas les lieux où l'on pourrait faire du skateboard ou encore là où l'on pourrait se poser sans avoir à consommer. Certains quartiers n'avaient tout simplement pas d'existence sur Google Maps et il a fallu des initiatives comme OpenStreetMap pour que la cartographie soit faite de manière participative C'est le cas par exemple du quartier de Kibera (200 000 habitants) dans la banlieue de Nairobi qui n'avait pas été cartographié dans Google Maps mais a pu trouver une existence dans OpenStreetMap grâce au projet communautaire open source Map Kibera. On peut citer également le travail de collecte de données et de cartographie humanitaire dans OSM lors du séisme de 2010 à Haïti. 

Cartographie citoyenne émancipatrice (source : Map Kibera)

Ces contre-cartes ont le pouvoir de nous raconter une histoire alternative. Elles nous montrent qu'un autre monde existe. Trois groupes en particulier remettent en question le pouvoir des cartes : les pays du Sud global, les artistes et les cartographes critiques (voir par exemple cette carte du monde sans les Etats-Unis par les Surréalistes qui a inspiré l'artiste Greg Curnoe pour sa carte de l'Amérique du Nord). Comme il est rappelé dans l'émission, « les cartes sont l'expression de la diversité des regards sur le monde. La carte unique et neutre n'existe pas ». 

Le monde au temps des Surréalistes - carte anonyme (source : Gallica

Au total, la chaîne Arte propose là un bon documentaire pour prendre de la distance par rapport aux cartes qui ne sont jamais neutres. Elle montre que la puissance des cartes ne tient pas seulement au choix de la projection ou de l'orientation : les processus de sélection de l'information ou de concentration du pouvoir aboutissent à invisibiliser une partie du territoire (#BlancsDesCartes).

D'autres exemples pourraient être pris pour montrer tout à la fois la puissance et l'impuissance des cartes à restituer le réel. Ce n'est pas le moindre paradoxe de la cartographie que de mettre en visibilité tout en dérobant en même temps à notre regard une partie de l'information.

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Les Rencontres de la Cartographie. Faire de la carte un levier de conscience et de démocratie
https://www.ign.fr/rencontres-de-la-cartographie

Une coalition d’acteurs engagés - l’IGN, la Banque des Territoires, OVHcloud, CY école de design (CY Cergy Paris Université), le Conseil national de l'information géolocalisée (CNIG), la Fabrique de la Cité, Leonard (Groupe Vinci) - lance une initiative pour faire de la carte et de l’information géographique un levier de démocratie au service de nos territoires.

  • Repenser notre rapport au monde
  • Réorienter la puissance transformatrice de la cartographie
  • Pour une nouvelle alliance cartographique
  • Un appel à renforcer l’initiative
Nous vous invitons à rejoindre cette aventure passionnante pour faire de la cartographie un outil de transformation au service d'un avenir durable et équitable. La cartographie a le pouvoir de nous rassembler, de nous inspirer et de nous outiller pour débattre et décider ensemble. 

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Travailler en équipe avec l'outil Ma carte de l'IGN


Depuis octobre 2024, l'application Ma carte de l'IGN permet à ses utilisateurs de travailler en équipe pour réaliser et diffuser des cartes sur Internet. Jean-Marc Viglino, ingénieur à l'IGN, propose un rapide retour d'expérience après 3 mois d'essai.

L'article montre l'intérêt de travailler en équipe ainsi que les étapes à suivre pour réaliser des cartes concues à plusieurs. Avec cette fonctionnalité, l'outil développé par l'IGN (Institut national de l'information géographique et forestière) offre de nouvelles perspectives pour la création de cartes au sein d'une organisation et permet de mettre en place une véritable chaine de rédaction afin de contrôler la publication de vos cartes en ligne.

Pour plus d'informations sur Ma carte : 

Exemples d'applications :

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Atlas radical de Ferguson


Patty Heyda, 
Radical Atlas of Ferguson, Belt Publishing, 2024.

Ferguson, dans le Missouri, est devenue l'épicentre des tensions raciales aux États-Unis après le meurtre de Michael Brown en 2014 et les manifestations qui ont suivi. Bien que cette banlieue, située dans la périphérie de Saint-Louis, puisse ressembler à une ville moyenne du Midwest, l'activisme qui s'y est développé après le meurtre de Brown a mis en évidence comment les politiques de planification municipale ont conduit à la ségrégation raciale, à la fragmentation, à la pauvreté et au ciblage policier.


En une 100e de cartes, Patty Heyda retrace les forces systémiques qui ont modelé Ferguson et, plus largement, les périphéries urbaines aux Etats-Unis. À travers un examen approfondi des contradictions qui sous-tendent l'urbanisme et la conception des villes, elle met en lumière la manière dont les incitations fiscales, les codes du logement, l'urbanisme, la police, la philanthropie et même l'aménagement paysager vont souvent à l'encontre de l'amélioration de la vie des résidents. Au cœur de cette réflexion se trouve une question clé : pour qui nos villes sont-elles construites ?

L'Atlas radical de Ferguson se veut une profonde réflexion sur ce que peuvent être les cartes. Il invite les urbanistes, les designers et les citoyens ordinaires à changer leur regard sur l'espace public. « Ce que nous observons à Ferguson et dans le nord du comté se produit dans toutes les villes américaines. Les tendances sont seulement plus prononcées ici. ». Pour l'auteure, les cartes du livre sont destinées à mobiliser également les résidents et les militants.

Quand on observe effectivement l'environnement bâti de Ferguson, cela ressemble à un patchwork d'espaces ségrégés. En août 2014, dans les rues de Ferguson, dans le Missouri, des manifestants ont réclamé justice pour Michael Brown et la reconnaissance de décennies d’inégalités accumulées. Cette lutte – à la fois politique, économique, sociale et historique – a mis en lumière un autre obstacle structurel, assez surprenant : l’environnement bâti de Ferguson lui-même : « L’espace public est censé aider les gens à s’exprimer. Mais lorsque les politiques publiques cèdent la place à la richesse privée et à l’économie de marché, le résultat est fragmenté, ségrégué et toxique. »

Le terme "radical" vient du latin qui signifie racine. « Pour moi, un atlas radical peut revisiter des données que nous connaissons déjà – sur la démographie, la pauvreté ou les écarts d’espérance de vie, par exemple. Ou il peut présenter de nouvelles conclusions. Mais l’objectif d’une cartographie radicale est de nous aider à identifier les systèmes racinaires sous-jacents. Ainsi, à Ferguson, lorsque nous examinons la santé, nous examinons également la disponibilité des assurances et les types de restauration rapide. Lorsque nous examinons les taux d’asthme, nous examinons également les autoroutes, l’industrie et la déréglementation.

Patty Heyda est professeure agrégée d'architecture et d'urbanisme à l'Université Washington de Saint-Louis. Elle est co-auteure de Rebuilding the American City (Routledge). 

Pour en savoir plus 

« Ce que Ferguson révèle du racisme systémique aux États-Unis » par Charlotte Recoquillon (Géoconfluences).

« The infrastructure of fragmentation. Heyda’s "Radical Atlas of Ferguson USA" explores the built environment » (WashU).

« In Radical Atlas, 100 maps show the what and why of Ferguson » (St Louis Public Radio).

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Carte de répartition des risques naturels en France métropolitaine (IGN)


Source : « Risques naturels : comment se répartissent-ils sur le territoire ? » (IGN, 29 janvier 2025)

Réalisée par l'IGN, cette carte montre la répartition des six principaux types de risques naturels en France hexagonale et en Corse. Les risques représentés sont assez divers : inondations, mouvements de terrain, séismes, submersion marine, feux de forêt et avalanches. L'Atelier de cartographie thématique de l'IGN a « pour vocation de venir en appui aux services publics dans la mise en valeur cartographique de leurs données et d'être un espace de réflexion autour de la sémiologie graphique et des façons les plus efficaces de représenter les évolutions des territoires ». Cette carte est intéressante. Elle n'est pas sans poser des problèmes de lecture et d'interprétation.

Répartition des six principaux types de risques naturels en France hexagonale et Corse (source : IGN)

Mode de construction

La carte a été réalisée à partir des données du site Géorisques, du Ministère de la Transition Écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche et du BRGM. Pour chaque cellule disposée sur une grille hexagonale (pas de 20 kilomètres), la carte révèle si au moins une commune comprise dans cette zone dispose d’un Plan de prévention des risques (PPR). Chaque couleur correspond à un type de risque identifié : avalanche (en rose), feu de forêt (en orange), inondation (en bleu), mouvement de terrain (en vert), séisme (en jaune) et submersion marine (en bleu). Les petites cartes situées au bas de la carte de synthèse détaillent de manière utile la répartition de chaque risque pris individuellement. Ce qui permet de faciliter la lecture de cette carte, quelque peu difficile à comprendre au premier coup d'oeil.  

Message général délivré par la carte

Comme expliqué sur le site, il s'agit d' « illustrer la répartition des principaux risques naturels en France hexagonale et Corse », mais aussi de montrer « les menaces que le changement climatique intensifie, rendant indispensable une planification adaptée pour connaitre et anticiper les risques et développer notre capacité de résilience face aux aléas ». La carte a donc une double mission d'information et de sensibilisation.

Lorsqu'on observe la carte, apparaît une forte dominance de bleu et de vert. Elle montre bien que le risque inondation constitue le risque majeur, suivi par les mouvements de terrain. La carte met également en évidence la coexistence de différents risques sur le territoire national. Toutefois, le titre pose problème : il ne montre pas assez qu'il s'agit seulement des risques identifiés par les PPR. Il faut aller lire en détail la légende pour le comprendre. Or, toutes les communes françaises ne sont pas dotées d'un PPRN qui reste un zonage réglementaire et sert d'abord comme document opposable (voir la carte des communes disposant d'un PPRN sur Géorisques). Le risque est donc de confondre la répartition réelle des risques et celle traduite indirectement à travers un document d'aménagement (même s'il existe bien sûr un lien entre les deux). 

Problèmes posés par les choix méthodologiques et sémiologiques

Au delà du titre de la carte, se pose aussi le problème de la pertinence de ramener une donnée acquise à l'échelle communale sur une grille hexagonale de 20 km. Certes, cela permet de spatialiser le risque de manière uniforme sur le territoire en faisant abstraction du découpage administratif des communes. Mais en même temps cela pourrait laisser penser qu'il s'agit de la maille d'acquisition de la donnée, qui de fait n'a pas ce degré de résolution. 

Du point de vue du choix des variables visuelles (juxtaposition de triangles de couleur au sein d'une maille hexagonale), la carte peut s'avérer d'une lecture difficile dans les secteurs où différents risques coexistent. On peut être perturbé par l'effet "psychédélique" produit par le choix de figurés géométriques pour représenter des territoires à risques. D'autant qu'il s'agit de risques fort différents n'ayant pas les mêmes périmètres de risques et qui concernent des communes souvent dissemblables (cf cas spécifique des communes situées sur le littoral pour le risque de submersion marine). C'est l'un des défis posés par une carte de synthèse qui cherche à généraliser l'information.

Effet visuel produit par les figurés géométriques lorsque l'on zoome sur la carte (source : IGN)


Au total, cette carte vaut surtout pour son originalité. Elle mérite d'être recoupée avec d'autres cartes de risques (voir par exemple les cartes interactives proposées par Géorisques). Comme beaucoup de cartes produites par ordinateur, elle nécessite d'être décryptée et déconstruite pour en analyser et discuter le sens et en montrer les éventuels biais d'interprétation.

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