Un nouveau virus de la famille du SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère) se propage en Asie depuis décembre 2019.
Le coronavirus 2019-nCoV semblable à une pneumonie (dit aussi "virus de Wuhan", du nom de la ville de 11 millions d'habitants où il s'est déclaré) se diffuse à partir de la Chine et atteint désormais la plupart des autres pays. Le virus se transmet par contagion d'homme à homme et son délai d'incubation est de 2 à 14 jours. Les autorités sont en alerte d'abord en Chine où le nombre de victimes enregistrées a été le plus élevé, mais aussi à l'échelle mondiale en raison de la propagation rapide de l'épidémie.
Le coronavirus se propage certes rapidement, mais il a un taux de mortalité estimé pour l'instant à 2% avec une forte variation inter-âge. Selon les scientifiques, la souche du virus serait moins puissante que le SRAS mais
plus contagieuse (voir le
MicrobeScope qui croise la contagiosité et la mortalité en fonction des maladies infectieuses, repris sous forme de
schéma par Le Monde-Les Décodeurs). Face à un risque de diffusion de l'épidémie à l'échelle mondiale, différents organismes de santé (dont l'
OMS) publient des données pour informer les populations.
A partir de ces données fournies quasiment en temps réel, les médias et les réseaux sociaux produisent des cartes pour montrer la diffusion spatiale de l'épidémie à partir des cas officiellement recensés. Nous proposons dans un premier temps de comparer ces cartes plus ou moins rigoureuses et parfois anxiogènes par le choix des couleurs et le mode de représentation. Puis nous nous intéressons aux outils, aux données et aux méthodes qui permettent d'aller vers une approche cartographique plus scientifique, notamment pour développer la prévention auprès des populations. Au delà de l'exemple du coronavirus comme symbole des paniques de notre siècle, l'article vise à esquisser une réflexion sur la cartographie des épidémies à l'ère de la mondialisation.
1) Les cartes d'épidémie diffusées par les médias et les réseaux sociaux
L'infographie ci-dessous, réalisée par Visactu, répertorie au 23 janvier 2020 le nombre de morts liés au coronavirus. Elle constitue un
mapfail par le fait qu'elle indique
des chiffres bruts en aplats
de couleur, sans parler du choix de la couleur rouge qui attire l'oeil
et laisse penser que toute la Chine est contaminée par cette maladie
infectieuse. On ne compte plus le nombre d'erreurs sémiologiques dans les cartes en aplats publiées sur Internet à l'occasion de cette épidémie du coronavirus (voir par exemple les cartes proposées par
Capital,
The Big Data Stats,
Bloomberg.com, BBC News,
Dxy.cn, BFM TV). Un monde qui deviendrait de plus en plus rouge au fur et à mesure de la diffusion du virus...
La site Lies Breaker en donne une vision encore plus anxiogène avec une diffusion du virus représentée comme la propagation d'une "onde sismique" se répercutant progressivement à l'ensemble des pays (cf dégradé de rouge). Les médias véhiculent largement cette métaphore en parlant d'"épicentre" du coronavirus comme si la contagion se propageait en fonction de la distance à cet épicentre, alors que les modèles de diffusion sont en réalité beaucoup plus complexes.
Certains médias comme par exemple le
New York Times ou
Les Echos ont fait d'autres choix plus respectueux des règles de la sémiologie graphique en adoptant par exemple un mode de représentation par point ou par
isotype, qui consiste à répéter un symbole à l’identique autant de fois que nécessaire pour en représenter la quantité voulue (cf Otto Neurath,
International Picture Language, 1936). Ce mode de représentation est plus efficace pour exprimer des chiffres bruts.
Au fur et à mesure de l'avancée de l'épidémie, certaines cartes
produites par les journaux peuvent elles-mêmes évoluer (voir par exemple
cette
deuxième carte proposée par Les Echos le 26 janvier). La présentation de l'information peut également différer selon sa provenance, à partir de sources chinoises ou d'autres pays (voir cette carte de la diffusion du virus par le site
Hangzhou Expat).
Le Washington Post a opté également pour une cartographie en mode points, mais avec des figurés proportionnels (
"Mapping the spread of the new coronavirus"). Consulter également sa storymap montrant "où le virus a commencé et pourquoi les autorités sont si inquiètes". La société Visactu propose une datavisualisation interactive ainsi qu'une cartographie animée, où les cercles proportionnels changent de taille en fonction du niveau de zoom, ce qui pose d'autres problèmes d'interprétation.
France Info a opté pour une cartographie mêlant figurés surfaciques et figurés ponctuels. S'il est vrai que les villes chinoises très peuplées sont
particulièrement vulnérables (voir cette animation montrant l'explosion urbaine), il est difficile de dire quel est le
périmètre de diffusion du virus dans et autour des villes. Plusieurs
tentatives de cartographie ont été proposées : en mode de représentation par aplats (voir cette cartographie thématique des provinces chinoises), en mode ponctuel (voir cette carte diffusée par CNN) ou encore, plus originale, sous forme de heatmaps
pour essayer de faire ressortir les centres de propagation. China Highlight propose une représentation en aplats mais à l'échelle des provinces. On note aussi quelques tentatives pour
essayer de cartographier les zones urbaines chinoises mises en
confinement (voir par exemple cette carte). La plupart
de ces cartes s'inscrivent dans une approche "contagioniste" (voir plus
bas les travaux de G. Fabre). L'article de Kenneth Field fait le point sur les différentes manières de cartographier le coronavirus à l'échelle de la Chine et la manière dont ces cartes ont pu influer sur le "récit" de l'épidémie (How mapping coronavirus responsibly).
Une autre façon de représenter l'épidémie de coronavirus consiste à utiliser un diagramme alluvial pour évoquer l'idée de flux et de contagion. L'effet est assez saisissant avec toujours le choix du rouge sur fond noir.
Avec
l'augmentation des voyages dans le monde, une épidémie dans un pays
peut se propager en seulement 36 heures (voir cette carte des flux aériens sur le site Prevent Epidemics ou cet outil de simulation proposé par le site Flirt qui permet de calculer le nombre de passagers à partir d'un aéroport et d'une période donnés). Selon une étude scientifique fondée sur les flux aériens (et malgré une carte trompeuse diffusée dans les médias), ce sont environ 60 000 voyageurs qui ont quitté Wuhan avant son confinement. Pour comparer le trafic aérien en Chine avant et après la crise sanitaire, on peut utiliser cette animation réalisée à partir de l'application FlightRadar 24. Selon le New York Times qui a comparé le trafic aérien au-dessus de la Chine le 22 janvier (avant l'épidémie)
et le 13 février (après l'épidémie), c'est un manque à gagner de 13 000 vols. Le trafic a chuté de manière significative non seulement en Chine mais aussi à l'international. Les touristes chinois représenteraient environ 20% des dépenses touristiques mondiales. Selon l'International Air Transport Association, la perte de trafic aérien pourrait se traduire par une baisse des revenus de 27,8 milliards de dollars pour les compagnies aériennes en 2020.
En 2017, France Culture a consacré une émission à la
cartographie des épidémies mondialisées, assortie de cartes
d'interprétation permettant de montrer les facteurs de diffusion qui ont
pu entrer en jeu. Celles-ci mettent en évidence le rôle important des
flux aériens lors de l'épidémie de SRAS en 2003, la porosité des
frontières régionales lors de l'épidémie ébola de 2014 ou encore les
effets de l'urbanisation dans le cas de zika en 2015.
Alternatives économiques a proposé une carte de diffusion du virus SRAS en 2003, qui témoigne du rôle important des liaisons aériennes.
D'autres facteurs pourraient être en cause. Le site
Actuel Moyen rappelle par exemple que
l'épidémie de Peste noire au XIVe siècle était en partie due à un bouleversement climatique (lire ce thread). Certaines études établissent aujourd'hui des liens
entre
déforestation et mondialisation des maladies infectieuses. La destruction des milieux naturels due à la déforestation et à l'expansion urbaine, engendre des migrations animales et augmente les risques de transmission (60% des maladies infectieuses dans le monde sont d'origine animale, dont les 2/3 par contacts avec des animaux sauvages). Comme le rappelle Didier Sicard, il importe d'enquêter sur
l'origine virale de l'épidémie car les maladies virales (VIH, grippes aviaires type H5N1,
Ebola...) viennent toujours d’un réservoir de virus
animal. Dans le cas du coronavirus qui se comporte à bien des égards comme le SRAS, il s'agit d'une maladie zoonotique
dont les agents sont transmis de l'animal à l'être humain (les deux maladies semblent avoir commencé chez les chauves-souris). Le coronavirus aurait peut-être aussi transité par le pangolin. La longue période d'incubation - jusqu'à 14 jours pour le coronavirus contre environ deux jours pour la grippe - signifie que les gens peuvent être malades et transmettre la maladie avant l'apparition des symptômes. Comme pour la transmission du SRAS-CoV, il est établi que la transmission du 2019-nCoV s'effectue de personne à personne par voie
aérienne via des gouttelettes respiratoires, par contacts directs avec
des sécrétions ou liquides biologiques, ou encore par l’intermédiaire
d’objet contaminés (voir synthèse de l'Inserm sur le coronavirus). D'après les premiers résultats d'une étude épidémiologique conduite en janvier 2020, le virus 2019-nCoV serait à 80% identique au SRAS avec 20% d'origine inconnue. Pour l'instant, il n'existe pas de modèle prédictif de diffusion de la maladie, même si des chercheurs de l’Inserm ont commencé à élaborer un
modèle pour estimer le risque d’importation de l’épidémie en Europe. A partir de l'exemple du SRAS, d'autres chercheurs ont travaillé pour comprendre comment le coronavirus se propage
dans un avion et quel serait l'endroit le plus sûr pour prendre place à bord. En Corée du Sud, on a pu reconstituer l'histoire d'une contamination massive à partir du trajet d'une seule personne devenue un super-diffuseur (lire l'histoire de la
Patiente 31 à l'origine de 60% des cas dans le pays ou encore le cas des "super-propagateurs" de la station touristique d'
Ischgl en Autriche).
Si la mondialisation peut être un accélérateur des épidémies ou des pandémies, c’est aussi grâce à elle que l'on connaît aujourd'hui une diffusion des moyens de prévention
et de guérison.
Les plus grands centres de recherche se sont engagés à publier au plus vite en open access tous leurs travaux concernant le virus 2019-nCov (voir par exemple cette sélection d'articles sur Springer ou l'article "Comment le coronavirus a réveillé l'intelligence collective mondiale"). Les médecins se tournent aussi vers Internet et les
médias sociaux pour développer en temps réel des traitements contre le virus. On peut malgré tout s'interroger si la mondialisation de l'information n'entretient pas en partie les peurs paniques d'autrefois. Les virus ont toujours été vecteurs de peur (lire cet
article). L’histoire des épidémies est révélatrice des « peurs en Occident » (Delumeau, 1978). Ce qui effraie le plus les populations, ce n'est pas seulement le devoir de fuir ou de se confiner, c'est surtout le fait de ne pas pouvoir accomplir les rites funéraires (voir ces
extraits). Pour Jean Delumeau, "les peurs se modifient, mais la peur demeure" (
La peur et l'historien, 1993). Comme l'a montré le
sociologue Gérard Fabre, qui a travaillé sur les représentations de la peste de 1720 en Provence, la peur de la contagion a développé depuis plusieurs siècles un imaginaire du mal en Occident. Des épidémies de peste au sida, l'auteur montre la
persistance des "représentations contagionistes". Les réponses de prévention apportées par les autorités aux épidémies s'ancrent dans la peur de ces peurs populaires. Toutefois, le discours de prévention n'influe guère sur le noyau dur des représentations du mal contagieux (voir le
CR de l'ouvrage de G. Fabre,
Épidémies et contagions. L'imaginaire du mal en Occident). Pour
Ruth Rogaski, la santé et la maladie qui sont au centre de la culture chinoise s'ancrent également dans la vision négative que les puissances européennes ont imprimé à travers leurs préoccupations hygiénistes au cours du XIXe et XXe siècle (
Hygienic Modernity Meanings of Health and Disease in Treaty-Port China, 2004).
Face aux épidémies, les fantasmes se sont
aujourd'hui modernisés. L'épisode 1 de la série "Pandémie" diffusée en 2020 par la chaîne Netflix contient une carte qui localise la prochaine épidémie aux Etats-Unis et en Chine, précisément à partir de la province centrale du Hubei (voir la
bande annonce), ce qui alimente toutes les peurs. Le
laboratoire P4 à très haut niveau de sécurité, qui a ouvert en 2017 à Wuhan pour étudier notamment le SRAS, est cité sur Internet comme un foyer qui pourrait être à l'origine de l'épidémie (voir les
fake news relevées sur Twitter). La peur enfle au fur et à mesure de la propagation du virus
(voir notre recensement de cartes et d'images véhiculant des fausses représentations ou des stéréotypes). L'épidémie de coronavirus s'accompagne parfois de
comportements racistes envers la Chine et envers les Asiatiques. Les
Français deviennent à leur tour
personna non grata dans certains pays. "La panique est plus mortelle et contagieuse que n'importe quel virus, et
toutes les réponses à l'épidémie doivent être basées sur la science au
lieu de la peur", a déclaré
Hua Chunying, porte-parole du
ministère chinois des Affaires étrangères. Au delà des modes de diffusion et de réception de l'information à l'heure d'Internet se pose la question de la surveillance généralisée des populations en Chine à travers l'usage des technologies : cf par exemple l'utilisation de
drones pour diffuser des consignes de confinement, le contrôle systématique de la température corporelle des passagers par des
caméras thermiques dans les aéroports ou encore l'usage d'un
QR code médical pour pouvoir circuler.
Les rumeurs se diffusent aujourd'hui via les réseaux sociaux (voir les termes les plus recherchés sur
Google Trends). Il peut être intéressant de comparer les
requêtes effectuées sur le moteur de recherche Google et sur le moteur chinois Baidu. Beaucoup d'internautes ont cherché à savoir si le coronavirus pouvait avoir un lien quelconque avec la bière
Corona. D'aucuns ont fait un parallèle avec le film
Contagion de Steven Soderbergh. Les films et séries télévisées basés sur des peurs paniques liées à la diffusion d'épidémies ont connu de nouveaux
pics d'audience. Il faut savoir qu’un
virus capable de muter ne signifie pas que tout le monde va mourir (en mutant, un virus peut devenir parfois moins virulent).
Pics d'audience de
films et séries télévisées basés sur des flambées épidémiques (source : Google Trends)
D'autres n'hésitent pas à comparer la carte de diffusion du coronavirus à celle du célèbre jeu de simulation Plague Inc. Le but de ce jeu, sorti en 2012, est de mettre au point une maladie la plus fatale
et la plus infectieuse possible afin de décimer toute la population du
globe. Le jeu Plague Inc connaît des
records de vente depuis le début de l'épidémie. Le jeu compte parmi les cinquante titres les plus téléchargés sur les
boutiques Steam ou encore Play Store, et figure, sur la boutique en
ligne de Google, parmi les « choix de l’équipe » (il a été cependant été supprimé de l'
App Store chinois). Le succès de ce simulateur d'épidémie est tel que son créateur a mis en garde le public que son titre, aussi réaliste fût-il, n'était
pas un modèle scientifique. A l'inverse, le site
La Main à la pâte a fourni des scénarios pédagogiques de lutte contre les pandémies virales qui permettent de dépasser le catastrophisme ambiant et d'initier à la démarche scientifique à travers l'utilisation de modèles de diffusion et de prévention.
L'interface du jeu
Plague Inc et sa carte du monde à dominante rouge
Sur Internet et les réseaux sociaux, on trouve de nombreuses cartes renvoyant au spectre de flambées épidémiques, anciennes ou actuelles.
2) Les outils, les données et les méthodes qui permettent d'aller vers une approche cartographique plus scientifique
La cartographie des épidémies a une longue histoire. On peut citer les travaux précurseurs
de John Snow sur la cartographie du choléra à Londres à l'époque
victorienne, qui est l'une des plus anciennes cartes (1854) par densité
de points figurant la distribution d'un phénomène géographique dans
l'espace. Le
World Atlas of Epidemic Diseases propose une mise au point sur l'origine des premières cartes médicales au XIXe siècle. Qu'il s'agisse de la peste ou d'autres maladies, les épidémies ont souvent suivi les grands axes de circulation commerciaux et militaires (lire l'article "Interpréter les épidémies du passé" sur le site
Géoconfluences).
Pour Andrew
Cliff et Peter Haggett, auteurs du World Atlas of Epidemic Diseases qui constitue un ouvrage de référence paru en 2004, la propagation des maladies épidémiques repose sur trois
modes principaux de diffusion : le mode hiérarchique (entre grandes métropoles), le
mode local (par voisinage) et le mode "par saut" (lire cet article). C'est ainsi que la grippe de 1889-90 en Suisse s'est propagée d'abord à partir des communes desservies par le chemin de fer, puis par voisinage dans les communes alentours (lire cet article). L'explosion des flux aériens a tendance à favoriser un mode de diffusion par saut. D'autres géographes ont proposé une approche moins mécanique et moins focalisée sur les processus de diffusion spatiale de manière à appréhender les épidémies dans leurs
interactions sociales (lire cet
article).
Aujourd'hui la cartographie des épidémies mobilise d'importants moyens de surveillance avec la production de bases de données et d'outils d'analyse associés.
La carte interactive des cas mondiaux du coronavirus de Wuhan (2019-nCoV), créée par des chercheurs américains du Johns Hopkins University's Center for Systems Science and Engineering (JHU-CSSE), tient un décompte officiel des cas déclarés de coronavirus. La carte utilise des données de l'Organisation mondiale de la santé, du Center for Disease Control et du Comité national de santé de la République populaire de Chine, ainsi que du site Dxy.cn destiné aux professionnels de santé chinois. Elle est mise à jour quotidiennement et les données mises à disposition sont téléchargeables. Avec ses pastilles rouges sur fond noir, cette carte n'est pas des plus rassurantes.
Cas détectés et nombre de décès liés au coronavirus (source : JHU-CSSE)
En reprenant la même source de données, le site
BNO News propose un recensement à travers l'interface de Google Maps (données mises à jour et directement téléchargeables au
format kml).
Cas détectés et nombre de décès liés au coronavirus (source : BNO News)
Deux développeurs français Kevin Basset et Maxime Michel travaillant à Taiwan ont mis en place
Scriby, une application web développée sous OSM qui rassemble les statistiques et les affiche sous forme de cartes et de graphiques dynamiques que l'on peut intégrer sur son propre site. « Nous avons réalisé qu'il n'existait aucune application permettant de
suivre facilement le coronavirus ». L'application n'est pas une source de données officielle. Cependant, ses créateurs affirment vérifier leurs données statistiques à partir de 22 sources qu'ils citent explicitement. « Nous sommes très prudents lorsqu'on ajoute des cas. Chaque fois qu'un cas est confirmé, nous l'ajoutons. Il y a aussi beaucoup de cas suspects, mais nous ne les indiquons pas sur la carte tant qu'ils ne sont pas confirmés. »
Scriby, une application non officielle mais régulièrement mise à jour (source :
coronavirus.app)
A l'échelle mondiale, le site
HealthMap constitue une autre base de données de référence. Le site permet de suivre les alertes concernant différentes épidémies (coronavirus, rougeole, grippe aviaire, ébola,...). Le site puise ses données auprès de différentes organismes de santé. A noter que HealthMap ne cartographie pas les cas confirmés, mais seulement les alertes qui sont relayées au niveau international. Le site
Liveuamap (Live Universal Awareness Map), qui s'est spécialisé depuis
2014 dans le suivi en direct des tensions et des troubles, relaie également les alertes au niveau de la Chine.
Selon les professeurs Gabriel Leung et Joseph Wu de la Faculté de médecine de l'Université de Hong Kong, le chiffre réel de cas de coronavirus pourrait s'élever fin janvier 2020 à
plus de 40 000,
les villes où il s'est déclaré en Chine étant toutes des nœuds régionaux et internationaux pour le transport (voir leur étude et leur présentation). Le 28 janvier, le
nombre de cas déclarés à Wuhan est passé, en 24h, de moins de 700 à près de
1600. Le nombre de cas déclarés en Chine pourrait dépasser celui du SRAS (5 327 personnes touchées et 800 morts dans le monde en 2002-2003). Une étude publiée le 24 janvier 2020
par Jonathan M. Read & al. estime que seules 5,1% des infections à
Wuhan sont identifiées et que, d'après le modèle de prédiction, le
nombre de personnes infectées sera supérieur à 190 000 début février
2020. Le modèle suggère que les restrictions de voyage depuis et vers la
ville de Wuhan ne peuvent pas suffire à arrêter la
transmission du virus dans le reste de la Chine.
Lauren Gardner de l'Université Johns Hopkins (CSSE), en collaboration
avec Aleksa Zlojutroand et David Rey, ont publié dans un article paru le
26 janvier 2020 (
Modeling the Spread of 2019-nCoV)
un modèle qui intègre à la fois la dynamique et le contrôle des épidémies, avec un
outil d'aide à la décision destiné à atténuer les pandémies de maladies
infectieuses dès le début de leur propagation grâce au contrôle des frontières.
Une étude produite par la société de données Bianco Research estime que, si le taux actuel d’infections reste constant, 183 millions de personnes pourraient être infectées d'ici fin février. Ce modèle prolonge les courbes selon un modèle de régression linéaire, sans tenir compte de l'efficacité éventuelle des mesures. S'il est pour
l'instant difficile de prévoir quelle sera l'ampleur de l'épidémie, la
Chine de Xi Jingping semble disposée à plus de transparence que lors de l'épidémie du SRAS en 2003, qui a été un véritable traumatisme et a commencé à initier une prise de conscience à l'échelle internationale.
Avec
l'essor de la mobilité et le développement généralisé des transports,
il convient de prendre en compte les flux qui participent à la
propagation rapide des agents pathogènes. Les aéroports sont devenus des
points de surveillance et de contrôle stratégiques pour essayer
d'endiguer la propagation des épidémies. Certaines études se sont
intéressé à la modélisation des flux migratoires (voir cette étude sur
les flux migratoires internes concernant la diffusion du paludisme). Dans le cas du coronavirus, l'origine présumée du virus est un marché alimentaire à Wuhan où sont vendus des
fruits de mer, de la volaille, des serpents, des chauve-souris dans des
conditions d'hygiène déplorables (le marché a été fermé depuis et la vente d'animaux sauvages interdite en Chine). Ce
marché de Huanan est
situé à proximité de la gare de Hankou, ce qui a pu faciliter la
diffusion du virus dans les autres villes chinoises (voir cette datavisualisation du South China Morning Post qui reconstitue l'itinéraire probable du coronavirus, à croiser avec cette carte superposant les villes et les moyens de transports ferroviaires en Chine et la carte du réseau ferroviaire chinois à grande vitesse).
Afin de pouvoir mesurer l'impact des transports aériens, le laboratoire MOBS (Université Northeastern) a mis au point le modèle de visualisation GLEAMviz (Global Epidemic and Mobility Model). Ce modèle permet d'estimer la probabilité d'exporter des individus infectés depuis des
sites touchés par le coronavirus vers d'autres régions du monde via le
réseau de transport aérien et les flux domicile-travail. L'utilisateur peut faire des
simulations en entrant différentes variables (lieu de départ, nombre d'individus infectés, temps d'apparition des symptô
mes, restrictions appliquées sur les déplacements...). Les données sont exportables sous forme de graphiques ou de tableaux (à croiser avec le site Flirt qui permet de calculer le nombre de passagers à partir d'un aéroport et d'une période donnés). Les premiers résultats des calculs effectués au sein de la plateforme EpiRisk ont donné lieu à un article publié par le laboratoire MOBS.
Plateforme de simulation
EpiRisk à partir des transports aériens et des flux domicile-travail
Pour pouvoir explorer la "distance effective" par rapport aux lieux infectés par le coronavirus, certains chercheurs proposent une cartographie "en réseau" (
flowmap), plus à même de donner à voir les connexions entre aéroports et le mode de diffusion du virus. Une équipe de chercheurs en biologie de l'Université Humboldt à Berlin travaille sur la modélisation des
systèmes complexes. Cette équipe du Brockman Lab a mis au point une application de
data visualisation très intéressante qui permet de passer de la carte traditionnelle à une visualisation sous forme de graphe hiérarchisé (voir ci-dessous). Le code couleur correspond aux continents et les étiquettes renvoient aux noms des aéroports représentés en fonction de leur trafic et de leur connectivité. Ce type de data visualisation offre une vue des hubs aéroportuaires et de leurs interconnexions à différentes échelles. En déplaçant la souris sur la carte, on affiche le nom complet de l'aéroport, son nombre de passagers et sa connexité par rapport aux lieux de contamination. A partir de l'aéroport qu'il a choisi, l'utilisateur peut visualiser son degré d'interconnexion par rapport aux autres. Outre ses nombreuses possibilités de visualisation dynamique, cette application cartographique permet de jouer sur les métriques et de comparer différents types de distance. Cela reste un outil d'exploration visuelle et il est parfois difficile d'interpréter ce que donnent à voir les différents graphes proposés.
Graphes des aéroports et "distance effective" entre eux susceptible d'influer sur la propagation (source :
rocs.hu-berlin.de)
Des chercheurs de RTI International, en collaboration avec des chercheurs de l'Université Harvard, de l'Université d'Oxford et de l'Université de Toronto, ont travaillé pour comprendre la propagation du nouveau coronavirus 2019 en utilisant les données de géolocalisation de la plateforme de réseau social Twitter. Ils ont créé une base de données de tweets pendant le mois de janvier, avant que les voyages à destination et en provenance de Wuhan soient limités par les autorités chinoises. Ils ont examiné l'activité du groupe sur Twitter pendant une période de 30 jours pour déterminer s'ils avaient voyagé en dehors de Wuhan, en fonction des données géolocalisées de chacun de leurs tweets. Les chercheurs s'attendent à ce que de nouveaux cas soient signalés au Royaume-Uni (ce qui a été confirmé entre temps), en Arabie saoudite et en Indonésie (voir leur rapport).
Étude à partir des messages envoyés sur Tweeter au cours du mois de janvier 2020 (source : RTI International)
Cette approche de la diffusion des épidémies via l'étude des réseaux sociaux est corroborée par l'analyse faite par le site Digimind Historical Search qui montre que, du 27 décembre au 28 janvier 2020, les
gros volumes de messages sur les réseaux (toutes langues
confondues) concernent principalement les zones où se trouvent des cas
avérés de coronavirus. Une plateforme canadienne de surveillance sanitaire a d'ailleurs fourni dès le 31 décembre les premières alertes sur l'épidémie du coronavirus de Wuhan en utilisant BlueDot, un algorithme basé sur l'intelligence artificielle (IA) qui utilise des techniques de traitement en langage naturel et d'apprentissage automatique pour parcourir les reportages en 65 langues, ainsi que les données des compagnies aériennes et les rapports d'épidémies de maladies animales.
Les gros volumes de messages sur les réseaux sociaux (27 décembre - 26 janvier) concernent principalement
les zones de cas avérés (source :
Digimind France)
Face à la propagation rapide de l'épidémie qui n'a pu être contenue en Chine, la grogne gagne peu à peu les réseaux sociaux. C’est surtout le cas
depuis la mort de Li Wenliang, un ophtalmologue de Wuhan qui a été
l’un des premiers médecins à alerter (en vain) les autorité concernant une possible épidémie du
coronavirus à la fin du mois de décembre 2019. Avec la montée des inquiétudes en Chine et dans le monde, la question se pose si l'épidémie de coronavirus
peut mener à une
contestation du pouvoir.
Dans un contexte de fortes tensions, les réseaux sociaux sont accusés de colporter rumeurs, infox et autres fake news anxiogènes (voir la carte des théories du complot par
Conspiracy Watch qui recense les déclarations et spéculations
diverses à caractère complotiste)
. L’OMS a décidé de faire de la lutte contre "l’épidémie d'informations" l'une de ses priorités. L'organisation a publié un guide pour lutter contre l'infodémie et a demandé à Google de « s'assurer que
les personnes recherchant des informations sur le coronavirus voient les
informations de l’OMS en haut de leurs résultats de recherche ». D'aucuns s'interrogent si la Chine dans son offensive de communication n'a pas elle-même influé sur l'OMS, qui reste un catalyseur de solidarité internationale même si elle n'a pour l'instant pas la capacité de jouer un rôle de coordonnateur global.
En dépit de ces risques de désinformation, les plateformes de médias sociaux constituent une source régulière d'informations pour cartographier la diffusion du COVID-19. Elles témoignent de l'intérêt grandissant de l'opinion publique pour cette question. Selon Digimind France, le sujet #coronavirus a dépassé les 100 millions de tweets sur la période 12 février-12 mars 2020. En France, le hashtag connaît une progression très nette avec la mise en place du confinement. Pour Frédérik Keck (2020), "Internet est à la fois un remède et un poison pour la diffusion de la pandémie : nous allons travailler en ligne pour rendre acceptable le confinement, mais la diffusion de fake news produit des comportements inadaptés à la gestion de la pandémie... Nous allons nous-mêmes devoir inventer des récits pour donner sens à l’épreuve sanitaire, économique et militaire qui vient".
Instagram pourrait offrir des indices sur la propagation du coronavirus (source : The Economist)
Sur le plan scientifique, le site Epidemic Tracking, proposé par la société de biotechnologies Metabiota, permet de suivre plusieurs agents pathogènes à l'échelle mondiale et de faire des comparaisons au niveau de leur diffusion spatiale (26 épidémies suivies au 23 janvier 2020). David Fisman, épidémiologiste et médecin des maladies infectieuses à l'École de santé publique Dalla Lana de l'Université de Toronto et Ashleigh R. Tuite ont développé un modèle permettant d'estimer la contagiosité du COVID-19. Selon ces chercheurs, le nombre de cas va connaître un pic important avant de diminuer progressivement en fonction des mesures mises en place (voir leur simulateur qui permet de varier les paramètres).
Depuis le début des années 2000, les méthodes de calcul et la cartographie des épidémies se sont considérablement améliorées, avec des prévisions plus précises sur la façon dont les épidémies peuvent se propager. L'expérience acquise pour la grippe aviaire (voir cette étude), qui a connu une diffusion mondiale et qui reposait sur des facteurs bien identifiés, peut s'avérer en partie utile pour étudier la propagation du coronavirus ou même d'autres virus. On a pu établir que la grippe aviaire, similaire au coronavirus, était apparue dans des régions de production avicole à fortes densités de population et à proximité de terres cultivées irriguées. En couplant ces données aux zones bâties, on a pu en partie prévoir les zones d'extension possible de l'épidémie. En l'absence de modèle prédictif, les scientifiques restent prudents sur la vitesse de diffusion et l'ampleur de l'épidémie du coronavirus. Mais on commence à voir des tentatives de modélisation qui reposent sur la comparaison avec la propagation d'autres virus (voir ce tableau comparatif de la contagiosité et de la létalité) ou sur la comparaison entre pays.
Après avoir suivi une courbe exponentielle, le nombre de cas confirmés
de coronavirus a commencé à fléchir en Chine et en Corée du Sud en raison des meures de confinement qui commencent à porter leur fruit. Épidémiologistes et mathématiciens étudient de très près les courbes d'évolution du virus. Le site Wolfram fournit une vue globale des modèles de diffusion du COVID-19 et le Washington Post propose une modélisation en fonction du mouvement des personnes et de leur isolement (un modèle apparemment transposable pour la France). Des chercheurs ont mis au point un outil de modélisation mathématique qui permet de jouer sur
de nombreux paramètres
(population initiale, taux de mortalité du virus, degré de préparation, mesures d'hygiène, limitation des voyages...).
Les mutations aléatoires dans le génome du pathogène SARS-CoV-2 aident également les chercheurs à suivre la propagation et la transmission du COVID-19. Il
y a quelques années, Richard Neher, biologiste évolutionniste à
l'Université de Bâle en Suisse, et ses collègues voulaient surveiller
les changements dans la composition génétique de la grippe pour voir si
les données pouvaient aider les scientifiques à construire des vaccins plus efficaces contre
la grippe. Ils ont développé
NextStrain, une interface en ligne qui intègre les dernières données de séquençage viral, les analyse et publie les résultats à travers un navigateur Web accessible au
public. Les génomes viraux du SRAS-CoV-2 révèlent ses chemins de diffusion à travers le monde. Les cercles marquent la taille des épidémies dans différentes régions et les lignes colorées représentent les groupes de souches qui se propagent dans les différentes aires géographiques. Dès le 25 février 2020, le site NextStrain montrait l'existence d'au moins 8 souches différentes à l'échelle mondiale et mettait en avant que cela deviendrait sans aucun doute une pandémie (voir le
rapport de NextStrain en français).
A partir des mutations génétiques,
NextStrain cartographie l’évolution des virus
et permet de tracer leur origine et leurs voies de diffusion.
Une autre voie de recherche concerne l'étude de la diffusion des maladies infectieuses en milieu urbain. L'essor de l'urbanisation à l'échelle mondiale a transformé les grands centres urbains densément peuplés en nœuds de propagation potentiels. Gevorg Yeghikyan a par exemple étudié ce qui se produirait si une épidémie frappait la ville d'
Erevan. Comment modéliser la propagation de l'épidémie en tenant compte du réseau et des flux de mobilité urbaine ? Faut-il mettre en quarantaine les lieux les plus fréquentés ? Quelles mesures doivent être prises immédiatement et quels effets cela peut avoir à terme sur la planification, l'élaboration des politiques et la gestion urbaines. Raquel Reyes & al. abordent ces questions dans un
chapitre d'ouvrage (
Urbanization and Infectious Diseases: General Principles, Historical Perspectives, and Contemporary Challenges, 2013). A partir de différents exemples, ils montrent comment l'environnement urbain peut constituer un facteur aggravant mais aussi un lieu d'innovation pour lutter contre les maladies infectieuses.
Longtemps considéré dans l’imaginaire collectif des sociétés des pays développés comme une « endémie africaine », le virus ébola
a démontré, à la faveur de la flambée épidémique de 2014-2015, sa
capacité à se déporter au-delà de ses lieux de manifestation
traditionnels (lire l'article de Serge Loungou) et à empêcher son confinement rapide. En 2016, l'OMS a publié une étude qui recense toutes les épidémies signalées en Afrique
de 1970 à 2016. Le rapport a montré la difficulté à rassembler des
données homogènes à une échelle fine et à établir des comparaisons
temporelles entre les données. Une étude récente a permis de mettre au point une modélisation statistique à partir de l'épidémie d'ébola en Afrique de 2013 à 2016 et de démontrer qu'il était possible de prévoir une épidémie entre 1 et 4 semaines avant sa diffusion. Concernant le choléra, une autre maladie encore assez répandue dans les pays en développement, l'utilisation des moyens de télédétection a permis de définir avec une assez grande précision les probabilités d'apparition de la maladie. Comme le montre Tom Koch dans son ouvrage Cartographies of Disease : Maps, Mapping, and Medicine, les outils de cartographie SIG ont considérablement amélioré l'étude et la prévision des épidémies dans le monde (voir par exemple l'application Covid 2019 Tracker qui permet de comparer le coronavirus, le SRAS et ébola). Les études cartographiques produites lors de l'épidémie d'ébola ont non seulement montré l'impact de la maladie, mais ont influé sur la façon dont l'épidémie était elle-même perçue. A la faveur de la "flambée cartographique" liée à l'épidémie d'ébola, Sébastien Bourdin a montré la nécessité de développer une éducation à la cartographie à l'ère du Web 2.0.
La récente flambée du coronavirus montre que les chercheurs n'en sont pas au point de pouvoir prévenir la diffusion de l'épidémie, mais ils peuvent essayer de mieux comprendre son origine et son mode de diffusion. En l'état actuel, la Chine a surtout mis en place des mesures de confinement. Wuhan, capitale de la province centrale du Hubei et "épicentre" du virus, est un nœud ferroviaire et aéroportuaire. La Chine y a construit en toute urgence un hôpital de 1000 lits pour accueillir les patients touchés par le virus (en 10 jours l'hôpital a ouvert ses portes). Pour enrayer l'épidémie, le gouvernement chinois a placé plus d'une dizaine de villes en quarantaine (plus de 40 millions de personnes sont déjà concernées). Wuhan a été transformée en ville fantôme. La question est de savoir si ces mesures mises en oeuvre par les autorités chinoises (parfois de façon assez extrême) vont être suffisantes. La Chine a également procédé à la fermeture de sections de la Grande Muraille et de lieux touristiques emblématiques à Pékin, Shanghaï et Hong Kong (notamment Disneyland) dans le but de contrôler la propagation du coronavirus (voir la
carte des
villes confinées et des lieux fermés). Beaucoup d'établissements scolaires et d'universités ont fermé en Chine et même à Hong Kong. En 2009, l'épidémie de grippe H1N1 avait provoqué la fermeture préventive de
nombreuses écoles en France.
La plupart des pays ont pris des mesures de protection vis à vis de leurs ressortissants et diffusé des alertes auprès des touristes (voir
ce site qui propose une cartographie des zones dangereuses). L'ambassade de France en Chine fournit des
consignes à respecter surs une page Internet mise à jour régulièrement. Au delà des recommandations de prudence données par les sites officiels se pose la question de l'interprétation de certaines cartes montrant les zones "à éviter" pour les voyageurs (voir par exemple les cartes d'information diffusées par le site des Affaires étrangères de l'
Australie ou celui du
Royaume-Uni limitant la zone fortement déconseillée aux limites administratives de la province du Hubei). Au 17 mars 2020 c'est bien l'ensemble des pays qui sont interdits aux voyageurs (voir par exemple la carte publiée par le site australien
SmartTraveller), signe d'un monde qui ferme entièrement ses frontières à tout déplacement qu'il soit touristique ou autre.
Le site Prevent Epidemics établit un score des pays en fonction de leur capacité à prévenir les épidémies à partir de sept facteurs combinés (législation et politique en matière sanitaire, système de surveillance en temps réel, degré de préparation, capacité à communiquer sur le risque...). Cependant le site indique que "la Chine ne s'est pas portée volontaire pour avoir une évaluation externe et transparente de sa capacité à détecter, arrêter et prévenir les menaces pour la santé" (à noter que de nombreux autres pays n'ont pas répondu à l'enquête OMS).
Score des pays en fonction de leur capacité à prévenir les épidémies (source : Prevent Epidemics)
Un indice global de sécurité sanitaire (
Global Health Security Index) a été mis en place par la
Nuclear Threat Initiative (NTI) et le
Johns Hopkins Center for Health Security (JHU), afin de mieux anticiper les risques et d'assurer la sécurité sanitaire dans un contexte de mondialisation et de mobilité croissante des biens et des personnes. Cet indicateur sanitaire global concerne 195 pays et repose sur 6 catégories principales (prévention, détection et notification des agents pathogènes, capacité de réponse rapide, système de santé, conformité aux normes internationales, environnement à risque et vulnérabilité du pays aux menaces biologiques).
D'après la carte, la Chine fait partie des pays relativement "bien préparés" à assurer la sécurité sanitaire en cas de développement d'épidémies ou de pandémies. En réalité, une analyse plus détaillée montre qu'elle est seulement au 51e rang du classement avec un score global de seulement 48,2 sur 100 (45 sur 100 en ce qui concerne la prévention).
La Chine est classée 64e en termes d'anticipation et 141e (sur 195) pour le respect des normes internationales en matière de sécurité sanitaire. Au moins 75% des pays obtiennent de faibles scores concernant les indicateurs liés aux risques de catastrophe biologique à l'échelle mondiale, ce qui témoigne d'une vulnérabilité globale assez forte. Moins de 7% des pays obtiennent un score élevé pour la prévention et 19% pour la détection et la notification des agents pathogènes. Le site du
Global Health Security Index permet de conduire des analyses assez détaillées à partir des 36 indicateurs et 85 sous-indicateurs pris en compte dans le calcul de l'indice global. Dans l'ensemble, aucun pays n'est vraiment préparé aux épidémies ou pandémies. La plupart des 195 pays étudiés ont des lacunes en matière de sécurité sanitaire. Plus de la moitié d'entre eux sont confrontés à des risques politiques et/ou sécuritaires majeurs de nature à saper leur capacité à contrer des menaces biologiques. Un rapport d'octobre 2019 assorti de
33 recommandations est proposé pour essayer de remédier à ces défaillances. En avril 2018, Bill Gates déclarait : "si nous arrivons à sortir des enfants de la pauvreté et à faire reculer des maladies comme la polio et le paludisme, il y a un domaine où le monde ne fait pas beaucoup de progrès, c'est la préparation à une pandémie". Si un virus de la gravité de la grippe espagnole survenue en 1918 devait surgir à nouveau, il pourrait tuer 33 millions de personnes en 6 mois (voir la
simulation de l'
Institute for Disease Modeling).
Pour la Croix-Rouge, la complaisance vis-à-vis des épidémies, en particulier dans les pays développés, constitue un facteur de
risque majeur.
La "fracture épidémique" qui laissait penser que seuls les pays les
plus démunis étaient touchés, n'est plus de mise. Les maladies
infectieuses constituent désormais de graves menaces pour la communauté
internationale toute entière. La Russie, la Mongolie, Singapour et même
Hong Kong qui fait pourtant partie intégrante de la Chine, ont d'ores et
déjà choisi de
fermer les frontières.
L'OMS est défavorable à cette mesure qui risque de pousser les
populations à voyager illégalement. Si la Chine devait être coupée du
monde, cela pourrait avoir des conséquences politiques et économique très
importantes (
Le régime chinois fragilisé ?, débat sur
France 24). La crise sanitaire pourrait déboucher sur une crise économique et financière au delà des frontières de la Chine. Le fait est que le coronavirus vient bousculer la puissance de la Chine (voir le documentaire
Chine : OPA sur le monde ?). Il est difficile pour l'instant de savoir si l'épidémie de
coronavirus entraînera la Chine et le reste des pays dans une forme de
démondialisation et si l'impact de cette épidémie provoquera une prise de conscience et l'essor de nouvelles solidarités à l'échelle mondiale (lire cet article sur les
effets possibles sur la mondialisation à court et à long terme).
Pour Robert Peckham (
Epidemics in Modern Asia, 2016), les
épidémies ont joué un rôle essentiel dans la formation de l'Asie
moderne. Les liens entre la biologie, l'histoire et la géopolitique
soulignent les interdépendances des maladies infectieuses avec l'empire,
la modernisation, la révolution, le nationalisme, les migrations et les
schémas commerciaux transnationaux. En examinant l'histoire de l'Asie à
travers le prisme des épidémies, Peckham montre comment les conditions
matérielles de la société sont enchevêtrées dans les processus sociaux
et politiques, offrant une perspective entièrement nouvelle concernant la
transformation de l'Asie.
Pour Florence Bretelle-Establet et Frédéric Keck
(Les épidémies, entre « Occident » et « Orient », 2014) "l’épidémie constitue toujours une épreuve pour la souveraineté
du pouvoir, mis au défi d’instaurer des mesures visant à redéfinir
l’espace sur lequel il s’exerce avec légitimité". Mais depuis l'épidémie de SRAS en 2003, elle révèle surtout "l’imaginaire d’une globalisation dans laquelle l’Asie joue un rôle essentiel... Suivre les réponses à l’épidémie (religieuses, militaires, médicales), c’est donc aussi être attentif aux recompositions du collectif lorsqu’il apparaît à la fois comme cause et comme remède d’une maladie." Dans
Un monde grippé (2011), l'anthrologue Frédéric Keck avait déjà montré comment nos sociétés réagissent très différemment aux nouveaux risques sanitaires en repensant les rapports entre homme et animal.
Pour Patrick Zylberman
(
Tempêtes microbiennes. Essai sur la politique de sécurité sanitaire dans le monde transatlantique, 2013), il
ne s’agit plus de cartographier les risques des populations
en comptant les cas sur un territoire mais d’anticiper les catastrophes
sanitaires à venir, en traquant les microbes sur toute la planète. Ces menaces qui n’ont pas de frontières incitent à mettre en place de
nouveaux dispositifs de surveillance (par exemple en
géolocalisant les malades par leurs smartphones) et à penser autrement la
souveraineté des États. L'historien Zylberman s'interroge si le retour à des formes archaïques de la
santé publique sous la figure de la quarantaine et de l’isolement ne s'inscrit pas dans une volonté de purifier l’espace social (lire le CR de Frédéric Keck sur
La vie des idées). Dans cette perspective, le recours à un confinement massif serait plus une tentative de faire accroire à l'opinion publique que les gouvernements maîtrisent la situation qu'une mesure de lutte efficace contre l'épidémie.
Pour prévenir la diffusion des épidémies, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a défini la notion de "cas d'urgence de santé publique de portée internationale" (voir les cas signalés avant le coronavirus). L’urgence de santé mondiale correspond, selon l’OMS, à un « événement extraordinaire dont il est déterminé qu’il constitue un risque pour la santé publique dans d’autres États en raison du risque international de propagation de maladies ». Lorsque l’état d’urgence est déclaré (voir le tableau des
6 niveaux d'alerte), le comité doit se réunir au moins
tous les trois mois pour réévaluer la situation. Décréter l’alerte
permet aussi d’homogénéiser la collecte et la surveillance des données
ou de stimuler les recherches sur des traitements ou des vaccins.
Au départ, l’OMS n’a pas désigné le virus comme une urgence internationale, pensant qu'il était un peu tôt pour parler de
pandémie. «
Ne vous y trompez pas, c’est une urgence en Chine. Mais ce n’est pas encore une urgence sanitaire mondiale. Cela pourrait le devenir », a déclaré avec prudence, jeudi 23 janvier, le directeur de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Mais le 30 janvier, après plus de 200 morts en Chine et 12 000 cas confirmés dans le monde, l'OMS a finalement décidé de passer en "urgence de santé publique de portée internationale". L'attitude de l'OMS suscite elle-même des questions (lire cet article
Ce que les crises épidémiques révèlent des dérives de l’OMS).
Depuis le 21 janvier 2020, l'OMS fournit des
rapports de situation quotidiens assortis de cartes montrant la propagation et l'intensité des nouveaux cas de coronavirus.
Il est intéressant de voir la manière dont leur cartographie a évolué. Le rapport du 1er février 2020 note que, malgré les rapports de transmission de virus de personne à personne par des individus ne présentant aucun symptôme, «
le principal facteur de transmission, sur la base des données actuellement disponibles, reste à partir de cas présentant des symptômes. » La province du Hubei où se situe la ville de Wuhan constitue le principal foyer avec 60,5% des cas confirmés au 1er février 2020.
Distribution des cas de
2019-nCoV entre le 23 janvier et le 15 mars 2020 (source :
OMS)
Selon une grande
étude de cas
publiée en Chine (d'après les cas déclarés au 11 février), 94% des décès liés au COVID-19 sont survenus chez les personnes de
plus de 50 ans, avec plus de la moitié (51%) chez les personnes de plus
de 70 ans. Le groupe d'âge le plus à risque de décès est celui des plus
de 80 ans. La plupart des cas identifiés en Chine continentale (80,9%
d'entre eux) ont été classés comme bénins. C'est une bonne nouvelle, bien
que 20% d'entre eux soient considérés encore comme des cas assez « graves ». Les cas bénins se rétablissent environ 2 semaines après
qu'ils aient eu des symptômes, tandis que les cas graves peuvent
prendre de 3 à 6 semaines pour récupérer. Une étude publiée par le 15 mars par le
New York Times montre que certaines professions sont plus exposées au risque coronavirus. C'est le cas des professionnels de santé, des enseignants et des policiers. S'y ajoutent les « travailleurs du dernier kilomètre » (livraison, logistique, industrie des services) : des employés souvent précaires qui ne bénéficient pas du chômage partiel, qui ont un faible salaire et aucune possibilité de travailler à domicile.
Depuis le 26 février, le nombre de cas déclarés dans le monde
dépasse celui de la Chine, ce qui laisse craindre le passage à un état
de
pandémie. Le terme n'est pas forcément à redouter, il signifie simplement que le virus s'est diffusé dans plusieurs pays (au premier rang desquels l'Iran, l'Italie et la Corée du Sud). Considérant que des « niveaux alarmants de propagation et d’inaction » ont été atteints, l'OMS a décidé à partir du 11 mars 2020 de déclarer officiellement le passage à l'état de
pandémie.
"Si nous entrons dans une pandémie, un grand nombre de personnes seront malades et il faudra s'y préparer sans céder à la panique". Les autorités tentent de ralentir la vitesse de propagation du COVID-19 pour éviter que les hôpitaux, qui sont essentiels pour soigner les personnes les plus malades, ne soient surchargés. Les rassemblements publics - événements sportifs et concerts - sont pour la plupart annulés, les écoles et les garderies fermées. D'après ce que l'on a pu observer lors d'autres pandémies, on sait que les mesures de prévention sont à même de réduire le pic [1] de personnes contaminées et d'aplatir la courbe (2), en retardant et en diminuant la pression sur les structures de santé et les chaînes d'approvisionnement [3]. Le schéma ci-dessous est issu d'un article de
The Economist et a donné lieu à d'importantes discussions sur les
réseaux sociaux (voir le schéma en version animée ou en version française).
Ce que les
épidémiologistes craignent le plus, c'est que le système de santé soit
submergé par une flambée soudaine qui nécessiterait plus
d'hospitalisations que celui-ci ne peut en supporter (d'autant que les
capacités d'accueil en nombre de lits d'hôpitaux par habitants ont baissé dans de nombreux pays). Dans
le cas où les mesures sont prises trop tardivement, le risque serait
d'assister non seulement à un engorgement des hôpitaux, mais aussi à des
mesures de mise en quarantaine encore plus sévères et drastiques du
fait qu'elles seraient mises en oeuvre sur le tard. Toute une
géographie de la quarantaine
se met en place avec des avis assez divergents concernant
l'efficacité réelle des mesures prises (voir la comparaison conduite par
Think Global Health
entre les pays ayant mis en place des mesures de restriction aux
voyages et les autres). Les mesures de confinement appliquées en
Chine n'ont pas empêché une diffusion de l'épidémie à l'échelle
mondiale. Mais comme le souligne G-P. Goldstein, si
l'épidémie est inexorable, pas la catastrophe sanitaire qui, elle, peut être en partie régulée.
L'épidémie de coronavirus entraîne des effets qui peuvent être positifs. A défaut de protection efficace par les États, la lutte contre l'épidémie s'organise à tous les niveaux de la société et débouche sur des formes de
solidarité sociale entre les citoyens eux-mêmes. La crise sanitaire va conduire à expérimenter des modes d’organisation
innovants. Le télétravail à grande échelle en est l'un des exemples. Même si comme le montre
Jean-Philippe Pierron, directeur de la chaire Valeur du soin à Lyon 3, "une solidarité de fait ne fait pas encore une solidarité de projet".
Sur le plan environnemental, le ralentissement économique se traduit d'ores et déjà par une baisse de la pollution atmosphérique. Des images publiées par la NASA témoignent d'une baisse drastique des niveaux de pollution en Chine liée à la baisse d’activité, aux mesures de confinement et aux fermetures d’usines provoquées par l’épidémie de coronavirus. Les
images satellites ci-dessous font apparaître les niveaux de dioxyde d’azote - un gaz nocif émis par les véhicules à moteur et les installations industrielles sur la période s’étalant du 1er au 20 janvier, quand l’épidémie ne s’était pas encore autant propagée, et entre le 10 et 25 février, quand les habitants sont restés le plus possible confinés chez eux et une grande partie des usines ont été mises à l’arrêt (voir les images pour
l'Italie). Ce qui fait dire à
François Gemmene,
spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement et coauteur de L’atlas de l’Anthropocène, qu'en Chine « la baisse de la pollution va épargner plus de vies humaines que le virus en aura coûté ». Pour Christian De Perthuis, fondateur de la chaire "Économie du climat" à l'Université Paris-Dauphine, la crise économique liée au COVID-19 n'amorce pas seulement une décrue historique des émissions mondiales de CO₂, elle constitue un
catalyseur d'innovations structurelles pour la suite.
Comme lors des précédentes épidémies, les gouvernements et institutions
internationales tentent de ménager les libertés publiques tout en
s'efforçant de maîtriser l’ampleur de l’épidémie en cours. Pour
William Dab, professeur titulaire de la chaire d'Hygiène et Sécurité du CNAM, "la notion de risque sanitaire renvoie à l'idée qu'il y a des risques dont on ne peut se protéger tout seul et qui demandent un effort organisé de la société [...] Historiquement le tournant c'est au XVe siècle, la quarantaine mise en place à Venise, c'est l'une des premières fois en Europe qu'on reconnaît qu'il faut contraindre les libertés individuelles pour protéger le groupe et on fonde ainsi la notion de police sanitaire".
Pour
Guillaume Leblanc, spécialiste des questions d'éthique et de vulnérabilité, ce qui est frappant c'est cette espèce de renationalisation des virus et des réponses apportées..., c'est très intéressant de voir dans l'histoire comment on a parlé de "grippe espagnole", de "grippe asiatique", de "coronavirus chinois" : on a l'impression qu'il faut absolument nationaliser le virus pour lui donner une source nationale contre laquelle lutter ensuite dans un discours d'invasion [...] Le discours de guerre devient un discours de guerre nationale, avec un absence totale de réponse à un niveau international, voire à un niveau européen. Le discours de Trump pose la question d'une Europe sanitaire. On est aujourd'hui dans une panique d'Etats et on a l'impression que chaque Etat essaie de répondre à cette panique comme il peut."
Pour
Maxime Combes, économiste et membre d'Attac, "la pandémie à laquelle nous sommes confrontés exige des mesures plutôt
opposées à celles prises en temps de guerre : ralentir l’activité
économique plutôt que l’accélérer, mettre au repos forcé une part
significative des travailleuses et travailleurs plutôt que les mobiliser
pour alimenter un effort de guerre, réduire considérablement les
interactions sociales plutôt qu’envoyer toutes les forces vives sur la
ligne de front."