L'histoire par les cartes : comment la cartographie s'est développée à travers les époques (Le "Cours de l'Histoire" sur France Culture)


Imaginer le monde et se représenter la Terre n'est pas une évidence. Les cartes, atlas ou autres mappemondes n’ont pas toujours existé. Comment la cartographie s'est-elle développée à travers les temps et les espaces ? Dans Le Cours de l'histoire sur France Culture, Xavier Mauduit propose une série en 4 épisodes L'histoire à la carte pour interroger les cartes anciennes et donner à voir le monde tel qu'on l'imaginait à l'époque...

Épisode 1 : Quand les Anciens abattent leurs cartes ! (Le Cours de l'Histoire, 6 septembre 2021)

Invités

  • Christian Jacob, historien, agrégé de lettres classiques, directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS, membre de l’UMR Anhima (Anthropologie et histoire des Mondes antiques), co-directeur de la mention de master "Histoire des sciences, des savoirs et des techniques" de l’EHESS.

  • Nathalie Bouloux, historienne, maîtresse de conférences à l’université de Tours, rattachée au Centre d’études supérieures de la Renaissance.

« La première carte, la trouvera-t-on jamais ? La cartographie remonte à la fin de la préhistoire. On a des découvertes continuelles dans ce domaine. On a retrouvé récemment une carte sur pierre de la région du cours de l'Odet en Bretagne, qui est tout à fait stupéfiante par ses qualités topographiques. Je me garderai bien de fixer une date. La cartographie est repérée à Babylone, dans le monde égyptien, dans le monde grec. C'est une vaste tradition qui continue ensuite jusqu'à nos jours.» (Christian Jacob)

« Les cartes anciennes ne sont pas des cartes d'utilité. Ce sont des objets spéculatifs, intellectuels, théoriques qui vont peu à peu servir à construire et représenter le monde terrestre. Au début, c'est vraiment la projection d'un concept, d'une hypothèse théorique forte sur la matérialité du monde, sa finitude. C'est le fait qu'on puisse circonscrire le monde par un contour et qu'on puisse le tenir sous la forme d'une tablette en disant : "c'est le monde où je suis", avec le paradoxe d'être à la fois partie de ce monde et d'être dans une distance de contemplation, de réflexion et de théorie par rapport à ce dessin sur un support matériel.» (Christian Jacob)

« Il y a un très beau récit chez Hérodote où un ambassadeur essaie de convaincre les Spartiates de partir en guerre contre les Perses avec une mappemonde et en leur disant regardez entre la côte de l'Ionie et la capitale perse il y a une toute petite distance, vous faites ça comme de rien et vous allez conquérir l'empire perse. Mais le roi spartiate ne se laisse pas prendre parce qu'il a déjà une idée du fonctionnement de l'échelle cartographique. Voilà, ça c'est le piège de la carte» (Christian Jacob)

« Lorsque quelqu'un qui n'a jamais vu une carte médiévale regarde, par exemple, la mappemonde de Hereford, une des rares cartes que nous avons conservée, il ne se repère pas (...). Et pourtant, ce sont des représentations de l'espace, une mise en forme graphique de notions et d'idées géographiques. Le réel y est représenté, mais d'une manière assez différente de notre époque. Ces cartes-là ont longtemps été jugées comme symboliques, non-exactes, etc. alors qu'elles sont un produit culturel de réflexions sur les cartes et de mise en forme graphique de ce que l'on savait.» (Nathalie Bouloux). 

« Il ne faut pas envisager l'histoire de la cartographie comme une conquête de l'exactitude et de la précision. »

Compléments 

  • Voir l'extrait d'Hérodote évoquant le piège de la carte
  • Voir la Mappa Mundi de Hereford, évoquée dans l'émission, sur le site de l'Unesco.
  • La plateforme Savoirs, bibliothèque numérique en libre accès consacrée à l’histoire et à l’anthropologie des savoirs au sens large, mise en place par l’EHESS et un consortium de partenaires (EPFL de Lausanne, Enssib, BNU de Strasbourg, OpenEdition….)

Scénographie de la cosmographie de Ptolémée selon l'astronome Andreas Cellarius (1708) Source : Gallica



Épisode 2Hissez haut, les cartographes prennent le large (Le Cours de l'Histoire, 7 septembre 2021)

Vastes étendues porteuses de promesses et de dangers, les mers sont à la fois des espaces commerciaux et la voie vers un monde à explorer. À partir du XIIIe siècle, les navigateurs tracent des cartes marines et racontent leur monde. Cap sur le Moyen Âge et la Renaissance !

Invités

  • Emmanuelle Vagnon-Chureau, historienne et médiéviste, chargée de recherches au CNRS dans le Laboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris (LAMOP) depuis 2013 et chercheuse associée à la Bibliothèque nationale de France. Elle a participé au projet ANR Median (Sociétés méditerranéennes et Océan Indien). 

  • Frank Lestringant, professeur de littérature française à l'université Paris-Sorbonne, spécialiste de la Renaissance.

« Les cartes marines sont dessinées sur une peau de parchemin entière, une peau d'animal dont on conserve à peu près la forme. On voit souvent le cou, les pattes de l'animal. Elles mesurent à peu près un mètre de long et sont parfois assemblées en plusieurs feuilles de parchemin. Ce sont des cartes de différentes dimensions, dont la matrice représente la Méditerranée, ses côtes et quelques espaces autour.» (Emmanuelle Vagnon)

« Les cartes actuelles ne sont pas non plus forcément exactes ni réelles. Il y a des cartes fictives. Dans l'atlas de Guillaume Le Testu, constitué de cinquante-six cartes et terminé en 1556, il y a des cartes qui ont été faites par imagination. Le Testu le dit dans la légende sur la page opposée à la carte. Le terme imagination revient trois ou quatre fois. Il y a donc une dizaine de cartes qui représentent la terre australe, qui n'est pas l'Australie actuelle, mais une terre beaucoup plus grande qui joindrait la terre de Feu à Java (...). Pourquoi cette terre australe ? Parce que la France rêve de construire un empire et qu'il faut de la place pour faire un empire.» (Frank Lestringant)
 
« Du point de vue artistique, on distingue des styles - mais qui sont quand même très perméables, car on peut avoir une carte de Majorque très sobre et une carte vénitienne, au contraire, très ornée. Globalement, les cartes majorquines sont des cartes de prestige, avec des éléments à l'intérieur des terres, tandis que les cartes vénitiennes sont souvent des atlas sobres. Ce sont deux grandes familles avec des circulations de personnes et de styles qui dépendent de la commande.» (Emmanuelle Vagnon)

Compléments
  • Débat historiographique : la cartographie médiévale (France Culture)
  • L'histoire par les cartes : une série de 14 films documentaires sur les cartes portulans (BNF)


Épisode 3
 : 
La Société de Géographie, deux cents ans d’aventures (Le Cours de l'Histoire, 8 septembre 2021)


Élisée Reclus, Jules Verne, Anatole France... ces illustres personnages ont appartenu à la Société de Géographie, savante organisation fondée en 1821 pour porter les progrès de la géographie et encourager les découvertes. Retour sur deux cents ans d'histoire et d'aventures.

Invités
  • Christian Grataloup, agrégé et docteur en géographie, géohistorien, professeur émérite à l’Université de Paris. Il est l’auteur de nombreux ouvrages qui mêlent géographie et histoire, parmi lesquels L’Atlas historique mondial (Les Arènes, L’Histoire, 2019), L'invention des continents et des océans (Larousse, 2020) ou encore L’Atlas historique de la France (Les Arènes, L’Histoire, 2020). Il participe aux nombreux débats et tables-rondes organisés à l’occasion du bicentenaire de la Société de Géographie en décembre 2021.

  • Jean-Robert Pitte, professeur émérite de géographie et d’aménagement à l’Université Paris-Sorbonne, dont il a été président de 2003 à 2008. Il crée en 2006 l’Université Paris-Sorbonne Abu Dhabi. Membre de l’Académie des Sciences morales et politiques depuis 2008, il devient secrétaire perpétuel en 2017. Il est président de la Société de Géographie depuis 2009 et membre de l’Académie du Vin de France. Il a co-écrit avec Benoist Simmat L'Incroyable histoire de la géographie, une bande-dessinée qui retrace l’histoire de la Société de Géographie. Illustrée par Philippe Bercovici, elle paraît aux Arènes le 21 octobre 2021. 
« Le 15 décembre 1821 à l'Hôtel de ville de Paris est fondée la Société de Géographie. Lisons son acte de naissance : « La Société est instituée pour concourir aux progrès de la Géographie ; elle fait entreprendre des Voyages dans les contrées inconnues ; elle propose et décerne des prix ; établit une correspondance avec les Sociétés savantes, les Voyageurs et les Géographes ; publie des relations inédites ainsi que des ouvrages, et fait graver des cartes ». Quel beau programme pour la Société de Géographie, et non la Société française de Géographie, car cette institution se veut universelle » (Xavier Mauduit)
 
« Au XIXe siècle, la cartographie, le récit de voyage, la maîtrise des territoires en Europe et ailleurs, la réflexion sur la façon dont on peut penser le monde, le découper et l'organiser, vont petit à petit former une discipline, au sens scolaire et universitaire du terme, qu'on va appeler la géographie. Au XVIIIe siècle, au contraire, les mots qui recouvraient la géographie étaient assez différents, essentiellement cartographiques. Les Sociétés de Géographie, qui se constituent sur le modèle de la société fondée à Paris, accompagnent cette mutation auprès du grand public, dans une vision libérale.» (Christian Grataloup)

« Après la guerre de 1870-1871, on a considéré que la défaite était en partie due au déficit de connaissances géographiques des Français sur leur propre territoire et la lecture des cartes. On a alors mis beaucoup de géographie à l'école avec l'intention d'en faire une géographie très environnementale, de connaissance du milieu, d'excursion, etc... » (Christian Grataloup) 

« On s'intéresse de plus en plus à la gestion de la planète, c'est une évidence... et surtout on n'est plus dans un moment où on pense en terme de progrès d'une évolution qui serait la même pour tous... On parle de développement puis de sous-développement. On parle d'une diversité du monde. On dit Nord-Sud pour dire pays riches et pays pauvres au lieu de dire pays développés et sous-développés comme on disait il y a 40 ans. Ce n'est plus le même processus pour tout le monde. C'est au contraire un processus différencié. Ca c'est de la géographie, la diversité et la variation de ce que nous et l'autre, on fait. Or dialoguer, c'est au coeur de la géographie... » (Christian Grataloup) 

« Nous tous géographes, on est convaincu que la géographie ça sert à faire la paix. Dit à l'envers, l'ignorance géographique est une arme de destruction massive... Quand on entre en profondeur dans la connaissance de l'autre et de l'ailleurs, on a moins envie de faire la guerre parce qu'on comprend les différences... » (Jean-Robert Pitte)

Compléments

Épisode 4 : Cartographier l’imaginaire (Le Cours de l'Histoire, 9 septembre 2021)


En parallèle des cartes scientifiques, les cartographes développent une autre manière de représenter les espaces géographiques. Continent-visage, île-jambe, mer-chevelure... Quelle histoire racontent ces terres aux formes humaines et animales, du Moyen Âge à nos jours ?

Invité

Laurent Baridon, professeur d’histoire de l’art à l’Université Lumière Lyon 2 et chercheur au sein de l’équipe « Art, imaginaire, société » du laboratoire CNRS LARHRA. Après avoir consacré ses premières recherches à l’imaginaire scientifique de Viollet-le-Duc, il s’est notamment intéressé aux représentations du corps et du visage, aux confins de la science, de la croyance et de l’art. Ses recherches actuelles portent sur la représentation des concepts et sur leurs modes d’incarnation visuelle.
 
« Les cartes imaginaires sont souvent liées à un texte. Ce sont des illustrations, des planches, dans des ouvrages. La "Cosmographie" de Sébastian Münster, par exemple, renferme une carte célèbre d'une allégorie de l'Europe en vierge ou en reine, selon l'interprétation qu'on peut en donner. Cette image a eu un tel succès qu'elle a été diffusée en feuilles volantes séparées du livre (...). Bien souvent, il y a besoin d'un texte pour décoder la représentation et lui donner un sens, puisque les images sont polysémiques. » (Laurent Baridon)

« Représenter l'Europe avec l'Espagne pour tête n'est pas un hasard. Il s'agit de montrer le pouvoir de Charles Quint sur l'Europe et la cohérence d'un continent que l'on veut, selon le concepteur de cette carte, placée sous l'autorité du Saint-Empire romain germanique (...). On voit apparaître des contrepropositions à cette carte, d'autres interprétations, dont une visiblement protestante qui montre le Saint-Empire romain germanique démembré. La reine Isabelle est représentée avec une robe, qui constitue le continent européen. La robe se fragmente, laissant apparaître sa poitrine nue, ce qui n'est pas respectueux. » (Laurent Baridon)

Compléments