Points de passage stratégiques et évaluation des risques maritimes


Source : Verschuur, J., Lumma, J. et Hall, J.W. (2025). « Systemic impacts of disruptions at maritime chokepoints » [Impacts systémiques des perturbations aux points de passage maritimes critiques]. Nature Communications, 16 , 10421. https://doi.org/10.1038/s41467-025-65403-w.

Le commerce maritime repose sur quelques points de passage stratégiques (les "chokepoints"). L'étude publiée dans Nature Communications révèle que les échanges commerciaux sont menacés de perturbation à hauteur de 192 milliards de dollars par an. Les auteurs quantifient pour la première fois les risques systémiques liés aux perturbations des points de passage maritimes. Ils ont analysé 24 points de passage maritimes stratégiques à travers le monde. Ils ont pris en compte 8 types de risques : 3 risques naturels (cyclones, sécheresses, séismes) et 5 risques d'origine humaine (piraterie, blocus économique, conflits armés, terrorisme, conflits interétatiques). Ils ont d'abord cartographié le volume des échanges commerciaux transitant par chacun des points de passage stratégique. Environ 20 % du commerce maritime mondial passe par le détroit de Taïwan et le détroit de Malacca. 15 % supplémentaires transitent par le canal de Suez, le détroit de Douvres, le détroit de Gibraltar et le détroit de Bab el-Mandeb, reliant principalement l'Asie à l'Europe. Les auteurs ont ensuite calculé la « valeur attendue des échanges perturbés » (VAEP) en combinant la valeur des échanges à chaque point de passage stratégique, la probabilité, la durée et la gravité de la perturbation. 

Part de la valeur du commerce maritime mondial transitant par les points de passage stratégiques
(source : Verschuur et al., 2025).


Les résultats montrent que le détroit de Bab el-Mandeb présente le volume de transactions en devises étrangères le plus élevé, avec 58,3 milliards de dollars par an. Viennent ensuite le canal de Suez avec 44,2 milliards de dollars et le détroit de Taïwan à 37,3 milliards de dollars par an. Pour le détroit de Bab el-Mandeb et le canal de Suez, le principal facteur est le risque de conflit interétatique (environ 40 milliards de dollars par an au total). Pour le détroit de Taïwan, il s'agit d'une combinaison de risques cycloniques (23,5 milliards de dollars) et de tensions géopolitiques (13,2 milliards de dollars). Certains pays sont bien plus exposés que d'autres. La Guinée-Bissau, la Guinée, le Mali, l'Érythrée, la Russie, la Sierra Leone et le Tchad voient chaque année plus de 3 % de la valeur de leurs échanges maritimes potentiellement perturbés. Les pertes économiques liées à ces perturbations sont estimées à 10,7 milliards de dollars par an. Ce montant inclut differents coûts (retards, déviations d’itinéraire, primes d’assurance, perturbations commerciales, pertes de recettes de péage). En outre, les auteurs estiment à 3,4 milliards de dollars américains les pertes annuelles supplémentaires dues aux flambées des prix du transport maritime. Lorsque les navires modifient leurs itinéraires, cela réduit la capacité de la flotte mondiale et fait grimper les tarifs de fret. Le canal de Suez et le détroit de Bab el-Mandeb concentrent 77 % du risque économique mondial. Le Panama et l'Égypte subissent les pertes relatives les plus importantes (0,3 % et 0,6 % de la valeur des échanges respectivement) en raison du manque à gagner lié aux droits de passage.

Risques économiques liés aux perturbations des points de passage maritimes 
(source : Verschuur et al., 2025)


Les dépendances des pays vis-à-vis des points de passage stratégiques et les données nécessaires à la reproduction de l'analyse sont disponibles sur Zenodo. Les données comprennent la dépendance du commerce maritime de chaque pays vis-à-vis de ces 24 points de passage stratégiques, calculée à partir des données commerciales de 2022 ainsi que les résultats concernant les indicateurs « valeur attendue des échanges perturbés » et « risque économique ». 

Pour compléter

L’économie mondiale repose largement sur les échanges maritimes, organisés selon des routes qui relient les bassins de production aux foyers de consommation. Ces routes possèdent un talon d’Achille : un nombre limité de points de passage obligé, caps, détroits ou grands canaux qui conditionnent leur tracé. Or, plusieurs d’entre eux sont aujourd’hui en crise : saturation, insécurité, tensions… Le fonctionnement du système maritime mondial en est perturbé et recomposé.

Les grands détroits et canaux internationaux, un système très hiérarchisé (source : Biaggi et Carroué, 2024)

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