Plus d'un tiers des pays dans le monde sont en incapacité d'assurer leur autosuffisance alimentaire


Source
Stehl, J., Vonderschmidt, A., Vollmer, S. et al. (2025). « Gap between national food production and food-based dietary guidance highlights lack of national self-sufficiency » [L’écart entre la production alimentaire nationale et les recommandations nutritionnelles met en évidence le manque d’autosuffisance nationale]. Nature Food 6, 571–576, https://doi.org/10.1038/s43016-025-01173-4 (article en accès libre).

Résumé 

Les perturbations récentes, tels que la pandémie de COVID-19 et le déclenchement de la guerre en Ukraine, ont mis en évidence la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement, ce qui a relancé les discussions sur l’autosuffisance alimentaire. Alors que les partisans du mouvement « manger local » se concentrent sur la réduction des émissions liées à l’alimentation, le transport ne contribue qu’à environ 5 % des émissions des systèmes alimentaires. Cela soulève la question de savoir si les pays peuvent atteindre l'autosuffisance alimentaire. Les auteurs utilisent les données de production des bilans alimentaires 2020 de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et le régime alimentaire Livewell du Fonds mondial pour la nature (WWF) afin d'analyser l'écart entre la production alimentaire nationale et les recommandations nutritionnelles pour sept groupes d'aliments. Des études antérieures ont évalué l’autosuffisance calorique à différents niveaux administratifs en fonction des habitudes de consommation actuelles. Les auteurs adoptent ici une approche plus globale, axée sur les groupes d’aliments essentiels à une alimentation saine – plutôt que sur les seules calories – en analysant les tendances passées et futures de l’autosuffisance. Enfin, ils étudients les dépendances commerciales des pays à faible autosuffisance, en soulignant le rôle crucial de la diversification des réponses – la capacité des pays à s’adapter aux perturbations commerciales en diversifiant leurs sources d’importation dans la construction de systèmes alimentaires résilients. 

Résultats

Plus d'un tiers des pays sont en incapacité d'assurer leur autosuffisance concernant au moins deux des sept groupes alimentaires essentiels (fruits, légumes, lait, viande, poisson, féculents, légumineuses, noix et graines). Cette faible autosuffisance et la dépendance excessive à l'égard de quelques pays pour les importations compromettent leur capacité à réagir aux chocs mondiaux, en particulier pour les petits États.

Pourcentage d’autosuffisance pour sept groupes d'aliments spécifiques (source :  Stehl et al., 2025).



Sur 186 pays, 154 peuvent satisfaire les besoins concernant 2 à 5 des 7 groupes alimentaires du régime Livewell grâce à leur production nationale. Seul le Guyana atteint l'autosuffisance pour les sept groupes alimentaires, tandis que la Chine et le Vietnam en couvrent six. À l'inverse, six pays, principalement situés au Moyen-Orient (Afghanistan, Émirats arabes unis, Irak, Macao, Qatar et Yémen), ne couvrent les besoins d'aucun groupe alimentaire. Plus d'un tiers des pays atteignent l'autosuffisance pour deux groupes alimentaires ou moins ; 25 se trouvent en Afrique, 10 dans les Caraïbes et 7 en Europe. Seul 1 pays sur 7 atteint l'autosuffisance pour 5 groupes alimentaires ou plus, la plupart se trouvant en Europe et en Amérique du Sud.

Concernant l'élevage, l'autosuffisance en viande est relativement élevée, 65 % des pays atteignant (voire dépassant) leurs besoins alimentaires, tandis que l'Afrique subsaharienne connaît des déficits considérables. Les pays africains, tout comme ceux d'Océanie, sont confrontés à des difficultés en matière de production laitière ; respectivement 82 % et 83 % d'entre eux ne parviennent pas à satisfaire leurs besoins. Moins de la moitié des pays atteignent l'autosuffisance en produits laitiers (44 %), alors que tous les pays européens y parviennent. L'autosuffisance en poisson et fruits de mer est particulièrement faible dans la plupart des régions, seuls 25 % des pays l'atteignant, y compris la Russie et les pays de la région Pacifique. À l'échelle mondiale, 60 % des pays ne peuvent couvrir la moitié de leurs besoins en poisson.

Environ la moitié des pays atteignent l'autosuffisance en féculents (45 %), en légumineuses, noix et graines (46 %) et en fruits (47 %), mais moins d'un quart y parviennent pour les légumes (24 %). La production de féculents est insuffisante dans des régions clés comme l'Asie occidentale, le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, les Caraïbes et l'Amérique centrale, où seule la Dominique est autosuffisante. À l'inverse, l'Amérique du Sud et les Caraïbes affichent de bonnes performances en matière de production fruitière, tandis que tous les pays d'Europe du Nord ne couvrent même pas la moitié de leurs besoins. L'autosuffisance en légumes est élevée dans la région méditerranéenne et en Asie centrale, mais 91 % des pays d'Afrique subsaharienne sont en déficit. L'Europe du Nord, l'Amérique du Sud et les Caraïbes rencontrent également des difficultés en matière de production de légumes, seul le Guyana atteignant l'autosuffisance dans ces régions.

Si le commerce régional renforce l'autosuffisance, il expose également les pays à des risques s'ils dépendent trop d'un nombre restreint de partenaires commerciaux. Par exemple, la forte dépendance de l'Afrique de l'Ouest aux importations de riz (jusqu'à 70 % dans certains pays) rend la région vulnérable aux chocs de marché, comme l'ont montré la pandémie de COVID-19 et le blocage du canal de Suez pendant six jours en 2021. Ces exemples soulignent l'importance de diversifier les relations commerciales pour améliorer la résilience. Les échanges commerciaux entre les pays excédentaires en production alimentaire et ceux qui connaissent des déficits peuvent considérablement renforcer l'autosuffisance. 

À moyen et long terme, la réaffectation des ressources et l'investissement dans les technologies pourraient accroître considérablement les capacités de production. Les progrès réalisés dans l'agriculture et l'aquaculture, tels que le génie génétique, l'agriculture de précision, l'agriculture en environnement contrôlé et l'agriculture cellulaire, ainsi que des stratégies comme le plan « 30 x 30 » de Singapour – visant à produire durablement 30 % des besoins nutritionnels du pays d'ici 2030 – démontrent le potentiel d'amélioration de la production alimentaire nationale. L'analyse de l'évolution de l'autosuffisance alimentaire entre 2020 et 2032 suggère que la quasi-totalité des pays ont le potentiel d'améliorer leur autosuffisance, bien que celle-ci varie selon les groupes d'aliments.

Accès aux données

Toutes les données sont accessibles au public. Les données sur la production alimentaire issues du bilan alimentaire de la FAO sont disponibles via la page FAOSTAT (Statistiques de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture). Les données sur le commerce des produits alimentaires sont disponibles sur cette page. Les données démographiques sont disponibles auprès de la Division de la population des Nations Unies. Les données des Perspectives agricoles OCDE-FAO 2023-2032 sont disponibles via l'explorateur de données de l'OCDE

Les apports recommandés par groupe alimentaire du programme Livewell sont disponibles dans le rapport technique n° 9 du WWF intitulé « Manger pour atteindre la neutralité carbone » (2023). Les données relatives au gaspillage alimentaire et aux portions comestibles sont disponibles dans Gustavsson et al, 2011

L'ensemble du code STATA utilisé pour l'analyse dans cet article est disponible en accès libre via GitHub.

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