"Tout raser": la formule brutale de Manuel Valls sur le sort de quartiers de Marseille - @croissandeau pic.twitter.com/wtC35uZWCe
— BFMTV (@BFMTV) September 2, 2021
Pour Manuel Valls, « l’un des problèmes de Marseille, ce n’est pas de rénover, mais de reconstruire pour repeupler la ville ». Revenant sur cette formule choc, l'analyste de BFM-TV critique dans un premier temps le point de vue de l'ancien premier ministre :
« Tout raser, repeupler autrement : le moins qu’on puisse dire c’est que c’est radical. La dernière fois qu’on a rasé tout un quartier à Marseille, c’était en 1943 pendant la guerre [...] Vous me direz, Manuel Valls est habitué des déclarations chocs [...] Mais c’est un ancien premier ministre, à ce titre il a une responsabilité politique, sa parole est particulière, il a une responsabilité [...] Cela laisse penser que les gens sont quantité négligeable. Cela rappelle une autre formule "on va nettoyer au kärcher la cité". La petite phrase de Manuel Valls occulte l’essentiel de ce qu’il a voulu dire... »
Puis dans un second temps, le journaliste s'emploie à développer des arguments contraires, carte à l'appui :
« Sur le diagnostic, cela veut dire que Manuel Valls a raison ? Oui cela veut dire que la rénovation ne suffira pas. Il n’est pas le seul à le penser [...] A Marseille, les quartiers nord concentrent tous les maux : la pauvreté, le mal logement, la délinquance, les trafics. La situation y est catastrophique. Il y a un rapport qui a été publié l’an dernier par le Haut Comité au Logement des personnes défavorisées. Il titrait « A Marseille, c’est une crise humanitaire » Vous vous souvenez de la rue d’Aubagne ou de ces immeubles délabrés. Là où Manuel Valls n’a pas tout-à-fait tort, c’est sur l’idée de mixité sociale. Je vous montre une carte, celle du revenu médian dans la cité phocéenne. Vous voyez tous les quartiers en bleu au cœur de la ville. Dans ces quartiers-là, un foyer sur deux gagne entre 3000 et 8000 euros par an. L’écart entre les quartiers les plus pauvres et les quartiers les plus riches, c’est de un à quinze [répété deux fois]. Donc on n’est plus dans ce qu’on appelle des poches de pauvreté. On est dans des ghettos de très grande misère. »
Et la deuxième journaliste, un peu circonspecte, de demander : "Mais concrètement on peut raser un quartier tout entier ?"
« Non, mais on démolit des tours, on démolit des immeubles. C’est ce qui se passe depuis 20 ans. Manuel Valls l’a fait à Evry. L’hiver dernier, il y en a eu à Bondy. C’est parfois inévitable parce que tous les logements ne sont plus occupés ou parce que cela coûte plus cher à rénover. Mais il n’y a que dans les pays totalitaires où l’on efface tout et on recommence. A Marseille, il faudra démolir sans doute, rénover, reconstruire, désenclaver, mais tout cela prendra du temps, beaucoup de temps.
Utilisée à un moment-clé dans le débat d'opinion, la carte en question est censée venir administrer la preuve. Il semble indispensable de revenir à sa source pour savoir dans quel contexte elle a été produite et ce qu'elle nous dit. La carte est extraite de tout un dossier cartographique élaboré en 2020 par Élisabeth Dorier et Jean Dario, Marseille 2018-2019 : De la crise du logement à la crise humanitaire (à télécharger sur le site du Haut Comité au Logement des Personnes Défavorisées).
L'ensemble cartographique d'où est extrait le document comporte beaucoup de cartes et de données sur le mal-logement où l'on voit que le problème posé est complexe, qu'il faut tenir compte des processus de ségrégation à l'origine de ces inégalités et qu'il ne se résume pas à raser les quartiers pauvres. Comme on le sait, en montrant de fortes disparités, les cartes sont susceptibles de venir réifier des réalités sociales et alimenter des discours extrêmes. Il est bien spécifié dès le début du dossier :
« Cet ensemble de cartes et graphiques a été conçu et réalisé dans le cadre d'une démarche universitaire indépendante et de long terme. Cette sélection de cartes est mise à la disposition du Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées (HCPLD), pour accompagner son rapport 2019 sur le mal-logement. [...] Étant donné le caractère technique et complexe de certaines données et cartes, des précautions d'interprétation s'imposent. [...]
« Le présent dossier de cartes, et plus largement ce travail en commun entre universitaires et institutionnels permet d’avoir une approche factuelle et rigoureuse sur les inégalités, les ségrégations urbaines et les carences en logements très sociaux. Il souligne que les effondrements rue d’Aubagne ne relèvent pas de faits divers accidentels, et imprévisibles, mais d’une continuité de défaillances systémiques des dispositifs et des acteurs face à une accentuation de la fragmentation urbaine : recompositions sociales, concentration de la pauvreté dans le centre et les quartiers nord, implantation des logements sociaux aggravant une ségrégation géographique, production insuffisante de logements “très” sociaux adaptés aux revenus des demandeur.se.s, absence de traitement de l’habitat dégradé dans les quartiers populaires, et jusqu’aux difficultés de relogement provisoire des ménages évacués, malgré la mise en place d'un dispositif exceptionnel, du fait du manque de logement social dans le centre ancien. [...] »
Si le rapport du HCLPD de 2019 parle de « crise humanitaire », c'est d'abord pour souligner la gravité de cette crise du logement social. Pour y remédier, il émet un certain nombre de préconisations qui vont de la construction de logements sociaux au maintien de logements privés abordables, en passant par la mise en place de programmes de réhabilitation de fond. Dans le cas d'opérations de rénovation, le rapport évoque la règle dite du "un pour un" (un logement social détruit = un logement construit) et surtout le principe selon lequel « un logement réhabilité ou construit doit être à niveau de loyer correspondant aux revenus des ménages délogés » (ce que permettent rarement les opérations de destruction-reconstruction de grande envergure). Le rapport évoque aussi les traumatismes liés aux opérations de délogement-relogement et le risque d'aboutir à une « ville malade ».
Les fractures urbaines concernent également l'école comme le montre par ailleurs l'article de Gwenaëlle Audren et Virginie Baby-Collin "Ségrégation socio-spatiale et ethnicisation des territoires scolaires à Marseille". Les deux autrices montrent comment « la carte scolaire française tend à reporter les formes de la ségrégation sur les établissements scolaires des quartiers, en reproduisant les inégalités sociales ».
Autrement dit, les questions de mixité sociale et de lutte contre les ségrégations urbaines ne se cantonnent pas à la question du logement, aussi importante soit-elle dans la production des inégalités. Elles s'inscrivent dans des processus plus complexes que les discours politiques sur la ville ne le laissent souvent entendre. La cartographie des inégalités urbaines vient documenter ces processus et nourrir la réflexion, mais ne saurait être brandie comme un argument d'autorité pour emporter la conviction de l'opinion publique.
Références
http://veillecarto2-0.fr/2020/01/20/a-marseille-une-cartographie-citoyenne-contre-le-mal-logement/
http://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-01244911
http://www.urbanisme-puca.gouv.fr/attributions-de-logements-sociaux-politiques-de-a1584.html
Terrains | Les habitant·e·s face à l’« urbanisme négocié » : le cas d’Euroméditerranée II – par Laurine Sézérat : https://t.co/hBdfklqIOf#urbanisme #UrbanismeNegocie #amenagement #Marseille pic.twitter.com/bhTn6x9zYh
— Métropolitiques (@Metropolitiques) September 9, 2021
[Dossier « Marseille : les batailles du centre-ville »]
— Métropolitiques (@Metropolitiques) December 6, 2021
Terrains | Faire face au #RenouvellementUrbain. Retour sur dix ans de recherche coopérative dans le #CentreVille de #Marseille – par I. Berry-Chikhaoui, A. Deboulet, P. Lacoste & K. Mamou : https://t.co/4N5IQdXCyO pic.twitter.com/zWMUZiYaTa
Marseille en 2022 :
— Mathieu Grapeloup (@Mat_Grapeloup) January 10, 2022
✅ 7 projets livrés
🏗 12 chantiers qui se poursuivent
🥁 16 chantiers qui démarrent
📚 23 projets à l’étude
Découvrez sur @MadeMarseille la liste de tous les projets d’urbanisme à suivre et explorez notre carte interactive !
👉 https://t.co/OmT7FB4vra pic.twitter.com/wtmr9k6d9Y
— Frantz Laurent (@FrantzLaurent27) October 28, 2021
Lien ajouté le 23 avril 2022
Exposition MARSEILLE PRIVATOPIA (6 sept-15 octobre 2022) https://t.co/JkySMl11im
— Sylvain Genevois (@mirbole01) October 4, 2022
15 années de recherches menées par des géographes d’Aix Marseille Université sur la fragmentation et les résidences et rues fermées. Voir la page du projet https://t.co/mB3HyB1Osx pic.twitter.com/3fNh0vANDp
Un article très intéressant pour aborder conjointement les questions de renouvellement urbain et de mixité sociale et scolaire (à partir de l'exemple de Marseille)https://t.co/zTygqnq6Zz pic.twitter.com/NGEetblu3R
— Sylvain Genevois (@mirbole01) October 8, 2022
Terrains | Le projet partenarial d’aménagement : vers une reconfiguration des rapports entre État et collectivités locales ? (par François Déalle-Facquez et Matilin Le Meur) https://t.co/javjP88qvp #Marseille #amenagement #logement #décentralisation #ProjetUrbain pic.twitter.com/rn1FG8swbQ
— Métropolitiques (@Metropolitiques) February 21, 2024
Lien ajouté le 30 mai 2024
Podcast | Carnets de villes – Marseille. Rencontre avec Christine Breton et Alise Durot : https://t.co/vNts55n18Y#patrimoine #histoire #Marseille pic.twitter.com/Go8tDhetcq
— Métropolitiques (@Metropolitiques) May 27, 2024
Étudier les établissements scolaires en lien avec la politique de la ville : intérêt et limites