Cartes et données sur les « déserts médicaux » en France


La question des déserts médicaux est régulièrement l'objet de débats en France. En novembre 2021, l'Association des Maires Ruraux de France (AMRF) a publié une brochure en collaboration avec France Bleu pour attirer l'attention sur un phénomène qui a tendance à s'accentuer (Accès aux soins en milieu rural : la bombe à retardement). L'étude, publiée à l'initiative de l'AMRF, confirme que la désertification médicale touche davantage les zones rurales où un médecin généraliste couvre en moyenne 30 km² (contre 5 km² dans les bassins de vie urbains). Il est 6 fois plus difficile de consulter un médecin généraliste en milieu rural qu'en ville, selon cette étude qui calcule la densité de médecins au km² et non comme souvent par rapport au nombre d'habitants.

«  Déserts médicaux : il manque plus de 6 000 généralistes dans les campagnes, selon les maires ruraux de France » (France Bleu). 10 % de la population, soit plus de 6 millions d’habitants vivent à plus de trente minutes d’un service d’urgence : 96 % des urbains ont accès aux urgences en moins de 30 minutes contre seulement 79 % des ruraux. 

Le terme « désert médical » mérite d'être interrogé : il renvoie à la fois à des réalités et à des représentations. Considéré parfois comme excessif, il doit être étudié au regard des données et des différents indicateurs disponibles. Les déserts médicaux peuvent être abordés en prenant en compte l'inégale répartition des personnels de santé sur le territoire. La question peut également être traitée du point de vue du temps d'accès aux infrastructures et aux services médicaux. Différents indicateurs utilisés pour mesurer le degré de « désertification » sont à prendre  en compte. Ce billet vise à rassembler des ressources permettant d'aborder la question sous différents angles.

I) Accès aux données et aux indicateurs 

1) La densité de médecins généralistes ou spécialistes

La base Ameli de l'Assurance maladie donne accès aux effectifs et densité de professionnels de santé libéraux par département. Les données sont téléchargeables par année depuis 2016. Les données sont découpées par catégorie de professionnels : médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, auxiliaires médicaux, laboratoires d'analyses. Pour chaque catégorie détaillée de professionnels et selon le département, sont présentés :

  • l'effectif de professionnels de santé libéraux ;
  • l'effectif de la population française ;
  • la densité de professionnels de santé libéraux pour 100 000 habitants.
Ces données disponibles à l'échelle des départements permettent de montrer l'inégale répartition des professionnels de santé sur le territoire. A cette échelle, il n'est guère possible que de distinguer entre départements à dominante rurale et départements à dominante urbaine. Surtout la densité de médecins généralistes ou spécialistes ne reflète pas l'accès réel aux infrastructures et services médicaux.




Spécialité médicale. Pédiatrie (rapport AMRF-France Bleu)


2) Les temps d'accès aux infrastructures et services médicaux

Plus de 20 % des communes sont à au moins 30 minutes des urgences les plus proches. Dans le  diagnostic de la Drees sur le sujet, les habitants de près de 8 000 communes – autrement dit 20 % de l’ensemble des communes françaises – devaient en moyenne effectuer au moins 30 minutes de trajet pour se rendre aux services d’urgences les plus proches de chez eux, en 2019.

L'indicateur représente la part des individus du territoire pour lesquels au moins l'un des 5 services de soins de la gamme de proximité (pharmacies, médecins généralistes, masseurs-kinésithérapeutes, chirurgiens-dentistes, infirmiers libéraux) se trouve à plus de 20 minutes en voiture de leur domicile.

Accès aux services de santé (données et cartes de l'Observatoire des Territoires).

Données à télécharger dans la base Indicateurs territoriaux de développement durable (INSEE).

Ces données d'accès sont dérivées de la Base permanente d'équipements (BPE) et de la Base population de l'INSEE. Disponibles à l'échelle communale, elles sont utiles pour donner une idée des temps moyens d'accès. Elles ne reflètent pas l'accessibilité en fonction des populations ni la disponibilité réelle des médecins.

3) L'indicateur d’accessibilité potentielle localisée (APL)

La Drees a créé en 2015 un indicateur d’accessibilité potentielle localisée (APL). Cet indicateur synthétique prend en compte 3 critères : la distance spatiale, le nombre d’actes annuels réellement effectués, l'âge des habitants. Les vifs débats actuels sur l’accès aux soins, cristallisés autour de la notion de « déserts médicaux », posent une question centrale de mesure et de définition de termes communs. Le dossier rassemble les éléments chiffrés disponibles et vise à poser quelques jalons dans la recherche de définitions partagées rendant possible l’objectivation. 

Téléchargement des données APL par communes (année 2015).

Accessibilité Potentielle Localisée (APL) en fonction des spécialistes (données de la Drees)

Diagnostic d'accès aux soins urgents (données 2015 et 2019).

D’après la mesure proposée, 8 % de la population résidait en 2015 dans une commune sous-dense en médecins généralistes, au sens d’une accessibilité inférieure à 2,5 consultations par an et par habitant.


L’APL est un indicateur local, disponible au niveau de chaque commune, qui tient compte de l’offre et de la demande issue des communes environnantes. Calculé à l’échelle communale, l’APL met en évidence des disparités d’offre de soins qu’un indicateur usuel de densité, calculé sur des mailles beaucoup plus larges (bassins de vie, départements…) aura tendance à masquer. L’APL tient également compte du niveau d’activité des professionnels en exercice ainsi que de la structure par âge de la population de chaque commune qui influence les besoins de soins. Il est nécessaire en effet de prendre en compte l'évolution du corps médical, notamment le vieillissement des médecins généralistes et leur difficulté de renouvellement en milieu rural.

II) Pistes d'analyse à travers des cartes à réaliser ou à télécharger

1) Appréhender l'inégale répartition à l'échelle des départements

Les données de densité de médecins généralistes par habitants sont souvent utilisées dans les médias. On peut utiliser l'outil cartographique Géoclip de l'Observatoire des Territoires qui permet de travailler à la fois sur le nombre et la densité des médecins généralistes ou spécialistes. 

Plus que la densité, c'est la variation qui est intéressante à étudier afin de voir où la "désertification" médicale s'accentue en France. La base Ameli permet de faire des comparaisons 2016-2020. 

2) Comparer en fonction des spécialités

A comparer à l'évolution des chirurgiens-dentistes (2016-2020) avec le même mode de discrétisation (classification Jenks en 8 classes). Source : Ameli.

A comparer à l'évolution du personnel infirmier (période 2016-2020 et rapporté à 100000 habitants) qui a connu une croissance globalement plus forte mais avec aussi d'importantes disparités. Source : Ameli.

A comparer à l'évolution des masseurs-kinésithérapeutes-rééducateurs (2016-2020). Source : Ameli

3) Affiner l'analyse à l'échelle des bassins de vie

L'étude conduite par l'AMRF et France Bleu à partir des analyses d'Emmanuel Vigneron permet d'affiner l'analyse à l'échelle des bassins de vie.

Densité de médecins libéraux par bassin de vie et estimation du nombre de médecins nécessaire pour parvenir à la moyenne actuelle de 0,83 (source : étude AMRF-France Bleu 2022)


Grand spécialiste de la santé des territoires, le géographe Emmanuel Vigneron a réalisé une carte inédite qui montre, à l’échelle des bassins de vie, le nombre de praticiens libéraux manquants pour atteindre la moyenne nationale (Libération, 13 octobre 2022). 

« Dès la fin des années 90, on s’est mis à parler de désert médical. D’abord moquée, dénoncée comme exagérée jusque dans la dernière décennie, l’expression est aujourd’hui employée par tous. Plus personne ne rit. La raison en est simple : loin de se résorber comme on croyait qu’il en irait naturellement, les inégalités de répartition de l’offre médicale dans notre pays se sont aggravées au cours des deux dernières décennies. Aujourd’hui, dans 997 des 1 663 bassins de vie de la France, soit 60 % d’entre eux, on manque de médecins généralistes libéraux au regard de la moyenne nationale. De nombreuses raisons expliquent cette situation. Présenter les déserts médicaux comme un problème de la médecine générale serait un raccourci erroné et contestable. Les autres spécialités sont parfois plus impactées. »


4) Étudier l'accessibilité potentielle localisée (APL) à l'échelle des communes

Accessibilité potentielle localisée (APL) aux médecins généralistes (consultations par an par habitant) en 2018 (cartographie Géoclip sur l'Observatoire des Territoires).

Accessibilité potentielle localisée (APL) aux médecins généralistes de moins de 65 ans (consultations par an par habitant) en 2018 (cartographie Géoclip sur l'Observatoire des Territoires).


III) Exploitation pédagogique dans le cadre de l'enseignement

L'étude des déserts médicaux peut être abordée dans les programmes de géographie, notamment dans le thème 2 du programme de Seconde ("Territoires, populations et développement : quels défis ?") ou dans le thème 3 ("Les espaces ruraux : multifonctionnalité ou fragmentation"). Le thème peut être également traité dans le cadre plus large de l'Education aux médias et à l'information (EMI) en utilisant les ressources et données numériques à disposition sur Internet.

Construire la notion de désert médical en géographie à partir de différentes ressources numériques (Une séquence présentée au FIG de Saint Dié 2022 qui avait pour thème "Les déserts").
« La géographie doit être citoyenne. Les élèves doivent s'engager ». Professeure au lycée Victor Duruy de Bagnères de Bigorre et interlocutrice académique pour le numérique, Perrine Gourio a conçu, avec sa collègue Gwilhmet Primel, une séquence sur un thème rarement abordé en classe : les déserts médicaux. Un thème que les élèves ont appliqué à leur région dans une démarche d'investigation (voir l'interview pour le Café pédagogique).


Pour compléter
  • « La France des déserts médicaux » (Le Monde, 2017). En 2017, Emmanuel Vigneron et Le Monde ont produit une cartographie détaillée de l’accès aux soins à l'échelle des cantons et arrondissements 
  • « Les déserts médicaux : une France des marges » (Géoconfluences, 2017)
  • « Déserts médicaux : une première cartographie » (Alternatives économiques, 2017).
  • « Qu'est-ce qu'un désert médical et comment les pouvoirs publics y répondent-ils ? » (Vie Publique)
  • « Vivez-vous dans un désert médical ? » Données sur l’indicateur d’accessibilité potentielle localisée (APL) Data.gouv.fr
  • « Lutter contre les déserts médicaux » (mesures mises en place par le Ministère de la Santé et de la Prévention)
  • Remédier aux pénuries de médecins dans certaines zones géographiques - Les leçons de la littérature internationale (Drees, 2021)
  • Les incitations financières ne suffisent pas à attirer les médecins dans les déserts médicaux (Drees, 2021)
  • « Déserts médicaux, démographie médicale : les politiques publiques impuissantes » (La Gazette des communes)
  • « Déserts médicaux : face à une situation inacceptable, le Sénat appelle à l'action avant qu'il ne soit trop tard » (l'essentiel du rapport du Sénat, 2022).
  • «  Déserts médicaux : la proposition d’une quatrième année d’internat pour les généralistes adoptée en commission » (Public Sénat, 2022).
  • « Accès aux soins en milieu rural : la bombe à retardement » (AMRF-France Bleu, 2022)
  • « Déserts médicaux : la majorité du territoire français sous-dotée en généralistes » par Emmanuel Vigneron, professeur émérite des universités, géographe et historien de la santé (Libération, 2022).
  • « Cartes. Déserts médicaux : quelles sont les zones les plus défavorisées ? » (Ouest-France, 2022)
  • Thread déserts médicaux pour débunker les intox des libéraux. Si les déserts sont plus désertiques, ce n'est pas seulement parce que les généralistes sont moins nombreux. En 12 ans, 14 départements voit progresser leur densité en généralistes (Mediapart).
  • Accès aux maternités en 2019 selon Emmanuel Vigneron. Le temps d'accès s'allonge, mais les établissements gagnent en sécurité.
  • En finir avec les déserts médicaux (2016) par Nicolas Lambert
  • Une étude cartographique de l'Ordre National des Infirmiers (ONI) met en évidence la densité infirmière, y compris dans les déserts médicaux.
  • « Déserts médicaux. Qu'est-ce-qui a changé depuis le 19e siècle ? »  Pour le comprendre, l'historien Olivier Faure s'entretient avec l'équipe de La Piqûre de rappel (2021).

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