Ce billet se propose d'analyser la manière dont les médias français et étrangers ont cartographié l'élection présidentielle de novembre 2024 aux États-Unis.
Donald Trump a remporté l'élection présidentielle de novembre 2024 avec 312 grands électeurs pour les républicains contre 226 pour la candidate démocrate Kamala Harris. Fait assez inattendu : le candidat républicain a remporté tous les swing states ou États pivots (Géorgie, Caroline du Nord, Pennsylvanie, Wisconsin, Michigan, Nevada et Arizona) où le scrutin est d'habitude assez serré. Si Trump signe un grand chelem dans les Etats-clés (Libération), ce n'est pas pour autant un raz de marée en nombre de voix. Trump obtient un plus de 74 millions de voix contre un peu moins de 71 millions pour Kamala Harris. Au final, il ne réunit guère plus de voix qu’en 2020. C’est son adversaire qui, elle, décroche par rapport au score réalisé par Joe Biden qui avait réuni plus de 81 millions de voix. Les électeurs démocrates se sont peu mobilisés pour cette élection (score inférieur de 10 millions de voix par rapport au scrutin de 2020). Pour gouverner, Donald Trump pourra s’appuyer sur le Sénat, que les républicains ont repris aux démocrates (source : Le Monde).
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Les principales raisons invoquées par les électeurs pour ne pas soutenir Kamala Harris sont l'inflation trop forte, l’immigration illégale jugée trop élevée, les questions culturelles et sociétales, notamment les personnes transgenres et le wokisme désignés comme des cibles à combattre pour les républicains. Les démocrates semblent de leur côté avoir délaissé leur électorat traditionnel (classe ouvrière et minorités). Le profond gender gap n’a pas permis à Harris de gagner l’élection (Le Grand Continent). Le dégagisme a pu aussi jouer un rôle, Trump n'étant pas le candidat sortant comme en 2020. Le rôle central d'Elon Musk dans la campagne lui a procuré des avantages comparatifs immenses. Le réseau Twitter/X est devenu une chambre d'écho de ses idées. Surtout Musk, en utilisant la dérégulation du financement politique indépendant, a pu littéralement subventionner sans limite la campagne de Trump (voir la carte des dons pour les deux candidats). Pour Asma Mhalla, politologue spécialiste des enjeux politiques et géopolitiques de la Tech et de l'IA, « ce que Musk apporte à Trump, c’est une sorte de rétrofuturisme, à la fois ultra conservateur bloqué dans les années 1970 et une projection vers le futur qui participe de la puissance trumpienne » (France Inter). « Une nouvelle ère s'ouvre. Les technophiles américains se pavanent désormais dans les couloirs du pouvoir » (The Guardian).
En moins de dix ans, le Parti républicain est devenu le Parti de Trump. Le président élu l’a baptisé le « mouvement Maga » d'après son slogan « Make America Great Again ». Les soutiens et courants sont divers, mais on peut les classer selon un triptyque simple : religion, argent et pétrole (Mediapart). Pour le politiste Wendy Brown, les facteurs qui permettent de comprendre la nette victoire de Donald Trump face à Kamala Harris sont le populisme économique, l’épuisement de la démocratie libérale, la destruction de l’éducation, en particulier de l’enseignement supérieur (AOC media). Les gains de Donald Trump chez les Latinos ont été décisifs (sauf à Porto Rico qui reste un bastion démocrate). Le président républicain élu n'a progressé que très modestement chez les électeurs noirs et stagné voire un peu régressé parmi les électeurs blancs. Les états de la Rust Belt, marqué par le déclin industriel et démographique, ont voté en majorité pour Trump. Aux facteurs économiques s'ajoutent des facteurs psychologiques. Pour Paul Schorr, historien des États-Unis, « une minorité blanche vieillissante craint que les minorités deviennent la majorité aux États-Unis. Trump joue de cette peur ancienne de l’altérité raciale dont le suprémacisme blanc est le débouché » (Le Monde). Ce n'est pas un hasard si Donald Trump a tenu ses plus gros meetings dans les sundown towns ("villes du coucher du soleil" en majorité constituées de blancs). Sélection de cartes de résultats de la Présidentielle américaine de 2024 sur le site Inconsolata.
Sélection de cartes et data visualisations sur le site Datawrapper. Voir également celles du Spiegel.
Téléchargement des résultats des élections fédérales depuis 1982 sur le site de la Federal Election Commission (FEC).
La collection de cartes des élections présidentielles américaines depuis 1789 (par états sur GisGeography, par états et comtés sur Brilliant Maps).
« L’Amérique de Trump, carte des résulats par comtés » (MapPorn). Cette carte choroplèthe montre l'importance du vote républicain (en rouge) par rapport au vote démocrate (en bleu). Il convient toutefois de rappeler que ce ne sont pas les territoires mais les populations qui votent. Comme lors des élections présidentielles de 2016 et 2020, ce type de carte est largement diffusé par les républicains pour alimenter l'idée d'une "vague rouge", d'un raz de marée républicain.
Il convient de se méfier des cartes donnant seulement le candidat arrivé en tête. Un dégradé de couleurs indiquant les scores précis en pourcentages donne déjà une vision plus nuancée. Le site Purple States of America permet ainsi de faire des comparaisons entre élections présidentielles de 1980 à 2024.
Le Financial Times propose une cartographie plus exacte qui rapporte l'importance du vote au poids de la population d'une part et au nombre de Grands électeurs d'autre part.
The Economist en donne une représentation encore plus détaillée sous la forme d'une carte par densité de points.
Karim Douïeb propose une vision alternative de la carte électorale américaine de 2024. Cette carte met à l'échelle les États en fonction de leur poids électoral, préservant ainsi la forme des États pour q'uon puisse les reconnaître. Les formes basées sur des diagrammes de Voronoi pour chaque État montrent le nombre exact d'électeurs.
Le New York Times propose une carte montrant le décalage de voix (principalement à droite) par rapport au vote présidentiel de 2020. Une autre carte plus détaillée montre là où Trump a gagné un peu et où Harris a perdu un peu ou beaucoup avec le détail pour 11 grandes villes des Etats-Unis (notamment les déplacements de voies des latinos ou des asiatiques).
Bloomberg propose le même type de carte, mais les déplacements de voix y sont indiqués sous la forme de pics en relief.
Le Parisien ne se contente pas de donner le candidat en tête mais fournit le score par comté, ce qui donne une vision plus nuancée. Pour chacun des deux partis, l'évolution est également précisée par rapport à la Présidentielle de 2020.
Lors de sa campagne de 2016, Trump a recueilli 12 % des voix à Chicago. En 2024, il a presque doublé son pourcentage, en obtenant 22 %. Trump a remporté le district de la prison du comté de Cook, les districts de la classe ouvrière blanche avec des électeurs parmi les policiers et les pompiers, ainsi que les districts juifs orthodoxes (@FrankCalabrese)
Il est difficile de se fier aux experts et aux sondeurs qui n'avaient guère anticipé les résultats. Une étude parue en octobre 2024 avant l'élection présidentielle avait en partie prédit les scores des deux partis. Fondée sur un modèle économétrique appelé « State Presidential Approval/State Economy Model », elle utilisait des données économiques et des taux d'approbation présidentielle pour prédire la part des votes des deux partis dans chaque État. Les prévisions suggèraient que les résultats étaient largement en faveur de Trump 100 jours avant l'élection. Cela pourrait expliquer en partie la décision soudaine du président Biden de se retirer de la course, car le modèle indiquait qu'il avait moins de 10 % de chances de gagner s'il restait candidat. Pour que les démocrates l'emportent, il fallait que Kamala Harris surmonte des problème extrêmement difficiles et/ou que Trump et le Parti républicain gaspillent leur avantage considérable au sein du Collège électoral.
Deux Amérique irréconciliables ? « Comment les Américains démocrates ou républicains achètent, mangent et vivent » (The New York Times). Les auteurs ont passé au crible des millions de magasins, restaurants, salles de spectacles et autres lieux. Si l'on ne sait pas exactement qui fréquente quel lieu, on sait comment votent les lieux qui sont fréquentés. Si il y a des corrélations évidentes (les terrains de golf et les magasins d'armes sont davantage implantés dans des lieux votant républicains, les salles de yoga, les bars à cocktail et les brasseries davantage démocrates), on trouve aussi des corrélations plus surprenantes. 
« Des millions de déménagements révèlent la polarisation américaine en action » (The New York Times). A partir des registres d'inscription des électeurs, le NYT a analysé plus de 3,5 millions d'Américains qui ont déménagé depuis la dernière élection présidentielle, offrant un aperçu très détaillé de la façon dont les Américains se séparent les uns des autres.
Les chiffres sur l'immigration légale et illégale aux États-Unis ont largement alimenté les débats pendant la présidentielle américaine (VisualCapitalist). «
Fermer hermétiquement la frontière et mettre fin à l'invasion des migrants »
figure en tête du programme en 20 points écrit en lettres majuscules par le candidat Trump. Il convient au passage de rappeler qu'Elon Musk, ennemi des « frontières ouvertes », a lancé sa carrière en travaillant illégalement (
The Washington Post).
« Dans les États-Unis de Trump comme en France, l’immigration est devenue un puissant vecteur d’expression des malaises sociaux et de contestation des élites » (Le Monde). La manière d'interpréter ces chiffres peut être source de nombreux biais.
La carte objet éminemment politique. Le propriétaire de la société X, Elon Musk a publié le 10 novembre 2024 une capture d'écran d'une diffusion de Newsmax. On y voit apparaître une carte électorale rouge et bleue, état par état, publiée dans l'émission « Carl Higbie Frontline ». L'objectif est de montrer que presque tous les États qui ont élu la vice-présidente Kamala Harris étaient des États qui n'avaient pas de lois sur l'identification des électeurs (sous entendu des migrants auraient pu voter de manière illégale). Il s'agit d'une fausse corrélation, la carte montrant l'identification des électeurs selon les Etats apparaît quelque peu différente sur
Wikipedia.
Elections américaines et lutte contre la désinformation.
« La plupart des analyses rétrospectives des élections négligent un facteur clé dans la manière dont les gens votent : où ils s’informent » (
Politico).
« Lors des élections américaines de 2024, quelles sources ont le plus influencé les décisions de vote ? » (
The Journalist' resource).
Entre le 30 août et le 8 octobre 2024, une équipe de chercheurs de quatre universités a interrogé des milliers d’adultes américains et leur a posé la question suivante : « Lorsque vous prenez une décision concernant un vote, quelle est votre source d’information la plus importante ? »
- Dans l’ensemble de l’échantillon, les discussions avec les amis/la famille et les articles d’actualité ont été les deux principales sources d’information sur les élections en 2024, respectivement 29 % et 26 %. Les recommandations du clergé (2 %) et les médias sociaux (9 %) figuraient parmi les autres sources principales.
- Les démocrates et les indépendants sont plus susceptibles que les républicains de s'appuyer sur les articles d'actualité comme principale source d'information électorale. Un pourcentage plus élevé de républicains ont cité leurs amis et leur famille comme principale source d'information électorale que les démocrates ou les indépendants.
- Les Américains qui n’avaient pas fréquenté l’université étaient plus susceptibles de s’appuyer sur leurs amis et leur famille pour obtenir des informations sur les élections que les Américains ayant fait des études plus formelles, qui étaient plus susceptibles de s’appuyer sur les médias d’information.
- Interrogés spécifiquement sur les sources d’information les plus importantes pour eux au moment de prendre une décision de vote, 41 % des répondants ont choisi les informations télévisées nationales comme principale source d’information.
Python Maps propose une carte par densité de points pour les élections américaines de 2024. Chaque point est coloré en fonction du candidat arrivé en tête dans le comté et en fonction du nombre de votes (à comparer avec la carte choroplèthe).
Le journal Le Point [@claradealberto) propose une infographie originale montrant la relative stabilité du vote républicain et du vote démocrate depuis 1960 à l'échelle de chaque état.
Kenneth Field (
@kennethfield) propose une représentation originale des résultats sous forme de cartogramme de Dorling. "Oubliez les cartes en rouge et bleu, celle-ci couvre pratiquement toutes les mesures auxquelles vous pouvez penser, apportant des nuances au résultat". A télécharger
en pdf.
Lee Masson propose une analyse des résultats par auto-corrélation spatiale. L'indice de Moran local sert à mesurer l'autocorrélation spatiale, il est utilisé principalement pour détecter des clusters. L'indice de Moran fournit des informations importantes, il peut cependant être difficile à interpréter. C'est la raison pour laquelle l'indice de Moran local est utilisé pour simplifier l'analyse.
Ben Schmidt propose une datavisualisation qui montre les changements de polarisation politique aux États-Unis depuis 1840. Le « bastion du Sud » démocrate de 1880 à 1964 est clairement visible ainsi que les régions républicaines qui correspondent traditionnellement à l'Ouest montagneux et aux Grandes Plaines. Mais on observe aussi des évolutions.
« Kamala Harris aurait pu battre Donald Trump en « retournant » 135 307 voix dans quatre Etats-clés, malgré ses 2,3 millions de voix de retard
» (Le Monde - Les Décodeurs).
Le scrutin indirect, héritage historique du système électoral américain, permet parfois, comme pour Donald Trump en 2016, de gagner l’élection présidentielle sans avoir la majorité de voix à l’échelle nationale. Ce n’était pas le cas en 2024, puisque Kamala Harris avait 2,3 millions de voix de retard. Pourtant, selon nos calculs, elle aurait pu l’emporter si seulement 135 307 électeurs avaient voté pour elle plutôt que pour Donald Trump dans quatre Etats (Wisconsin, Nevada, Michigan et Géorgie). Du fait d’un système électoral indirect, 0,08 % des votants auraient pu changer le résultat de l’élection.
En 2024, moins de 10 % des élections à la Chambre des représentants aux États-Unis ont été disputées. Dans la grande majorité des circonscriptions, l’un ou l’autre parti l’emporte haut la main. Le cœur du problème est le système des circonscriptions à vainqueur unique, qui accorde 100 % de représentation au candidat qui recueille le plus de voix et zéro pour cent à tous les autres. Le système électoral du « winner-take-all » (le gagnant rafle tout) génère deux partis dominants et relègue les tiers au rôle de perturbateurs et de gaspilleurs de voix de leurs partisans. Cela conduit à la même compétition à enjeux élevés tous les deux ans entre les mêmes deux partis, ce qui se traduit soit par la domination de l'un, soit par un gouvernement divisé et paralysé par les deux. Ce paysage électoral divisé, alimenté par un découpage géographique vieux de plusieurs décennies qui a concentré les démocrates dans les villes et les républicains dans les zones rurales et renforcé par un redécoupage partisan, a favorisé un climat de polarisation qui s’enracine davantage à chaque élection. Dans les périodes de polarisation politique moins marquée, les systèmes où le vainqueur rafle tout peuvent refléter l’opinion publique et maintenir la stabilité démocratique, mais lorsqu’une nation est profondément divisée et qu’un grand nombre de citoyens craignent de ne pas être représentés du tout, il en résulte une érosion de la confiance dans le gouvernement et une montée de l’extrémisme et de la violence politique.Plus de 200 politologues et historiens de premier plan ont signé une lettre ouverte en 2022 appelant la Chambre des représentants à adopter la représentation proportionnelle.
Cartographie des élections présidentielles américaines de 1788 à 2024 sur le site Brilliant Maps. Avec les scores par Etat et par comté ainsi que les enjeux clés pour chacune des élections et les raisons pour lesquelles le candidat élu l'a emporté.
« Les archipels d'électeurs de Harris, Biden et Clinton » (
Brilliant Maps)
Ces trois cartes sont toutes l'œuvre d'Alex chez
Vividmaps (vous pouvez voir une version intégrale sur son site). Elles montrent les îlots isolés de soutien électoral à Harris, Biden et Clinton lors de leurs élections présidentielles américaines respectives contre Donald Trump, visualisées comme des cartes topographiques plutôt que comme des cartes électorales standard. Les océans vides de voix démocrates (en bleu) contrastent fortement avec les montagnes (en jaune-brun) du vote Trump sur la carte de
Trumpland.
Le
New York Times propose une carte contributive qui présente les résultats détaillés au niveau de chaque circonscription. La carte interactive est consultable
en ligne en ce qui concerne 42 Etats déjà complétés. Les données sont mises à disposition au fur et à mesure sur
Github au format topojson, geojson et csv. Les résultats par comtés peuvent être comparés à ceux de 2016 et 2020. Il existe de nombreuses façons de visualiser les résultats des élections, toutes imparfaites. Le NYT a opté pour une carte « choroplèthe », où l’intensité du rouge ou du bleu correspond à la marge du candidat en tête. Cette approche, utilisée en
2016 et 2020, permet d’explorer en détail les tendances de vote, dans les communautés grandes et petites. L'inconvénient est que cette carte ne tient pas compte de la population.

Vous remarquerez que certaines parties de la carte sont vides. Il est prévu de publier des mises à jour de cette carte et de l'ensemble de données au fur et à mesure que de la collecte et de la cérification des résultats. La priorité a été donnée aux comtés ayant le plus de votes afin d'inclure le plus grand nombre possible de participants. Cependant, certains États et comtés ont indiqué qu’ils ne fourniraient pas les résultats au niveau des circonscriptions pour tous les votes exprimés lors de l’élection. De nombreux endroits n’incluent pas les bulletins de vote par correspondance ou par anticipation dans les données qu’ils publient, et comme une majorité d’Américains votent désormais par anticipation ou par correspondance, on peut considérer que les données sont incomplètes et qu'elles ne seront pas incluses dans la carte.
Les États-Unis ont connu un faible taux de participation électorale, qui a chuté à 64 % lors de l'élection présidentielle de 2024. Cette datavisualisation de Sarah Bell montre comment cette baisse de participation s'est répartie au niveau de chaque État et comment elle a pu avoir un effet sur les résultats.
Mike Travers montre un clivage politique persistant entre zones urbaines et zones rurales. Intitulé
Densité de population x Alignement politique, son outil utilise un graphique en nuage de points et une carte pour illustrer la relation entre densité de population et tendances électorales. Chaque comté des États-Unis est représenté par un cercle, dont la taille correspond à la population et la couleur indique l'orientation politique - bleu pour le soutien démocrate et rouge pour le soutien républicain.
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