Latitudes et longitudes géographiques dans l’Encyclopédie de Diderot et d'Alembert


Le dossier de Colette Le Lay sur le site ENCCRE se propose d'étudier les latitudes et longitudes fournies par les articles de géographie de l’Encyclopédie de Diderot et d'Alembert. Il s'agit d'en déterminer les contributeurs et les sources à partir d'un important corpus. Librement accessible, l’Édition Numérique, Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie (ENCCRE) met à disposition les connaissances des chercheurs d’hier et d’aujourd’hui sur l’Encyclopédie, en s’appuyant sur un exemplaire original et complet de l’ouvrage conservé à la Bibliothèque Mazarine, intégralement numérisé pour l’occasion (soit 17 volumes de textes et 11 volumes de planches). Le dossier s'ouvre par une très belle projection de Jacques Cassini (1696) figurant la Terre vue du pôle Nord avec l'ensemble des méridiens disposés tout autour.

Planisphère Terrestre où sont marquées les Longitudes de divers Lieux de la Terre par Mr. de Cassini  (1696)
Source : Gallica


Le choix de cette projection azimuthale polaire de Jacques Cassini est l'occasion d'aller découvrir la très belle représentation du périple de Magellan autour du monde par le cartographe Scherer (1702). Heinrich Scherer (1628-1704), à la fois mathématicien et cartographe, a développé une œuvre colossale qui a influencé la cartographie européenne du XVIIIe siècle. Plusieurs de ses atlas sont à découvrir sur le site de la Bibliothèque numérique de Munich. Au XVIIe siècle, les parallèles et les méridiens apparaissent comme les lignes remarquables pour se repérer à la surface du globe. Mais les coordonnées géographiques restent encore assez imprécises. Déterminer la longitude va devenir un grand enjeu au XVIIIe siècle.

Heinrich Scherer, Geographia Artificialis Sive Globi Terraquei Geographice Repraesentandi Artificium, 1703


La longitude et la latitude tendent à s’imposer de plus en plus fréquemment dans les dictionnaires et encyclopédies à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle comme en atteste l'étude conduite par Denis Vigier, Ludovic Moncla, Isabelle Lefort, Thierry Joliveau et Katherine McDonough : « Les articles de géographie dans le Dictionnaire Universel de Trévoux et l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert » (Revue Langue française, 2022/2, n° 214). Selon les auteurs, c'est avec F. L. Vosgien (1747 et éditions suivantes) que l’on trouve la mention quasi-systématique de longitude et de latitude, modèle que réutilise D. Diderot dans l’Encyclopédie.

Dictionnaire géographique portatif ou Description de tous les royaumes, provinces, villes, patriarchats, éveschés, duchés, comtés, marquisats des quatre parties du monde par M. Vosgien (1757). Source : Gallica



Pour Paris par exemple, l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert indique une latitude de 48° 51' 20''. On y voit la mention de deux longitudes différentes, l'une notée Long. orient. 20° 21' 30", l'autre dite Long. de Paris à l'observatoire de Paris suivant Cassini 19° 51' 30'' : preuve qu'il y avait plusieurs manières d'indiquer la longitude à l'époque. Dans les deux cas, on observe que le point d'origine reste l'île de Fer qui servait encore de référence au cours du XVIIIe siècle.


Comme l'explique le dossier de Colette Le Lay sur le site de l'ENCCRE, déterminer la longitude constitue un enjeu considérable au XVIIIe siècle. Le méridien de Paris comme méridien d'origine va s'imposer progressivement en France à partir des Cassini, sans qu'il s'agisse d'une référence unique. Pour la longitude, l'Encyclopédie prend comme origine l'île de Fer dans l'Atlantique (estimée à l'époque à environ 20° ouest de Paris) sans pour autant mentionner explicitement un méridien origine.

Méridien de l'île de Fer dans l'Atlantique


Outre le Dictionnaire géographique portatif de Vosgien, Jaucourt qui a rédigé avec Diderot les articles de géographie de l'Encyclopédie s'est inspiré vraisemblablement du Dictionnaire de Trévoux (1752). Celui-ci comporte à la fin de l'ouvrage un tableau des coordonnées géographiques de tous les lieux et auteurs cités. La longitude y est indiquée en degrés, minutes, secondes (D. M. S.) par rapport à l'île de Fer ainsi que par rapport au méridien de Paris en heures, minutes, secondes (H.M.S.).

Tableau des coordonnées géographiques des noms de lieux (source : Dictionnaire de Trévoux, 1752)


Il fallut attendre la fin du XVIIIe siècle pour stabiliser les mesures de longitude. En 1789, l'expédition de Verdun, Borda et Pingré plaça définitivement l'île de Fer à 20°2’31" de Paris. Au XIXème siècle, la carte d'état major ne se réfère plus qu'au méridien de Paris et les cartes topographiques des autres États à leur observatoire national. C'est le développement des transports et la nécessité d'adopter une heure universelle et des fuseaux horaires avec des décalages d'heures rondes pour les heures locales qui vont aboutir au choix du méridien international de Greenwich en 1884. La France résistera jusqu'en 1911 (source : « Quelle est la différence entre le méridien de Greenwich et le méridien de Paris ? », IGN)

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