Espace mondial : l’Atlas de Sciences Po 2018 en version numérique

La version numérique de l’Atlas 2018 est en accès libre et gratuit sur le site de Sciences Po. Même s’il comporte quelques limites, cet atlas est une mine d'informations et de cartes à utiliser et analyser avec des élèves ou avec des étudiants.

Les atlas publiés en cette rentrée sont nombreux comme en témoigne le recensement réalisé sur le site Géoconfluences, auquel il faudrait également ajouter l’Atlas de la mondialisation publié début 2018 par Laurent Carroué. Preuve que les atlas de géographie rencontrent un certain succès, même si leur multiplication ces dernières années finit par donner le tournis. L'Atlas de Sciences Po se distingue de cette production en proposant une version numérique et une version imprimée (voir le CR de Jean-Christophe Fichet sur Carto-lycée pour la version papier). Il faut dire que l’Atelier de cartographie de Sciences Po bénéficie d'une notoriété ancienne. Leur premier Atlas de la mondialisation date de 2006. Il est en grande partie renouvelé dans cette nouvelle version numérique. Les conditions d’élaboration de cet e-Atlas multimédia montrent que le projet éditorial s’inscrit dans une démarche collaborative. Pas moins de 6 géographes ou politistes et 4 cartographes ont collaboré pendant deux ans à sa réalisation. Le projet témoigne aussi de la volonté affirmée de toucher un public plus large et de fournir une sorte de « Web Book » en accès libre et gratuit. Pour juger du résultat, nous avons examiné cet atlas numérique selon trois critères : le choix des contenus, le choix des modes de représentation et le potentiel d’usages numériques.

Un contenu très riche avec des données récentes

Même si le titre « Espace mondial » peut sembler traditionnel (c’est le nom d’un cours phare de Sciences Po pour lequel cet atlas sert de support), le contenu est très riche et varié. Plus de 200 cartes sont proposées pour appréhender l’espace mondial contemporain. La plupart sont des créations originales des cartographes de Sciences Po, même si quelques cartes sont reprises à partir d’autres sources. Toutes les cartes sont construites à partir de données récentes. Elles s’ajoutent aux 2 000 cartes de la cartothèque de Sciences Po, un fond très utile pour disposer de cartes vierges et de cartes thématiques que les enseignants d'histoire-géographie connaissent en général assez bien.

Dans son introduction, l’Atlas présente les grands enjeux des espaces-temps du monde d’aujourd’hui. Il évoque également les problèmes de représentation liés aux cartes « qui ne sont qu’une interprétation du réel ». Les auteurs reconnaissent avec franchise qu’il n’est pas toujours aisé de « réunir les données pertinentes sur certains sujets ». Ils avouent également, face aux difficultés pour représenter la complexité des réseaux, qu’il y a finalement peu d’innovation de leur part dans ce domaine (voir cette carte classique des flux de pétrole assortie malgré tout d’une typologie intéressante). En dépit de ces défis cartographiques, ils ont cherché pour chacune des six grandes thématiques proposées à trouver « un équilibre entre une vision d’États juxtaposés et celle d’un monde de plus en plus transnational et global.... Au total, le décalage croissant entre abondance des données et complexité des processus en cours montre qu’approcher le monde mondialisé, global et local (glocal), transnational, aux acteurs multiples, avec des outils anciens ou partiels, est de plus en plus difficile ». Et de souligner très justement : « il faut aussi accepter que les cartes et les graphiques ne montrent qu’un compromis, à un moment donné, entre un questionnement, des données plus ou moins vérifiables et des choix de représentation ». C’est donc l’occasion d’interroger le choix des projections et des modes de représentation qui sont loin d’être neutres dans la construction de notre vision du monde.

Une volonté de varier les cartes et les modes de représentation

L'Atelier de cartographie de Sciences Po n’a pas ménagé ses efforts pour varier les types de cartes (fixes ou animées), les projections (souvent assez originales) et les graphiques (en interaction avec les cartes). Concernant les projections, l’Atlas utilise souvent la projection Bertin ou la projection Mollweide qui offrent des compromis intéressants entre respect des surfaces et des formes et compacité du dessin. La récente projection Natural Earth (plus respectueuse de l’équilibre entre contours et surfaces) est également utilisée. Elle figure d’ailleurs, aux côtés d’un grand nombre d’autres projections, dans l’outil cartographique Khartis développé et mis à disposition sur le site de Sciences Po. Cette variété de projections permet de jouer sur les points de vue et de favoriser les décentrements. Certaines cartes sont centrées sur le Pacifique témoignant d’un basculement du centre de gravité économique et financier, telle cette carte représentant les 2000 premières firmes multinationales. Tout en étant intéressant voire original, le choix de certaines projections pourra paraître un peu déroutant. Ainsi par exemple le choix de la projection Waterman pour figurer les organisations régionales ou encore le choix de la projection Atlantis pour représenter les Grandes découvertes et le premier partage du monde.

Ces cartes au format « vertical » sont un peu difficiles à afficher au format horizontal d’un écran d’ordinateur (à moins de disposer d’un très grand écran). Faute de temps, nous n’avons pas pu analyser l’ensemble des 200 cartes proposées, mais il serait intéressant de chercher les critères qui ont pu présider au choix de telle ou telle projection en fonction du thème abordé et de la vision que les auteurs ont voulu en donner. On peut également s’interroger sur certains choix de sémiologie graphique (voir par exemple cette carte sur les attentats terroristes ou celle-ci sur les victimes de groupes armés). Même si les grandes questions de notre temps sont bien abordées (migrations, ressources, environnement, changement climatique…), les thèmes géopolitiques dominent dans cet atlas (conflits, (in)sécurité, stratégies d’acteurs… sans oublier pour autant les tentatives de régulation), ce qui est en soi logique venant d’un atlas de Sciences Po.

Un fort potentiel d’usages numériques malgré quelques limites

Le moteur de recherche permet d’interroger par mots-clés les cartes, les graphiques, les articles et le lexique. Il est très utile pour accéder directement à l’information recherchée. Par exemple en saisissant « globalisation », le moteur interne renvoie aussi bien à des termes du lexique (mégapole, mondialisation) qu’à un article sur les espaces-temps du monde ou à différentes cartes, comme par exemple cette carte des data centers au 1er janvier 2018. Un atout appréciable : les cartes et les graphiques ainsi que les photographies (d’une très grande qualité graphique) sont regroupés dans un dossier à part (Ressources) où figurent également des compléments (Focus). Les références proposées à la fin de chaque article comportent des liens sur Internet permettant de prolonger la réflexion. De même, les mots-clés fournis au bas de chaque page ainsi que les rubriques associées au thème permettent une navigation thématique qui rompt avec la consultation plus linéaire d’un atlas papier. S’agissant des possibilités de réutilisation des cartes et images, il est rappelé que toutes les informations ainsi que les cartes sont protégées par des droits de propriété intellectuelle. L'usage de ces cartes à des fins pédagogiques semble possible, mais on ne peut pas les republier (sauf à en demander l'accord explicite à Sciences Po). 

Les cartes sont téléchargeables en trois versions : version détaillée, simplifiée et très simplifiée. Ces trois versions de téléchargement ne sont pas très parlantes pour l’utilisateur : il s’agit en réalité de la dimension des images qui est déterminante si l’on veut pouvoir projeter ces cartes sur un vidéoprojecteur ou encore les visualiser sur un ordinateur, une tablette ou autres interfaces. Les dimensions en pixels de chacun de trois formats varient d’une carte à l’autre, ce qui ne simplifie pas le choix (parfois peu évident entre version simplifiée et très simplifiée). Si l'utilisateur ne peut qu'être satisfait de pouvoir avoir accès à des cartes et des graphiques en haute résolution, certains d'entre eux ont un format allongé verticalement. Il peut sembler un peu difficile de les utiliser dans le format horizontal et en basse résolution d’un vidéoprojecteur. Autrement dit, cet Atlas vaut plus par sa dimension interactive et multimédia que par ses possibilités de réutilisation par des utilisateurs dans des contextes variés. Malgré ces petits inconvénients, il convient de souligner la richesse et la profondeur des analyses ainsi que les possibilités multiples de navigation au sein de cet e-Atlas multimédia.


L'interface de navigation de l'Atlas de Sciences Po 2018



Cet atlas propose plusieurs niveaux de navigation. L'utilisateur peut choisir de consulter le site :
  • par un accès page par page en cliquant sur le petit triangle au milieu droit de la page (parcours linéaire article par article);
  • par le menu qui apparaît en cliquant en haut à gauche (parcours thématique en fonction du thème sélectionné) ;
  • par le moteur de recherche qui est accessible sur la page d'accueil ou en haut à droite de chaque article (parcours personnel) ;
  • par la rubrique ressources (parcours iconographique dans les cartes, les graphiques et les images).
Pour compléter cette présentation, vous pouvez lire l'interview réalisée par le site Diploweb concernant trois atlas géopolitiques parus en 2018 (dont l'Atlas de Sciences Po).