Mapping Diversity, une plate-forme pour représenter la diversité des noms de rues en Europe


Mapping Diversity est un projet journalistique à grande échelle pour découvrir la représentation de la diversité des noms de rues en Europe et pour susciter un débat sur ce qui manque dans nos espaces urbains. Le site analyse plus de 145 000 rues à travers 30 grandes villes européennes dans 17 pays. « Plus de 90% d'entre elles portent des noms d'hommes. Où sont passés tous les autres habitants de l'Europe ? Le manque de diversité dans la toponymie en dit long sur notre passé et contribue à façonner le présent et l'avenir de l'Europe ». Le site est très facile à prendre en main. Voici les principales étapes à suivre.

Étape 1 : le choix d'une ville

On choisit d'abord une ville parmi les 30 villes européennes proposées : Athènes, BarceloneBerlin, Bruxelles, Bucarest, Budapest, Chisinau, CracovieCopenhague, Debrecen, GdanskGênes, KatowiceKyiv, Lisbonne, LodzLyonMadrid, MilanParis, PalermePrague, Rome, SévilleStockholmTurin, VarsovieWroclawZagreb.

Carte interactive pour découvrir des noms de rues à Paris (crédit : Mapping Diversity)



Étape 2 : l'affichage des données statistiques

La plateforme calcule aussitôt le nombre de rues et de places. On dénombre par exemple plus de 7000 noms de rues et de squares à Paris dont 4135 (59%) sont dédiés à des personnes. Parmi eux, 3766 (91,1%) portent des noms d'hommes alors que seulement 356 (8,6%) portent des noms de femmes. Une barre horizontale donne au bas de l'écran les domaines dans lesquels ils ou elles sont investi.e.s (culture, politique, religion, militaire ou autres domaines...). 

Carte interactive pour découvrir des noms de rues à Paris (crédit : Mapping Diversity)


Étape 3 : l'utilisation de la carte interactive

En déplaçant la souris sur la carte interactive, on peut faire apparaître le nom de la rue et obtenir un lien sur Wikipedia pour en savoir plus sur le personnage. Précision importante qui peut être source de biais : toutes les rues ne portent pas des noms d'hommes ou de femmes. On y trouve des objets, des événements historiques, des lieux géographiques. « Rue de la gare » est par exemple le nom de rue le plus répandu en France (voir cette carte répertoriant les gares implantées "rue", "avenue" ou "place de la gare")

Carte interactive pour découvrir des noms de rues à Paris (crédit : Mapping Diversity)


Étape 4 : la comparaison avec d'autres villes

Il est possible de comparer les villes entre elles. Outre les capitales, le site propose la deuxième plus grande ville et quelques autres villes supérieures à 500 000 habitants. Vienne, Varsovie, Kyiv ou Copenhague font partie des villes ayant le moins de noms féminins (moins de 5%). Gênes, Lyon, Bucarest ou Madrid figurent parmi celles qui en ont le plus (plus de 20%), même si la part des noms de femmes y est là aussi minoritaire.

Carte des lieux de naissance des femmes ayant des rues à leur nom en Europe (crédit : Mapping Diversity)


Étape 5 : l'analyse des données à partir des noms ou professions

Un tableau récapitulatif affiche les noms de toutes les femmes ayant des noms de rues dans ces villes, avec possibilité de faire des recherches sur leur nom ou leur profession. Certains noms apparaissent dans plusieurs villes : ce sont principalement des figures religieuses ou des reines, mais aussi des noms de femmes scientifiques comme Marie Curie.

Les femmes ayant des noms de rues dans les 30 villes proposées (crédit : Mapping Diversity)



Les données utilisées proviennent principalement des données géographiques OpenStreetMap mises à disposition sur Geofabrik et des données de Wikidata pour les personnes. Un travail minutieux de contrôle de la qualité a été effectué à différentes étapes, à la fois automatiquement et manuellement, en s'appuyant souvent sur des informations fournies par des sources externes. De nombreux cas d'homonymies ont ainsi pu être résolus. Sur Wikidata, le champ « sexe ou genre »  n'est pas défini par un choix binaire (voir la liste des nombreuses options disponibles). Mapping Diversity s'est appuyé sur le prénom pour attribuer le genre aux personnes pour lesquelles il n'existait pas d'information sur Wikidata : ce champ doit être interprété comme « identité de genre attribuée à la naissance ». Pour une discussion des limites de cette approche, on peut se référer au travail sur le genre de Lincoln Mullen et à ce chapitre de l'ouvrage Data Feminism de Catherine D'Ignazio et Lauren Klein. Les limites des villes font référence aux limites des unités administratives locales (UAL) distribuées par Eurostat, à l'exception de Bruxelles et de Lisbonne où les communes et freguesias concernées ont été fusionnées. La méthodologie est expliquée en détail sur le site Medium.

Mapping Diversity est un projet collaboratif entre Sheldon.studio et OBC Transeuropa, au sein du réseau European Data Journalist Network (EDJNET). Le projet ne se contente pas de sensibiliser par le biais de données, mais tente de responsabiliser le public.

Mapping Diversity n'est pas le premier projet à traiter des données sur la représentation des genres dans les villes. Par exemple, en Italie, le groupe Toponomastica Femminile a recensé les rues portant des noms de femmes, parallèlement à des initiatives éducatives et militantes pour exiger plus de représentation des femmes dans le paysage urbain. À l'échelle mondiale, on trouve aussi d'autres projets comme par exemple EqualStreetNames, Streetnomics ou encore Las Calles de las Mujeres. Divers projets journalistiques ont par ailleurs examiné les noms de rues sous divers angles nationaux ou locaux. On peut citer, par exemple, Las calles de ellas sur l'Espagne, Straßenbilder sur l'Allemagne, Nevek és terek sur Budapest, Ruas do Género sur Porto, le projet du Figaro Ce que révèlent les rues de Paris ou encore le projet d'iRozhlas sur les villes tchèques.

Une des spécificités du projet Mapping Diversity est de s'inscrire dans le cadre des communs numériques. Bien que les données soient souvent publiques et officiellement accessibles, elles nécessitent généralement un ensemble de compétences diverses pour les transformer en quelque chose de pertinent pour un large public. L'ouverture des données est la première étape dans la conception des biens communs numériques et renvoie précisément à cet acte de traduction : des lignes et des colonnes d'un tableur aux éléments d'information significatifs qui sont pertinents dans la vie de tous les jours. Les biens communs numériques sont plus que des référentiels de connaissances : une fois que les données sont représentées et reliées, elles peuvent nourrir les débats et donner envie au public de contribuer et de s'engager sur le sujet. Les biens communs numériques fournissent des outils qui facilitent et permettent au public d'agir. Qu'il s'agisse de déboulonner des statues, de les peindre en rose, de renommer ou de contextualiser des rues - les biens communs numériques tels que la plateforme Mapping Diversity constituent des outils pour faciliter un débat éclairé. En mai 2023, des ateliers ont par exemple été organisés pour connecter les communautés locales aux données toponymiques de leur ville. 

Pour compléter 

Matteo Moretti & Alice Corona (2023). Who’s on the Map ? Using Data to Reimagine Street Name Diversity. Nightingale.

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