Les cartes ethno-linguistiques ont connu un grand succès aux XIXe et XXe siècles pour délimiter des aires linguistiques et pour identifier des minorités à l'intérieur d'un Etat. Il s'agit souvent de cartes à contenus très politiques. Les cartes ethnographiques d'Emmanuel de Martonne, montrant la répartition des nationalités, ont joué par exemple un rôle important dans le remaniement des frontières nationales de l'Europe centrale au lendemain de la Première Guerre mondiale. L'ouvrage de Catherine Gibson
Geographies of Nationhood examine l'essor fulgurant de la cartographie ethnographique au XIXe et au début du XXe siècle en tant que forme de culture visuelle et matérielle qui exprime des visions territorialisées de la nation. Établies le plus souvent à partir de la
langue maternelle considérée comme principal critère d'appartenance éthnique lors des recensements, les cartes « ethnographiques » ont tendance à être chargées d’idéologie et de propagande nationaliste.
Pour autant, il peut être intéressant de dresser des cartes ethno-linguistiques pour mesurer des évolutions sur un temps long. Cela suppose de disposer de statistiques ethniques, ce qui fait
débat en France. Pour des empires comme l'empire austro-hongrois où les minorités ethniques étaient très nombreuses, les historiens et les géographes disposent de séries statistiques à partir desquelles ils essaient de dresser des cartes. Deux géographes d'origine hongroise Károly Kocsis et Patrik Tátrai ont ainsi pu reconstituer l'évolution ethnique de la région Carpates-Pannonie de 1495 à 2011 :
Cette carte satistique, téléchargeable en
haute résolution, est d'une très grande précision. Elle est accompagnée de
8 cartes qui documentent l'évolution de la répartition ethnique de 1495 à 2011. Ces cartes ne sont pas sans poser des questions sur le plan des sources et des choix sémiologiques. Ces problèmes sont abordés dans le fil Twitter-X ci-dessous.
Pour compléter
La cartographie ethnique en Hongrie a une longue histoire si on la compare au reste de l'Europe. Cette abondance est due au fait que le bassin des Carpates, c'est-à-dire la Hongrie historique, est depuis les XVIe et XVIIe siècles l'une des régions les plus hétérogènes du continent du point de vue ethnique, linguistique et confessionnel. C’est la raison pour laquelle cette région est en proie à des tensions ethniques depuis la période des Lumières avec l’émergence d'une conscience nationale. Au cours des deux derniers siècles, la coexistence pacifique des peuples, typique du royaume médiéval hongrois, s'est progressivement transformée en une attitude hostile – principalement en raison des mouvements irrédentistes des minorités nationales. L'étude et la cartographie de ce mélange ethnique et de son hétérogénéité est devenue un facteur influençant le sort de millions de personnes. L'ouvrage vise à retracer l'histoire de ces activités de cartographie ethnique en Hongrie qui se sont déroulées avec une intensité variable au cours des siècles en fonction du contexte politique. Dans les « périodes de paix », ce type d'activités cartographiques servaient généralement à l'administration de l'État et à l'information du public, tandis que pendant les guerres mondiales et les négociations de traités de paix, elles visaient à sauvegarder l'intégrité territoriale du royaume hongrois historique ou au moins d'une partie de la zone ethnique hongroise (voir la fameuse "
carte rouge" de Pál Teliki représentant les groupes ethniques par différentes couleurs et proportionnellement à leur nombre). En conséquence, un grand nombre de cartes ethniques ont été publiées au cours des périodes 1918-1920 et 1939-1945. Par la suite, dans les pays communistes – pour éviter l’émergence de tout conflit dans le bloc de l’Est – la cartographie ethnique a été interrompue pendant plusieurs décennies. Cependant, depuis 1989, avec la montée des rivalités ethniques, elle a pris un nouvel élan dans cette partie de l'Europe pour servir la recherche fondamentale et fournir des informations fiables à l'opinion publique nationale et internationale.
L'article propose une étude critique de la "carte rouge" de Pál Teleki (1918). Outre une revue de littérature générale sur la cartographie ethnique, il traite de travaux antérieurs et postérieurs à cette carte Il aborde son processus de création, puis son impact politique et culturel dans une perspective internationale. L'article donne aussi des exemples nationaux et internationaux inspirés de cette carte qui a eu d'emblée une portée internationale.
Un ouvrage sur l'empire austro-hongrois agrémenté de cartes à télécharger en open access :
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