Certaines frontières continuent à vivre après leur mort. Dans son dernier ouvrage, Les Provinces du temps. Frontières fantômes et expériences de l’histoire (2023), Béatrice von Hirchhausen piste les traces qu’elles laissent dans nos imaginaires géographiques et qui structurent l’expérience politique - présente et future.
« La frontière fantôme désigne les traces laissées par des frontières défuntes dans les sociétés contemporaines et dont on repère l’actualisation fluctuante dans des cartes exprimant des choix sociétaux... L’intuition de ce concept vient d’une question qui m’obsède depuis longtemps, celle des longues durées, des traces du passé et des rémanences que j’observais dans les paysages et sur les cartes de l’Europe centrale et orientale [...] J’en suis effectivement venue à réserver le terme "fantôme" aux traces que l’on observe dans les cartes qui engagent les choix des acteurs locaux. Ce sont par exemple les cartes électorales. Quand on prend les cartes électorales depuis les élections libres de Pologne de 1989, on voit apparaître une géographie structurée entre les trois anciens empires qui se partageaient ce territoire. On voit même apparaître quatre blocs car la partie de l’ancien empire allemand qui n’a été intégrée au territoire polonais qu’après 1945 présente un visage singulier. Ces cartes électorales sont compliquée à expliquer ». Source : « Traverser les frontières fantômes, une conversation avec Béatrice von Hirschhausen » (Le Grand Continent)
« La métaphore de la "frontière fantôme" permet à l’auteure d’enquêter sur l’apparition de discontinuités d’ordre géoculturel, celles-ci pouvant à la fois relever du passé et des circonstances présentes, de la réalité et des imaginaires. En même temps, la métaphore du fantôme se démarque d’autres métaphores utilisées pour traiter des longues durées géographiques, comme les « prisons de longue durée » dont parlait Fernand Braudel.Les frontières fantômes peuvent être définies comme des "traces de territorialités défuntes dans les sociétés contemporaines". Avec un travail de terrain, la géographe montre que ces frontières sont liées à des géorécits, des récits articulés à l’espace ». (CR des Cafés géographiques)
Béatrice von Hirchhausen (2023). Les Provinces du temps. Frontières fantômes et expériences de l’histoire ( 2023), CNRS éditions.
Les cartes électorales de l’Ukraine et de la Pologne de ces dernières décennies ont souvent donné à voir le dessin des empires passés qui s’étaient partagé ces territoires. Les frontières fantômes sont ces traces laissées par des entités politiques défuntes dans les pratiques sociales contemporaines. Comment et pourquoi des limites territoriales, qui n’ont plus de réalité politique, peuvent-elle réapparaître après plusieurs générations ? Pourquoi semblent-elles s’être imprimées dans l’esprit des gens ?C’est à partir de terrains menés en Europe centrale et orientale, et notamment en Roumanie, que Béatrice von Hirschhausen, directrice de recherche au CNRS au laboratoire Géographie-cités, tente de comprendre ce phénomène fascinant. Sillonnée d’anciennes frontières d’empires, la région permet d’observer certains de leurs fantômes. Elle offre un véritable laboratoire pour étudier la production des espaces : entre histoire et culture, entre routines et imaginaires. Cette analyse géographique de l’action individuelle comme des attitudes collectives, montre comment les sociétés se pensent à partir de l’espace. Elle permet d’expliquer des comportements non par un « nous » identitaire ou par des mentalités mais par des conventions locales plus ou moins stables : « ici, on fait comme ça ». Une réflexion neuve sur les différences culturelles.
Justine Tentoni, « A la recherche des frontières effacées ». A propos de Béatrice Von Hirschhausen, Les Provinces du temps. Frontières fantômes et expériences de l'histoire (Non fiction)
À (re)lire : un très beau numéro de la revue L'Espace géographique sur « Frontières fantômes et ambivalence des espaces d’identification ».
L’Europe de l’Est reste traversée par les frontières fantômes des empires défunts. Ce legs ne vaut que par son actualisation dans le présent, et par rapport au futur espéré, attendu ou redouté. Certaines de ces frontières fantômes sont d’ordre religieux. Entretien Avec Béatrice von Hirschhausen, directrice de recherche au CNRS, membre de l’UMR Géographie-cités, membre du Centre Marc Bloch (Berlin), dans le cadre de la série « A Point nommé (Chaire « Yves Oltramare – Religion et politique dans le monde contemporain ») de Jean-francois Bayart, Geneva Graduate Institute, 22 mars 2023.
« On a vu des frontières fantômes apparaître, par exemple au moment des élections en Allemagne. Sur la carte, les territoires de l'ancienne RDA affichaient des votes très spécifiques. La frontière fantôme est une frontière politique qu'on voit réapparaître dans certaines circonstances, soit dans le paysage, soit dans des attitudes et des pratiques sociales »
It's 2023, 109 years after WW1 started, yet the pre-WW1 imperial borders are still visible on the election map of Poland - and on many others, for that matter.
— Szymon Pifczyk (@sheemawn) October 17, 2023
A thread 🧵🧵🧵--> pic.twitter.com/ihNOHRniaP
C'est le fantôme du passé de la Pologne. Les Polonais appellent ce type de carte « widać zabory » (partition visible).
This is the ghost of Poland's past
— Tomas Pueyo (@tomaspueyo) February 23, 2024
Poles call this type of map "widać zabory": "You can see the partitions"
What partitions?
Why is Poland like that today?
What does it tell us about the country?
About Russia? Germany?
Let's explore: pic.twitter.com/tAhO0gTvyw
You might have seen a .gif recently showing the backwardness of Eastern Germany.
— Crémieux (@cremieuxrecueil) February 21, 2024
While Communism has its role to play in that backwardness today, it's not all there is.
But as it turns out, Eastern Germany was different from the rest before it was Communist. pic.twitter.com/yQwVozNJKD
La carte, objet éminemment politique
— Sylvain Genevois (@mirbole01) June 10, 2024
Résultats d'élection et persistance des "frontières fantômes" en Allemagne... même s'il faut se méfier des cartes de résultats électoraux ne donnant que le parti en tête https://t.co/IqRGuX9KEK