Analyser et discuter les cartes des "pays à éviter" pour les voyageurs


Le Ministère des Affaires Étrangères communique régulièrement des informations sur le site France Diplomatie afin d'informer les voyageurs sur les conditions de sécurité dans chaque pays :

Les cartes de "Conseils aux voyageurs" sont disponibles par pays et par grandes régions du monde : Monde - Afrique - Afrique du Nord / Moyen Orient - Asie / Océanie - Europe. La symbologie utilisée est la suivante :
  • rouge : formellement déconseillé
  • orange : déconseillé sauf raison impérative
  • jaune : vigilance renforcée
  • vert : vigilance normale

Les informations contenues dans ces cartes sont mises à jour en fonction de l'évolution de la conjoncture, des événements politiques, des conflits et des conditions sociales, sanitaires, environnementales rencontrées dans chaque pays. Ces cartes interrogent quant à leur interprétation :
  • Quel sens accorder aux couleurs utilisées ?
  • Quels sont les critères qui servent à établir ce classement ?
  • A qui s'adressent ces conseils (aux touristes, aux expatriés, aux journalistes,...) ?
  • Peut-on en inférer une classification des pays en fonction de leur "dangerosité", en particulier en Afrique et au Moyen Orient identifiés comme les zones à plus forts risques ?



Si ces cartes peuvent être jugées parfois un peu alarmistes, le risque n'est-il pas à l'inverse de ne leur accorder aucun crédit, sous prétexte qu'elles ne traduisent pas les réalités du terrain qui sont aussi complexes que changeantes ? Largement reproduites dans les médias (cf cette carte interactive créée par la Nouvelle République), ces cartes avec leur tâches rouge-orangé véhiculent une vision du monde et orientent en partie les flux des touristes (cf tendance à se détourner de pays jugés instables ou dangereux).

Pour discuter ces cartes de "risques", il est important de les recouper avec des indicateurs sur le plan social, économique, politique, environnemental. Pour pouvoir également les relativiser, il est intéressant de les croiser avec des cartes publiées par d'autres pays ou d'autres organismes. Voici par exemple les cartes fournies par le site Travel Security Strategies (LATAM) pour 2019 :
http://blog.tsslatam.com/country-risk-level-forecast-maps-for-2019




Ces cartes diffèrent notablement entre elles, ce qui permet d'en discuter les critères. Un élément est à souligner : beaucoup de sites proposent des cartes de risques par pays, alors que le Ministère français des Affaires Étrangères s'efforce de cartographier, dans la mesure du possible, les zones à risques à l'échelle de régions à l'intérieur des pays (cf cas de l'Algérie ou de l'Egypte, pays relativement sécures malgré des secteurs à risques). Le Mexique, l'Inde et l'Ukraine sont cités également comme "moyennement dangereux", en dépit de régions à risques à l'intérieur de ces pays. La France qui n'a jamais été classée dans les pays à risques pourrait souffrir d'une image en partie négative. Paris a été touché successivement par les attentats de 2015 et par "l'effet gilets jaunes" en 2018-2019 : une capitale pour autant classée dans les villes à éviter ?

Certains sites Internet proposent des classements par score de sécurité, comme par exemple Best of One qui donne un classement des pays, des plus dangereux aux plus sûrs. Ce classement est établi à partir d'une liste de 23 critères de sécurité internes et externes rassemblés par l'Institut pour l'Économie et la Paix. Parmi les indicateurs internes les plus importants, on trouve : le taux d'homicides, l'intensité des conflits internes, les crimes violents, l'instabilité politique et la terreur politique. Concernant le taux d'homicides par pays, consulter le site Homicide Monitor. Parmi les indicateurs externes les plus importants, on trouve : les relations avec les pays voisins, les décès dus à un conflit externe, les réfugiés et personnes déplacées, les exportations d'armes, et les capacités nucléaires et d'armes lourdes.

D'autres sites comme par exemple le site Vision of Humanity procèdent à un classement inverse à partir d'un indice de paix globale (global peace index), dont on peut étudier l'évolution sur la période 2008-2019. Les critères restent les mêmes : le degré plus ou moins important d'instabilité et de conflictualité, à l'exclusion d'autres risques socio-économiques ou environnementaux. Le cas du Japon est à cet effet intéressant dans la mesure où les risques naturels et technologiques y sont importants. La capacité des autorités à les gérer est jugée suffisante de sorte que le pays est entièrement en vert, à l'exclusion notable de la région de Fukushima où la radioactivité est encore forte. Ce qui témoigne là encore de la difficulté à apprécier la "dangerosité" réelle d'un pays (le Japon possède pourtant d'autres centrales nucléaires implantées sur ses littoraux à proximité de grandes villes).


La notion de "pays à risque" peut aussi différer en fonction de son pays d'origine. Le magazine Forbes établit par exemple un classement des pays les plus dangereux à visiter pour les Américains, dont la politique étrangère du pays peut susciter des réactions de rejet :
http://www.forbes.com/sites/priceonomics/2017/

Le Courrier international propose une carte des pays les moins sûrs du monde pour les expats (2019) :
http://www.courrierinternational.com/article/carte-les-pays-les-moins-surs-du-monde-pour-les-expats

Le risque peut différer aussi si l'on est un homme ou une femme. Certains sites dissuadent les femmes de voyager dans des pays jugés dangereux pour elles. Les critères ne sont pas toujours explicites : il s'agit en général de pays où la condition des femmes est peu respectée, mais il est difficile de dire si ce risque touche les femmes touristes en particulier.
http://www.femmeactuelle.fr/voyage/voyage-pratique/tourisme-10-pays-les-plus-dangereux-femmes-42076

Certains  sites publient des cartes ou des classements des "pays à éviter" pour des raisons qui ne sont pas géopolitiques mais qui sont liées à la surfréquentation touristique et aux nuisances pour l'environnement. Le site Profession Voyages présente le top 10 des destinations à éviter en 2018 :
http://www.professionvoyages.com/10-des-destinations-a-eviter-en-2018/

Cela peut concerner également les "pièges à touristes" présentés comme des sites saturés et à éviter :
http://www.farandwide.com/s/overrated-tourist-traps-a83a136ae93848d5
http://www.courrierinternational.com/article/tourisme-douze-destinations-qui-craquent

Le site Fodor Travel publie chaque année une "no go list" des lieux et des pays à éviter, en distinguant les pays qu'on ne recommanderait "pas à sa famille ni à ses amis" de ceux qui sont jugés objectivement dangereux. Cette liste n'a rien d'officiel, mais elle est largement citée par les agences de voyages (ce qui n'empêche pas certaines destinations comme Venise, Acapulco, Ibiza de continuer à être très fréquentées). Au final, le site reconnaît humblement que ces recommandations restent très relatives, un pays comme les Etats-Unis où l'usage des armes à feux est très courant n'étant pas un pays absolument sûr non plus. L'intérêt de la liste établie par Fodor Travel est de permettre des comparaisons d'une année à l'autre. Voici la "no go list" pour 2019 (comparée à 2018) : http://www.fodors.com/news/photos/fodors-no-list-2019

Face aux excès de la "touristification" du monde, dans les villes en particulier, des mouvements de résistance des habitants s'organisent. La rhétorique de l'exposition aux risques et de la vulnérabilité des populations locales est largement utilisée comme par exemple dans cette affiche qui donne des conseils  pour se prémunir des effets du (sur)tourisme urbain, avec des dispositions à prendre comme on le ferait face à un séisme (source : Rapport sur la destruction des villes par le tourisme - Lisbonne tremble encore)



Pour compléter

Voyages, pays à éviter : faut-il se fier aux recommandations du quai d'Orsay ? Le Nouvel Observateur, 15 août 2017

Conseils et avertissements du Canada
http://voyage.gc.ca/voyager/avertissements

Conseils par destination de la Belgique
http://diplomatie.belgium.be/fr/Services/voyager_a_letranger/conseils_par_destination

Recommandations et conseils aux voyageurs de la Suisse
http://www.eda.admin.ch/eda/fr/dfae/representations-et-conseils-aux-voyageurs/conseils-voyageurs/destinations-de-voyage.html

Conseils par pays de Smart traveller (Australie) :
http://smartraveller.gov.au/countries/pages/list.aspx

Conseils du site Visalist
http://visalist.io/travel/advice


Liens ajoutés le 12 mai 2019

L'épisode tragique des deux otages français capturés alors qu'ils faisaient du tourisme en avril 2019 dans le parc de la Pendjari au nord du Bénin pose la question des marges d'interprétation des cartes publiées par le site du Ministère des Affaires Etrangères (MAE). Situé à la frontière du Burkina Faso, ce parc n'était pas véritablement indiqué comme une zone dangereuse. La situation, très évolutive dans la région du Sahel frappée par le terrorisme islamiste, a conduit à faire évoluer progressivement la carte comme le montre le montage ci-dessous :

Évolution des cartes mises en ligne sur le site du MAE (novembre 2018 - mai 2019)

En novembre 2018 (carte de gauche), le nord-ouest du Bénin où se situe le parc de la Pendjari ne fait pas partie des "zones formellement déconseillées". Seules les zones frontalières du Niger et du Nigéria sont en rouge.

Le 7 avril 2019 (carte du milieu), les zones "formellement déconseillées" (en rouge) sont :

• la zone frontalière burkinabé et nigérienne
Compte tenu de la présence de groupes armés terroristes et du risque d’enlèvement, les déplacements à la frontière nord du Bénin sont formellement déconseillés.

• le parc national du W
En raison de la présence de groupes armés et des menaces pesant sur les ressortissants occidentaux, il est formellement déconseillé de se rendre et de séjourner dans le parc national du W au nord du Bénin.


Même si le parc de la Pendjari n'apparaît pas en rouge, il est indiqué que :
Compte tenu du contexte régional, le risque terroriste ne peut être totalement écarté au Bénin. Les attentats de Grand Bassam en 2016 en Côte d’Ivoire et les évènements de 2018 au Burkina Faso ont montré que les groupes terroristes de la région ciblent les lieux de divertissement et hôtels où séjournent les étrangers. Il est recommandé d’observer la plus grande vigilance et de s’assurer que les accès à ces lieux sont sécurisés.

Le 6 mai 2019 suite à la prise d'otages, les informations ont changé sur le site (carte de droite) :

Incident de sécurité dans le parc de la Pendjari

Un incident de sécurité sérieux a affecté deux compatriotes qui visitaient le parc de la Pendjari. Il est rappelé que la zone frontalière du parc de la Pendjari, ainsi que la totalité du parc du W sont formellement déconseillées. Une large part du parc de la Pendjari et une importante zone du nord du Bénin sont déconseillés sauf raison impérative. Ce niveau de vigilance est incompatible avec les activités touristiques.

Plus globalement cela interroge le sens à donner à ces cartes de vigilance concernant les risques terroristes qui constituent des risques diffus et difficiles à prévoir. « La menace a changé de forme, elle est devenue beaucoup plus mobile et ce sont maintenant les pays situés au sud du Mali qui sont les cibles, avec des fragilités singulièrement au Burkina Faso mais même dans le nord du Bénin », s’est justifié le chef de la diplomatie française.

La montée des tensions au Burkina Faso avait fait l'objet d'une modification de la carte des zones déconseillées en mars 2018, la menace concernant désormais la frontière avec le Niger et le Bénin (la capitale Ouagadougou se situant à la limite de la zone jaune / orangé) : http://bf.ambafrance.org/Nouvelle-cartographie-des-zones-a-risque-du-Burkina-Faso


Comme le fait remarquer Didier Arino, directeur du cabinet spécialiste des études et du conseil dans le secteur du tourisme, Protourisme : « Que l’on soit bien clair. Dans certaines zones de l’Afrique subsaharienne, le touriste constitue une valeur marchande, un coffre-fort ambulant. Qui plus est, le Bénin est un territoire immense, difficile à sécuriser et qui a des frontières avec le Burkina Faso, le Niger, le Nigeria et le Togo où le risque terroriste est réel. Mais vous aurez toujours des passionnés de l’Afrique qui vous diront que le risque est partout. »

« J’ai toujours rêvé d’aller dans ce parc de la Pendjari, mais ma belle-famille qui vit dans le pays m’a toujours interdit formellement de le faire », témoigne Eric, marié à une Béninoise. Pour quelle raison ? « C’est un lieu de passage pour les terroristes qui viennent du sud Niger, explique le Parisien. Les Béninois ne vous le diront jamais officiellement mais la dangerosité de ce secteur est très connue des locaux. »

Sur la carte de "conseils aux voyageurs" à l'échelle mondiale, le Bénin n'apparaissait pas comme un pays à risque (carte du 14 mars 2019) :






Lire ce thread qui revient sur les ambiguïtés d'interprétation concernant la carte des pays dangereux et plus précisément les "zones formellement déconseillées" :

Depuis 1986, le parc de la Pendjari a été classé comme une réserve de biosphère par l'UNESCO. En 2017, le gouvernement du Bénin et African Parks ont signé un partenariat pour réhabiliter le Parc national de la Pendjari, l’une des plus grandes réserves protégées restantes en Afrique de l’ouest et centrale. L’objectif est de doubler la population d'animaux sauvages en une décennie, de développer un tourisme responsable et de rehausser le profil du parc en tant que destination, et assurer un développement économique et social axé sur la conservation, au profit de la population du pays (source : Wikipédia).


Le business plan du parc de la Pendjari mettait en avant dans son bilan (2007-2011) la nécessité de développer un "tourisme de vision" censé suppléer le "tourisme cynégétique". Après cette prise d'otages, le parc risque de souffrir d'une désaffection de la clientèle internationale :



Prolongements

La France déconseillait-elle de se rendre dans le parc de la Pendjari, au Bénin, où ont été enlevés les otages libérés au Burkina Faso ? (FranceTV info)

Français libérés au Burkina Faso. La carte des zones d’Afrique de l’Ouest déconseillées aux voyageurs (Ouest France) :

Tourisme en zones à risques : le Quai d'Orsay n'a pas toujours le dernier mot (RFI)

Non, les deux otages enlevés au Bénin n'avaient pas pris de "risques majeurs" (Marianne)


Liens ajoutés le 23 mai 2019

Réalisée par International SOS et Control Risks, deux spécialistes mondiaux du risque, l'édition 2019 de la Travel Risk Map évalue les niveaux de risques santé et sécurité dans le monde entier :
http://www.controlrisks.com/-/media/corporate/files/riskmap/maps/riskmapmap2019uka184web.pdf

Cette carte des risques est destinée au départ au monde des affaires et à toutes les personnes qui voyagent pour faire du business. Deux types de risques sont cartographiés. D'une part les risques liés à la sécurité évaluent les menaces pesant sur les actifs financiers, physiques et humains d'une entreprise, ainsi que sur la volonté et la capacité des forces publiques de sécurité à protéger leurs actifs et leurs personnels. Les facteurs évalués incluent les conflits militaires, les insurrections, les attaques terroristes, les grèves et les émeutes, le vandalisme, les enlèvements et les crimes violents. D'autre part, la carte prend en compte les risques politiques liés au type de régime et à l'instabilité politique, ainsi que leur impact sur l'environnement des entreprises. Les risques politiques évaluent la stabilité politique générale et les questions politiques tels que les changements de réglementation, la corruption à haut niveau, le risque de réputation, l'expropriation et la nationalisation, les ingérences contractuelles, le défaut et le non-paiement souverains et les sanctions internationales. Bien que la notation s’applique généralement à la juridiction désignée, les risques politiques peuvent varier considérablement d’un secteur industriel à un autre et selon la nationalité de l’investisseur.

La carte des risques Garda World Mobility 2019 offre aux voyageurs un aperçu des problèmes à prednre en compte avant d'entamer leur voyage : troubles sociaux, terrorisme, cyberattaques, catastrophes naturelles : http://www.garda.com/global-mobility-risk-map-2019


Lien ajouté le 19 novembre 2019

Pour limiter les problèmes d'interprétation d'une carte des risques à l'échelle mondiale, le Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères a changé sa page d'accueil et propose désormais un simple planisphère en bleu. Il faut cliquer sur un pays au choix pour accéder à une cartographie détaillée des zones à risques pour les voyageurs.


  

Lien ajouté le 5 décembre 2019

Lien ajouté le 20 janvier 2020

Le Département d'Etat américain (Bureau of Consular Affair) a publié la liste 2020 des pays "visitables" pour les voyageurs internationaux. William F. Ferreira en a tiré une carte qui distingue d'une part en rouge les pays à éviter absolument ("not to visit"), en jaune et orange ceux où le voyage ne peut être considéré que sous certaines conditions ("reconsider travel", "exercise increased caution") et d'autre part en vert les pays que l'on peut visiter ("you can travel") et en bleu ceux que l'on peut visiter sous certaines conditions ("exercice normal precautions"). Cette typologie pose des questions : pourquoi les Etats-Unis sont-ils en bleu et le Canada en vert (l'un serait-il plus sévère que l'autre en matière d'entrée sur le territoire ?). Si les zones dangereuses se situent plutôt en Afrique et au Moyen-Orient, on peut noter que des pays d'Amérique centrale sont également passés en rouge ou en orangé (tels le Vénézuela, le Nicaragua ou le Mexique). A comparer aux recommandations du Foreign Office du Royaume-Uni.

Lien ajouté le 28 janvier 2020

Lien ajouté le 25 février 2020

Lien ajouté le 12 mars 2020

Lien ajouté le 12 avril 2020

Liens ajoutés le 18 août 2020


Lien ajouté le 5 juin 2021
Lien ajouté le 5 août 2021

Lien ajouté le 7 août 2021

Lien ajouté le 24 février 2022

Lien ajouté le 11 mai 2022
Lien ajouté le 17 mars 2023
Lien ajouté le 5 mai 2024

Les meilleurs et les pires pays pour les voyageurs LGBTQ+ (Statista). Afin d'aider les touristes LGBTQ+ à voyager en toute sécurité, le portail allemand Spartacus a commencé à publier le Gay Travel Index en 2012. Dans l'édition 2024, le classement comparait 213 pays et territoires en fonction de la situation des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, intersexués et queers. Pour développer l'index, les créateurs ont examiné 18 catégories allant du mariage pour tous à la peine de mort pour les personnes LGBTQ+. Les créateurs se concentrent sur les décisions politiques affectant les personnes queer, le cadre juridique et l'existence ou non d'épisodes de violence à leur encontre, entre autres paramètres.


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