Voici une carte politique de l'Amérique du Sud par le géographe, cartographe et éditeur scolaire Joseph Forest. Il peut paraître étonnant de voir figurer autant de productions économiques et d'exportations commerciales sur une carte dite « politique ». Cette carte est l'occasion de s'intéresser à l'importante production de cartes scolaires de la maison d'édition Joseph Forest dans un contexte d'affirmation du sentiment national dans la première moitié du XXe siècle.
Extrait de la « Carte politique de l'Amérique du Sud » par Joseph Forest - 1947 (source : BNF-Gallica)
Joseph Forest est surtout connu pour sa carte du « Domaine colonial de la France et de ses productions » (1930). Les colonies doivent rapporter sur le plan économique. Bien qu'elle soit pourvue d'un vaste empire, la France n'a pas vraiment de colonies en Amérique du sud (mis à part la Guyane représentée conjointement avec la Guadeloupe et la Martinique sur cette carte).
« Domaine colonial de la France et de ses productions. Tableau dressé par J. Forest - 1930 » (source : BNF-Gallica)
J. Forest a exporté pour une somme très importante son matériel de globes, sphères, cartes scolaires et cartes économiques dans les pays de langue espagnole, portugaise et anglaise. La production de cartes scolaires constituait donc une affaire assez lucrative à l'époque.
« Nuevo mapa administrativo y económico de la república del Perú » J. Forest - 1916 (source : BNF-Gallica)
On peut la rapprocher de la « Carte populaire du Pérou » (1913) produite par la Société géographique de Lima à l'occasion de son 25e anniversaire et distribuée gratuitement dans tout le pays. Celle-ci indique l'organisation administrative et le relief sur une même carte. Le relief y apparaît sous la forme d'un subtil ombrage plus ou moins marqué selon l'altitude, tandis que les différentes régions du Pérou y sont délimitées de traits épais réhaussés de couleur verte. Le détail du réseau hydrographique en bleu finit de donner à la carte toute sa splendeur.
« Mapa Popular El Perú en 1913 » (source : BNE)
Dans la même veine, la carte suivante glorifie le Pérou comme héritier de l'empire inca « d'après les récits des chroniques, les affirmations des archéologues et les écrits des historiens et géographes » (sic). Elaborée en 1926 par le cartographe Camilo Vallejos membre de la Société géographique de Lima, la « Carte du Tahuantinsuyo » est éditée en l'honneur et avec le soutien de l'homme politique, homme d'affaires et philanthrope Rafael Larco Herrera. Ce qui valut à cette carte d'être diffusée gratuitement dans les écoles péruviennes de l'époque comme il en est fait mention explicite dans le titre.
Les Incas appelaient leur empire Tahuantinsuyu, ce qui signifie les « Quatre Régions ensemble », soit le "Chinchasuyu" au nord (correspondant à une partie de la Colombie actuelle), le Curtisuyu et l'Antisuyu au centre et le Collasuyu au sud (correspondant à une partie de la Bolivie actuelle). Ce qui vaut à l'empire inca d'être souvent présenté, de manière à la fois réelle et mythique, comme l'empire des quatre parties du monde. Chacun des quatre suyus (régions) avait des populations, des environnements et des ressources différentes. Les quatre régions apparaissent ainsi sur la carte avec des couleurs contrastées.
« Mapa del Tahuantinsuyo » (empire des incas) - 1926 (source : BNF-Gallica)
De l'édition scolaire française à l'édition internationale dans un contexte d'affirmation du sentiment national, on voit que les liens sont importants et multiples. Les cartes de la maison d'édition scolaire Joseph Forest en fournissent un bon exemple. Le contexte d'affirmation des États nationaux n'est pas étranger à cette success-story. Au début du XXe siècle, les cartes de Vidal la Blache, éditées chez Armand Colin, s'exportaient déjà en langue espagnole.
La maison d’édition cartographique qui a pris la suite de Joseph Forest est la maison d'édition Girard, Barrère et Thomas, qui s'est installée dans le même immeuble au 17 rue de Buci dans le quartier de Saint-Germain-des Prés à Paris. On trouve plus d'une 100e de cartes éditées par Girard et Barrère sur Gallica. Cette maison d'édition continua à se spécialiser dans les documents scolaires, notamment dans les cartes murales. Elle fut reprise en 1974 par les éditions Taride, une maison d'édition fondée en 1852 par Alphonse Taride et spécialisée dans les cartes scolaires, les globes et les cartes routières (avant qu'elle ne disparaisse à son tour). On peut recenser plus de 270 cartes des éditions Taride accessibles sur Gallica.
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