Source : Nikos Benas, Jan Fokke Meirink, Rob Roebeling, « Tracking the impact of shipping pollution on Earth's climate », 2024 (Eumetsat).
Les observations par satellite révèlent comment la pollution maritime affecte les nuages, les effets locaux ayant des répercussions de grande envergure à l'échelle de la planète. L'Organisation européenne pour l'exploitation des satellites météorologiques (EUMETSAT) a consacré en février 2024 un article à la question de la pollution engendrée par le trafic maritime. Les traces de navires couvrent de grandes parties du globe et sont généralement concentrées dans des couloirs. La plupart de ces couloirs de navigation se situent dans l’hémisphère nord, comme ceux qui longent les côtes d’Asie, d’Amérique du Nord et d’Europe, ou ceux qui traversent l’océan Pacifique.
Carte mondiale des émissions de dioxyde de soufre (SO₂) du transport maritime international en 2010
(source : Eumetsat)
Les données satellitaires sont l'une des rares sources d'information disponibles pour étudier l'effet du transport maritime sur les nuages et le bilan énergétique de la Terre. Les auteurs ont pu comparer les propriétés des nuages affectés par les aérosols de combustion avec celles des nuages non affectés, à partir d'un ensemble de données sur l'Afrique et l'Europe sur une période allant de 2004 à nos jours. L'étude confirme un signal clair de l'effet du transport maritime sur les nuages au-dessus du corridor.
En 2020, l'Organisation maritime internationale (OMI) a imposé de nouvelles réglementations visant à limiter l'utilisation du soufre dans le carburant des navires (IMO sulphur Limit 2020 for Ships Fuel Oil). Ces réglementations suggèrent que la réduction des émissions d'aérosols de combustion des navires a diminué la luminosité des nuages au-dessus des couloirs de navigation et, par conséquent, a pu affecter les températures mondiales. Depuis l'introduction des nouvelles réglementations, les nuages au-dessus du corridor de navigation ont des gouttelettes plus grosses qu'auparavant. Ce résultat est une indication claire de ce qui peut être réalisé en peu de temps avec des réglementations ciblées. Bien que les changements observés dans la région semblent confirmer le premier effet indirect des aérosols, ces résultats doivent être traités avec prudence. Comme la période d'application de la nouvelle réglementation ne couvre que trois ans (2020-23) et que l'augmentation observée du rayonnement solaire n'est pas directement imputable au corridor de navigation, il faudra conduire l'analyse sur davantage d'années avant de pouvoir en tirer des conclusions plus définitives. Les satellites du futur (radiomètre de température de surface de la mer et des terres de Sentinel-3 et imageur météorologique METImage) aideront à mieux surveiller les nuages de basse altitude à l'échelle mondiale.
Les données Meteosat sur la période 2004 à aujourd'hui sont issues du Climate Monitoring Satellite Application Facility (CM SAF). Les données sur la densité du trafic maritime mondial sont issues d'une collaboration entre la Banque mondiale et l'Organisation maritime internationale (OMI), dérivées des positions horaires des navires reçues par le système d'identification automatique (AIS) entre janvier 2015 et février 2021.
Pour compléter
« Y-a-t-il un lien entre la baisse des émissions de SO₂ des navires et les hausses de températures en Atlantique Nord ? » (Source : Citepa)
Le 3 juillet 2023 a été publié un
article du site spécialisé Carbon Brief,
repris par le World Economic Forum, écrit par les chercheurs Zeke Hausfather et Piers Forster, qui s’intéresse à l’impact des réductions d’émissions de SO
₂ des navires sur le réchauffement climatique. Le 1er août 2023, un
communiqué de l’agence européenne Copernicus (programme de l’UE pour l’observation et la surveillance de la Terre) a aussi publié un communiqué sur cette question. Les oxydes de soufre ont indirectement une action de refroidissement climatique car ils servent de noyaux de nucléation à des aérosols dont l’albédo est assez élevé. Les aérosols, en diffusant, réfléchissant ou absorbant la lumière du soleil, réduisent la quantité de rayonnement solaire atteignant les couches inférieures de l’atmosphère. Le SO
₂ peut donc avoir un effet indirect refroidissant. Le Giec considère qu’il y a certes « des preuves solides indiquant un effet négatif significatif des aérosols sur le forçage radiatif » [autrement dit un effet refroidissant] mais qu’il reste « des incertitudes considérables » (source : Giec, AR6, WG1, Ch.7, section 7.3.3.4).
Il est donc possible que, pendant des années, les aérosols soufrés engendrés par les émissions de SO
₂ des navires aient atténué une partie du réchauffement climatique induit par les émissions de gaz à effet de serre par ailleurs. La réduction drastique des émissions de SO
₂ associée à la mesure dite OMI-2020 aurait alors pu réduire cet effet de refroidissement et donc donner un effet d’accélération au réchauffement, en particulier en Atlantique Nord.
Les experts de Copernicus indiquent que le rôle du SO₂ dans le changement climatique fait l’objet de débats depuis longtemps, et qu’il n’y a pas encore de consensus clair. Ils rappellent cependant que, d’après les travaux de chercheurs chinois publiés en 2022, le transport maritime international ne serait responsable que d’environ 3,5% des émissions mondiales de SO₂.
Watson-Parris, D. et al. (2025). « Surface temperature effects of recent reductions in shipping SO2 emissions are within internal variabilit ». [Les effets de la température de surface des récentes réductions des émissions de SO 2 du transport maritime se situent dans la variabilité interne],
Atmos. Chem. Phys., 25, 4443–4454.
La régulation sur les émissions d’aérosols soufrés par le transport maritime en vigueur depuis 2020 a été une nouvelle fois rejetée comme facteur discernable pour expliquer les températures records de 2023-2024.
Lien ajouté le 7 octobre 2025
Christiaan De Beukelaer (Université de Melbourne) et Philip Steinberg (Université de Durham) réévaluent la célèbre idée selon laquelle "90% de tout transite par mer". Ils démontrent qu’en réalité le transport maritime ne représente qu’environ 10% du flux matériel mondial. Si les navires assurent bien 80-90% du commerce international en tonnage, l’essentiel des flux physiques de l’économie mondiale (près 100 milliards de tonnes de matières par an) circule sur terre. La "mondialisation par la mer" masque donc une matérialité majoritairement terrestre. Cette confusion statistique fausse les politiques climatiques. Réguler le transport maritime est essentiel mais son rôle dans les flux planétaires doit être relativisé. La plupart des impacts environnementaux proviennent des chaînes de production et de transport internes aux continents. Les auteurs soulignent que des solutions simplistes, comme promouvoir la production locale pour limiter les importations maritimes, risquent d’être contre-productives : l’empreinte carbone des biens se forme en amont, avant même leur expédition sur les routes océaniques. Le transport maritime ne contribue qu’à environ 3% des émissions mondiales de GES. Pour les géographes, il s’agit moins de diaboliser la mer que de replacer son rôle dans le métabolisme global des échanges : les océans demeurent des vecteurs essentiels de la transition énergétique.
Articles connexes
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