Cartographier les dérives de migrants en mer Égée (Forensic Architecture)


Forensic Architecture est une agence de recherche basée à Goldsmiths (Université de Londres), qui enquête sur les violations des droits de l'homme, notamment les violences commises par les États, les forces de police, les militaires ou les entreprises. Elle travaille en partenariat avec des institutions de la société civile, des militants de base aux équipes juridiques, en passant par les ONG internationales et les médias, pour mener des enquêtes avec et au nom des communautés et des individus touchés par les conflits, par la brutalité policière, les problèmes frontaliers et la violence environnementale.

Les enquêtes utilisent des techniques de pointe en matière d'analyse spatiale et architecturale, d'investigation open source, de modélisation numérique et de technologies immersives, ainsi que de recherche documentaire, d'entretiens situés et de collaborations scientifiques. Les résultats de ces investigations ont été présentés dans des salles d'audience nationales et internationales, des enquêtes parlementaires et des expositions dans certaines des plus grandes institutions culturelles du monde et dans les médias internationaux, ainsi que devant des tribunaux citoyens et des assemblées communautaires.

De 2020 à 2023, Forensis et Forensic Architecture ont collecté, vérifié, daté et géolocalisé des milliers d'images, de vidéos et de positions GPS envoyées par les demandeurs d'asile afin de cartographier les preuves de leur dérive en mer Égée. Le résultat est Drift-backs in the Aegean Sea, une carte interactive basée sur le Web qui archive et vérifie plus de 2 000 cas de « drift-backs ». Le « drift-back » est une pratique controversée utilisée par certains services de garde-côtes, notamment en mer Égée, pour dissuader les demandeurs d'asile et les empêcher d'atteindre leur destination. Il s'agit d'intercepter des bateaux transportant des demandeurs d'asile dans les eaux territoriales de l'UE, puis de les refouler vers le pays d'où ils sont partis. Cela se ferait parfois en chargeant des personnes sur des radeaux gonflables ou d'autres petits bateaux sans moteurs ni provisions. Ces navires sont ensuite laissés à la dérive, au gré des vents et des courants pour les ramener vers leur pays de départ.

Cartographier les dérives de migrants en mer Égée (Forensic Architecture)

S'étendant sur une période de trois ans, du 28 février 2020, date à laquelle le premier cas de dérive a été signalé et documenté, jusqu'au 28 février 2023, cette plateforme cartographique interactive héberge des preuves de 2010 cas de dérives en mer Égée, impliquant 55 445 personnes. Sur ces 2010 incidents, 700 se sont produits depuis ou au large des côtes de l'île de Lesbos, 238 au large de l'île de Chios, 424 au large de l'île de Samos, 283 au large de Kos, 212 au large de Rhodes et 123 dans le reste du Dodécanèse. 26 « refoulements » ont été enregistrés, ce qui signifie que les demandeurs d'asile ont été interceptés dans les eaux grecques avant d'être emmenés à la frontière et laissés à la dérive. Un cas a été enregistré dans le nord de la mer Égée, au large de l’île de Samothraki. FRONTEX, l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, s'est révélée avoir été directement impliquée dans 122 de ces cas, alors qu'elle en a connaissance de 417, les ayant enregistrés dans ses propres archives opérationnelles codifiées et masquées comme des « interdictions d'entrée ». Dans 3 cas, le navire de guerre allemand de l'OTAN FGS Berlin était présent sur les lieux. 32 cas ont été enregistrés où des personnes ont été jetées directement à la mer par les garde-côtes helléniques, sans utiliser aucun dispositif de flottaison. Dans 3 de ces cas, les personnes ont été retrouvées menottées. 24 personnes seraient mortes lors d'une opération de refoulement, et au moins 17 autres ont disparu. La plateforme se veut un outil non exhaustif et évolutif, qui sera mis à jour à intervalles réguliers tant que cette pratique se poursuivra.

Autres exemples d'enquêtes conduites par Forensic Architecture :


Lien ajouté le 3 mars 2024
Lien ajouté le 5 mai 2024

« Connaître les morts de la Méditerranée » (France Culture)
Lorsqu'ils sont vivants, les autorités s'empressent de vouloir les identifier, collecter notamment leurs empreintes digitales afin de les tracer et les empêcher de tenter de nouvelles fois de franchir les frontières. Lorsqu'ils sont morts, en revanche, ces mêmes autorités, ou d'autres, se fichent totalement de savoir qui ils ou elles sont. Depuis dix ans, près de 30 000 personnes sont mortes ou ont disparu en tentant de franchir la Méditerranée. Qui sont-elles ? Comment les identifier ? Des anthropologues et des activistes tentent de répondre.

Articles connexes 

Cartographier les migrations internationales