Fin 2020 et début 2021, le fonds cartographique du site Gallica de la Bibliothèque nationale de France s'est enrichi d'une série de cartes sur la France industrielle de l'entre-deux-guerres. Ces cartes font partie d'une série dirigée par la Société de documentation industrielle et éditée au format aigle (105 cm x 75 cm) entre 1925 et 1932.
Ce fonds cartographique, constitué d'une 20e de cartes, était destiné à dresser un inventaire de l'industrie française à l'échelle du territoire national concernant les principales régions industrielles. Remarquables par leur manière de codifier les informations et de décrire au plus près les activités industrielles, ces cartes constituent aujourd'hui un corpus exceptionnel pour étudier non seulement le patrimoine industriel français, mais aussi l'évolution des techniques cartographiques dans l'entre-deux-guerres.
1) L'accès aux cartes industrielles de France (1925-1932) sur le site Gallica de la BnF
Liste des cartes de la Société de documentation industrielle (Strasbourg, Paris) recensées sur Data BnF :
http://data.bnf.fr/fr/15290801/societe_de_documentation_industrielle_paris__strasbourg/
http://airtable.com/embed/shri8xEhKBzKVFZ5V/tblt7PylPH8utMJED?viewControls=on
http://api.bnf.fr/api-iiif-de-recuperation-des-images-de-gallica
2) Une série de cartes commandée par la Société de documentation industrielle et son directeur Jean Majorelle
A l'origine de cette série de cartes industrielles, on trouve Jean Majorelle (1893-1974), ingénieur des Mines et polytechnicien qui était passionné par la géographie et les cartes. L'auteur est connu pour être un géographe spécialiste des énergies et pour avoir participé à l'Atlas de France dont il assura la 2e édition en tant que co-président de la Société française de Cartographie avec André Libault. Il a également été vice-président de l'Association des Géographes Français (AFG). Auparavant Jean Majorelle a dirigé la Société de documentation industrielle dont le siège a d'abord été à Strasbourg puis à Paris. Son objectif était de fournir un répertoire des industries à l'échelle des départements et de documenter les grands centres industriels à une échelle allant du 1:200000 au 1:20000.
La série a été élaborée de 1925 à 1932. La première réalisation en 1925 concerne la carte de l'Alsace dont l'objectif était d'« établir la carte des clients existants et possibles d'une houillère ». Par la suite, le projet s'est largement ouvert à la question des infrastructures industrielles, de leurs implantations, de leur diversité, de leurs liens avec les territoires et le reste du tissu économique. Chaque carte était accompagnée d'un répertoire dressant l'inventaire précis des entreprises visitées (ces répertoires n'ont pas été numérisés par la BNF, mais doivent probablement faire partie des archives de la Société de documentation industrielle). Jean Majorelle a contribué lui-même à la carte du Nord et du Pas de Calais ainsi qu'à celle de la Savoie.
L'auteur a documenté en détail la méthode suivie pour dresser chacune de ces cartes industrielles dans un article des Annales de géographie « Une application de la cartographie à la documentation économique. Les cartes de la Société de documentation industrielle », publié en 1927. On dispose donc du contexte et du modèle mis au point pour produire cette série de cartes :
- Choix des fonds de carte (du département au plan de la ville industrielle)
En principe le choix consistait à dresser une planche par département, sauf pour les départements les plus industrialisés qui ont fait l'objet de plusieurs planches (Alsace = 2 planches, Lorraine = 2 planches, Nord et Pas de Calais = 4 planches, Paris et sa banlieue = 4 planches). Jean Majorelle reconnaît que la division par département est "peu conforme à la vie économique du pays", mais du moins permet-elle de restituer les informations à un même niveau administratif qui est bien souvent celui des recensements économiques. Les planches sont au format grand aigle (75 x 105 cm), mais certaines sont encore plus grandes. Ce qui en fait de véritables cartes murales. Sur l'écran d'un ordinateur, elles nécessitent de zoomer si on veut découvrir tous les détails. Les fonds contiennent beaucoup d'informations, y compris la planimétrie et le relief : il s'agit de pouvoir restituer "tout le cadre de la vie industrielle" et de "donner des repères sûrs", même si la carte est chargée !
- Choix des échelles cartographiques
Les fonds de cartes sont ceux du Service Géographique de l'Armée (cartes de 1:200 000 type 1912, cartes 1:50000 et plans directeurs 1:20000). Les cartons au 1:50000 et 1:20000 permettent de donner des détails concernant les centres industriels les plus importants. Certaines planches contiennent jusqu'à 8 ou 10 cartons d'échelles différentes. Les plans ont parfois nécessité la mobilisation d'un géomètre (comme le plan de Lyon dont les relevés ont été faits par M. Saint-Denis, géomètre à Lyon).
- Choix des symboles pour représenter les établissements industrielsLa légende se répartit en 5 grandes divisions (comprenant chacune 15 à 20 symboles détaillés). Les usines sont indiquées en teintes vives avec un code couleur commun à toutes les cartes :
- En noir : énergie, combustibles, fluides.
- En rouge : fer et métaux (industrie métallurgique)
- En sépia : chimie, cuir, auxiliaires (industries chimiques)
- En violet : étoffes, vêtements, papier (industrie textile et du papier)
- En bleu : construction, ameublement, bois (industries du bois, du cuir, du bâtiment et diverses)
- En vert : alimentation.
3) De nouvelles manières de classer et de représenter les activités industrielles
« Sur la plupart des cartes industrielles parues jusqu’à présent, surtout à l’étranger, les signes conventionnels avaient été choisis de façon rappeler l'industrie à laquelle ils se rapportaient (cheminées, cornues, marteaux et pics entrecroisés, etc). De là, l’emploi de signes toujours assez compliqués difficiles à graver, nécessitant une grosseur assez sensible et qui, pour des industries voisines, se différenciaient souvent très peu. Le principe adopté a été au contraire ici celui d’une véritable algèbre, le signe ne rappelant en rien l’industrie qu’il représente, la seule qualité qui lui est demandée est d'être simple, facile à graver et parfaitement clair » (Majorelle, 1927).
Carte industrielle du Rhône - Éditeur : Société de Documentation industrielle (1932) (source : Gallica)
Extrait de la légende montrant le détail de la classification industrielle
Lyon industriel par Jean Muzy (vers 1911-1912). Carte indiquant les principales usines et manufactures de l'agglomération lyonnaise (source : Archives municipales de Lyon)
Extrait de la légende montrant le détail de la classification des établissements industriels
4) Un inventaire exceptionnel pour étudier la France industrielle de l'entre-deux-guerres
Les "cartes industrielles de la France" sont célébrées par la plupart des géographes et des historiens de l'époque. Il faut dire que la production cartographique de la Société de documentation industrielle est considérable et réputée pour son sérieux. Elle produit en 1925 une carte du territoire de la Sarre, placé sous mandat de la Société des Nations et pour lequel la France a reçu la propriété des mines de charbon après la défaite de l'Allemagne. S'y ajoutent des cartes sur les ports et façades maritimes : la carte du Rhône maritime (Bouches du Rhône) en 1928, deux plans du port de Strasbourg en 1926 et 1933. Lucien Febvre rend compte de l'intérêt de ces cartes . « On aimerait que l'échelle soit constante, alors qu'elle varie du 40 000e au 20 000e, mais les documents sont à jour, ce qui offre un avantage inappréciable, s'agissant d'installations qui se modifient sans cesse ». (Lucien Febvre, Annales ESC, 1932).
L'ambition de Jean Majorelle était de doter la France d'un inventaire industriel aussi exhaustif que possible. « Les cartes industrielles apparaissent donc essentiellement comme des documents d'ordre pratique, utiles surtout aux industriels et aux commerçants : il n'est pas défendu cependant de penser que l'important travail d'information qu'elles comportent peut servir de base à des études d'un ordre plus élevé et d'envisager les matériaux ainsi réunis comme la base d'un travail scientifique de plus large envergure sur les conditions géographiques de l'industrie française. » (Majorelle, 1927)
Cet inventaire était l'occasion de réfléchir à l'implantation des activités industrielles au moment où celles-ci étaient en train de connaître de profonds changements par rapport au XIXe siècle. Entreprise donc un peu vaine, mais en même temps essentiel pour saisir les permanences et les changements. Jean Majorelle y tenait tout particulièrement si l'on en juge par les nombreux articles et communications qu'il délivre à l'époque. En 1931, l'auteur présente par exemple une communication au Congrès de l'AFG dont le titre est : "Essai sur la localisation des industries en France, avec présentation des cartes de la Société de Documentation industrielle".
Cette cartographie d'inventaire semble avoir quelque peu vieilli aujourd'hui, mais connaît un regain d'intérêt avec les possibilités d'analyse offertes par les SIG. Ces cartes peuvent notamment être utilisées pour l'étude de l'histoire et du patrimoine industriels, mais aussi pour le repérage de sites industriels anciens à dépolluer.
Références
Liste des cartes de la Société de documentation industrielle (Strasbourg, Paris) recensées sur Data BNF
http://data.bnf.fr/fr/15290801/societe_de_documentation_industrielle_paris__strasbourg/
http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/62252-les-archives-d-entreprises-quelle-gestion-pour-quels-enjeux-l-experience-du-centre-rhenan-d-archives-et-de-recherches-economiques.pdf
Majorelle Jean. Une application de la cartographie à la documentation économique. Les cartes de la Société de documentation industrielle. Annales de Géographie, t. 36, n°203, 1927. pp. 451-455.
http://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1927_num_36_203_8979
Jean Majorelle (1893-1974). Hommage rendu par Georges Chabot dans les Annales de Géographie
http://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1975_num_84_463_19810_t1_0351_0000_1
Lucien Febvre. Six cartes et plans publiés par la Société de Documentation Industrielle. In: Annales d’histoire économique et sociale. 4ᵉ année, N. 18, 1932. pp. 617-618.
http://www.persee.fr/doc/ahess_0003-441x_1932_num_4_18_1376_t1_0617_0000_2
Paul Leuilliot. Les industries de la France du Nord et de l'Est. Note bibliographique. L'Information Géographique. Année 1936 1-3 pp. 117-118.
http://www.persee.fr/doc/ingeo_0020-0093_1936_num_1_3_4719
Lyon industriel. Carte indiquant les principales Usines et Manufactures de l'agglomération lyonnaise.1S/282. Archives de Lyon
http://recherches.archives-lyon.fr/ark:/18811/fj17qzx6rbwm/8bcc8b91-b6db-468a-a497-9d4913e5754e
Présentation et synthèse du patrimoine industriel de la ville de Lyon
http://patrimoine.auvergnerhonealpes.fr/dossier/presentation-et-synthese-du-patrimoine-industriel-de-la-ville-de-lyon/0acf86dc-059e-4362-bebd-958d9ed9ac47
http://www.georisques.gouv.fr/articles-risques/basias
Pollutions des sols, SIS et anciens sites industriels (Géorisques)
http://www.georisques.gouv.fr/risques/sites-et-sols-pollues/accueil
Carte des productions industrielles et agricoles en France en 1824 (carte économique de l'âge pré-statistique)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8491640f/f1
Carte de répartition des professions en Grande Bretagne par secteurs industriels (1851)
https://www.reddit.com/r/MapPorn/comments/mpzpcv/occupations_of_great_britain_from_the_census_of/
Lien ajouté le 8 avril 2021
Merci à @GallicaBnF pour cette page recensant les anciennes cartes industrielles de la France. L'occasion de belles découvertes comme cette Carte de la production et consommation de combustibles en 1935 😎👍 https://t.co/eHmubMvizQ https://t.co/8qaJCNNC9A pic.twitter.com/f9RK5RRWvA
— Sylvain Genevois (@mirbole01) April 8, 2021
Lien ajouté le 17 octobre 2021
Assez intéressant de voir une carte de l'Europe industrielle des années 30 réalisée par le département US de cartographie. Merci pour cette référence. Des aplats tramés qui n'apparaissent qu'à un certain degré de zoom. Voici le lien sur Gallica : https://t.co/knjLUcP6yK pic.twitter.com/qrNq6xqVEk
— Sylvain Genevois (@mirbole01) October 17, 2021
Carte en couleurs des industries polygraphiques, papiers et cartons en Ille-et-Vilaine (1910). La manière de représenter les établissements industriels par taille du personnel en ordre dégressif est assez originale même si ce type de carto a bien vieillihttps://t.co/Fu2cXbAXgm pic.twitter.com/txLLVb9tkr
— Sylvain Genevois (@mirbole01) August 3, 2022
Lien ajouté le 13 décembre 2022
Carte industrielle de la Nouvelle-Angleterre (1919). L'archétype de la carte d'inventaire début XXe siècle avec sa liste alphabétique de villes et de productions industrielles https://t.co/0LldnZUQm4 pic.twitter.com/cWzfR9pboA
— Sylvain Genevois (@mirbole01) December 13, 2022
Une très belle carte du bassin houiller du Nord Pas de Calais par Alfred de Soubeyran (1895) à retrouver sur le site Gallica. Echelle 1:40 000https://t.co/tANRshPJST pic.twitter.com/9yLWjbF9Gm
— Sylvain Genevois (@mirbole01) December 12, 2023
Numérisation des archives de la Société de Géographie sur Gallica
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