Utiliser la cartographie numérique pour travailler les compétences sur le croquis de synthèse


L'épreuve du croquis de synthèse au baccalauréat a été renouvelée depuis 2019 afin de dépasser le simple exercice de mémorisation-restitution et de favoriser la réflexion des élèves. L'élaboration du croquis s'accompagne désormais d'un texte favorisant le questionnement sur les données à cartographier, sur les choix sémiologiques à opérer et les idées-force que l'on souhaite mettre en avant. Ce billet a pour objectif de proposer des pistes de mise en oeuvre permettant de travailler ces compétences, à partir de cartes thématiques élaborées en amont.

Dans un premier temps, on rappellera les attendus du BO sur la question. Puis on s'interrogera sur l'intérêt pédagogique que peuvent représenter les applications de cartographie thématique, telles que Magrit ou Khartis, pour initier les élèves aux règles de la sémiologie graphique. Enfin, on montrera que la cartographie numérique peut les aider à s'approprier la démarche renouvelée de l'épreuve du baccalauréat qui vise, au delà d'un simple exercice de traduction graphique, à comprendre, organiser, hiérarchiser des informations afin de conduire un raisonnement sous la forme d'un croquis géographique.


I - Ce que dit le BO sur l'exercice du croquis et ce que cela implique en termes de pratiques pédagogiques

Dans le cadre de la réforme du lycée, et des nouveaux programmes en histoire-géographie publiés au BO spécial n° 1 du 22 janvier 2019 [https://eduscol.education.fr/cid144146/histoire-geographie-bac-2021.html], le croquis de géographie est au centre de nos pratiques pédagogiques comme le rappelle le BO : "Le croquis est l’aboutissement d’un travail de description, d’analyse et de synthèse ".

Cela reste également une épreuve du baccalauréat en géographie avec de nouvelles modalités puisqu'il s'agit désormais de réaliser un croquis à partir d'un texte :



Les capacités et méthodes requises pour la réalisation de cette production cartographique sont par ailleurs précisées par le BO : 




Comme on peut le voir dans ce tableau récapitulatif, l'utilisation du numérique est préconisée de manière générale pour "réaliser des cartes, des graphiques, des présentations", sans lien direct avec l'élaboration du croquis. Pour notre part, il nous semble que les outils de cartographie numérique peuvent être également mobilisés afin de montrer aux élèves que le choix des informations à cartographier (source et type de données, liens entre elles et pertinence pour expliquer l'organisation d'un espace géographique) est au moins aussi important que la maîtrise du langage cartographique proprement dit.


II - Utiliser une application de cartographie thématique en ligne pour comprendre les régles du langage cartographique

Pour commencer, nous reviendrons sur quelques définitions de base liées à la cartographie numérique pour bien fixer le cadre de ce deuxième axe.

Tout d'abord, on entend par applications de cartographie numérique “des outils centrées sur la visualisation de l’information géographique selon les règles de la sémiologie graphique”. Il s'agit donc de représenter l'information géographique, de donner à voir et à comprendre des phénomènes géographiques au-delà de la simple maîtrise technique du langage cartographique.

LAMBERT Nicolas & ZANIN Christine, Manuel de cartographie. Principes, méthodes, applications. Armand Colin, coll. « Cursus : Géographie », 2016.

Ces outils de cartographie permettent de construire des cartes statistiques à partir de fonds de carte aux formats Shapefile, GeoJSON, KML (Google Earth) et/ou d’un tableau de données aux formats xls (Excel) ou csv.




Une carte dite thématique associe : 



MAIS, que ce soit une carte version papier ou une carte numérique, on utilise toujours les mêmes règles du langage cartographique. C'est un langage graphique et visuel permettant l’expression des messages cartographiques selon Jacques Bertin (1918-2010), le « père » de la sémiologie graphique : 


Alphabet : signes graphiques élémentaires (point, ligne, surface)
Vocabulaire : variables visuels
Syntaxe : sémiologie graphique (règles de la perception visuelle)





Ces règles se retrouvent dans tous les manuels scolaires de géographie sous une forme simplifiée et servent de vade-mecum pour aider les élèves à la réalisation de leurs croquis de géographie.


Source : manuel de géographie seconde, Hatier, 2019.

Elles sont aussi présentes naturellement dans les applications de cartographie thématique telles que Magrit ou Khartis (les liens renvoient à la présentation des deux logiciels sur ce blog ).




















En réalisant des cartes thématiques sur des outils numériques, les élèves acquièrent en même temps les règles du langage cartographique avec, ici, un avantage indéniable : ces deux applications de cartographie disposent d'une documentation très précise pour expliquer les choix à réaliser en termes de représentation cartographique (et donc de "figurés" ou symboles). Bref, l'élève comprend qu'utiliser par exemple un cercle proportionnel ou un aplat de couleur n'est pas seulement une affaire de figuré ponctuel ou de surface. Il en voit directement l'application à travers l'interface du logiciel.

Pour aller plus loin :

La documentation de Magrit à ce sujet : http://magrit.cnrs.fr/static/book/carto_fr.html



III - Réaliser un croquis de synthèse dans le cadre de l'étude de cas "La Mer Méditerranée : un bassin migratoire" (géographie seconde)

L'application de cartographie Magrit, développée par Matthieu Viry, Timothée Giraud et Nicolas Lambert au sein du pôle géomatique de l’UMS RIATE (open source), s'avère être un très bon outil pédagogique pour concevoir des cartes thématiques, et par extension des croquis de géographie (voir notre présentation de l'outil).

En effet, l'élève va devoir commencer à réfléchir aux sources de ses données. Quelles données statistiques choisir ? Où les trouver ? Mes sources sont-elles fiables ? Comment les traiter ?

Dans l'exemple que nous avons choisi (un croquis de synthèse sur l'étude de cas "La Mer Méditerranée : un bassin migratoire"), il s'agit d'abord de montrer aux élèves que les données sont issues de sources diverses :

Les données en libre accès fournies par l'OIM ("Projet des migrants disparus de l'OIM") représentent "les décès de migrants, y compris de réfugiés et de demandeurs d'asile, morts ou disparus au cours du processus de migration vers une destination internationale" pour 2014-2019 (source : Missing Migrants)
  • Les données sur l'IDH en 2017 sont issues de la mise à jour statistique des indicateurs du développement humain du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) pour l'année 2018. Source : HDR-ONU
  • Les migrants interceptés par Frontex en 2018.Source : Frontex

Une fois cette première étape réalisée (voir plus bas le "pas à pas" proposé sous la forme d'une capsule vidéo), qui consiste à télécharger les données et à les trier dans un tableur (comme Microsoft Excel ou LibreOffice Calc), l'élève peut commencer à insérer ces données dans Magrit pour construire son croquis.

A chaque étape, il doit penser au mode de représentation qui est le mieux adapté selon le type de donnée géographique à cartographier. Et, c'est bien là que repose encore une fois tout l'intérêt pédagogique d'une application de cartographie numérique : elle permet de tester les variables visuelles et de comprendre que les choix sémiologiques ne sont pas seulement affaire de convention, mais ont des conséquences directes sur la lisibilité de la carte, sur le message que l'on délivre. C'est par exemple le choix délibéré d'utiliser une couleur rouge et de calibrer la taille des cercles pour représenter les migrants de manière à ne pas minorer ni sur-représenter le phénomène migratoire appréhendé, ici à travers les victimes décédées ou disparues en mer.

L'outil Magrit permet de guider les élèves dans ce questionnement. Ainsi, l'application ne leur offre pas la possibilité de réaliser des cartes de ratios (cartes choroplèthes permettant de représenter des données de ratios par plages de couleurs ou de niveaux de gris selon la documentation du logiciel) avec des données quantitatives absolues ou données de stocks (exemples : le nombre d'habitants d'une population, le nombre de migrants morts et disparus, voir la capture d'écran ci-dessous).




Après avoir inséré les premiers éléments du croquis, on peut ensuite proposer aux élèves de réfléchir à la palette de couleurs en fonction de l'information géographique à cartographier. Certains pourront à juste titre se montrer dubitatif quant au choix du camaïeu de bleu. C'est l'occasion pour l'enseignant de rappeler que l'essentiel est de bien respecter la gradation de couleurs pour représenter des données quantitatives relatives (données de ratios). Les élèves sont amenés aussi à indiquer la nomenclature sur leur fond de carte (voir la capture d'écran ci-après) comme sur un croquis en version papier.




Reste une dernière étape, qui suit la mise en place de tous les autres éléments du croquis ; il s'agit maintenant de demander aux élèves d'organiser les figurés dans une légende qui réponde au sujet posé. Pour faciliter l'exercice, les élèves peuvent réfléchir par groupe à cette organisation sur une feuille de papier. Après validation de l'enseignant, ils réalisent la légende directement dans l'application Magrit sans oublier de donner un titre à leur production cartographique. Ils veillent enfin à préciser l'échelle du croquis et la source des données.




Ce travail cartographique, ici un croquis de synthèse de l'étude de cas sur "La Mer Méditerranée : un bassin migratoire", est facilement transposable pour un exercice du type transposer un texte en croquis. On trouve dans les manuels de géographie seconde de nombreux textes sur ce thème. L'enseignant peut même rédiger le texte idoine avec tous les ingrédients de ce croquis, à savoir les inégalités de développement entre les deux rives de la Méditerranée, le nombre de migrants morts et disparus au cours de la traversée avec les principales routes migratoires ; la limite de l'espace Schengen ainsi que le nombre de migrants interceptés et les camps pour étrangers en Italie. Quant au parcours "possible" du migrant, ce n'est malheureusement pas les exemples qui manquent.


CONCLUSION : Quelle plus-value pour les élèves et les enseignants ?

Les applications de cartographie en ligne ne permettent pas seulement de s’initier aux règles de la sémiologie graphique. Elles permettent de réfléchir simultanément au choix des données et au choix du type de représentation à associer (également au choix de la projection cartographique que l'on peut changer à la volée). Les élèves aiguisent ainsi leur esprit critique : ils trient et classent les informations récoltées en s'interrogeant sur leurs sources ; ils définissent ce qui est cartographiable ou non et ce qui permet de développer un raisonnement géographique sur ces informations. Ils peuvent s’exercer et multiplier les essais avant de passer à une version papier. 

Ces applications donnent ainsi du sens aux productions cartographiques des élèves en leur faisant prendre conscience qu’une carte, un croquis est avant tout le résultat de différents choix. L’utilisation de ces logiciels facilite l’acquisition des capacités et méthodes requises en vue du nouvel exercice de croquis du baccalauréat et favorise l’émergence d’une réflexion sur les enjeux du numérique.

Pour les enseignants, c'est un outil qui offre la possibilité de diversifier leurs pratiques pédagogiques et de renforcer leurs compétences à la fois dans le domaine de la cartographie et dans celui de la culture numérique, dans la perspective de développer une culture de la donnée et de l'information à l'ère numérique.


Les liens pour télécharger le tutoriel et les données 
Sitographie

Le BO spécial n° 1 du 22 janvier 2019
https://eduscol.education.fr/cid144146/histoire-geographie-bac-2021.html 

Epreuves communes de baccalauréat à partir de la session 2021 du baccalauréat :
https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Bac2021/66/6/NDS_Histoire_Geographie_E3C_1103666.pdf

Nicolas LAMBERT & Christine ZANIN, Manuel de cartographie. Principes, méthodes, applications. Paris : Armand Colin, coll. « Cursus : Géographie », 224 p.
http://savoirs.ens.fr/uploads/videos/diffusion/2018_10_04_lambertgiraud.mp4

La Sémiologie graphique de Jacques Bertin a cinquante ans !
https://visionscarto.net/la-semiologie-graphique-a-50-ans

Sylvain GENEVOIS, Introduire la cartographie numérique dans l'épreuve de cartographie au bac : mission vraiment impossible ?
http://didageo.blogspot.com/2013/01/introduire-la-cartographie-numerique.html